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Full text of "Le Monde moderne"

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G ^ jT^i/^  C-Oj^^-cW^ 


Le 


Monde  Modetne 


3^     ANNÉE 


li  li  P  R  O  I)  L-  C  T  I  O  N      I  N  T  E  n  I)  I  r  E 

des  arlicles  et  des  illustrations. 


DROITS     DE     TRADUCTION      RESERVES 

pour  tous  pays,  y  compris  la  Suéde  et  la  Norvège. 


Le 


Monde  Moderne 


r  O  M  E     \   I 


Juillet    -    Décembre     1897 


PARIS 

A  1.  Il  r.  M  T     (  j  r  A  \  '1'  1  X  ,      1<",  I)  ni:  i  m 
5,  Rue  Saint-Benoit,  5 


LE     MONDE    MODERNE 


Juillet    1897 


AMAN-JEAN     :     PdnTIiAIT    llK     IKIIMK. 
(Sillon  ilu  Clumii)  ilu  Mur-.) 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/lemondemoderne06pari 


LE    PARDON    DES   OISEAFX 


I 


Juluanik  s'est  levé  le  premier  de  tous 
les  garçons  de  la  ferme,  lui,  le  jeune 
maître,  et,  sa  toilette  achevée,  il  a 
chargé  sur  ses  épaules  des  cages  d'osier 
remplies  d'oiseaux  encore  endormis. 
Quel  plaisir  de  les  porter  au  pardon 
pour  les  vendre  dans  la  forêt  de  Car- 
noël  aux  arbres  séculaires!  En  route,  le 
soleil  luit  sur  le  pré  tout  blanc  de  perles 
brillantes.  Le  jeune  homme  siffle  gaie- 
ment, marchant  d'un  pas  cadencé  sur  le 
chemin,  sans  s'inquiéter  de  ses  inno- 
cents prisonniers.  Il  approche  de  la 
fêle,  aussi  insensible  au  désespoir  des 
oiseaux  qu'au  charme  profond  des 
choses;  pourtant  jamais  il  n'est  sorti  si 
douce  fragrance  des  douces  fleurs  de 
mai;  jamais  les  pommiers,  en  toull'es  de 
neige  rosée,  sur  les  branches  courbées 
en  berceau,  n'ont  épanoui,  comme  en  ce 
printemps,  leurs  corolles  jusque  parmi 
l'herbe  ensoleillée. 

El  voici  la  forêt  majestueuse  habillée 
de  feuilles  nouvelles,  la  forêt  mysté- 
rieuse qui  recèle  en  ses  profondeurs  les 
ruines  du  château  de  lîarbe-Bleue.  Des 
voûtes  séculaires  du  chêne  tombe  une 
atmosphère  d'émeraude  qui  emplit  le 
sous-bois,  où  les  myrtils  et  les  perven- 
ches se  mêlent  aux  lierres  qui  ser]icn- 
lent  vagabonds  autour  des  cailloux  con- 
verts  de  lichens,  galets  chexchis  de 
l'océan  forêt. 

.Iiduanik  cessa  de  siffler  et  baissa  la 
tête  en  passant  sous  les  nefs  immenses 
et  encore  solitaires  de  ce  beau  tenq)le. 
1)  un  pas  furlif,  il  gagna  le  lieu  où  se 
tenait  le  marché  des  oiseaux  :  une  clai- 
rière où  s'étaient  eironilrés  trois  menhirs, 
semblables  à  des  bêles  saciM'cs  nxiiles.  Il 
y  arriva  promplemeni,  e(  la  voix  de  ses 
semblables   rass('Téna  son  ànie   ébianli'e 


par  la    grandiose  étreinte  de  la  forêt. 

11  ne  pensa  plus  qu'à  tirer  bon  parti 
de  ses  cages  et  à  ce  qu'il  achèterait  avec 
le  produit  de  sa  vente;  à  l'amour,  nulle- 
ment, comme  un  autre  jeune  homme. 
Non,  à  aimer  une  jeune  fille,  il  n'avait 
jamais  mis  sa  peine.  11  ne  les  remar- 
quait pas  aux  batteries,  ni  dans  \r  dés- 
ordre de  la  moisson,  ni  quand  elles 
peignent  le  chan\'re  :  il  n'avait  senti 
pour  aucune  battre  son  cœur.  Même  sa 
sœur  de  lait,  Fiamette,  ne  le  Iroidjlait 
pas  quand  elle  le  fixait  de  ses  grands 
veux  remplis    d'interrogations. 

Qu'elle  l'aimât,  il  ne  s'en  inquiétait 
guère;  pciurlani,  i-omme  un  lis  de  mer 
s'épanouit  au  fond  des  eaux  tièdes  de 
l'océan,  un  sentiment  plein  de  force 
grandissait  pour  lui  dans  le  mystère  de 
ce  jeune  cœur,  et  elle  avait  ses  projets, 
elle  aussi,  pour  ce  bienheureux  jour  de 
pardon  :  d'abord  danser  avec  son  ami 
d'interminables  gavottes,  consulter  la 
fontaine  de  liarbe-Iileue  sur  le  sort  de 
son  amour  en  v  jetant  une  éjiingle,  et 
peut-êlri'  s'aventurer  à  son  bras  jus- 
qu'aux ruines  du  lénébreux  eliâteau. 
Ahl  qu'il  sérail  doux  d'avoir  |ieni-  et  de 
Irendiler  à  ses  côtes  en  se  reniénidiMnl 
la  lugubre  légende  I 

Du  eolfre  sculpté  .[ui  b.M-de  le  lit  de 
sa  mère  et  sui'  la  Cice  dui|uel  s  entre- 
lacent les  Idlns  rigides  <-t  les  margue- 
rites, la  jeune  lilli-  a  tii'é  sa  plus  bril- 
lante parut  e;  elle  a  glissé  sa  robe 
orienlali'  (■|iamarr(''e  d'or,  noué  à  sa 
taille  pliante  les  rubans  d'un  tablicM-  île 
soie  clair  de  lune,  e!  elle  est  très  lu-Ile 
ainsi.  I''iamelle;  elle  a  un  long  e(Ui  blanc 
sortant  de  ses  collenMtes  immaculées, 
des  cheveux  d'ini  blond  irargenl,  des 
veux  de  myosotis  humides,  nu  leiut  de 
marguerite  de  pré.  il  ne  manque  point, 
an  long  de  la   roule,  de  garçons  délnri's 


I.K    PARDON    DKS    OISKAUX 


—  rose  au  chapeau  —  pour  l'en  l'aire 
apercevoir.  «  C'est  toujours  ainsi,  songe- 
l-elle,  on  plaît  à  qui  l'on  n'aime.  »  Et 
se  mêlant  à  ses  compagnes,  elle  s'en  fut 
vers  la  fontaine  d'où  s"<?chappaient  en 
petits  ruisseaux  des  eaux  dansantes. 
Une  des  dernières  elle  s'approcha,  et 
s'agenouillant  sur  la  pierre,  inclinant  sa 
lêle  charmante  sur  l'eau  limpide,  elle 
jeta  l'épingle,  essayant  de  la  suivre  dans 
sa  chute  aux  méandres  symboliques, 
quand  une  amie  malicieuse  lui  cria  : 

—  Fiamette,  pourquoi  ne  te  voit-on 
point  avec  Juluanik? 

C'était  vrai  qu'il  l'abandonnait,  pour- 
tant. Un  amer  chagrin  serra  sa  poitrine 
de  fillette  qui  n'avait  jamais  souffert, 
des  larmes  formèrent  un  voile  liquide 
sur  ses  yeux,  puis  s'en  détachèrent,  et 
la  mystérieuse  fontaine  les  reçut  dans 
son  frais  cristal  :  la  jeune  fdle  se  retira, 
découragée,  sans  avoir  rien  vu. 

Il  ne  restait  plus  à  Juluanik  qu'un 
rossignol  ■ —  un  rossignol  dont  la  tendre 
et  magnifique  voix  emplissait  la  vieille 
ferme  au  chaperon  de  chaume  surchargé 
d'iris  et  de  joubarbes  d'un  ruissellement 
de  notes  triomphales.  Le  jeune  homme 
ne  voulait  pas  le  vendre,  il  ne  l'eût  pas 
donné  pour  toutes  les  pièces  blanches 
qui  sonnaient  dans  son  gousset.  Les 
offres  importantes  des  marchands  de 
perroquets  et  d'oiseaux  des  îles  venus 
de  Lorient  ne  tentaient  pas  Juluanik, 
et  déjà  le  «  chantre  des  nuits  heu- 
reuses »,  dans  sa  prison  tressée,  repo- 
sait sur  les  épaules  du  jeune  paysan, 
quand  Fiamette  surgit  devant  lui. 

Dans  la  foule  grandissante  et  bariolée 
chacun  avait  sa  cage  el  son  chanteur 
prisonnier.  L'on  eût  pu  croire  que  tous 
les  oiseaux  de  la  forêt  géante,  au  coup 
de  baguette  d'une  fée,  étaient  tombés 
des  arbres,  comme  des  fleurs,  pour  être 
livrés  à  ce  peuple  engourdis  encore. 

Seule  la  jeune  fille  n'avait  pas  de  mi- 
gnon esclave,  et  elle  arrivait  trop  tard. 
Elle  s'approcha  de  Juluanik. 

—  Je  gage,  dit-elle,  que,  ne  mayant 
pas  vue,  tu  as  mis  de  côté  pour  moi  ton 
plus  beau  merle,  un   sansonnet  parlant 


comme  aucun  autre,  car  lu  es  habile  à 
dresser  les  oiseaux! 

Il  y  avait  de  l'ironie  dans  sa  voix, 
l'ironie  de  l'amour  offensé  de  n'être  pas 
payé  de  retour,  du  mystérieux  mal  qui 
dévore  quand  il  n'est  pas  souffert  à 
deux. 

—  Je  n'y  ai  pas  pensé,  répondit 
na'ivemenl  Juluanik;  si  tu  étais  venue 
tout  à  l'heure,  tu  aurais  choisi  à  ton  gré  : 
tu  sais  que  je  ne  te  refuse  jamais  rien. 

—  C'est  bien,  reprit-elle  avec  un  œil 
plus  assombri  et  plus  offensé.  Je  me 
contenterai  de  celui  dont  personne  n'a 
voulu  et  que  tu  remportes  par  pitié, 
pour  ne  pas  le  tuer,  sans  doute! 

Leste,  elle  s'éleva  sur  la  pointe  du 
pied  pour  se  saisir  de  la  cage,  mais  il 
lui  échappa,  disant  : 

—  Ah!  non,  j'y  tiens  trop,  c'est  mon 
rossignol  ! 

Et  comme  il  remarquait,  sans  péné- 
trer pourtant  entièrement  sa  pensée, 
qu'elle  semblait  très  affligée,  il  devint 
câlin  : 

—  Je  t'en  élèverai  un  autre,  ma  pe- 
tite Fiamette,  celui-ci  ne  connaît  que 
moi  et  je  le  nourris  de  viande  crue. 

Elle  ne  s'attarda  pas  à  l'écouter. 

—  Garde  ton  oiseau,  dit-elle,  puisque 
lu  l'aimes  mieux  que  moi. 

El  s'enfuyanl,  loin  du  bruit,  dans 
une  clairière  où  vivait  dans  une  virgi- 
nale paix  un  peuple  de  digitales,  elle 
s'allongea,  au  milieu  des  fleurs  empoi- 
sonnées, comme  une  herbe  fauchée.  La 
mort  chevauchait  sa  pensée  où  était  en- 
tré l'amour. 

Le  son  grave  des  bombardes,  le  per- 
çant appel  du  biniou  dissipèrent  la  nuit 
de  son  âme  cl  l'agonie  de  son  cœur. 
Elle  ne  pouvait  renoncer  à  lui,  sans 
avoir  éprouvé  entièrement  l'empire  de 
ses  charmes,  sans  avoir  essayé  de  faire 
pénétrer  dans  les  veines  de  Juluanik  un 
peu  de  ce  poison  inconnu  qu'elle  sen- 
tait cii'culer  dans  les  siennes.  La  jeune 
fille  courut  à  la  danse,  el  ses  yeux  im- 
périeux et  désespérés  cherchèrent  le 
jeune  homme.  Tout  va  bien  à  la  jeu- 
nesse, même  la  peine.  Une  flamme  nou- 


LK    PARDON    DKS    OISEAUX 


vc'Ue  avivait  les  regards,  les  joues,  les 
lèvres  de  Fiamette. 

Juluanilv  menait  la  gavotte,  si  chère 
aux  jeunes  hommes  du  pays  de  Quim- 
perlé  et  de  Scaer,  avec 
trois  héritières  des  en- 
virons, et  il  la  menait 
bien,  si  grand,  si  leste 
quand  il  s'agissait  do 
changer  de  main,  en 
tournant    légè-  ■<^- 

rement.  C'était  ..«■ 

plaisir  de  le 
voir  très  sé- 
rieux, les  yeux 
nonchalants,  à 
peine  animé  par 
un  rythme  lenl 
de  pavane.  11 
donnait  la  main 
à  sa  cousine 
Jeannie  Le  Ma- 
r'hadour,  une 
belle  au  corps 
de  statue,  au 
corsage  cha- 
marré d'or, 
d'une  raideur 
hiératique,  por- 
tant la  coille  ilr 
Ponl-.\veii  cl 
la  collerette  de 
dentelle.  Deux 
autres  fillettes 
terminaient  la 
chaîne  ,  mais 
F  i  a  ni  e  1 1  e  n  e 
%•  o  y  a  i  l  q  u  c 
Jeannie  qui  avait 
|)lace. 

(Télait  vrai  qu'i 
pas  l'air  de  la  courtiser,  avec  ses  veux 
calmes,  son  air  de  danser  (ont  seul  el 
pour  lui-même,  d'accomplir  quelque  naïf 
sacerdoce.  Peut-être  u'a\ait-il  pas  d'àme 
plus  qu'un  iniioceni,  insensible  comme 
un  arbre  des  bois!  Il  n'avait  pourtant  [las 
eu  de  fièvre  maligne  qui  laisse  la  têle 
vide,  ni  été  en  proie  au  mal  sacré  de 
folie!  Quelquefois  elle  détournait  ses 
yeux   (le  lui    |)our   empêcher  de   laisser 


fondre  sous  sa  paupière  le  sel  amer  des 
larmes,   et,  pour   calmer  sa  souffrance, 
regardait,  entre  les  branches,  des  nuages 
qui  traînaient  à  travers   le  ciel  de  lapis 
comme  des  flocons 
de    laine,   ou  bien 
les  cavernes  glau- 
ques que  formaient 
les  trouées  de  ver- 
dure où  s'entassait 


la  fraîcheur;  mais  ces  niueltes  Ix-aulés 
de  la  nature  l'irritaient  puis(|u'elle  ne 
pouvait  les  faire  servir  à  son  anioin-.  l'-lle 
s'irritait  aussi  de  ne  pou\c)ir  s'éprendre 
d'un  autre,  engluée  à  ce  cieur  rebelle,  et 
une  sorte  de  haine  d'amour  gonflait  sa 
poitrine   sous  celle  brilhuile  armure  de 


MO    PAIiDOX    DKS    OISEAUX 


*   ''  métal    qui  ',  faisait 

ressembler  sa  taille 
à  une  gaine  de  poi- 
gnard. Les  danses  continuèrent;  elle  se 
trouva  maintes  fois  avec  Juluanik  pour 
le  Jabadoe,  et  cette   figure  gracieuse  à 


deux  que  l'on  appelle  le 
l>:il:  mais  vainement  elle 
resplendit  près  de  lui 
d'amour  et  de  beauté 
dans  tout  le  magnétisme 
de  sa  passion  volontaire, 
,^  il  ne  la  regarda  pas  plus 

qu'il  n'avait  regardé 
Jeannie,  ne  prit  pas  garde 
à  sa  grâce,  quand  elle 
levait  les  bras,  et  que 
ses  manches  chargées  d'orfèvreries  scin- 
tillantes lançaient  des  étincelles,  il  n'eut 
point  l'air  de  se  douter  qu'elle  demeu- 
rait devant  lui  comme  une  terre  sans 
eau,  comme  une  fleur  prête  à  se  flétrir. 
Les   danses   durèrent   jusqu'à    la    pé- 


LE    PARDON    DKS    OISEAUX 


nombre  mélancolique,  mais  Fiamette  les 
avait  abandonnées  depuis  longtemps  et 
Juluanilv  ne  s'en  était  pas  aperçu.  La 
jeune  lîlle  s'élait  réfugiée  dans  cette 
clairière  où  l'on  avait  tenu  marché  des 
oiseaux,  elle  s'était  assise  sur  le  menhir 
renversé  et  tenait  son  front  dans  ses 
mains.  Était-ce  une  semblable  journée 
qu'elle  avait  demandée  à  saint  I^othéa, 
le  matin,  à  genoux  dans  l'ermitage  où  ce 
bienheureux  reçoit  ses  fidèles,  une  fois 
l'an,  en  l'honneur  du  pardon?  Car,  le  reste 
du  temps,  il  se  renferme  sans  autre  so- 
ciété que  saint  Laurent  portant  son  gril, 
et  qu'une  vierge  au  visage  tragique  et 
fruste  de  femme  des  bois,  ayant  sur  ses 
genoux  un  Christ  convulsé  et  étrange 
aux  bras  démesurés.  Sa  seule  distraction 
est  sans  doute  de  regarder  ses  bannières 
fleurdelisées,  de  compter  les  gueules  de 
crocodiles  qui  avaient  l'air  d'avaler  les 
poutres  et  de  voir,  du  haut  de  son 
socle,  à  travers  les  vitraux,  pousser 
l'herbe  et  fleurir  les  boutons-d'or  dans 
son  cimetière  abbatial  fermé  depuis  des 
siècles  et  dont  seul  il  eût  pu  nommer 
les  morts.  Il  lui  semblait  peut-être  re- 
vivre tout  un  jour;  à  ses  narines, 
montait  le  |iarl'um  de  l'encens  et  une 
foule,  la  même,  en  coiffes  blanches, 
semblables  ci  un  vol  de  frémissantes  pa- 
lombes, comme  autrefois,  quand  il  par- 
lait en  chaire,  débordait  le  temple,  em- 
plissaif  l'enclos  des  morfs  perdus  dans 
l'oubli,  se  hissait  sur  les  murs  ruinés; 
et,  dans  les  cages  d'osiers  et  d'herbes 
tressées,  pépiaient  les  oiseaux  a|iportanl 
l'écho  de  la  forêt  profonde,  le  parfum  de 
mousse  et  de  jeunes  feuilles  d(;s  bords  de 
la  Laïta.  Son  nom  sonore,  répété  mille 
fois,  l'emplissait  d'une  gloii-e  pnslhume  : 
Lothéa!  Lolhéa! 

l'^h  bien,  il  avait  déilaigné  les  ])rières 
de  l'^iamette,  ce  saint.  Trop  vieux  sans 
doulc,  u'enfcndant  plus  rien  à  l'anioui', 
songeai! -elle  ii-ri''\('Tencicus(',  peul-rh-e 
ne  vonhiil-il  plus  s'iiccii])ei-  cpie  de  clioses 
graves  el  inoi-oscs,  tle  i'(''c(illes,  ou  de 
guénr  des  lii'\i-cs  ;  mais  de  cliangei-  ini 
cii-iii-  lie  I l'une  Imnime,  ce  n'éfail  |)as  siiu 
all'aiie   aprr^   loul  ;    le  soi-clei-  riMissiraif 


mieux,  —  car  il  fallait  en  celte  occasion 
un  peu  de  la  malice  du  diable,  —  et  en 
apaisant  Lothéa  par  un  présent,  celui-ci 
consentirait  à  l'intervention  du  sorcier 
et  ne  lui  ferait  aucun  mal,  comme  cela 
arriverait  si  l'on  se  passait  de  sa  permis- 
sion. 

Fiamette  croit  entendre  du  bruit,  des 
pas,  et  elle  ne  veut  pas  être  surprise, 
elle  se  lève  marchant  dans  la  forêt  pro- 
fonde aux  futaies  centenaires.  Retourner 
au  village,  dans  le  char  à  bancs  de 
Jeannie,  rempli  de  filles  rieuses  et  qui 
liraient  sa  défaite  dans  le  sombre  mi- 
roir de  ses  yeux,  jamais  ;  elle  veut  laisser 
partir  les  autres  et  rentrer  chez  elle  par 
les  traverses. 

La  nuit  est  belle,  tout  s'est  allumé 
comme  d'enchantement  là -haut,  les 
étoiles  dardent  leurs  flammes  claires  et 
la  lune  est  au  milieu  d'elles  comme  une 
dame  un  peu  mystérieuse,  pâle  d'amour. 
Toute  jjêtite  et  très  perdue  se  trouve  la 
jeune  fille  au  milieu  de  l'immobile  armée 
des  arbres,  toute  jeune  et  éphémère 
chose,  aussi  fragile  que  la  primevère, 
aussi  craintive  que  le  faon  qui  s'épou- 
vante de  ses  propres  bonds.  Qu'est  ceci 
qui  traîne  à  terre?  Un  grand  rameau 
mort  couvert  de  lichen  blanc  qui  semble 
un  spectre,  et  là  une  coulée  de  margue- 
rites fleuries  et  si  pressées  qu'elles  simu- 
lent un  linceul  déroulé  sur  le  bord  du 
ruisseau.  Ce  c<i'ur  de  forêt  moyen  âge, 
c'est  un  vrai  endroit  pour  voir  son  inler- 
signe,  rencontrer  le  présage  de  mort. 


II 


—  Ma  Doué,  <lisail  Marixonuic,  la 
servante,  aux  commères  réunies  sur 
l'aire,  ti-icot  en  main,  ticvani  la  fcM-me 
des  (iraïc,  on  ne  sait  pas  d'où  vienl  ce 
mal  ([ui  a  saisi  noire  Fiamette,  le  soir 
du  l'ardon  des  ciiseaux.  Un  air  mauvais 
l'a  fra|ipi''e  cl  elle  esl  renlri'C  eu  Ireui- 
blanl  plus  blauiln-  ipic  la  llcnr  d'aubé 
]iin<',  C'esl  une  lièvre  1res  uiahgiie, 
mais  je  me  di'maiide  ipii  a  pord'  le  mal- 
heur sur  elle.  cai-  elle  est  douce  .iu\ 
panvi'cs  el   ne  ril  pas  des  iiuintriils.  ,1a- 


M-:    TARDON    DES    OISKAL'X 


mais  les  tailleurs  n'ont  passé  le  seuil  de 
la  porte,  toujours  ils  sont  restés  cou- 
sant clans  la  'grange  et  le  corbeau  appri- 
voisé porte  toujours  ses  bas  de  laine 
rouf^e. 

I-a  l'ormo  osf  ondeuillée  par  le  jjrand 
mal  de  Fiametle;  le  père  Graïc,  un  rude 
gars,  assis  sur  la  margelle  du  puits,  re- 
garde devant  lui  les  bras  croisés  d'un 
air  slupide,  il  ne  veut  même  plus  piler 
la  lande  verte  dans  les  auges  de  pierre 
pour  les  chevaux,  le  soir,  ni  couper  la 
luzerne  ;  on  leur  donne  le  foin  de  réserve 
qu'il  comptait  vendre  à  la  ville;  Guil- 
lemelte,  la  mère,  s'assied  derrière  la  haie 
pour  pleurer,  se  remémorant  tout  ce 
qu'elle  a  tait  pour  protéger  sa  fille  contre 
les  mauvais  sorts,  tous  les  pèlerinages 
où  elle  a  pieusement  brûlé  les  chan- 
delles bénites,  depuis  Notre-Dame  de 
Kergornel,  —  alors  qu'elle  portait  l'en- 
fant dans  ses  flancs,  —  qui  bénit  les  ma- 
melles et  donne  un  lait  suave  aux  sucs 
forts.  El  dans  combien  de  fontaines 
saintes  elle  lavait  trempée,  et  comme 
elle  lui  avait  appris  sa  prière,  quand  elle 
bégayait  à  peine,  la  menaçant,  si  elle 
n'apprenait  vite,  de  la  fouetter  avec  une 
verge  de  genêt  ! 

Fiamette  est  dans  son  grand  lit  clos, 
la  figure  rouge.  Tantôt  allongée  et  sans 
force,  elle  plaint  et  vagit  comme  un  en- 
fant au  berceau,  et  tantôt  elle  se  dresse 
sur  son  séant,  écoulant  avec  une  atten- 
tion profonde,  les  bras  blancs  étendus, 
les  épaules  inondées  de  ses  blonds  che- 
veux, battant  la  mesure  avec  sa  tête 
mutine.  Son  visage  s'éclaire  soudain, 
elle  entend  les  binious  ;  pour  elle  seule 
ils  approchent  et  elle  s'apprête  à  danser 
comme  quand  les  sonneurs  sonnent  un 
air  joyeux.  Elle  chante,  sa  voix  éclate 
stridente  et   d'une  joie  terrible  : 

Le  lils  du  roi  vient  avec  ses  pij^eons 
Rouges,  blancs  et  violets... 

L'imagination  a  forcé  les  portes  du 
merveilleux  et  demeure  grisée  devant 
la  liction  enchanteresse.  C'est  encore  un 
air  de  ronde  que  les  filles  de  quinze  ans 
dansent  sous    les   couronnes  de  mai,  au 


carrefour  envahi  d'ombre,  secouant  leurs 
chevelures  libres  ;  mais  déjà,  dans  leur 
voix  qui  mue,  palpitent  des  notes  do- 
lentes, prélude  des  proches  amours. 

Personne  près  de  la  malade  autre  que 
Juluanik  accroupi  sur  la  pierre  de  l'âtre, 
le  front  sur  les  genoux,  les  épaules  se- 
couées de  sanglots  muets,  et  qu'un  men- 
diant familier  qui  occupe  au  fond  de  la 
cheminée  le  fauteuil  de  l'aïeul,  dont  les 
cheveuxfinsdéroulent,  sur  sa  veste  grais- 
seuse, de  pâles  boucles  couleur  de  miel 
et  qui  marmotte  d'interminables  litanies 
se  mêlant  tantôt  aux  vagissements,  tan- 
tôt aux  chansons  de  la  pauvre  fille. 
Abgrall  est  son  nom  et  il  est  un  peu  sor- 
cier. Quand  sa  prière  est  finie,  il  trace  des 
cercles  dans  les  cendres  du  bout  de  son 
bâton;  des  paroles  saccadées  volent  sur 
ses  lèvres  flétries  :  il  dit  que  la  terre  use 
le  fer,  que  l'anneau  diminue  sous  le  doigt 
qui  le  porte,  que  le  sel,  la  pluie  et  les 
pas  usent  le  rocher,  les  baisers  du  fidèle, 
la  main  du  saint  vénéré.  Lugubre,  il 
proclame  la  dispersion  des  atomes;  il 
parle  par  lambeaux,  comme  les  bardes 
d'autrefois,  au  gré  de  l'inspiration,  des 
rameaux  qui  se  dessèchent  et  des  fleurs 
qui  s'effeuillent  ;  et  c'est  le  même  qui 
faisait  tant  rire  Fiamette  quand  elle  était 
petite,  dansant  de^•ant  elle  jusqu'à  en 
être  ivre  et  chantant  jusqu'à  perdre  ha- 
leine. Depuis  vingt  ans  qu'il  entre  d'un 
air  assuré  dans  la  ferme  des  Graïc,  se 
dirigeant  en  silence  vers  la  cheminée  et 
s'asseyant  à  l'abri  de  son  vaste  manteau, 
tranquille  comme  un  grillon  familier,  ce 
vieux  baleer-bro  prend  sa  part  des  joies 
et  des  peines  de  ce  foyer,  de  ce  nid 
d'homme,  à  ras  de  terre,  entre  deux 
sillons. 

—  Hé  !  garçon,  que  fais-tu  là  aujour- 
d'hui? dit-il  à  Juluanik,  en  touchant  son 
épaule  du  bout  de  son  bâton  :  ta  place 
est  au  Pardon  des  fleurs  ;  la  malade, 
pauvre,  se  gardera  bien  sans  toi  pour 
une  journée  et  tu  peux  gagner  le  prix  à 
la  course. 

—  Ohl  ma  foi  non,  dit  le  jeune  homme 
en  relevant  sa  tête  pâlie,  je  suis  bien  là, 
j'aurais  trop  de  peine  d'aller  voir  sainte 


LE    PAIÎDOX    DES    OISEAUX 


Fiamette  dans  sa  chapelle,  à  son  jour  de 

fête,    quand    celle-ci    est   dans   son  lit, 

ajouta-t-il  en  désignant  sa  sœur  de  lait. 

—  Il  est  vrai,  reprenait  Abgrall,  que 


son  esprit  la  quitte  et  qu'elle  a  peur  de 
l'enfer. 

—  Juste,  vieux  balecr-bro,  je  ne  ferais 
pas  belle  mine   à   la   l'èle,   autant  rester 


■îaw-ai: 


'*8raî?nj 


le  nie  eon- 
nliMid  même  ])as 
ai    pendu  à  sa 

et-in  hier  ?  in- 


tu  as  la  tête  plus  défaite  et  plus  perdue 
que  si  lu  revenais  de  chanter  les  Vêpres 
des  hannetons  (aller  boire  au  cabaret 
le  dimanche);  huit  jours  que  tu  ne 
reposes  pas  sur  ta  couette,  que  tu  uses 
la    force  à    [)leurer  cl   à  la  tenir  quand 


près  dVll,-.  Il 
naisse  plus,  c 
mon  rossignol 
IVnêtre. 

—  (^u'a   dit 
terrogea  le  vieillard. 

—  Que  veux-tu  (pi'il 
pondit  le  jeune  homme,  avec  la 
sourde  méfiance  qui  est  au  fond  de 
tout  paysan,  le  mépris  haineux  que 
lui  inspire  la  science,  le  remède  tpii 
n'a   pas  de  source  surnaturelle. 

Il  est  rare  qu'une  substance  odorante 
ne  soil  pas  amcre,  il  est  rare  que  la  dou- 
leur ne  fasse  pas  sortir  du  co'ur  humain, 
sa  plus  pure,  sa  plus  suave  omanalion. 
Le  malheur  qui  frappait  le  jeune  Hrelou 
en  frappant  Fiamette  avait  déchaîné  une 


LE    l'AHDON    DUS    OISKACX 


grande  tempête  clans  sa  conscience.  Il 
était  bourrelé  de  remords  en  songeant 
à  sa  coiuluile  envers  elle  le  jour  du  Par- 
don des  oiseaux.  S'il  était  resté  à  ses 
côtés,  elle  n'aurait  pas  reçu  le  présage 
de  mort,  ou  son  inlersKjne;  il  l'aurait 
sauvée  des  miasmes  fantômes,  semences 
ailées  de  la  mort,  qui  montent  dans  l'hu- 
midité nocturne  des  funèbres  paysages, 
feux  follets  que  charrient  les  étangs 
mystérieux,  la  rivière  endormie,  fris- 
sonnante et  nacrée  sous  la  futaie  cente- 
naire ;  à  l'appel  perfide  des  ruisseaux 
égrenant  leurs  purs  chants  limpides, 
emplissant  le  silence  nocturne  de  leurs 
concerts,  par  delà  le  mystère  des  om- 
brages, elle  n'eût  point  pénétré  dans  les 
régions  inviolables  où  repose  majestueux 
et  néfaste  le  souvenir  des  âges  perdus. 
Et  toutes  ces  pensées  de  Juluanik  n'a- 
vaient pas  de  contours  précis  ;  elles 
étaient  confuses,  comme  son  amour  pour 
Fiamctle  qui  le  possédait  à  son  insu, 
indistinctes  et  tumultueuses  comme  le 
chuchotement  des  bois,  quand  la  nature 
célèbre  sa  fête  et  qui  est  semblable  à  la 
voix  lointaine  du  printemps  qui  a  parlé. 

Mais  le  vieux  baleer-bro  discourait 
toujours  pour  distraire  le  jeune  homme. 

—  Ah  !  vois-tu,  disait-il,  quand  je  suis 
seul  sur  les  roules,  aucune  habitation  ne 
me  plaît  comme  celle-ci,  mon  cœur  bon- 
dit de  joie  en  voyant  la  fumée  de  ce  feu 
des  Graïc.  Ailleurs  on  se  chauffe  aussi, 
le  cidre  est  doux;  mais  la  parole  meil- 
leure que  le  feu  clair  et  la  boisson  pi- 
quante, on  ne  la  trouve  pas.  Guille- 
mette  elle-même  m'apporte  ma  part 
du  repas,  nul  ne  m'interroge  quand  j'ai 
le  cœur  trop  lourd...  de  braves  gens, 
ces  Graïc,  le  choix  d'entre  tous. 

Les  jours  passaient  et  il  restait  tou- 
jours là,  ce  mendiant,  accroupi  sous 
l'àtre,  pleurant,  priant  et  prophétisant  ; 
ce  n'était  pas  par  paresse,  car  il  savait 
marcher  toujours,  sans  relâche,  indéfi- 
niment, sans  avoir  l'air  d'y  penser,  sur 
les  routes  poudreuses;  les  \illages  roux 
et  gris  semblaient  l'attendre,  les  enfants 
et  les  chiens  l'accueillaient  de  leurs  cris. 
11  aimait  sa  vie  errante,  il  aimait  les  sen- 


tiers primitifs  et  herbeux  que  l'on  suit 
sans  hàle  au  crépuscule,  les  haltes  dans 
la  lande  [)arfumée,  à  l'abri  des  pierres 
géantes,  couronnées  de  houx  et  de  lau- 
riers que  l'on  dit  être  le  sauvage  tom- 
beau des  héros  antiques  ;  il  aimait  aussi 
l'invincible  tristesse  qui  se  dégage  des 
oratoires  abandonnés,  entourés  d'épines, 
d'herbes  folles  et  d'absinthes  amères,  où 
le  baleer-bro,  en  loques  et  la  barbe  in- 
culte, parle  à  Dieu  sans  honte,  exhalant 
les  angoisses  de  son  vieux  ca'ur  en  un 
lamento  désespéré. 

Le  prunier  sauvage  tout  courbé  par  le 
vent  d'ouest  avait  fleuri  quelques  jours 
au  bord  de  la  fenêtre,  puis  secoué  ses 
grêles  fleurs,  et  les  parents  de  Fiamette 
pensaient  que  la  jeune  fille  n'en  cueille- 
rait jamais  plus  les  fruits  acides,  qu'elle 
ne  couperait  plus  jamais  le  blé  noir  aux 
tiges  de  corail  avec  sa  petite  faux  et  que, 
([uand  les  seigles  élancés  noieraient  à 
demi  leur  hutte  d'argile  au  milieu  de 
leurs  flots  satinés,  il  y  aurait  déjà  de 
l'herbe  naissante  sur  sa  tombe.  Ah!  qui 
aurait  le  cœur  de  brandir  le  fléau,  au 
temps  de  la  paille  blanche!  il  faudrait 
des  étrangers  pour  ces  soins;  et  l'hiver, 
qui  élèverait  la  voix  à  la  veillée,  quelles 
seraient  les  images  qui  leur  apparaî- 
traient à  travers  les  flammes  claires  du 
feu  de  lande,  quand,  hébétés  de  dou- 
leur, ils  se  tiendraientl'un  devant  l'autre, 
regardant  désespérément  les  charbons 
qui  s'éteignent!... 

Suivant  la  coutume  bretonne,  on  n'ap- 
prochait guère  de  la  malade,  la  croyant 
prise  tout  entière  dans  les  serres  de  la 
fatalité;  chacun  se  dispersait  au  dehors 
avec  des  mines  funèbres.  Tous  les  sor- 
ciers étaient  venus  de  plusieurs  lieues  à 
la  ronde  et  on  faisait  grand  accueil  à 
ceux  des  voisins  qui  connaissaient  quel- 
que saint  patron,  reclus  dans  son  sanc- 
tuaire, et  qui  pouvait  s'intéresser  au 
sort  de  Fiamette. 

Le  frère  de  Gra'ic  était  parti  en  grand 
mystère  —  à  cause  de  ces  étrangers  ré- 
pandus dans  le  pays  breton,  et  qui  of- 
fensent les  croyants,  se  riant  avec  im- 
piété des  vieux  rites:  —  il  a^•ait  marché 


LK    l'AHDOX    DES    OISEAUX 


deux  nuits  à  travers  champs  et  bois  pour 
trouver  un  ermitage  bâti  au  bord  des 
Ilots  où  régnait  une  vieille  idole  délabrée 
tenant  en  laisse,  par  un  ruban  fané,  un 
fantastique  animal.  Son  souvenir  était 
perdu  dans  les  temps  et  personne  ne 
savait  plus  son  histoire.  Ce  saint  était-il 
de  ceux  qui  arrivaient  des  îles  sur  les 
Ilots  houleux,  assis  dans  une  auge  de 
pierre,  apportant  la  science  magique  des 
pays  inconnus?  ou  bien  avait-il  mené  la 
charrue,  n'ayant  connu,  comme  ce  pèle- 
rin même,  d'autre  horizon  que  ses 
bruyères  natales  etl'infini  des  eaux?  Quoi 
qu'il  en  fût,  des  offrandes  moisissaient 
à  ses  pieds,  sur  le  granit,  s'accrochant 
aux  saillies  dentelées  des  corniches, 
et  il  y  avait  des  bouquets  de  vio- 
lettes et  de  mousses  qui  se  desséchaient 
dans  ses  mains.  Le  vent  du  large  em- 
plissait la  nef,  balançant  un  minuscule 
navire  suspendu  à  la  voûte.  Ce  frère  des 
Graïc,  homme  grave  et  sévère,  après 
avoir  embrassé  ces  choses  d'un  pieux 
coup  d  œil ,  s'était  prosterné  sur  les 
dalles  et,  avançant  sur  ses  genoux  par 
pénitence  plus  grande,  il  avait  offert  ses 
présents  qui  se  composaient  du  blé  le 
meilleur  de  l'année,  de  chanvre  peigné, 
de  beurre  et  de  lard,  et  il  songeait  en 
lui  combien  ces  dons  rustiques  étaient 
préférables  aux  ancres  dévorées  de 
rouille  qu  il  voyait  alentour,  maigres 
présents  des  gens  de  mer. 

Mais  il  lit  vainement  ce  voyage,  l'étal 
de  l'ianu'lte  alla  toujours  en  em|)iranl; 
alors  on  ne  sut  plus  (pie  devenir,  car  on 
n'all.icliait  aucune  importance  à  ce  que 
pouvail  bien  dii'c  ou  faire  le  médecin, 
ni  au  (li'hii  (ju'il  avait  assigné  à  la  vio- 
lence (lu  mal. 

Alors,  un  jour,  au  repas,  .Vhgrall,  le 
vieux  baleer-bro,  jjrit  la  parole  au  mi- 
lieu du  morne  silence  qu'entretenaient 
l'angoisse  ambiante  et  les  soujjirs  de 
Guillemelte;  et  ou  l'écouta.  (Jraic  ne 
rintciTompil  pas  avec  le  farouche  : 
<c  Donne/ -Mini  la  |i,iiv  •• .  (|u'il  ,i\ail  aux 
lèvr(;s  |i()ur  ((jus  depuis  la  maladie  clr 
sa  lillc,  cai-  il  ^ax.iil,  ccirnuii'  cliacun, 
(pi'un  \icu\    uii'ndiaiil    inniiuc   celui-là, 


à  demi  barde  et  presque  sobre,  a  {)lus 
de  pensées  que  le  paysan  qui  l'héberge. 
Il  est  l'homme  de  bon  conseil  que  n'ab- 
sorbe pas  le  rude  souci  du  fermage,  celui 
qui  médite  longuement  sur  le  tertre  des 
chapelles,  au(juel  est  abandonnée  de  droit 
divin  la  garde  de  l'héritage  des  Iradi- 
ditions;  à  lui  la  mémoire  vigilante  qui 
conserve  et  entretient  le  trésor. 

Ses  yeux,  qui  avaient  été  grands,  for- 
maient deux  taches  bleuâtres  dans  son 
visage  buriné  de  rides  ;  il  avait  de  grands 
traits  de  montagnard,  un  geste  noble, 
singulièrement,  et  il  se  servait,  jjour 
convaincre  ses  hôtes,  d'expressives  com- 
paraisons. 

—  Le  soleil,  disait-il,  brille  sur  la  col- 
line, la  brûle,  et  pourtant  entre  lui  et  la 
colline  se  déploient  des  terres,  des 
océans,  de  vastes  régions  d'air:  ainsi  la 
prière  que  nous  croyons  monter  tout 
droit  vers  Dieu  a  souvent  encore,  |)0ur 
atteindre  son  trône,  à  fournir  un  [ilus 
généreux  effort.  Que  vaut-elle  la  foi  qui 
se  décourage  au  premier  refus,  quelle 
est  la  force  de  l'amour  qui  meurt  sous 
le  dédain,  et  que  croit-il  être  celui  qui 
s'imagine  que  toutes  les  oreilles  célestes 
sont  tendues  pour  l'écouter?  Le  cœur 
du  fidèle  doit  êlre  comme  ces  racines 
vivaces  (pii,  battues  et  foulées  aux 
pieds,  prospèrent  au  milieu  même  du 
sentier  qui  mène  à  la  fontaine,  hund)lc 
et  sans  es[)oir  présomptueux. 

i^a  voix  de  (iraïc  s'i'lc\a  raiicpu'  et 
tremblante. 

—  l'arle,  Abgrall,  dit-il,  lu  as  un  pro- 
jet poui'  nous  li|-ei- de  princ  :  que  (iols-je 
faire,  voyons,  me  crois- lu  un  homme! 
(lU  non  I  .rirai  où  il  faudra,  et...  si  tout 
1  argent  y  passe,  (|ue   Dieu   nous  garde. 

—  Comment  n'avait-on  pas  songé,  dit 
le  baleer-bro,  à  cette  chapelle  (pii  se 
trouve  à  dix  lieues  de  chemin  en  Lo- 
guivy,  de  l'autre  bord  deQuinip(>rlé  vers 
le  faon  ! 


C'est 


(pie 


l)ienhi'uri-u\  saiiil 
DiliDiin  Iraïuhc  le  sori  des  inallieu- 
ITU\  (•uglué>  |i.n-  la  MKirl.  Sun  oflice 
est  de  précipilri-  farrci  >uprènie,  son 
nom    veut    dire    lilt.T.dcment  :  .illrr   ou 


LE    PAltDON    DES    OISEAUX 


venir;  il  délivre  des  agonies  longues, 
accorde  Irépas  ou  guérison.  On  vient  à 
lui  dans  la  lassitude  des  longs  maux  in- 
compréhensibles, dans  la  hâte  du  dé- 
nouement, et  il  a  vu  souvent  des  hcri- 
ritiers  cupides,  des  enfants  dénaturés, 
qui  voulaient  le  soudoyer  avec  leurs 
présents;  mais  il  connaît  les  vues  droites 
et  démêle  sans  doute  tout  ce  qui  s"abrite 
dans  les  cceurs. 

—  Partons  dès  demain,  dit  (Iraïc,  lu 
nous  accompagneras,  Abgrall,  toi  qui 
connais  tout,  tes  prières  doivent  être 
agréables. 

—  El  moi,  que  t'erai-je?  dit  Guille- 
melle. 

—  Tu  viendras,  dil  le  mendiant  avec 
force,  car  il  faut  que  tous  ses  proches 
l'abandonnent  comme  un  enfant  perdu, 
pour  que  le  saint  la  prenne  en  sa  garde. 

On  convint  qu'on  laisserait  la  Mari- 
vonnic  près  d'elle  et  que  Juluanik  gar- 
derait la  ferme. 

<  )n  vida  les  armoires  de  tout  le  linge 
qui  avait  été  filé  dans  l'année,  vierge  de 
tout  contact  avec  le  corps  humain,  de 
draps  et  de  massives  chemises  cra- 
quantes aux  mains  et  sentant  le  chanvre 
jusqu'à  enivrer,  pour  les  offrir  à  saint 
Diboan  qui  préférait  ces  dons  à  tous  les 
autres.  On  en  lit  des  paquets  que  les 
plus  jeunes  femmes  porteraient  sur  la 
tète,  à  même  le  béguin,  leur  coiffe  fra- 
gile pendue  au  bras  dans  la  crainte 
de  l'abîmer.  La  nouvelle  du  pèlerinage 
projeté  se  répandit  promptemenl  dans 
le  hameau  et  tous  ceux  qui  estimaient 
les  Gra'ic  et  pouvaient  quitter  leurs  tra- 
vaux promirent  de  se  joindre  à  eux. 

Le  convoi  se  mil  en  marche  à  l'aurore, 
par  un  malin  blond  et  transparent. 

La  lande  étincelait,  parée  de  ses  plus 
fines  et  de  ses  plus  délicates  fleurs,  l'or 
incrustait  les  taillis,  le  genêt  rajeuni 
balançait  ses  branches  fleuries  sembla- 
bles à  des  rayons  qui  lanceraient  des 
parfums,  et  le  soleil  avait  tant  de  force 
qu'on  entendait  déjà  au  midi,  dans  le 
pré,  chanter  le  grillon  noir  dont  la  ca- 
rapace est  sculptée  de  signes  étranges... 

A    travers    les   sentes    herbeuses,    ils 


glissaient  taciturnes.  Les  pleurs  qu'ils 
avaient  versés  claienl  taris  et  les  sanglots 
dont  ils  avaient  fait  retentir  l'air  à  la 
sortie  du  bourg  s'étaient  graduellement 
éteints;  leur  chagrin,  en  s'éloignanl, 
s'amollissait,  diminuait  comme  l'eau 
que  jette  un  enfant  dans  un  trou  de 
sable  qu'il  a  creusé.  Ils  marchaient  dans 
un  navrement  doux  fait  d'anxiété  mys- 
tique et  de  joie  morbide,  car  c'était  une 
fête  quand  même,  funèbre  et  religieuse, 
puisqu'ils  étaient  parés,  oisifs,  emportés 
par  la  foi  et  qu'ils  allaient  voir  un  saint  ! 

En  vue  de  Quimperlé,  leur  douleur 
s'aviva  d'elle-même  du  spectacle  de  ses 
clochers  dentelés,  et  les  habitants  virent 
passer  des  hommes  :  de  grandes  ligures 
noires  barbouillées  de  larmes  et  de  pous- 
sière, qui  s'en  allaient  dans  l'éclat  du 
jour  avec  des  yeux  clignotants,  des 
femmes  dont  le  visage  disparaissait  sous 
des  capuches  de  molleton  blanc  ornées 
de  noir  qui  retombaient  sur  leur  front 
et  des  jeunes  filles  soutenant  sur  la 
tête  des  fardeaux  de  toiles  tissées,  d'une 
grâce  très  noble  dont  l'une,  blonde, 
Jeannie  Le  Mar'hadour,  de  haute  stature, 
au  port  sculptural,  faisait  songer  à  Nau- 
sicaa. 

Ils  s'enfoncèrent  dans  les  profondeurs 
de  la  ville,  sur  un  pavé  inégal  et  sonore, 
rosé  et  relavé  par  les  grandes  pluies, 
encadré  de  minces  lignes  d'herbe  verte  ; 
puis  une  raide  montée  se  dressa  devant 
eux,  le  Gorréker,  très  dure  à  gravir,  à 
cause  des  rocs  à  fleur  de  terre,  mis  à  nu 
par  les  eaux  ravinantes  et  des  cailloux 
roulant  sous  les  sabots;  puis  on  les  vil 
sur  le  plateau  entre  les  deux  rivières. 

Sur  le  point  d'arriver,  ils  entendirent 
derrière  eux  une  marche  pressée  el  un 
souffle  rauque,  une  plainte  scandée  de 
fatigue  el  de  douleur,  un  râle  puissant 
el  forcené  semblable  à  celui  de  quelque 
bêle  moribonde,  el  se  détournant,  ils 
virent  une  femme  qui  marchait  pieds 
nus.  Ses  joues  étaient  polies,  usées  par 
les  larmes,  comme  une  pierre  sous  les 
eaux  du  torrent  ;  l'horreur  de  la  mort, 
vue  face  à  face,  avait  agrandi  ses  yeux 
où  nageait  l'épouvante,  la  sueur  tombait 


I.IC     l'AliliciX    DKS    OISEAUX 


avanvant  ver: 
es|x 


ivec  foi  ri  i 


ILII,    1 

rance. 


Is  le 


ronsic 
lit  un 


lert'roiil 
nonlil'e 


à  grosses  gouUes  de  son  front  brûlant. 
Elle  avaitrejeté  sa  cape  de  deuil,  arraché 
son  chupen  fcor- 
sage  à  manches)  et 
sa  rude  cl  étroite 
chemise  trempée 
collai  ta  ses  épaules, 
dessinant  sa  poi- 
trine abîmée  cL 
nourricière  pres- 
que animale.  Per 
sonne  ne  raccom- 
pagnait, la  pauvre 
o  u  \'  r  I  é  r  e  d  e  ^ 
champs,  elle  était 
seide,  elle  venait 
sans  escorte,  fuyant 
la  maison  où  le 
croup  maudit  ve- 
nait d'éloull'er  deux 
de  ses  enfants;  il 
lui  en  restait  un, 
un  seul,  et  elle 
l'axait  laissé  près 
de  la  vache  amie, 
dans  sa  t'aliaui'  m- 
fecléc;  elle  venait 
iiilercédcM-  le  saiiil 
en  sa  faveur,  lui 
demander  de  m- 
|)as  le  [)reiidre.  Ses 
cheveux  \'olaient 
en  désordre,  ellr 
avait  perdu  ir 
calme  monacal,  eel 
air  dé\ol  (pu  \'a  -i 
1)1. 'Il,  avec  la  coill.- 
I)  I  a  II  c  h  e  ,  .1  II  \ 
femmes  de  vrHr 
race,  et  sur  •■on 
misérable  visage 
convulsé  et  \ii|- 
gaire  s'étalait  la 
plus  i-loqiienle,  la 
plus  farouche  ex- 
pression de  la  ^oiif- 
raiice  himiaini'. 

.Au      CMiir     d'nii 
pelil   \  illagr  d'une  sainagerie  pnmilixe,        milré,  tenani  la 

ils     IrouverenI     l'oratoire,    nii.    un     peu        sévère  et  sage,   (aille  d.iiis  un  gr.iiiil  ipie 
obscur,    où    régnait     saint     Diboan,    el,        l'on    devinait    très    antique.    Il   avait   les 


niaiii.  an  \isa;:e 


I.K     l'AllDdX     DKS    OISliAIJX 


niaiiKs  chargées  de  cliapelels,  grains  de 
perles  où  s'attachent  avec  les  mains  fié- 
vreuses les  suppliques  dolentes  ;  sa  mai- 
son était  si  froide  que  l'on  y  sentait 
bien  réellement  l'avant -fjoût  du  sé- 
pulcre, et  l'humidité  qui  tombait  des 
murs,  jointe  à  l'émoi  du  verdict  qu'il 
allait  rendre,  faisaient  claquer  des  dents 
à  ces  gens  grisés  de  marche,  d'angoisse, 
de  fatigue  et  de  soleil. 

Il  v  eut  un  long  moment  de  silence  où 
l'on  sentit  flotter  la  splendeur  suprême 
de  la  foi.  Des  envolées  mystérieuses  en- 
levèrent ces  îimes  obscures,  en  mal  d'in- 
fini, jusqu'aux  régions  où  le  rêve,  aux 
contours  fantastiques,  absorbe  et  fond 
les  consciences  dans  sa  béatitude.  Mais 
tant  d'immensité,  un  vague  si  formida- 
ble entourait  les  primitives  visions  qu'ils 
évoquaient,  que  leur  être  tout  entier 
finissait  par  s'y  engloutir,  que  la  force 
d'évocation  qu'ils  avaient  apportée  se 
mourait  sous  l'intensité  et  le  merveilleux 
de  leurs  conceptions,  et  que,  d'esprits 
agiles,  d'illuminés  superbes  qu'ils  ve- 
naient d'être,  ils  se  sentaient  redevenir 
de  misérables  paysans  dont  le  cerveau,  à 
court  d'images,  se  pacifiait,  ne  trouvant 
plus  pour  se  traduire  qu'une  lamenta- 
tion aussi  large,  profonde  et  indistincte 
que  la  rumeur  des  choses  frémissant 
dans  la  nuit. 

Et  alors,  comme  un  flot  infatigable, 
les  oraisons  coutumières  sortirent  de 
leurs  bouches  en  effusions  lugubres  et 
pénétrantes;  la  prière,  sans  s'interrom- 
pre, s'épanchait  avec  ardeur;  les  cierges 
brûlaient  allumés  en  profusion,  et  leur 
flamme,  luttant  avec  le  jour,  jetait  une 
lueur  trouble  sur  cette  troupe  d'êtres 
prosternés  à  genoux  sur  la  pierre  glacée. 
Puis,  à  la  longue,  les  strophes  s'espacè- 
rent, quelques  voix  se  turent  épuisées, 
cette  psalmodie  devint  une  plainte  traî- 
nante où  tremblèrent,  pour  bient(it 
s'éteindre  tout  à  fait,  quelques  dernières 
notes  gémissantes  :  ce  fut  .Abgrall  qui  se 
lut  le  dernier. 

D'un  seul  bond,  leurâme  avait  atteint 
les  régions  paradisiaques  où  les  Bretons 
veulent  réaliser  leurs  brillants  songes,  et 


maintenant  la  nostalgie  de  l'inutile  ef- 
fort pesait  sur  eux  avec  l'infinie  lassi- 
tude d'une  chute  si  haute.  Les  yeux 
encore  éblouis  de  la  vision  disparue, 
chacun  d'eux  se  sentait  redevenir  seul, 
abandonné  de  l'armée  triomphante  des 
saints  d'Armor,  —  purs  esprits  avec  des 
ombres  de  corps,  revêtus  d'ornements 
royaux,  —  à  laquelle  ils  venaient  de  se 
mêler.  Incapables  de  s'élever  de  nou- 
veau vers  eux,  ils  avaient  la  conscience 
d'être  vraiment  des  fils  immédiats  de  la 
lerre,  rivés  à  elle  par  des  liens  puissants 
et  impossibles  à  rompre  :  un  composé 
de  chair  périssable  et  d'ossements,  des 
mains  rudes  et  un  esprit  pauvre. 

Ils  sentaient  maintenant  la  fatigue  de 
la  route,  les  défaillances  de  leur  estomac 
qui  n'avait  reçu,  de  tout  le  jour,  aucune 
nourriture  et,  comme  dans  une  cathé- 
drale, quand  on  a  éteint  tous  les  cierges, 
la  nuit  noyait  leur  pensée.  Us  oubliaient 
même  un  peu  ce  qu'ils  étaient  venus 
faire  là,  dépaysés  et  hésitants  :  leur  dé- 
tresse et  l'imminence  des  périls  qu'ils 
venaient  conjurer  se  reculaient  jusqu'à 
n'être  plus  qu'une  chose  pas  trop  réelle. 
Ils  sortirent  tous  ensemble  après  avoir 
versé  l'argent  qu'ils  avaient  apporté  dans 
les  mains  de  la  gardienne  et  qui  était 
intact,  car,  par  une  louable  prudence,  il 
est  interdit  aux  pèlerins  de  faire  halte 
aux  cabarets  que  désigne  le  houx  aux 
perles  blanches. 

La  nuit  tombait.  Une  ferme  leur  offrit 
sa  table,  leur  vendit  le  lard,  la  boisson, 
le  beurre  et  les  crêpes.  Ils  étaient  ras- 
surés, ils  parlaient,  tout  en  mangeant, 
des  aléas  de  l'agriculture,  de  la  qualité 
des  grains,  de  la  valeur  des  denrées,  des 
fêtes  prochaines,  et  ces  sujets  familiers 
les  ranimaient.  L'hôte,  pour  leur  faire 
honneur,  offrit  un  cruchon  de  cidre  mous- 
seux et,  pour  lui  répondre,  ils  firent 
venir  de  l'eau-de-vie,  parlèrent  beau- 
coup, se  chicanèrent  et  rirent  même  un 
peu,  l'ivresse  aidant.  Quand  ils  s'allon- 
gèrent sur  la  paille  pour  dormir  dans  la 
grange,  leur  chagrin  n'était  plus  qu'un 
insaisissable  malaise,  semblable  à  celui 
que    l'on    éprouve    en    sortant    du   eau- 


LI':    PAliDON     DKS    OISKAUX 


cliemar,  et  le  sommeil  descendit  sur  eux 
aussi  bienfaisant  que  sur  d'heureuses 
choses  vivantes. 


IV 


Et  à  cette  heure-là  même,  ils  étaient 
seuls  dans  la  ferme  des  Graïc,  Juluanik 
et  Plamette.  La  complainte  du  rossignol 
était  morte,  les  dernières  notes  de  son 
chant  étaient  tombées,  rebondissantes 
en  écho,  comme  des  perles  jetées  de 
très  haut  dans  un  bassin  de  fabuleux 
cristal.  La  Marivonnic  dormait  accrou- 
pie, les  genoux  repliés  sur  un  banc  de 
chêne,  dans  l'attitude  gênante  que  l'on 
donne  aux  momies  péruviennes,  son 
chapelet  refroidi  agrippé  à  ses  doigts 
noircis  et  noueux,  comme  des  racines 
de  buis.  Elle  semblait  ainsi  une  figure 
très  antique  détachée  de  quelque  sculp- 
ture d'église. 

Le  délire  avait  encore  tenu  Fiamette 
depuis  le  départ  des  pèlerins.  Juluanik 
voyait  bien  que  c'était  toujours  ce  Par- 
don des  oiseaux  qui  revenait  dans  sa 
tête.  Elle  prenait  des  airs  peureux  d'une 
personne  qui  se  trouve  dans  un  lieu 
redoutable,  comme  dans  cette  nuit  où 
les  arbres  géants  de  la  forêt  avaient  pris 
une  figure  hostile  de  malfaisants  colosses, 
où  la  rivière  immobile  et  pâle  s'était 
montrée  pareille  à  une  femme  morte 
couronnée,  par  la  lune,  d'un  diadème  de 
perles  fines  avec  des  rayons  au  bout  des 
doigts,  où  l'embûche  formidable  de  la 
nuit  avait  pesé  sur  son  cœur  craintif. 

D'autresfois,ellecroyait  voirlespectre 
d'un  vieux  curé,  (pii,  quand  elle  était 
j)etite,  chargeait  son  panier  de  poires,  à 
la  saison  où  les  vergers  s'alourdissent 
de  leur  récolte  éclatante,  et  elle  se  blot- 
tissait dans  les  bras  de  .Iuluanik. 

Mais  voilà  c|ue  cett»;  nuit  un  calme 
profond  était  descendu  sur  la  jeune  fille. 
Etait-ce  l'inlluence  du  pèlerinage  '.'  Saint 
Diboai)  étendant  sa  main  puissante  vers 
elle,  consolidant  d'une  bénédiction  loin- 
taine la  trame  menacée  de  ses  jours?  l']lle 
avait  eu  un  lon^  soniincil  réparateur, 
n'ouvranl      les    vcii\     ([u'aii    créjjuscule, 


après  que  le  soir  était  tombé  dans  une 
pluie  d'or.  Elle  n'avait  presque  pas  l'air 
de  vivre  et  les  choses  environnantes  lui 
semblaient  diminuées,  inaccessibles  et 
perdues.  Pour  la  première  fois,  elle 
reconnut  Juluanik,  mais  en  détourna 
vite  ses  regards  avec  un  profond  regret, 
et  elle  se  lamentait  doucement  avec  des  : 
"  Ma  Doué,  ma  Doué  <■,  tristes  et  ré- 
signés. 

Pourtant  Fiamette  n'avait  plus  sa  voix 
de  fièvre  et  quand  elle  parla,  ce  ne  fut 
plus  avec  l'accent  bref,  le  timbre  aigu  et 
sonore  de  la  jactitation,  mais  d'une 
voix  argentine  et  faible,  comme  venant 
d'une  grande  distance,  des  bords  du 
tombeau  sur  l'abime  duquel  s'était 
penchée  son  âme  défaillante.  Elle  disait 
combien  ses  noces  avec  Juluanik  auraient 
été  belles,  d'une  magnificence  antique, 
les  meubles  qu'on  aurait  mis  dans  la 
chaumière  et  quels  habits  princiers 
aurait  vêtus  le  bien-aimé;  combien 
de  mendiants  seraient  accourus  pour 
manger  les  reliefs,  le  lendemain,  sous 
les  tentes,  et  qu'Abgrall  lui  aurait  fait 
danser  sur  Faire  la  danse  d'honneur 
que  la  mariée  accorde  au  plus  vieux  de 
ces  affligés.  Les  cuisines  eussent  été  mi- 
rifiques, installées  en  plein  air,  dans  le 
champ,  sous  les  chênes  ;  deux  bieufs  et 
un  grand  nombre  de  moutons,  sacrifiés 
sur  place,  auraient  servi  à  rassasier  les 
centaines  de  convives,  et  une  notable 
rangée  de  tonneaux  à  apaiser  leur  soif 
inextinguible.  I'",t  combien  eut  été  beau 
le  lit  où  ils  devaient  dormir  sur  la  balle 
fraîche,  toutes  les  nuits,  cûlc  à  cote, 
éternellement,  tant  que  le  soleil  dorerait 
la  terre  bretonne  1...  l'ille  l'eut  voulu  de 
chez  le  vénérable  scul[)teur  de  Scacr, 
aux  longues  boucles  blanches,  l'ancêtii' 
de  toute  une  lignée  de  purs  artistes,  (|ui 
gardait  les  sujets  mythiques  dont  on  a 
oublié  le  symbole...  Des  vautours  ces 
oiseaux  donl  le  nid  est  élevé  comme  un 
rêve  -  étendant  leurs  ailes  sur  les 
portes,  eussent  protégé  leurs  amours,  et, 
parmi  les  arabesques  accoutumées,  elle 
eût  \oulu  tout  autour  <les  guirlandes  de 
ces    Heurs    nivslérieuses,    dont    elle    lu- 


I.K     l'AlilmN     1)K 


OISKAUX 


savait  le  nom,  qui  n'ouvrent  pas  leurs 
calices  sur  les  cotes  crArmor,  mais  bien 
loin,  clans  l'antique  patrie  d'Asie  des 
Celtes  :  les  lolus  dressant  leurs  hampes 


des  poulains  sauvages...  11  lui  semblait 
qu'en  perdant  Fiamelle  sa  vie  imma- 
culée et  intacte  n'avait  plus  aucun  prix. 
A  qui  porterait-il  le  mai  au  renouveau. 


lières;  et  niainlenanl  \oil<i     ' 
qu'elle  clait  morte  cl([uelcs 
vaiilours  avaient  mdngo<on  cu'ur 

l']lic  éclata  en  sanylols  bas. 

Le  tableau  exquis,  sortant  de  c 
d'agonie,  pénétrait  Juluanik  d'une  an- 
goisse douce  et  cruelle.  C'était  une  dé- 
chirante vision  de  bonheur  perdu,  pour 
la  première  fois  enirevn,  sans  réalité  et 
d'autant  plus  inelîable.  .Ah  1  il  compre- 
nait maintcnani  des  joic^  autres  que 
ses  plai^i^s  de   pâtre  bondissant   nu   ilns 


les  premières  branches  chargées  de 
l'euilles  que  l'on  cloue  à  la  fenêtre  de  la 
mie  aimée?  Quelle  douzik  fiancée)  au- 
rait-il'.'Et  sesnoces?  Il  n'en  ferait  jamais, 
pas  plus  qu'.Abgrall.  Voili'i  tout. 

Mais    il    protestait   contre  celle   idée 
ini'elle  avait  d'élre  défunlc. 


MO     l'AltDiiN     DKS 


—  Sûr  que  non  (|u  elle  ii  l'iail  pas 
iiiorle;  il  ne  mentait  pas,  lui.  jjeul-élre, 
son  .Iuluanik,  Esl-ce  qu'on  s'en  allait 
comme  ça,  par  ce  beau  printemps,  quand 
on  était  jeune  autant,  pour  l'aire  de  la 
peine  a  ses  amis?  Il  lassurait  que  sa 
peau  était  tiède  comme  le  lail,  frais  tiré 
ilans  les  bassines,  qu'à  l'aurore  elle  en- 
tendrait la  cloche  en  volée,  et  attirant  la 
tête  pâlie  de  la  jeune  fille  en  dehors  du 
lit  clos,  la  soutenant  sur  son  épaule,  il 
lui  montrait  la  lune  recourbée  qui  les 
regardait  à  travers  les  découpures  fines 
de  la  vigne  et  du  rosier,  bercée  dans 
son  lit  d'azur  velouté. 

—  Tu  crois?  disait-elle  avec  ravisse- 
ment :  mais  j'ai  cependant  ouï  les  coups 
de  marteau  donnés  dans  les  solives  pour 
suspendre  les  draperies  au-dessus  des 
tréteaux  où  j'étais  allongée,  toute  ri- 
gide; le  char  de  la  mort  est  venu;  j'ai 
entendu  hennir  le  cheval.  Eh  bien,  si  je 
ne  suis  pas  morte,  chante-moi  la  «  Tur- 
zunel  inconsolable  »,  car  l'Anaon  (dé- 
l'unt)   n'entend   plus  les  sônes  d'amour. 

—  lu  as  rêvé,  répondait-il,  c'est  un 
méchant  songe,  et  pour  satisfaire  son 
caprice,  il  attaquait  en  sourdine  la  suave 
mélodie  : 

<i  Le  soir  et  le  matin,  lorsque  j'entends 
chanter  les  oiseaux  —  gazouiller,  per- 
chés au  haut  des  arbres 
d'eux  qui   pénètre   mon 
voix    de    la    tourterelle 
amant.   " 

Et  comme  il  ne  sa\' 
lin,  elle  lui  snufllait  les 
lointaine  : 

"  <^)uoi,  jeune  tiiHitr 
Ion  cieur?  il 

\  \i  \(iis    bien 
inrtlc,  s'i'xclaniail   d,  lu  \(ii>  bien  (pir  tu 
sais  encoi-e  les  juli-  s.'.nrs  ilamiiur  ! 

.Mais   elle  dcinr 

—  ICiiibrasse  inun  \isagc.  lu  nie  dira 
s'il  est  glacé  comme  la  pierre  du   ^rml 

Et  iluliiaiiik,  qui  n'avait  |aiii,'ii>  iIimiik 
<le  baisers  a  aueiiiic  lilli',  trouvait  m 
très  grand  plaisir  a  prnmnirr  ses  lè\  re; 
sur  celle  dc'iieicuse  ligure  d'enraiil  :  mai; 
<|iiaiid    il     renciintiMit    sa    buiii  lie    un    1; 


-i 

n 

e 

st  anciii 

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ir 

(( 

)iiime   1; 

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iii-e   SI  11 
trop   la 

lO 

s 

h 

sa  voix 

icllc,    tdurincnk 

lu   vi>,  ma    l'ia- 
III 
d 

cl, 


mort  avait  erré  et  qui  gardait  ses  cou- 
leurs de  scabieuse  violette,  il  avait  un 
frisson  de  détresse  voluptueuse... 

Cette  résurrection  avait  une  extrême 
douceur,  éclairée  par  l'énigmalique  lu- 
mière de  lune.  Tout  alentour  d'eux,  la 
chaumière  se  noyait  dans  d'innomables 
teintes,  les  choses  avaient  des  contours 
discrets  jusqu'au  mystère.  -Au  milieu  de 
cette  ombre  voilée,  certains  détails 
brillaient  étrangemenl. 

Marivonnic  ne  bougeait  pas,  figée 
dans  sa  pose  gênante  de  momie  péru- 
vienne douloureusement  repliée;  son 
visage,  recouvert  d'une  sorte  de  vernis 
brun  très  luisant,  n'avait  pas  tressailli, 
mais  à  présent  ses  yeux ,  pareils  à  de 
l'émail,  s'étaient  ouverts  et  regardaient 
devant  eux  avec  un  éclat  fixe  d'yeux 
extasiés  d'idole...  puis  ils  se  refermèrent 
discrètement. 

L'on,  n'entendait  plus  dans  le  repos 
suprême  où  se  berçait  la  nuit  qu'un 
chuchotement  bas  et  intermittent,  doux 
comme  un  langage  d'esprits  qui  s'accor- 
dent; le  rossignol  ne  chantait  pas,  at- 
tentif et  surpassé  peut-être  jiar  le  duo 
d'amour  murmuré  dans  la  très  vénéi-able 
langue  des  aïeux. 

Le  jour  revint,  et  l,i  vive  lumière,  et 
avec  eux  les  pèlerins  las.  l)'aliord  dé- 
faillants, ils  11  osaient  passer  le  seuil; 
jiuis  l'évidence  du  miracle  les  |e|a  à 
genoux  devant  le  lit  de  la  malade,  fon- 
dant en  actions  de  grâces  et  promettant 
au  saint  des  récompensi>s  plus  hautes 
avant  même  de  presser  Eiainetlc  sauvée 
entre  leurs  bras. 

.Ajirès  les  batterie^,  aiiv  pniiimes  rou- 
gissantes, on  maria  .iuluanik  et  Eia- 
mctte.  Abgrall  \éciil  a^se/  |ii)ur  danser 
aux  noces  avec  la  mariée,  graxc  comiiie 
un  devin  antique,  la  gavote  d'humieur 
oU'erle  au  balecr-br<i. 

.\  plusieurs  lieues  à  la  ronde  un  p.irl.i 
longtemps  de  la  giiérison  de  la  tille  des 
(îraïc  par  saint  Dilioan,  et  il  en  rejaillit 
un  grand  renom  sur  sa  puissance. 

,1  vci.uis    l'ii  I  II  i:i,. 


LA    COMKDIK    FRANÇAISE 


En  li;nil  de  rcscalicr  de  );i  (>omédiG 
fianvaise,  à  droite,  en  (ace  de  la  porte 
du  grand  foyer,  un  huissier  à  cliaine 
d'arf^ent  se  lient  toujours  debout  devant 
une  porte  dissimulée 
sous  des  glaces.  Ce  noir 
personnage  intrigue  les 
non  initiés  qui  le  pren- 
nent pour  le  contrôleur 
des  vestiaires  :  c'est  en 
réalité  le  gardien  des 
coulisses,  le  cerbère  du 
domaine  réservé,  la 
sentinelle  de  cette  fron- 
tière que  seuls  les  amis 
franchissent. 

I^aissons  la  partie 
connue  du  bâtiment,  la 
salle,  la  galerie  des 
bustes,  les  couloirs,  et 
passons  tout  de  suite  de 
l'autre  côté  du  théâtre, 
là  où  l'on  va  moins. 

Derrière  la  petite 
porte  de  glaces  s'allonge 
un  couloir  qui  se  replie 
au  bout  en  coude  pour 
tourner  vers  la  droite. 
Il  est,  en  temps  ordi- 
naire, silencieux.  Par- 
fois quelques  figurants 
se  reposent  sur  les  ban- 
quettes. Il  fait  commu- 
niquer la  salle  avec  le 
foyer  des  artistes  et  les 
bureaux  de  l'adminis- 
tration. A  droite,  une 
porte  conduit  aux  lo- 
ges; à  gauche,  une  autre 
porte  tendue  de  \e- 
lours  rouge  et  percée  d'un  gros  judas 
rond  donne  sur  la  scène.  Les  murs  sont 
garnis  de  tableaux,  dont  nous  parlerons 
plus  bas.  La  portion  du  couloir  en  re- 
tour longe  un  petit  salon  :  c'est  le  foyer 
des    travestissements.   A   l'extrémité  du 


corridor  s'ouvre  le  foyer  des  artistes, 
où  nous  entrerons  plus  tard.  Continuons 
de  suivre  la  galerie  ;  elle  tourne  encore 
à  droite  cl  aboulil  au  palier  de  l'escalier 


PORTE     DE     C'0MMIIN1C.\TI0N     AVEC     LE. S     COULISSES 


particulier  des  artisles  qui  donne  vers 
la  rue  Sainl-Honoré.  De  l'autre  côté  du 
palier  sont  les  bureaux,  le  salon  d'at- 
tente, la  salle  du  comité. 

ïoul  cela  est  biscornu,   avec  des   re- 
tours   et    des    angles,    qui     oITrcnt    une 


LA    COMÉDIE    FRANÇAISE 


ample  surface  à  l'accrochage  des  tableaux 
et  estampes.  C'est  l'orig-inalité  de  ces 
coulisses  :  elles  sont  un  musée  d'icuvres 
d'art.  Sans  ce  caractère  spécial,  elles  ne 
dilTéreraient  guère  de  l'envers  ordinaire 
des  théâtres.  Elles  ne  sont  pas  si  majes- 
tueusement amplesque  celles  de  l'Opéra  ; 
elles  sont  plus  confortables,  plus  offi- 
cielles que  celles  des  autres  scènes,  vé- 
ritables greniers.  Mais  de  vous  conduire 
dans  les  combles  ou  les  dessous,  vous 
faire  admirer  les  treuils  et  les  palants,  le 
rideau  de  fer,  la  manœuvre  des  décors, 
ce  ne  serait  rien  dire  de  bien  spécial  et 
ce  serait  refaire  les  travaux  de  Moynet 
sur  cette  question  de  la  machinerie. 

L'histoire  administrative  anecdotique 
et  lilléraire  de  la  Comédie  française  a 
été  souvent  faite,  surtout  autrefois.  Ce- 
pendant toute  une  littérature  continue  à 
se  former  autour  de  cette  antique  insti- 
tution, dont  les  papiers  officiels  portent 
fièrement  la  date  de  sa  naissance,  IGSO. 
Sans  parler  des  éludes  rétrospectives  de 
Maupoinl,  des  frères  Parfaict,  de  des 
Essarts ,  de  Mouhy,  de  Laugier,  de 
Fournel,  d'Ed.  de  Monnc,  de  V.  du 
Bled,  de  Monval,  parmi  les  plus  récents 
travaux,  il  convient  de  nommer  ceux  de 
R.  Peyre  dans  sa  complète  et  intéres- 
sante série,  les  Galeries  célèbres:  Hené 
Delorme,  le  Mtist'e  de  la  (Jonicdie  fran- 
çaise, un  excellent  et  commode  ouvrage; 
Maxime  Boucheron,  la  Dirine  Comédie 
française;  Arsène  Iloussaye,  la  Comédie 
française;  .1.  Claretie, /.i  (Joniàdie  fran- 
çaise; Albci't  Soubies,  la  (Comédie  fran- 
çaise def)iiis  rj;'fi(i(/iie  ronianti(/iie.  étude 
détaillée  et  documentée,  suivie  d'un  pré- 
cieux tableau  de  toutes  les  leuvres 
jouées,  avec  les  dates  et  le  nombre  des 
représentations.  M.  .Ad.  Brisson  prépare 
un  gros  livre  sur  la  Comédie. 

Dans  les  galeries,  dans  les  escaliers, 
les  reporters,  les  dessinateurs  poursui- 
vent de  leurs  crayons  les  artistes  qui 
courent  changer  de  costume  et  répondent 
aux  questions  en  otant  leurs  souliers.  Le 
journalisme  se  fait  l'historiographe  de 
la  maison. 

Les  soirs  de  "  [)remière   ■,  ces  couloirs 


s'animent  singulièrement.  La  salle  est 
peuplée  par  un  public  spécial,  gens  de 
lettres  et  artistes,  tous  plus  ou  moins 
amis  des  artistes  et  de  l'auteur.  .Alors-, 
pendant  les  entractes,  la  porte  de  com- 
munication reste  ouverte,  tant  le  va-et- 
vient  est  fréquent,  et  c'est  une  amusante 
promenade  de  toutes  les  célébrités,  demi- 
célébrités  ou  obscurités  du  monde  intel- 
lectuel. On  croise  des  peintres,  des  ro- 
manciers, des  actrices;  l'auteur,  entouré 
d'amis,  recueille  avidement  les  bruits  de 
la  salle,  et  il  e^l  rare  qu'il  n'ait  pas  la 
mine  satisfaite  de  ce  qu'il  entend  :  les 
amis  et  les  complaisants  n'ont  jamais  que 
des  éloges  à  la  bouche,  et  c'est  un  miel 
si  doux  que  toutes  les  lèvres  le  happent 
avec  une  avidité  crédule.  Qiiand  la  pièce 
plus  tard  se  ralentira  ou  sera  retirée  de 
l'affiche,  faute  de  succès,  ce  sera  tou- 
jours »  par  la  mauvaise  volonté  de  l'ad- 
ministration, qui  aime  mieux  faire  plaisir 
à  un  tel  ».  Chacun  est  persuadé  que  le 
vrai  cbcf-d'i)'uvre  du  siècle  est  le  sien. 
On  pai-le  de  la  vanité  des  comédiens; 
ceux-ci  pouiraient  en  dire  long  sur  celle 
des  auteurs.  Il  y  a  des  exceptions  heu- 
reuses, parmi  losipiclles,  par  exemple, 
Jules  Leniailri'.  ([ui  courbe  le  dos  sous  la 
volée  des  coin]iliments,  la  main  demi- 
levée  cl  oiivuiic,  ilans  un  gesti'  d'incré- 
.lulilé. 

—  ()lil  pour\u  c[ue  cola  se  joue  cinq 
ou  six  fois,  je  n'en  demande  pas  ijIus! 

C'est  comme  un  lieu  de  rendez-vous 
qui  a  ses  haliilui's  et  ses  fidèles.  Les 
gens  de  lettres  et  d'art  muI  si  peu  d'oc- 
casions (1<"  se  reneonl  ri'r  :  chacun  tra- 
vaille chez,  soi,  à  l'écarl  ;  on  ne  se  voit 
qu'aux  mariages  c[  aux  enterrements  d<! 
la  corporation. 

'l'ont  le  monde  e-t  deliout.  chapeau 
bas.  Il  est  interdit  d'entrer,  ne  fut-ce  que 
dans  le  corridor,  la  tète  couverte.  Le-^ 
coulisses  de  la  (Comédie  française  sont  un 
salon  où  on  cause,  et  où  l'on  cause  bien. 
N'oili'i  un  trait  dislinclif,  caraeléristique. 
Cela  n'existe  nulle  pari,  (lu  ne  dit  |ias 
les  coulisses,  on  dit  le  fn/er.  même  dans 
les  escaliers.  .Ailleurs,  l'envers  du  théâtre 
n'évo(pie  que  îles  idées  badines  d'aetriees 


I.A    (;OMi;i)IK    Kl!  ANCA  ISli 


CORRIDOR 


FOYER    DES    ARTISTES 


Sarcej-,  Richepin,  Jules  Lemaître, 
Pailleron,  etc. 


rieuses,  au  langage  peu  châtié,  qui  se 
reposent  de  leur  rôle  en  convenant  de 
l'heure  et  de  l'endroit  où  aura  lieu  tout 
à  l'heure  le  souper  au  Champagne.  Il  y  a 
dans  les  couloirs  de  la  Comédie  une 
tenue,  une  réserve  qu'on  ne  trouve  que 
là,  dans  le  monde  des  comédiens.  La 
Comédie  est  l'académie  de  Thalie. 

Si  les  comédiens  ne  sont  plus  hors  la 
loi,  ils  ne  sont  pas  encore  du  monde.  Il 
n'y  a  que  des  brèches  dans  le  mur  qui 
les  isole  de  la  société,  mais  le  mur  n'est 
pas  tombé.  Les  femmes  du  monde  ne 
vont  pas  au  loyer  des  Français  et  n'ou- 
vrent que  par  exception  leurs  salons  ou 
leurs  salles  à  manger  aux  actrices  de  ce 
théâtre  supérieur.  Cependant  c'est  là 
qu'a  lieu  le  contact  le  plus  ])roche  entre 
la  société  et  les  comédiens.  Les  gens  du 
monde  se  llalleiit  de  leiu-  amitié  et  de 
leur  commerce,  leur  décernant  ain.si  un 
diplôme  llatteur  de  distinction  et  d'éga- 
lité. C'est  une  des  causes  du  crédit,  de 
la   supériorité,    des   prérogatives    mon- 


daines de  cette  aristocratie  que  constitue 
le  personnel  de  la  maison  de  Molière. 
Les  temps  ont  bien  changé.  Quand  Le 
Sage,  furieux  de  ses  démêlés  avec  ce 
théâtre  à  propos  de  Turcarel.  leur  fit 
subir  le  terrible  châtiment  de  sa  ven- 
geance, il  protestait  contre  la  morgue 
insolente  des  comédiens  à  l'égard  des 
auteurs,  et  il  écrivait  : 

—  Ces  histrions  mettaient  l'auteurim- 
médiatement  au-dessous  d'eux-mêmes; 
certes,  ils  ne  pouvaient  pas  le  placer 
plus  bas. 

Cette  injure  serait  aujourd'huiinjuste. 
Le  niveau  s'est  relevé,  et  les  comédiens 
français  ont  leur  brevet  de  gens  très 
bien,  comme  on  dit. 

Chaque  artiste  dispose  et  orne  sa  loge 
■d  sa  guise.  Nous  n'avons  pas  ici  le  loisir 
de  faire  une  tournée  à  travers  les  deux 
étages,  le  long  des  couloirs  où  s'alignent 
les  petites  portes  blanches  munies  de  la 
pancarte  indiquant  le  nom  de  l'occupant 
ou  de  l'occupante.  Ce  serait  une   visite 


i,.\   t;OMi:uiK    l'i! am; AISE 


domiciliaire  qui  ne  niaiiqLierail  ni  d'agré- 
ment ni  de  pittoresque,  mais  qui  a  rie 
souvent  faite.  Sinon  nous  eussions  in- 
discrètement ouvert  lus  porles  de  ces 
réduits  artistiques,  encombrés  de  bibe- 
lots d'art  chez  Mounet-Sully,  de  dessins 
et  d'aquarelles  chez  Coqueliu  cadet, 
agréablement  tendues  et  gracieusement 
décorées  quand  c'est  M"""-  Bartet,  Rei- 
chemberg  ou  autres  qui  en  sont  les  titu- 
laires. Chacun  ou  chacune  est  là  chez 
soi,  et  il  faut  nous  retirer,  car  ce  sérail 
franchir  le  mur  de  la  vie  privée,  d'autant 
plus  que  le  régisseur  sonne  et  apix-llc 
dans  le  corridor  :  «  \']n  scène  pour  le 
deux!  .. 

Dans  l'escalier,  large,  mais  peu  artis- 
tique avec  sa  rampe  laide,  les  artistes  à 

demi  costumés  ou  en  costumes  de  \  ille 

descendent   pour  la 

répétition,  l-es  pre- 
miers   essais    d'une 

pièce     se     font     au 

foyer  si  la  scène  est 

occupée  ;    elle    des- 

cend    au    théâtre 

quand  elle  est  mieux 

suc.     La    salle     est 

sombre  ;  des  housses 

de   toile    grise    cou- 

\rrnl    les    fauteuils 

et     les     loges.     Une 

guérite     apj)elée     le 

guignol   s'élève   an- 
dessus    du    trou    du 

souflleur;  elle  abrite 

contre  le  froid  de  la 

salle    noire   et    vide 

l'auteur  et  le  direc- 
teur, C|ui  surveillent 

et    guident    les   étu- 
des.   La     scène     est 

éclairée      par      une 

herse     baissée     cpii 

i-appellc  les  ram])es 

de--   l'ni-aiiis.   .lusipie 

\ers      les      derniers 

jours,    il     n'y    a     ni 

décors  ni  costume>  : 

les   acteurs   sont    en 

l.ulctlc    de    ville,    ri 


Camille  dépose  son  ombrelle pourgémii-: 

Hi>nie.  tunique  ol)jel  de  in<:in  ressentiment' 

C'est  surtout  dans  les  derniers  tenq's 
que  l'aspect  est  pittoresque.  Les  figu- 
rants endossent  la  partie  de  leurcoslume 
qui  est  finie:  on  voit  des  chevaliers  qui 
ont  les  jambes  prises  dans  des  maillots 
rayés  et  le  torse  vêtu  d'un  veston  à  car- 
reaux. Ils  portent  la  hallebarde  et  sont 
coiffés  du  chapeau  melon.  Ces  reliquats 
de  costumes  contemporains  dans  l'en- 
semble des  travestissements  sont  comme 
une  intrusion  brutale  de  la  réalité  dans 
la  fiction.  I^e  mélange  est  bizarre.  Il 
semble  qu'on  voie  un  archonte  sur  l'im- 
périale d'un  omnibus.  Ecoulez,  les  or- 
gues grondent,  les  gardes  se  rangent,  un 
homme    apparaît,    mains  jointes,    yeux 


I.  A    I.  o  G  1-: 


I.A    C0M1';01K    l'ItANÇA  ISK 


baissés,  vêtu  d'un  complet  gris,  coiiré 
d'un  canolier  :  c'csl  A\'orms  qui  fait 
Henri  III  et  qui  sort  de  la  chapelle  des 
Médicis  entouré  de  sa   cour.    In    autre 


jupe  renaissance  et  une  jupe  moderne, 
qu'entre  un  pourpoint  à  crevés  de  satin 
et  un  smoking. 

I.n  répétition  est  lente,  interrompue 
par  les  explications 
de  l'auteur,  les 
querelles,  les  re- 
prises, les  appels 
aux  machinistes, 
aux  ligurants  qu'il 
faut  placer,  dépla- 
cer, au  souffleur, 
à  Donato. 

Vous  m'en  vou- 
driez de  ne  pas 
vous  donner  ici  à 
lire  le  récit  d'une 
répétition  pris  un 
jour,  sur  le  vif, 
par  un  reporter 
.inu'iicain.  Il  est 
curieux  et  vivant. 


M"'     KEICHEMBEtl 

Hôle  d'Ophélie. 

jour,  Mounet-Sully  joue  1  Arétin  et  porte 
une  élégante  jaquette  de  cheviotte:  il 
n'a  du  personnage  que  le  large  béret  de 
velours.  Pour  les  dames,  la  disparate  est 
moins  choquante;  les  robes  ont  beau 
varier,  elles  changent  moins  dans  leur 
aspect  général  que  les  habits  masculins. 
et  il  V  a  moins  de  dilférence  entre  une 


La  répétition 
marche  assez  ronde- 
ment, les  moments 
d'arrêt  ne  provenant 
que  d'un  ou  deux 
mots  d'avertisse- 
ment donnés  à  Jean 
Coquelin  par  son 
père  ou  par  son 
oncle  ;  on  voit  que 
ces  conseils  sont 
rais  à  proQt  silot  que 
le  passage  en  ques- 
tion est  repris.  11  se 
présente  une  fois, 
cependant,  un  em- 
barras sérieux  :  l'en- 
droit où  Scapin, 
étendu  à  terre,  pré- 
tend avoir  été  dé- 
valisé et  battu  par 
xs   SA    LOUE  les   malandrins.   Ce 

jeu  de  scène  prend 
un  certain  temps 
avant  que  le  père  ou 
l'oncle  se  déclarent  pleinement  satisfaits, 
et,  enfin,  il  n'y  a  plus  d'anicroche  dès  que 
Co(|nelin  aîné,  son  tuyau  de  poêle  rejeté 
sur  l'occiput,  se  jette  à  plat  ventre,  et  là 
gesticulant  des  bras  et  battant  l'air  de  ses 
jambes,  indique  par  un  exemple  pratique 
comment  la  chose  doit  se  faire.  C'est  un 
spectacle  digne  des  dieux,  et  la  leçon  n'a 
pas  besoin  d'être  répétée,  car,  à  peine 
Coquelin   aine  se  retrouve-t-il  debout,  Co- 


LA    COMKDlIi    FI!  AN  r.  Al  SE 


quelin  jeune  se  jello  de  nouveuu  à  lerre  et 
montre  celte  fois  qu'il  possède  à  fond  les 
traditions  de  la  maison. 

La  Zerbinette  du  joqr  est  M"  Kalb.  Une 
heure  ou  deux  avant  la  répétition,  je  l'ai 
entendue  discuter  avec  M.  Sarcey,  le  cri- 
lique,  la  fameuse  scène  où  le  récit  de  Zer- 
binette se  double  d'un  long-  éclat  de  rire; 
l'un  et  l'autre  convenaient  que  ce  discours 
était  la  tirade  la  plus  difikile  do  tous  les 
rôles  de  soubrette  du  répertoire  classic[ue. 
Je  n'ai  pas  de  texte  sous  la  main,  et  je  ne 
puis  donner  le  nombre  exact  des  lignes 
([u'il  comprend,  mais  la  tirade  est  vraiment 
longue,  elle  est  remplie  de  traits  remar- 
(juables,  les  auditeurs  ne  doivent  pas  en 
perdre  un  mot,  et  ce  n'est  qu'une  fusée 
continue,  exubérante,  irrépressiljle,  d'un 
rire  sonore,  du  commencement  à  la  fin, 
une  tirade  pour  Rosina  Vokcs  I 

Sachant  cela,  Je  brûlais  d'envie  de  voir 
comment  Kalb-Zerl)inette,  en  sou  joli  cos- 
tume de  ville  noir,  el  fouettant  l'air  de  son 
léger  manchon  d'astrakan  ,  se  trémousse 
sur  le  devant  de  la  scène.  Son  visage,  ra- 
dieux d'enjouement,  suffit  pour  vous  mettre 
en  bonne  humeur  :  le  visage  le  plus  intel- 
ligent et  le  phis  gai  que  j  aie  vu  chez  au"- 
cune  actrice  à  Paris,  car  celle  ([ui  le  pos- 
sède est  une  des  [jIus  brillantes  femmes 
que  ma  bonne  fortune  m'a  fait  rencontrer. 
Je  suis  bientôt  en  état  d'apprécier  l'im- 
mense difliculté  de  la  tirade,  mais  je  ne 
me  sens  pas  enlevé.  Pas  une  syllalie  de 
peidue,  le  rire  aux  échos  argentins  éclate 
bravement,  mais  il  résonne  forcé  el  mono- 
tone, et  il  me  semble  entendre  le  grince- 
ment de  fils  métalliques. 

La  répétition  est  suspendue.  Un  in- 
stant de  repos  est,  accordé  aux  artistes, 
qui  se  retirent  pour  deviser  avec  les 
amis  au  foyer.  Suivons-les  :  ce  sera  pour 
nous  rentrée  au  musée.  C'est  une  grande 
pièce  que  nieubh'nt  des  sièges  de  velours 
rouge,  un  |)laiio  à  queue  et  une  fort 
belle  tajjle  l.nuis  W,  (|ui  supporte  un 
théàlropliono.  li.  Delornn-  disait  des 
merveilles  étal(''cs  là  : 

C^cs  riclicsses  soiil  pour  ;iiiisi  dire  incori 
nues,  (jui  les  visite?  Nous  avons  \u  cpiel- 
([uefois  des  Anglais,  souvent  des  Husses, 
solliciter  Paul orisat ion  do  parcourir  cet 
intéressant  musée;  des  Piançais,  — jamais. 
Le  hasard,  la  force  des  choses,  les  belles 
premières,  ont  pu  y  amener  exceptionnel- 
lement un  public;  mais  ce  public  préoc- 
cupé n'a  jeté  que  des  regai-ds  dislrails  sur 
la  colle<'lion  de  la  (lomédie.  Le  nombre 
des  personnes  qui  r(uit  regardé(-  est  donc 
des  plus  restrcinls. 


La  faute  n'en  est  pas  <à  l'administrateur, 
qui  me  disait  un  jour  : 

—  Je  voudrais,  si  Fou  me  donnait  un 
prolongement  sur  le  Palais-Royal,  faire 
un  musée  spécial  qui  pourrait  être  ou- 
vert au  public  le  jeudi  et  le  dimanche. 
Mais... 

Toutes  ces  œuvres  ne  sont  pas  accro- 
chées au  hasard  ;  il  y  a  un  classement, 
cjue  je  retrouve  expliqué  dans  une  lettre 
de  l'administrateur  : 

Voici  le  principe  du  classement  des 
tableaux  :  salle  du  comité,  les  auteurs 
iportraits);  foyer  du  public,  les  auteurs 
(busles);  couloii-s  du  bas,  la  même  chose; 
couloirs  du  théâtre,  les  acteurs.  Dans  la 
loge  de  l'administrateur  (petit  salon  du 
fond),  peintures  de  l'auslin-Besson,  repré- 
sentant la  troupe  d'Arsène  lloussaye  :  Pro- 
vosl,  Delaunay,  Samson,  Favart,  A.  Bro- 
han,  Fix,  Hachel.  Tu  as  vu  cela,  le  public 
ne  le  voit  pas.  Les  acteurs  vivants  n'ont 
pas  leurs  portraits  accrochés.  On  les  garde 
en  haut  :  la  Sarah,  de  Parrot  ;  le  Worms, 
de  Cliartran  ;  le  Mounet-Sully,  etc.  Ils  des- 
cendront, —  le  plus  lard  possible. 

Le  foyer  des  artistes  est  le  sanctuaire 
de  iMolicre,son  image  est  partout.  Il  est 
en  médaillon  au-dessus  de  la  glace,  en 
buste  au-dessus  de  la  pendule,  et  les 
murs  présentent  une  curieuse  galerie  de 
ses  portraits. 

Le  voici  par  Mignard,  dans  le  ri')le  de 
César,  de  la  Mali  ilc  l'iimpée.  Mo- 
lière s'était  cru  d'abord  l'ail  [K)ur  la  tra- 
gédie, —  comme  Corneille  avait  pense 
qu'il  ('•lait  né  pour  la  comédie.  Il  jouait 
xiiloulicrs  les  rôles  tragiques,  et  en  écri- 
vit même,  comriie  celte  '/'/léh.inle.  qu  il 
repassa  à  Hacinc,  n'en  pouvant  rien 
faire.  On  le  siflla  à  Limoges,  où  son  tra- 
gique déplut.  C'est  la  turlutaine  des  co- 
mitpies  lie  jouer  dans  le  sTM-ieux  :  voyez, 
CiMlIlrlm. 

Si  Miilicrc  M'  Ircuupa,  l'opinion  publi- 
(pie  Ic^  rcmil  briilaleniciit  dans  sa  voie, 
cl  c'csl  une  des  plus  curieuses  toiles, 
celle  (pii  représente,  dans  un  <lécor  à 
l'ilalicnne.  (•claire  par  des  lustres,  les 
f.ircciir.s.  français  et  italiens,  vers  l(>7(t, 
c'esl-à-dirc  Hriiscambille,  Ciautier-Ciar- 
guillc,  (iuillot-Corju,  l'anlalon,  l'olichi- 
ucllc,    et         (lui   s'v  attendrait  ■.'    —    Mo- 


I.A     Cil  M  i;  1)1  1 


Kll  A  m:  A  ISK 


lièicl  Quelle  pi-omisciiité  |)Our  Cé.siir 
que  le  comiiagnonnaffe  de  Trivelin  ! 
Mais  c'est  un  trail  de  mœurs,  ceci  :  il 
mnulre  quel  élnl  ou  faisail  de  Molière, 
[)uisqu'on  le  considérait  comme  un  vid- 
^'aire   aniu-eur   piililie,   à    i'aMf;er    parmi 


M  0  U  N  E  T - s  U  L  L  Y      DANS     SA     Ll 

Rôle  d'Hamlet. 

\cs  farceurs.  Farceur!  lui,  dont  la  vie 
lut  un  lent  supplice,  et  qui,  quatre  an- 
nées   avant,   avait  l'ail   le  Misaiil/irope! 

II  va  encore  là  le  Molière  de  Coypel, 
accoudé,  et  aussi  une  sii;nalure  du  j;rand 
comique. 

Alexandre  Dumas  donna  à  la  Comédie, 
en  1884,  ce  papier  qui  <'st  accroché   au 


mur  dans  un  cadre;  c'est  un  contrat  qui 
perle  la  signature  de  Molière;  on  l'a 
encadre  avec  un  brevet  de  pension  de 
12,000  livres  en  faveur  des  comédiens 
français,  du  24  août  1682  ;  il  porte  les 
signatures  autographes  de  Colbert  et  de 
I-ouis  XiV. 

De  beau\  por- 
traits sont  accro- 
chésauxmurs,Tal- 
ma,  Lekain,  avec 
Sun  petit  nez  en 
liompette,  Haron, 
l'infalué  Baron, 
que  La  Bruyère  el 
1-e  Sage  ont  cingle 
de  leur  satire,  (|ui 
jouait  au  naturel  le 
rôle  de  Moncade, 
I  homme  à  bonnes 
fortunes,  et  de  qui 
l'on  cite  des  mots 
superbes. 

l'ne  grande 
dame  le  suppliait 
de  l'aimer  ;  il  ré- 
pondit : 

—  .l'ai  mes  pau- 
vres. 

X'oilà  la  Clairon, 
qui  fit  de  si  curieux 
Mémoires  pleins 
d'anecdotes.  l  n 
jour,  elle  laissa  à 
une  amie  un  rôle 
en  cours  de  répé- 
tition. Au  moment 
de  l'orage,  le  ma- 
chiniste criaducin- 
Ire  à  la  doublure  ; 

—  C  o  m  m  e  n  t 
voulez-vous  votre 
tonnerre? 

—  Comme  celui  de  M"°  Clairon  ! 
A'oltaire  l'a  chantée,  sans  craindre  de 
déranger  pour  elle  tout  l'Olympe. 

Toi  que  furnia  \'émis  et  que  Mincive  ;ui:me. 

On  voit  aux  archives  les  coins  d'une 
médaille  qui  lui  fut  offerte  par  ses  ad- 
mirateurs. —  car  Sarah  Bernhard    n'est 


LA    C  C)  M  IC 1  )  1 1-:    F  H  A  N  (  '.  A  I  S  lO 


])as  la  première  qui  ait  eu  cet  liomieur. 
L'exergue  était  :  L'Amitié  et  Melpo- 
mcne  ont  fait  frapper  celte  médaille 
en  176J.  La  reproiluctioa  agrandie  de 
cette  pièce  orne  aujourd'hui,  au  cime- 
tière du  Fère-Lachaise,  le  tombeau  de 
la  Clairon,  à  qui  ses  amis  vont  prochai- 
nement élever  une  statue  à  Condé-sur- 
Lscaul,  sa  ville  natale. 

A  gauche  de  l'entrée,  sont  les  deux 
grands  et  célèbres  tableaux  île  l'acteur 
(lelfroy. 

Le  premier  représenle  le  foyer  des 
artistes  de  la  ( lomédie  française  en  1 84(). 
Le  second  met  en  scène,  dans  le  même 
décor,  les  artistes  (pii  composaient  la 
troupe  du  Théâtre-I''rani,'ais  en  IS6L 

Il  y  en  a  un  troisième,  du  même,  la 
(Jomédie  française  en  lsr>.")  :  il  apparlicnl 
à  M.  |{odiniei\ 

i<  L  examen,  remarque  M.  l'evie,  des 
deux  tableaux  suflii'ait  à  nous  apprendre 
comment  se  sont  modiliés,  cuire  les 
deux  dates,  les  ressources  du  lliéâlre  et 
le  goût  public.  I']n  1810,  la  tragédie  et  le 
drame  sont  également  en  honneur,  .-\ussi 
|)ourpoinls  el  loques,  loges  cl  chlaniydes 
se  mêlenl-ils  en  nomlji'c  honnête  aux 
costumes    plus    modernes  avec    liaclicl. 


M'"'  Noble I,  .loan- 
n  y,  lîea  u  \a  1  le  l , 
l.igier,       (lellVov, 

M Ciiyun,    etc. 

-M''      Anaïs     elle- 
même  est  habillée 
en  page.  Une  ving- 
taine d'années  plus 
lard,  pourpoints  el 
locpios    onl    à    |)en 
]n-ès     disparu.     La 
Iragédie    se    relire 
modestement  dans 
LUI  coin  a\ec  Mau- 
banl,  \l""    (iuyoïi, 
.M""'    Judilh.    Gel- 
Iroy  a  abandonné  le 
coslume  historique 
pour  endosser  l'ha- 
liil   de   <■    l'homme 
aux  rubans  \eiis  ■>. 
Il    y    a    peu    de 
femmes.  La    Duchesnois,  M""  (îeorges, 
M""'  Contât  sont  absentes  du  foyer;  mais 
on  y  voit,  peinte  par  Sicardi,  M"'   Hour- 
going,  qui  prépara  à  sa  manière  l'alliance 
franco-russe,  en  embrasant  le  cccur  du 
Isar  Alexandre,  quand  la  Comédie  fran- 
çaise alla  à  lù-furl.  Son  tombeau  est  en- 
core surmonté  d'un  vase  dllercidanum 
que  le  Isar  lui  donna,  sans  doute  en  pri-- 
vision  de  Cronsladt. 

Eu  quillant  le  foyer  des  artistes,  nous 
sommes  loin  d'avoir  épuisé  tout  ce  qu'il 
y  a  de  curieux  à  visiter.  Il  faudrait  en- 
core aller  vcii]-,  dans  l'i'scalicr  do  loges. 
la  forêt  où  le  médecin  nialgii'  lui  l'ail 
des  fagots;  le  [laysage  esl  ili>  MiuiIncI. 
et  les  figures  d'Horace  V'ernel  ;  dans  les 
couloirs,  les  dégagements,  les  galeries, 
(jne  d'ieuvres  dignes  d'allenlion  :  le 
médaillon  de  Pigault-Lebrnn,  parl)avi<l 
d'Angers,  le  Molière  de  I lofer  la  MurI 
il,'  7';ihii;i.  par  Hoberl  l'ienry.  laChamp- 
mcslé  el  M'i'  Desmares,  par  de  'l'roy,  cl 
les  bustes,  les  bron/es,  les  Ici-i'cs  cuiles, 
les  caux-foi'Ies,  mniialnrcs,  aquarelles. 
Ce  musée  renfci-me  même  des  curio- 
sités anatomicpies.  Il  possédail  déjà  la 
màchoii-e  de  Molière.  Il  s'esl  enrichi 
dun  fragmcnl    du  cciir  île   Talma.   (pii 


I.A     C.OMKDI  !■:     FH  AN'CA  ISI-; 


ressemble  à  un  bouchon  de  liège  ;  el  il 
vient  de  refuser  la  main  de  M"''  Duches- 
nois,  qui  n'avait  jamais  eu  pareil  alFronl 
(le  son  vivant. 

Mais  on  ne  peut  pourtant  pas  i-enou- 
veler  ici  les  surprises  du  M.  Trottmann, 
de  Gham,  qui  admirait  à  la  Tour  de 
Londres  le  crâne  de  Shakespeare  en- 
fant à  côté  du  crâne  de  Shakespeare 
adulte. 

l.a  mâchoire  de  Molière  est  sous  globe. 
dans  la  terrible  salle  du  comité.  Les 
murs  sont  amplement  décorés,  autour 
de  la  table  solennelle  où  se  décide  le 
sort  des  lectures  ;  le  large  encrier  est 
garni  de  plumes  d'oie,  comme  sous 
Louis  XIV. 

C'est  ici,  dans  cette  salle  solennelle, 
le  musée  des  au- 
teurs; P.  Corneille 
a  sa  statuette  sur 
la  cheminée;  elle  a 
été  donnée  par  la 
Société  des  amis 
des  arts  de  Seine- 
el-Oise.  11  a  aussi 
son  portrait  au 
mur,  à  côté  de  son 
frère  Thomas,  qui 
a  lair  bourru  el 
grincheux,  comme 
il  convenait  au  cri- 
tique acerbe  du 
Mercure  galanl  et 
à  l'organisateur  des 
cabales  contre  Ra- 
cine. Il  y  a  un  Au- 
gier,  de  Jalaberl, 
qui  est  plein  dex- 
pression  et  de  vé- 
rité; il  occupe  une 
des  places  d'hon- 
neur :  elle  lui  est 
bien  duc.  Puis  ce 
sont  X'ollaire,  Ma- 
rivaux, Ducis,  Cré- 
billon  ;  au-dessus 
d'une  porte,  A.  Du- 
mas fils  fiait  une 
lecture  devant  le 
comité.    On    a   ac- 


croché là  aussi  le  tableau  de  l)antaii, 
fit  eiilr'acle  à  la  (lomùdie  fraiii,aise, 
OLi  l'on  reconnaît  dans  les  stalles  (Camille 
Doucet,  Sarcey.  ,)ules  (>laretie,  Meis- 
sonier,  VN'oIll',  Zola,  Ohnet,  Daudet, 
Dumas,  de  Hornier,  (Jounod  et  bien 
d'autres. 

La  petite  antichambre  qui  précède  la 
salle  du  comité  est  ])areillement  ornée 
de  cadres,  parmi  lesquels  il  y  a  deux 
photographies  intéressantes  :  la  maison 
de  la  rue  de  la  Pie,  où  naquit  Corneille, 
et  Petit-Couroime,  où  il  habita,  près  de 
Houcn,  avec  ses  frères  Thomas  el  An- 
toine, un  poète  peu  connu,  lauréat  du 
prix  des  Palinods. 

La  salle  du  comité  renferme  dans  une 
armoire  des  biscuits   de  Sèvres,  reprc- 


L  E     F  0  T  E  U     DES 


I.A     COMEDIE     l'IlAM.AISE 


sentant  des  écrivains  et  des  acteurs  : 
Molière,  Racine,  Corneille,  Gresset, 
M"""  Dangeville,  Contât,  etc.  Ils  ont  été 
confiés,  par  le  maréchal  ^'aillant,  à  la 
Comédie  IVançaise,  mais  en  restant  la 
propriété  de  l'Etat. 

Ce  musée  s'enrichit  toujours.  Il  vient 


Les  comédiens  eux-mêmes  y  trou- 
veraient, si  ce  catalogue  était  raisonné, 
d'utiles  précédents  comme  encourage- 
ment pour  leur  art.  Us  voudraient  avoir 
autant  d'action  sur  le  public  que  M"''  Du- 
mesnil,  peinte  par  Nonnolte,  ou  autant 
(lecrânerie  que  Fleury,  peint  par  (lérard. 


I  M  I  T  !•:     DE      LECTURE 


de  recevoir  de  belles  lapi^i'-iTics  des 
Gobelins,  un  portrait  d'.McN.indrr  hu- 
mas. Il  recevra  sans  doute,  ini  jour,  bleu 
d'autres  toiles  qui  y  ont  été  laites,  comme 
celle  de  Héraud,  ou  le  Corneille  au  Sa- 
vetier, d'I'juile  l'errin,  —  ou  le  buste 
de  Lagrange  auquel  travaille  Cuillaume. 
l'^t  de  tout  cela  il  y  aurait  matière  à 
ouvrir  et  em])lir  un  admirable  musée, 
dont  la  visite  serait  un  enseignement, 
un  voyage  ù  travers  le  passé  de  l'art,  et 
dont  le  catalogue  serait  une  page  d'his- 
toire. 


M"''  Dumesnil  jouait  (Jlcopàtre  dans 
lUnliKjunf.  H  V  axait  encore  des  ban- 
quelles  sur  la  scène,  l'ille  fut  si  terrible 
et  si  odieuse  qu'un  spectateur  se  leva, 
la  frappa  du  poing  dans  le  dos.  en  lui 
criant  : 

—  \'a-l'eu,  cbieiuie,  à  tons  les  diables  ! 

Quel  bejiu  jour  pour  une  actrice  ! 

Qu.'Hil  à  Fli'urv,  ou  le  sil'lla.  un  SDJr 
qu'il  jouait  Tartufe,  eu  ISI.'i,  ,i  eau-e  de 
ses  sympathies  bien  conniu-s  pour  Na])o- 
léon  1'''. 

Il  s'avan(,'a  vers  la  rampe  i-l  dil  : 


I,.\     C.O.MKDli:     l-ll  A  M.lAISl-: 


—  Messieur.-*,  ici,  je  ne  suis  chargé 
que  de  jouer  Tartufe.  Mais  si  quelqu'un 
veut  me  parler,  je  demeure  me  'l'rnver- 
sicre,  23. 

C'est  un  trait  entre  mille.  Llii^toire 
(le  nos  comédiens  français  les  ven^e 
d'avoir  été  si  lonj,'temps  hors  la  loi. 

Un  coin  préféré  des  travailleurs,  à  la 
Comédie,  est  l'humble  mansarde  où  sont 
relégués  les  archives  et  M.  Mon  val, 
où  Trufiler,  l'érudil  poète  comédien, 
travaille  son  Ilaulcroelie.  Il  faut  cnlrer, 
l'après-midi,  parla  rue  de  Hichelieu;  on 
passe  devant  le  concierge  de  la  salle;  on 
gravit  les  escaliers  déserts  où  le  soir  se 
presse  la  foule,  el  donl  les  parois  portent 
les  indications  nécessaires  :  parterre, 
secondes  (jaleries,  etc.  Derrière  les  pe- 
tites portes  des  loges,  on  sent  le  vide 
de  la  salle,  à  travers  lequel  volent  les 
éclats  de  voix  et  les  rires  de  la  répéti- 
tion sur  scène,  devant  le  guignol  et 
sous  la  herse  llambanle. 

L'ne  barrière  porte  un  écrileau  : 
Caisse.  Le  théâtre,  vu  ainsi  de  jour, 
n'évoque  aucune  idée  de  plaisir,  mais 
bien  de  travail,  de  fonctionnaires  rete- 
nus à  leur  table  ou  à  leur  guichet. 

Nous  poussez  une  petite  porte  vitrée 
en  verre  dépoli.  Le  timbre  sonne.  Vous 
êtes  dans  les  archives,  long  couloir  que 
garnissent  des  rayons  remplis  par  des 
ouvrages  de  théâtre  et  par  des  cartons 
pleins  de  manuscrits.  Tout  au  fond  est 
le  cabinet  du  conservateur.  Regardez 
celte  couronne  de  lauriers,  c'est  celle 
qui  servait  à  Talma  pour  le  rôle  d'.Au- 
guste  dans  Ciiina.  Cette  autre  couronne 
à  côté,  dans  un  cadre,  a  été  remise  à 
Rachel  par  la  reine  d'Angleterre.  Voici 
des  cheveux  de  Talma,  donnés  par  son 
neveu,  le  docteur  Talma,  et  aussi  une 
lettre  signée  du  grand  tragédien.  Une 
caricature  est  près  de  la  cheminée  :  ce 
diable  qui  sort  d  un  buis^son  de  serpents, 
c'est  le  critique  Geoll'roy;  il  excite  à 
la  guerre  les  partisans  contraires  de 
M""  Georges  et  ceux  de  M"''  Duchesnois, 
dont  on  nous  olfre  la  main. 

Dans  le  petit  réduit  au  plafond  bas, 
aux  murs  couverts  de  livres,  aux  meubles 


encombrés  de  carions  d'estampes,  nous 
flânons  devant  tous  ces  curieux  docu- 
ments, vieilles  affiches  qui  sont  des 
raretés,  anciens  billets  qui  sont  des 
reuvres  d'art,  portraits  autographes 
précieux.  La  veuve  de  Molière  a  signé 
cette  quittance  de  rentes  sur  i'Ilôtel 
de  N'ille;  ce  procès- verbal  porte  les 
signatures  de  Lagrange,  de  Guérin, 
le  second  mari  de  M"'  Molière ,  de 
Champmeslé,  donl  La  Fontaine  fut  en 
lous  sens  le  collaborateur,  de  liaisin, 
donl  le  frère  eut  une  plaisante  aven- 
ture. 

11  montrait  une  épinelle  automatique 
qui  jouait  toute  seule  l'air  désiré.  Le  roi 
ouvrit  la  boite  et  en  relira  un  petit 
garçon  qui  faisait  marcher  la  méca- 
nique. 

Kn  descendant  des  archives ,  vous 
passez  devant  la  caisse  d'où  sort  un  dé- 
cadarque  de  Phèdre  en  mollets  nus.  11 
serre  sa  monnaie  sous  sa  chlamyde.  Au 
même  étage  que  le  foyer  nous  retrou- 
vons le  secrétariat  et  les  bureaux,  le 
petit  salon  d'attente  qui  a  un  air  un 
peu  grand'inère,  el  la  porte  blanche 
qui  mène  à  la  salle  du  comité  et  au  ca- 
bmet  de  ^L  l'administrateur  général  : 
il  n'a  là  que  son  cabinet  el  n'est  pas 
logé. 

Le  cabinet  de  l'administrateur  est 
vaste,  tendu  de  rouge  sur  bois  noir; 
deux  portraits  décoratifs  en  grisaille  de 
Lehmann,  Molière  el  Corneille  forment 
des  médaillons  dessus  de  porte.  La  che- 
minée supporte  la  statue  de  Molière,  par 
Seurre  aîné,  d'après  celle  qui  décore  la 
fontaine  Molière.  Le  buste  de  la  Clairon, 
par  Lemoine,  celui  de  Lekain,  donné 
par  M""'  V"  Dumas,  une  réduction  du 
Corneille,  de  Caffieri,  complètent  l'ameu- 
blement de  style.  C'est  là  le  centre  de  la 
maison,  l'âme  de  cette  institution  que 
les  attaques  et  les  défections  semblent 
consolider,  et  elle  n'est  pas  aisée  à  di- 
riger parmi  les  écueils  que  fait  surgir 
l'amour-propre  concertant  des  comé- 
diens et  des  auteurs.  Ad.  Brisson  a  spi- 
rituellement consigné  le  procès-verbal 
de  la  Journée  de  l'administrateur,  el  le 


I.A     C  CI  M  K  I)  I  !■:     FI!  A  m;  AI  SE 


33 


liibleau  n'esl  point  chargé  :  les  journaux 
du  malin,  les  articles  irritants,  les  bro- 
chures ennemies,  les  vraies  coulisses 
de  la  Comédie  française  el  C",  les  notes 
perfides,  les  lettres  dr  réclamation,  le 
rapjiort  du  semai- 
nier, le  bordereau 
de  la  recelte .  le 
bulletin  de  répé- 
tition, les  réponses 
urgentes,  visite  au 
dessinateur  ou  à 
l'atelier  des  dé- 
cors, boulevard  Bi- 
neau,  et  voilà  qui 
permet  de  gagner 
l'heure  du  déjeuner 
sans  trop  soulFrir 
de  la  longueur  du 
temps.  A  une  heure 
il  fait  son  entrée 
dans  son  cabinet  : 
nouveau  paquet  de 
lettres,  répé-lilion 
toute  raprés-midi, 
course  au  galop 
jusqu'au  ministère 
de  l'instruction 
publicpie  el  des 
beaux  -  a  ris,  à 
moins  que  ce  ne 
soit  celui  des  Ira- 
vaux  publics  ou 
celui  des  linance-.. 
A  son  retour, 
quinze  visites  lui 
prcicureiil  l'agré- 
ment de  III'  pas 
rester  à  ne  rien 
faire  ;  mais  s'il  ne 
les  recevait  pas,  il 
a  \ingt  lettres  à 
('■crii'c  l'I  un  raj)- 
|io]-|  (III  deux  à  ri''( 
lui,  dinc,  i-r|iarl,  el  relroi 
<al)inrl  où  le  lemps  pu 
l'éclair,  à  éei'in:'  des  rcpciiisrs,  à  lire  des 
manuscrits,  à  \érilior  des  comptes,  à 
lancer  les  pensionnaires,  el  recevoir  des 
visilenrs,  caj-  il  en  \ienl  jusque  \ers 
miiiiiil,  pas  piii-^  lard,  (i'esl  Labiche  ipii 
\  I.   -    3. 


disait  :  "  Si  l'on  me  nommait  directeur 
de  la  Comédie  française,  je  n'accepte- 
rais que  pour  une  heure,  parce  que  le 
mois  commencé  compte,  puis  je  donne- 
rais ma  démission.  " 


Il    renlr. 


;itcur  gcni; 

chez 
cher 
innie 


r:U   (lu   la    Comùdic    fr 


cl:ins 


llre^ 


Rien    n'est    amiisaiil.   | 
s'enlend  .    comme    la    li'in 
qui    arrivent.  Ce   smil   toujours  des  de 
mandes    nu   des    réclamalion~,    dont    1 
monoliiiiie  est  lassanlr. 
Cher  iiiOM-.irur, 

i;ii  bien,  que  a 


ICI    vos    liiiniies 


ieiMieiil  vos  promesses  : 
rôles   d'autrefois  .'  Vous 


I.A    COMKDIli    KnANC.AISl!: 


adoriez,  le  talent  de  ma  mère,  vous  vantiez 
le  succès  de  ses  ouvrages,  vous  lui  avez 
consacré  une  étude  enlliousiaste  que  j'ai 
heureusement  conservée.  Vous  pourriez 
maintenant  me  prouver  que  votre  sympa- 
thie était  sincère,  en  remettant  à  la  scène 
une  de  ses  comédies.  Hélas!  vous  n'y  pen- 
sez guère  et  vous  avez  d'autres  projets. 
Voyons ,  cher  monsieur,  un  bon  mouve- 
ment!... Kt  soyez  sûr  que  le  public  ne  s'en 
plaindra  pas.  P    »^ 

La  fille  d'une  femme  de  lettres  juste- 
ment illustre. 

Mon  clier  ami, 

Vous  savez  qu'on  ne  m'a  pas  joué  depuis 
trois  semaines.  Ce  n'est  pas  gentil!  -Vllons, 
faites-moi  vos  excuses  et  affichez-moi  pour 
dimanche  en  matinée.  .,     ,. 

Un  descendant  littéraire  de  Corneille. 

Là,  défilent  les  artistes,  appelés  pour 
le  service,  plus  ou  moins  exigeants  selon 
leur  rang. 

Les  nouveaux  venus  dans  la  maison 
sont  pensionnaires.  Ils  deviennent  peu 
à  peu  sociétaires  par  quarts  successifs, 
avant  d'être  sociétaires  à  part  entière. 
C'est  l'ambition  de  ce  régiment,  dont  les 
parts  sont  les  galons.  Le  doyen  est 
Mounet-Sully  ;  M""^  Reichemberg  est  la 
célèbre  «  petite  doyenne  ».  Ces  comé- 
diens sont  aussi  des  juges,  à  la  dif- 
férence des  autres  théâtres,  oii  ils  ne 
sont  que  de  bons  instruments. 

Les  manuscrits  sont  examinés  par 
deux  lecteurs,  JOL  Cadolet  Paul  Perret, 
sur  le  rapport  desquels  le  comité  décide, 
après  une  lecture  quand  il  y  a  lieu.  Le 
comité  est  le  souverain  et  redoutable 
aréopage  dont  les  décisions  sont  atten- 
dues avec  anxiété  parles  candidats  dans 
la  pièce  voisine.  La  Comédie  étant  une 
coopérative,  il  est  juste  que  ses  membres 
confient  à  des  délégués,  qui  sont  les 
membres  du  comité,  le  soin  de  gérer  la 
maison  au  mieux  de  leurs  intérêts.  Ils 
sont  le  conseil  d'administration,  action- 
naires et  responsables,  puisque  tant 
mieux  vont  les  recettes,  tant  mieux  va 
leur  prorata.  Tout  d'abord,  ils  se  géraient 
eux-mêmes;  ils  étaient  trop,  et  les  ar- 
tistes étant  rarement  hommes  d'affaires. 


il  y  avait  des  ressauts  et  des  ressacs. 

.Aujourd'hui  l'organisation  intérieure 
est  réglée  par  les  décrets.  C'est  celui 
de  1830  qui  fait  loi.  Le  décret  de  1812 
attribuait  au  comité  des  pouvoirs  qu'il 
n'a  plus  depuis  le  décret  de  IH.'jO.  La 
prospérité  matérielle  de  la  maison  date 
de  là.  Un  chef  vaut  mieux  que  douze. 

Le  litre  de  directeur  a  été  attribué 
pour  la  première  fois  en  1833.  Aupara- 
vant, le  théâtre  était  placé  sous  la  sur- 
veillance de  la  direction  du  surintendant 
des  spectacles,  qui  transmettait  ses  or- 
dres aux  comédiens  par  l'intermédiaire 
d'un  commissaire  im[)érial  ou  royal  art.  1 
et  2  du  décret  de  Moscou).  Le  titre  d'ad- 
ministrateur général  a  été  conféré  au  di- 
recteur en  vertu  de  la  loi  du  27  avril, 
11  mai  1830. 

Voici,  depuis  18.'}.'i,  les  noms  des  di- 
recteurs   et  administrateurs  généraux  : 

1833.  .losselin  de  la  Salle. 

1837.  Vedel. 

IS^O.  Buloz. 

Isfï2.  Arsène  Houssaye. 

1856.  Empis 

1860.  Edouard  Thierry. 

1871.  Emile  Perrin. 

1885.  Jules  Clarelie. 

L'administrateur  délègue  hebdoma- 
dairement ses  pouvoirs  au  semainier.  II 
départage  les  voix  dans  les  comités  d'ad- 
ministration ou  de  lecture.  Il  fait  voter 
le  budget  par  l'assemblée  générale  et 
écrit  au  ministre  un  rapport  qui  est 
l'historique  de  l'année  et  qu'on  devrait 
bien  pouvoir  publier. 

Le  sociétaire  est  élu  pour  dix  ans  par 
le  comité,  sur  la  proposition  de  l'admi- 
nistrateur général.  Le  ministre  a  le  droit 
de  ratifier  ou  non.  Au  bout  de  dix  ans 
il  faut  être  réélu.  .Après  vingt  ans  on 
peut  prendre  la  retraite  en  renonçant  au 
théâtre.  On  a  5,000  francs  de  pension 
après  vingt  ans,  100  francs  de  plus  par 
an  après  ces  vingt  ans. 

Les  sociétaires  ne  peuvent  pas  être 
nommés  à  moins  de  3;  12  de  parts,  et  ont 
pour  maximum  12  12,  soit  12,000  francs 
d'ajipointements  fixes,  plus  le  partage  de 
fin  d'année  distribué  au  prorata  des 
parts  ou  fractions  de  parts. 


LA    GOMKniE    FRANÇAISE 


La  valeur  des  parts  annuelles  qui  re- 
viennent à  chaque  sociétaire  est  tout  à 
fait  variable  et  aléatoire.  Cela  dépend 
des  années.  Avec  "2  millions  de  frais  an- 
nuels, il  faut  travailler  pour  assurer  un 
partage  convenable.  Autrefois,  de  18i('> 
à  185i,  du  temps  d'Arsène  Iloussaye,  il 
n'y  avait  pas  de  parts,  bien  qu'il  y  eût 
moins  de  sociétaires  qu'aujourd'hui. 
En  1850,  les  Contes  de  la  reine  de  Na- 
rarre  et  le  Joueur  de  jlùle  assurèrent 
'2,400  francs  de  partage.  Ce  fut  du  dé- 
lire. Fuis,  de  18.J1  à  18.'j4,  rien.  En  185."), 
qui  fut  l'année  de  l'Exposition,  on  eut 
5,0011  francs.  En  1856,  rien.  On  com- 
mença à  avoir  des  partages  en  1857, 
sous  Ed.  Thierry.  Puis  sous  Perrin,  la 
prospérité  s'affirme.  Il  y  avait,  au  temps 
de  Perrin,  150,1)00  francs  de  frais  iné- 
vitables pensions,  éclairage,  etc.)  de 
moins  qu'aujourd'hui.  Le  dernier  par- 
tage, en  1806,  a  été  de  24,0(10  francs. 

Les  parts  suivent  la  fluctuation  des 
receltes. 

La  Comédie,  dans  sa  progression  as- 
cendante qui  est  le  meilleur  éloge  de  In 
direction  actuelle,  encaisse  aujourd'hui 
en  un  mois  autant  qu'en  1847  en  un  an! 

.Mais  les  frais,  les  obligations  sacrées, 
pensions  de  retraite  aux  sociétaires  et 
employés  ont  subi  les  mêmes  proportions. 
En  1846,  on  faisait  par  an  525,591  fr.  25 
(le  receltes.  On  a  fait,  l'an  dernier, 
2,200,000  francs.  Sans  la  subvention,  ce 
serait  seulement  un  peu  plus  que  les 
frais. 

Lesdroilsd'auteurs  sontde  15  pour  100. 
La  Comédie  française  est  It;  théâtre  ([ui 
donne  le  plus  de  droits  aux  auteurs. 
Le  répertoire  classique  en  est  exempté. 
L'assistance  publique  prentl  10  pour  100. 

L'administrateur  général  reçoit,  avec 
un  rapport  du  semainier,  le  bulletin 
quotidien  d'avertissement  tous  les  ma- 
tins, et  le  bordereau  tous  les  soirs. 

Voici  un  spécimen  de  bordereau  : 

Ir.       .-. 
2  mars  1X97 Itcccllc   :     S.GSl   fis 

.\  dculiiirc  ; 
Assistance    piiblitiutî -   .         "92  2fJ 


Auteurs  : 
Le  Dépit  amoureu.i  .   .  .   . 
L'Élis  de  la  Sainl-Martin. 
Le  Député  de  Bomhir/nac. 


Total  à  cléduii 


Reste  à 6.937 


2  mars  1S97 


Location, 
Bureaux  . 


8.656  50 
38  35 


Total 8.694  S6 


Récapitulation.    ,    .   . 
Abonnement  compris 


29  .  8 1  s      ., 
■-•I.S'Jl   66 


L'administrateur  général  actuel, 
M.  Jules  Claretie,  n'a  pas  de  secrétaire; 
qu'on  juge  de  la  somme  de  travail  qu'il 
fournit!  Il  écrit  vingt-cinq  lettres  par 
jour  :  il  faut  une  certaine  dose  de  résis- 
tance pour  soutenir  pareille  occupation 
au  milieu  de  tant  d'autres.  C'est  un  cas 
peu  banal  d'endurance  et  de  facilité. 

M.  Guilloire  est  contrôleur  général  et 
en  mémo  temps  secrétaire  général  du 
théâtre.  C'est  lui  que  regarde  la  tâche 
de  répartition  des  billets  d'auteurs,  des 
services  de  premières  représentations. 
.Ancien  officier  d'administration  au 
Mexique  et  à  Metz,  il  est  décoré  et  jouit 
de  l'eslime  de  tous. 

Jamaux  est  régisseur  général.  Ccf[ 
lui  <]ui  écrit  les  convocations,  les  bulle- 
tins d'avertissement.  .Ancien  comédien, 
il  est  un  auxiliaire  iiilelligeni,  aimable 
et  dévoué. 

Le  dessinateur  de  costumes  est  Bian- 
cliini;  mais  l'adminislralcur  général 
consulte  d'autres  artistes,  Olivier  Merson 
pour  (Irisclidis,  par  exemple,  ou 
J.-P.  Laurens  pour  Frédécionde. 

Le  chef  costumier  est  Clialain.  un  des 
costumiers  des  plus  instniits  qui  soient. 

Les  décorateurs  varient  :  Kubé,  Cha- 
jieron.  Jambon,  Carpezal.  I.enieunier  a 
travaillé  une  l'ois  au  lliéâlre  pour  Ther- 
midor. 


LA    COMKOIK    l'IîANCAISl-: 


Le  décorateur  nUilré,  el  excellent,  est 
Devred.  Les  ma;,Msins  des  décors  sont 
boulevard  Hineau. 

Ce  système  d'organisation  de  la  mai- 
son de  Molière  est  bien  typique;  c'est 
une  application  du  socialisme,  et  l'in- 
venteur n'est  pas  Jaurès,  c'est  Molière, 
en  plein  siècle  de  Louis  XIV.  J.  Claretie 
a  mis  ce  l'ait  en  lumière  el  reporté  cet 
honneur  sur  Molière  : 

—  Il  leur  montrait,  dans  celle  société 
aristocratique  du  temps  de  Louis  XI\', 
la  valeur  du  groupement,  la  force  de 
l'association.  Il  faisait  du  socialisme,  à 
l'heure  où  l' l'état  était  personnifié  dans 
lui  seul  homme,  le  Roi.  J'ai  déjà  eu 
l'occasion  de  dire,  —  et  je  répéterai 
volontiers,  —  que  ce  fameux  décret  de 
Moscou  dont  on  parle  tant  sans  l'avoir 
toujours  étudié  et  qu'a  d'ailleurs  singu- 
lièrement complété  le  décret  présiden- 
tiel de  1850,  qui  est  devenu  la  charte  de 
la  Comédie  ou  qui  l'a  à  la  fois  amendée 
et  complétée,  le  décret  de  Moscou,  pré- 
paré à  Paris  par  d'éminents  juriscon- 
sultes et  envoyé  par  eux  tout  rédigé  en 
Russie,  ce  décret  n'est  que  la  codifica- 
tion de  l'acte  de  germinal  passé  devant 
notaire  entre  les  comédiens  français,  et 
cet  actj  n'était  qu'une  sorte  de  codifica- 
tion des  us  et  coutumes,  des  droits  el 
devoirs  des  premiers  collaborateurs  de 
la  Maison  de  Molière. 

«  Le  véritable  inspirateur  des  décrets 
qui  font  la  force  de  la  Comédie  fran- 
çaise, on  ne  saurait  trop  le  répéter,  c'est 
Molière.  Nous  vivons  matériellement  de 
son  esprit  comme  nous  vivons  intellec- 
tuellement de  son  tcuvre... 

«  C'est  une  maison  de  commerce  qu'un 
grand  théâtre,  fût-il  le  premier  el  le 
plus  artistique  de  tous.  «  On  ne  fait  de 
<i  l'art  cju'avec  de  l'argent  »,  dit  Henry 
Irving.  El  combien  de  fois  Dumas  fils 
m'a-l-il  répété  :  "  Mon  cher  ami,  vous 
«  êtes  un  temple,  oui  ;  mais  vous  êtes 
«  aussi  une  usine  !  » 

L'usine  fonctionne  bien  malgré  les 
gros  nuages  de  fumée  que  soufflent  par- 
fois les  noirs  tuyaux  de  l'envie  ou  les 
caprices    des    incidents.    La    Comédie 


française  a  le  sort  de  l'art  dramatique, 
en  général,  on  crie  à  sa  décadence,  à  sa 
fin.  .\h  1  si  vous  aviez  vu  Samson,  cl 
Prévost  el  (îelFroyl  Ah  1  quand  il  y 
avait  Got,  Sarah  Bernhardl,  (^orpjclin 
aîné  !  La  réponse  est  dans  le  bon  livre  de 
Soubies  que  je  vous  signalais  plus  haut. 

Qu'on  lise  un  fort  curieux  ouvrage 
écrit  en  llSii  par  un  homme  (jui  con- 
naissait à  fond  la  Comédie  française,  on 
V  trouve  cette  interjection  désolée  : 
«  Le  Ïhéàtre-Français  a-l-il  jamais  été 
aussi  pauvre  en  talents?  »  Or  on  y  ren- 
contrait alors  Kirmin,  Samson,  Ligier, 
Beauvallel,  ("lelfroy,  Régnier,  Provost, 
Brindeau,  M"""  Desmousseaux,  Mante, 
Anaïs,  Plessy,  Noblet,  Rachel,  Augus- 
tine  Brohan.  Excusez  du  peu!  selon  la 
facétieuse  locution  de  Rossini.  Evidem- 
ment M.  Eugène  Laugier,  l'auteur  du 
travail  en  question,  était  exigeant  à 
l'excès;  prenons  garde  à  notre  tour 
d'être  trop  difficiles. 

La  Comédie  française  est  en  bonne 
santé.  Si  on  y  suit  le  mouvement  et  la  vie 
de  l'époque,  le  beau  a  toujours  son  culte 
et  ses  fidèles;  les  petites  querelles 
n'ébranlent  pas  cette  vieille  et  solide 
institution  qui,  si  elle  offre  quelque 
chose  d'étonnant,  le  fait  par  sa  longé- 
vité vaillante  et  active.  C'est  l'elfet  de 
la  bonne  discipline,  de  l'esprit  qui  anime 
ce  corps,  de  la  cohésion  qui  unit  ces 
éléments,  c'est  comme  une  petite  patrie 
pour  ses  enfants;  et  ce  n'est  pas  un 
mince  honneur  que  l'on  puisse  aujour- 
d'hui écrire  encore  ce  que  disait  Cha- 
puzeau  à  la  gloire  des  comédiens  leurs 
ancêtres,  il  y  a  trois  cents  ans  : 

"  Ces  distinctions  et  de  niérile  et 
d'emplois  el  de  profits  n'empêchent  pas 
qu'ils  ne  s'entretiennent  dans  la  con- 
corde, et,  s'il  nait  quelquefois  entre  eux 
des  jalousies,  l'intérêt  public  ne  veut 
pas  qu'elles  éclatent;  ils  ont  la  discré- 
tion de  les  cacher,  et  les  désintéressés 
prennent  soin  d'accommoder  les  petits 
différends  de  quelques  particuliers,  qui 
ne  pourraient  croître  sans  que  le  corps 
en  souffi-ît.    " 

Li';o    Ci. ARBtiE. 


STATIONS    D'KTK 

DKS    PYRÉNÉES 


Les  stations  d'été  des  Pyrénées  sont 
toutes  si  tuées  au  centre  même  de  la  chaîne, 
au  pied  des  monla^'nes  les  plus  élevées. 
Les  unes  sont  surtout  des  stations  médi- 
cales; les  autres,  tout  en  possédant  des 
établissements  thermaux  ,  ])euvent  être 
regardées  aujourd'hui  comm<^  des  sta- 
tions de  repos,  des  centres  de  courses  de 
monta^'iies. 

De  celles-ci  Luchon  est  sans  contredit 
l.i  plus  renommée:  elle  reçoit  charpie 
année  le  plus  grand  nombre  de  touristes 
et  de  baigneurs. 

I5âtie  au  conlluent  de  deux  vallées,  à 
l'altitude  do  Crli)  mètres,  elle  est  desser- 
vie aujourd'hui  par  une  \oie  ferrée  qui 
se  détache  à  Montréjeau  de  la  ligne  [)rin- 
cipalc  :  Toulouse,  Hayonne:  une  allée 
de  tilleuls  (  1  ,.'{(i()'"j  plantés  par  l'intendant 
général  des  états  du  Languedoc,  baron 
d'Kligny,  la  traverse  dans  toute  sa  lon- 
gueur et  aboutit  à  l'élablissenient  ther- 
mal ;  dans  le  fond,  les  cimes  neigeuses  du 
l'(irt-(lc-\'éiiasfpie  forment  l'horizon. 


Les  Luchonnais  sont  justement  tiers 
de  leur  allée  d'hJlignv,  mais  leurs  ancê- 
tres appréciaient  peu  cette  innovation, 
et  l'opposition  à  tout  embellissement 
était  telle,  qu'un  dragon  montait  la 
garde  au  pied  de  chaque  arbre  pour  em- 
pêcher les  montagnards  défiants  d'arra- 
cher cette  allée  qui  leur  déplaisait  tant. 

Les  meilleurs  hôtels  sont  échelonnés 
le  long  de  l'avenue;  et  chacun  d'eux 
s'elforce  de  réunir  le  confori  le  plus 
complet. 

An  milieu  du  parc  des  Quinconces,  se 
dresse  rétablissement  thermal  à  la  colon- 
nade de  marbre  blanc. 

I>'un  autre  eùlé,  sur  les  bords  de  la 
Pi(|ue,  et  juste  eu  face  de  cet  admirable 
décor  d'opéra,  le  Port-de-^'énas(|ue.  a 
été  bâti  le  Casino;  un  des  jilns  Inill.nits 
de  tous  ceux  que  comptent  anjourd  luii 
les  stations  balnéaires. 

Les  eaux  thermales  de  Luchon  ont 
étéconnuesel  utilisées  parles  Komains. 
Strabon   les    dési';nait   sous   le    nom    de 


STATIONS    Dl^riK    DES    PYRÉNÉES 


Therm.f  Oiiesin-  pre.sl;inlissini;i\  et  les 
nombreux  aulels  volifs  que  l'on  a  dé- 
couverls  autour  des  sources  prouvent 
conibioii  était  grande  leur  réputation. 
(Juolques-uns  de  ces  monuments  sont 
conservés  dans  les  thermes  actuels,  les 
autres  figurent  au  musée  de  Toulouse. 
Lors  de  l'invasion  des  barbares,  les 
thermes  de  Luchon  furent  saccagés,  et 


LrcHON.  —  Les  Quinconces. 

l'emplacement  des  thermes  onésiens  de- 
vint un  marécage. 

Pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge, 
Luchon  et  ses  sources  furent  à  peu  près 
inconnus,  lorsqu'en  17,'tl  un  grand  sei- 
gneur, ayant  entendu  parler  des  guéri- 
sons  obtenues  par  les  eaux  chaudes  de 
la  grotte  de  Luchon,  se  hasarda  à  venir 
s'y  baigner  et  s'en  revint  complètement 
guéri.  Il  parla  de  ce  fait  à  l'intendant  de 
la  province,  d'Etigny,  et  celui-ci  vint  à 
Luchon,  emmenant  avec  lui  deux  chi- 
mistes, Boyer  et  Richard,  pour  leur 
faire  analvser  les  eaux  chaudes. 

11  fit  percer  des  routes,  planter  l'allée 
dont  nous  avons  parlé,  et  projeta  la 
construction  d'un  établissement  ther- 
mal; mais  celui-ci  ne  fut  édifié  qu'en 
1818;  et  en  1848  la  municipalité  fit  com- 
mencer les  thermes  actuels. 


Parmi  les  stations  thermales  des  Pyré- 
nées, il  n'en  est  pas  de  plus  importante 
que  celle  de  Luchon.  Ici,  on  ell'et,  on 
rencontre  les  sources  les  plus  sulfureuses 
de  la  chaîne;  on  y  trouve,  en  outre,  des 
sources  moins  riches  en  principesactifs, 
et  qu'on  peut  classer  parmi  les  sources 
de  force  moyenne,  et  des  sources  faible- 
ment minéralisées;  on  y  rencontre  enfin 
des  eaux  qui  ont 
la  propriété  de 
subir  une  décom- 
])osilion  telle 
qu'une  partie  du 
soufre  qu'elles 
renfermaient  pri- 
mitivement à  l'é- 
tal de  sulfure  de 
sodium,  devenant 
libre,  se  trouve 
suspendu  dans 
l'eau  minérale  et 
lui  donne  l'aspect 
d'une  émulsion. 
Les  bains  d'eau 
blanche,  qui  ont 
l'apparence  d'un 
bain  de  lait,  sont 
fort  recherchés 
par  les  malades. 
Les  sources 
sulfureuses  de  Luchon  sont  au  nombre 
de  trente-huit  et  constituent  par  leur 
réunion  la  série  d'eaux  sulfureuses  la 
plus  belle  et  la  plus  complète  qui  soit 
connue.  Le  débit  de  l'ensemble  s'élève 
à  416,000  litres  par  vingt-quatre  heures 
(Filhol).  D'après  le  docteur  Garrigou, 
les  eaux  de  Luchon  seraient  uniques  en 
Europe  pour  l'application  des  vapeurs 
aux  inhalations. 

L'installation  de  l'établissement  ther- 
mal, remarquable  pour  l'époque  où  elle 
a  été  faite,  a  déjà  subi  de  notables  amé- 
liorations; et  grâce  à  l'initiative  intelli- 
gente du  maire,  M.  Bonnemaison,  il  sera 
bientôt  au  premier  rang  pour  les  aména- 
gements intérieurs,  comme  il  l'est  déjà 
pour  le  nombre  et  les  qualités  de  ses 
sources. 

Les  courses  aux  environs  de  Luchon 


STATIONS    D'ÉTÉ    DKS    PYRÉNÉES 


-4^  -i 


orme   le 


sont  iionibrciises  c>l  IrOs  largemcnl  l'aci- 
lilées  par  rorj^anisalion  Irès  complète  de 
la  société  des  f;:uides.  De  iiombreusos 
voitures  à  deux  cl  à  quatre  chevaux 
emportent  tous  les  jours  des  touristes  à 
la  vallée  du  Lys,  à  l'iiospico  de  Vénasquc, 
nu  lac  d'Oo,  dans  la  vallée  d'.Aran;  tan- 
dis qu'un  véritable  régiment  d'excellentes 
montures  fait  gravir  les  sommets  acces- 
sibles aux  chevaux.  Les  écuries  de  lîour- 
detle,  d'I'/Slrujo,  de  Sanson,  etc.,  sont 
renommées  e(  comptent  à  la  fois  des 
clicv.nix    de    monlagne   au    pied    sûr  et 


des  chevaux  de 
promenade  de  pre- 
mier ordre. 

(Juanl  aux  cour- 
ses, qui  sont  in- 
nombrables, dit 
M.  Russel,  il  y  en 
a  pour  tous  les 
g o  ù  1  s  et  pour 
toutes  les  forces; 
nous  ne  citerons 
que  les  principales. 
Lue  route  ther- 
male soigneuse- 
ment entretenue 
permet  aux  voi- 
tures de  parcourir 
toute  la  haute 
vallée  du  Lys  et 
conduit  au  pied 
mèmedel  immense 
falaise  rocheuse  qui 
Clique  tel  minai,  et  d'où  s'é- 
L happe  le  louent  l'-su  des  glaciers  supé- 
I  leurs 

Chemin  faisant,  on  rencontre,  presque 
à  la  sortie  de  Luchon,  une  antique  tour  à 
signaux  :  la  tour  de  Castel-Vieil,  élevée 
sur  un  mamelon  isolé  et  qui  commande 
à  la  fois  la  vallée  principale  et  le  vallon 
latéral  de  Burbe,  qui  permet  d'atteindre 
rapidement  la  frontière  espagnole  ;  des 
tours  semblables  s'éfagenl  sur  les  lianes 
de  la  vallée  jusqu'à  son  débouché  dans 
le  bassin  de  la  Garonne  à  Saint-Béat. 
Ces  tours  sans  caractère,  dont  il  est 
difficile  d'apprécier  l'ancienneté,  ser- 
vaient de  postes  à  signaux  et  permet- 
taient de  prévenir  les  contrées  voisines 
de  l'arrivée  de  l'ennemi,  venant  d'l"]s- 
pagne;  d'après  la  légende,  elles  dateraient 
des  invasions  sarrasines. 

La  roule  C('il(iyaiil  le  lorronl  s'élève 
|)eu  à  peu  el  atteint  la  cote  de  1,(M)0  mè- 
tres aux  cabanes  du  Lys.  Le  paysage 
change  également,  la  vallée  s'élargit  el, 
après  le  goullre  de  Bouneou,  le  lourislo 
se  trouve  tout  d'un  couj)  en  face  du 
cirque  du  Lys  :  vaste  amphithéâtre  de 
montagnes,  aux  llancscouverlsde  forêts, 
aux  sommets  étincelants  de  glace  et   de 


STATKINS     DKTIC    l>i;S     1' V  II  KN  K  KS 


Ifi^^.-- 


LA     TODR     DE    CASTEL- VIEIL 


"    , >■■    jT"' 

'■^^  "piye,   que   dominent 

les  pics  de  Maupas, 
Crabrioules,  Quairat, 
tous  dépassant  3,000  mètres  d'altitude. 
Au  milieu  du  cirque,  une  brèche  im- 
mense du  rocher  donne  passage  au  tor- 
rent supérieur  et  forme  les  admirables 
cascades  d'Enfer.  L'n  sentier  de  mulet 
permet  d'atteindre  le  pied  des  glaciers; 
au  delà,  l'abri  de  Prat-Long,  bâti  par  le 
Club  Alpin,  donne  aux  alpinistes  toutes 
les  facilités  pour  gra- 
vir les  sommets  de  la 
crête  frontière.  Du 
haut  de  cet  observa- 
toire, la  vue  s'étend 
au  loin,  au  nord,  sur 
les  montagnes  de  Lu- 
chon  et  la  plaine  de  la 
Garonne  ;  au  sud,  sur 
la  vallée  de  lEsserra 
et  les  massifs  du  Né- 
thou  et  de  Poset. 

Mais  si  la  course  de 
la  vallée  du  Lys  est 
charmante,  facile  pour 
tout  le  monde,  celle 
du  Port-de-\'énasqLie 
est  encore  plus  belle, 
étant  plus  longue  et 
plus  difficile.  La  route 
carrossable,  s'arrête 
au  dixième  kilomètre 
à  l'hospice  de  Luchon 
I,3(>0™j,  en  face  du- 
quel s'ouvre  le  Port- 


de  X'éiiasque, longuecou- 
pure  de  la  montagne  qui 
ne  devient  libre  de  neige 
que  vers  le  mois  de 
juillet.  Cette  partie  de 
la  course  peut  se  faire  à 
cheval,  grâce  à  l'excel- 
lent sentier  muletier  qui 
atteint  la  frontière  à 
•J,-il7  mètres. 

Le  port  est  une  étroite 
brèche  s'ouvrant  entre 
les  deux  montagnes  de 
Sauvegarde  et  de  la  Glère, 
montagnes  schisteuses 
faciles  à  gravir,  et  d'où  l'on  a  une  vue 
superbe.  Une  série  de  petits  lacs  s'ouvre 
sur  le  versant  français,  au  pied  même 
de  la  brèche,  et  vient  heureusement 
rompre  la  monotonie  des  pentes  arides 
de  la  montée. 

Arrivé  au  sommet,  l'on  se  trouve  tout 
d'un  coup  en  face  du  massif  entier  de  la 
Maladetta  ;  spectacle  grandiose,  d'un  effet 
saisissant,  et  que  rien  ne  faisait  prévoir 
avant  ce  véritable  lever  de  rideau. 


STATIONS    D'ÉTÉ    DKS     l'Y  li  KNÉKS 


Xous  citerons  encore  noire  colléj^ue 
en  alpinisme,  M.  Russell,  car  personne 
mieux  que  lui  n'a  compris  les  Pyrénées; 
personne  n'a  parlé  d'elles  avec  autant 
d'enthousiasme  véritable,  u  Groupe  le 
plus  imposant,  le  plus  grandiose,  le  plus 
alpestre  des  Pyrénées.  C'est  une  sauvage 
immensité  de  granits,  de  lacs  et  de  gla- 
ciers qu'un  mois  sul'lirail  à  peine  pour 
l'explorer.  » 

Au  port,  l'Espagnol  Cabilkid  a  in- 
stallé une  cabane  où  l'on  peut  coucher 
à  la  rigueur;  et  nul 
point  dans  les  Pyré- 
nées ne  serait  mieux 
choisi  pour  établir 
une  station  d'alti- 
tude. Les  levers  et 
les  couchers  de  so- 
leil sont  admirables, 
et  je  n'oublierai  ja- 
mais les  soirées  dé- 
licieuses que  j'ai 
passées  là  en  com- 
pagnie de  quelques 
amis,  amoureux  de 
la  montagne  comme 
moi  et  insoucieux 
du  peu  de  confort 
de  l'abri  de  Cabillud. 

L'ascension  du 
Néthou  (3,404 '"j  de- 
mande deux  jours,  car  il  faut  aller  cou- 
cher au  pied  des  glaciers,  sous  le  rocher 
de  la  Renciuse.  Les  glaciers  de  la  Mala- 
detta  ne  sont  pas  aussi  faciles  que  sem- 
blent l'indiquer  tout  d'abord  leurs 
pentes  uniformes,  et  ils  imposent  aux 
touristes  d'user  des  j)récautions  usitées 
en  pareil  cas  :  la  corde  ne  peut  être  mise 
de  côté.  C'est  pour  avoir  négligé  de  s'at- 
tacher, que  le  guide  Barrau  a  trouvé  la 
mort  dans  la  crevasse  supérieure  de  la 
Maladetta. 

Une  étroite  crête  de  granits  sépare  en 
deux  portions  h  peu  |)rès  égales  le  grand 
glacier  tpii  couvre  la  face  noril  du  massif 
des  monts  Maudits  ;  h'  plus  étendu,  celui 
du  Néthdu,  ("-1  nidins  iiicliin'  (|ue  son 
voisin,  el  r  l'st  lui  cpi  il  faiil  traverser 
pdur  alleiniire  Ir    soinnirt    t'iiliniiiant  de 


la  chaîne  :  le  Xéthou.  Sommet  défendu 
par  un  passage  difficile,  le  Pont-de- 
Mahomet,  étroite  crête,  composée  de 
blocs  désagrégés  par  la  foudre,  parfois 
placés  en  équilibre  inquiétant,  et  sur- 
plombant, de  droite  et  de  gauche,  des 
murailles  absolument  verticales. 

El  cependant  le  Xélhou  a  été  souxent 
gravi  par  des  dames;  il  est  vrai  que  nos 
guides  luchonnais  sont  adroits  et  ro- 
bustes et  conservent  toujours  celle 
gaieté  méridionale  qui  cache   le  danger 


LA      >r  A  L  A  D  E  T  T  A 

et  le  fait  oublier.  Les  glaciers  de  la  Ma- 
ladetta peuvent  être  regardés  comme  le 
type  parfait  des  glaciers  pyrénéens;  ils 
sont  formes  de  grandes  masses  de  glace 
accrochées  aux  lianes  de  la  montagne 
et  ne  descendent  pas  dans  la  valK'e 
comme  ceux  des  .Mpes. 

lue  région  tout  autre  est  ci'lle  du 
Port-d'Oo;  région  moins  gracieuse  ipic 
celle  du  Lys,  moins  grandiose  (pie  celK' 
des  monts  Maudits,  mais  remanpiable 
par  ses  lacs  et  par  les  glaciers  qui  la  do 
minent,  l'ne  roule  carrossable  conduil 
jusqu'au  pied  delà  montagneà  .\slos,  cl 
là  un  sentier  de  mnlel  arrivi>  jnsrpi'au 
lac  d'Oo,  qui  mesure  id  hectares  de 
superficie  cl  dont  les  eaux  alleignent 
7(1  mètn-sde  pidlondeiii-.  l'ne  li('ilellerie 
modeste  a  élé  établie  en  ce  point  i  1  ,,")(l()"' 


STATIONS    IVKTK    DIîS    l' Y  R  KN  lUÎS 


par  la  commuiio  d'Oo,  et  comme  le  lac 
i'oiirmillc  de  (miles  excellentes,  l'on 
\ieiil  surlout  déjeuner  au  lac. 

Au-dessus  de  lui,  trois  autres  lacs 
remplissent  les  creux  de  la  nionta^^ne  cl 
se  déversent  les  uns  dans  les  autres  en 
cascades  bouillonnantes.  Tout  en  haut 
une  ceinture  de  glaciers  emmaf,'asino  les 
neiges  de  l'hiver  et  défend  le  Porl-d'Oo; 
dépression  creusée  à  la  base  du  pic  du 


rORT-D   oo 


Port  el  qui  constitue  le  passage  le  plus 
élevé  de  toute  la  chaîne  {3,001™)  :  aussi 
est-il  peu  fréquenté,  même  parles  Espa- 
gnols que  les  difficultés  n'effrayent  pas 
cependant. 

Luchon  est  souvent  le  point  de  départ 
d'une  course  de  plusieurs  jours  et  qui 
permet  de  voir  assez  rapidement  les 
points  importants  de  la  chaîne  centrale. 
L'on  peut,  en  elfet,  aller  en  voiture  de 
Luchon  à  Bigorre  par  le  col  d'Aspin;  de 
Bigorre  à  Barèges  par  le  pic  du  Midi  ; 
de  Barèges  à  Gavarnie,  puis  redescendre 
sur  Saint-Sauveur,  remonter  à  Caute- 
rets,  passer  à  .\rgelez  pour  atteindre  les 
Eaux^Bonnes  et  rentrer  à  Pau.  C'est  là 
une  excursion   de   toute  beauté,  que  les 


calèches  de  Luchon  font  aisément,  grâce 
à  leurs  excellents  chevaux. 

Bagnères-de-Bigorre   n'est  point   une 
station  de  haute  montagne  comme  Lu- 
chon, mais  elle  a  cependant  ses  avan- 
tages; le  pays  est  charmant,   ses  eaux 
excellentes    par  leurs    propriétés   séda- 
tives, enfin  elle  est  au   pied  du  pic  du 
Midi,  et  c'est  de  là  (jue  partent  les  tou- 
ristes qui  veulent  visiter  l'IJbservatoire. 
Cet    établissement, 
admirablement      ins- 
tallé au  sommet  de  la 
montagne  f2,887"'),  se 
compose  de  bâtiments 
parfaitement    aména- 
gés,  et  dans  lesquels 
peuvent  résider  toute 
l'année    les   observa- 
teurs chargés  d'enre- 
gistrer les  oscillations 
du      baromètre,      du 
thermomètre,  etc. 
ALilgré  toutes  les  pré- 
cautions prises,  ils  ne 
sont  pas  cependant  à 
l'abri  de  tout  danger, 
et  la  foudre  est  leur 
principalennemi.  Plu- 
sieurs fois  déjà  elle  a 
causé   des    accidents, 
sans      avoir      amené 
cependant     mort 
d'homme. 
Les   rochers  foudroyés  que  l'on   ren- 
contre tout  autour  de  l'Observatoire  ont 
conservé  les  traces  du  passage  de  l'étin- 
celle électrique  :  leur  surface  est  fondue 
et  forme  un  enduit  vitreux  que  les  mi- 
néralogistes connaissent  sous  le  nom  de 
fulgurite. 

L'observatoire  du  pic  du  Midi  est  dû 
à  l'initiative  du  général  de  Nansouty. 
Celui-ci,  retiré  du  service  militaire, 
était  venu  se  fixer  à  Bagnères-de-Bi- 
gorre, et  il  fut  bientôt  mis  à  la  tête 
d'un  comité  formé  pour  la  création 
d'un  Observatoire  au  sommet  du  pic. 
C'est  là  que  nous  l'avons  trouvé  maintes 
fois,  lui ,  l'homme  excellent,  le  soldat 
courageux    que    tous    ceux    qui    l'ont 


_^V-.^*^ 


STATIONS    D'ÉTÉ    DES    PYIÎENICKS 


,X  ■^' 


connu  aiment  et 
admirent.  Puis,  sa- 
vamment aidé  par 
l'ingénieur  Vaus- 
senat  il  conduisit  à 
bien  celte iru vre 
capitale,  et  il  ne 
redescendit  dans  la 
plaine  que  lorsque, 
tout  étant  fait,  il  put 
en  faire  don  à  l'Etat. 
M.  ^'aussenal  reçut 
alors  le  titre  de  di- 
recteur de  F  Observa 
loire  et  continua  à 
perfectionner  l'ceu- 
vre  commune.  Mais 
la  mort  impitoyable 

est   venue    l'enlever  pi 

presque  subitement 
en  I89"2  et  le  général 
a  également  succombé  l'année  dernière. 
,  Au  pied  du  cône  terminal  du  pic,  et 
au  bord  du  lac  d'Oncet,  a  été  bâtie  une 
hôtellerie  dans  laquelle  viennent  cou- 
cher les  touristes  qui  vont  voir  le  lever 
du  soleil  au  sommet  du  pic.  Un  sentier 
part  de  ce  point  et  va  rejoindre  la  route 
de  voiture  qui  vient  de  Bigorre  et  par 
le  col  du  Tourmalet  rejoint  la  station 
célèbre  de  Barèges. 


1 1  u  K    11  r    !•  I  (•    I)  r    M  1  m 


M  I  D  1 ,    \'  u 


Les  eaux  sulfureuses  de  Barèges  sont 
connues  depuis  des  siècles,  mais  elles 
n'étaient  guère  utilisées  que  par  les  ha- 
bitants du  pays,  halles  ne  devinrent 
célèbres  que  sous  Louis  XI\',  lorsque 
.M""'  de  Maintenony  eut  conduit  le  jeune 
duc  du  ALiine. 

Les  eaux  de  cette  station  ,  mieux  que 
toutes  autres,  facilitent  l'élimination  des 
corps  étrangers;  esquilles  osseuses,  pro- 
jectiles, etc.  Bien 
des  guérisons  de  ce 
genre  tiennent  vrai- 
ment du  prodige; 
aussi  sont-elles  d'une 
el'licacilé  merveil- 
leuse dans  le  trai- 
tement des  blessures 
anciennes,  et  l'ad- 
ministralion  de  la 
guerre  \'  a-l-ii  in- 
>lalié  un  iiiipilal  mi- 
litaire. 

Barèges  était  sou- 
vent dé\  asle  par  les 
avalanches  que  les 
montagnes  voisines 
lançai  e  u  t  chaque 
année  à  l'époque  de 
la  foute  des  neiges. 


STATIONS    1)   KTK    DES    P  Y  fl  HNÉIvS 


Mais  ;uiioiir<rhui,  j;ri'ic-L'  iiux  rdjoisc- 
nicnls  cll'cctui's  par  l'atlniinislration  des 
l'orôts,  le  (lang^er  est  entièrement  conjuré. 

De  liarcges  la  route  descend  rapide- 
ment et  atteint  bientôt  la  vallée  ver- 
doyante de  Luz  :  point  où  converf,'enl 
toutes  les  vallées  de  la  région  et  qui  a 
été  occupé  de  tout  temps. 

L"éy;lise  de  Luz  est  un  exemple  com- 
])let  de  ce  Ij'pe,  disparu  aujourd'hui, 
des  églises  fortiliées  du  xii''  siècle.  Son 


chevet  est  défendu  par  deux  tours  car- 
rées; Tune  d'elles  est  percée  de  meur- 
trières et  couronnée  de  créneaux.  Une 
enceinte  de  remparts  enclôt  à  la  fois 
l'église  et  le  cimetière  et  protégeait 
morts  et  vivants  contre  les  entreprises 
des  huguenots. 

De  Luz  la  route  s'engage  dans  la  pro- 
fonde vallée  du  Gave,  passant  devant 
le  pont  Napoléon,  qui  relie  Saint-Sau- 
veur à  Luz  :  œuvre  audacieuse  au  pos- 
sible et  du  plus  bel  elTet. 

Ce  pont  d'une  seule  arche  mesure 
45  mètres  d'ouverture,  et  la  clef  de 
voûte  est  à  G5  mètres  au-dessus  du 
torrent. 

Plus  loin  la  route  passe  sur  le  vieux 
pont  ruiné  de  Scia,  que  vient  de  rempla- 


cer le  plus  solide,  mais  bien  moins  |jitlo- 
resque  pont  de  pierre  des  ponts  et 
chaussées,  et  arrive  à  Gèdres.  Là  appa- 
raissent tout  à  coup  les  sommets  de  Ga- 
varnie,  en  partie  cachés  par  les  énormes 
blocs  du  chaos,  montagne  ellondréo 
qui  a  barré  la  vallée. 

(îavarnie  n'a  été  pendant   longtemps 
qu'un  pauvre  village  à  peine  fréquenté 
par   les    rares   contrebandiers   qui    pas- 
saient en  Espagne   par  le   port.    Autre- 
fois   un    couvent 
de  Templiers  ser- 
vait    de     refuge 
aux  voyageurs,  et 
sa   vieille    église, 
aujourd'hui     dé- 
miilie,     rappelait 
il    y    a    quelques 
années  encore 
cette  époque  loin- 
taine. 

l.e  circjue  de 
Gavarnie,  un  des 
sites  les  plus 
grandioses  des 
Pyrénées,  forme 
un  demi-cercle  de 
j)lus  de  4  kilo- 
mètres de  tour, 
et  ses  murailles 
verticales  s'élè- 
vent à  plus  de 
"2,000  mètres  au-dessus  du  point  où  naît 
le  torrent. 

Aussi  cette  localité  est-elle  aujourd'hui 
des  plus  fréquentées.  Un  hôtel  très  con- 
fortable permet  un  séjour  prolongé,  des 
guides  plus  excellents  les  uns  que  les 
autres  rendent  faciles  les  nombreuses 
courses  de  sommets  dont  (iavarnie  est 
le  point  de  départ. 

La  grande  cascade  du  cirque,  la 
plus  belle  de  toutes  les  Pyrénées,  se  pré- 
cipite de  422  mètres  de  haut. 

La  muraille  de  Gavarnie  est  coupée 
de  point  en  point  par  des  corniches 
toujours  fort  dangereuses  à  parcourir 
à  cause  des  pierres  qui  descendent  des 
sommets;  aussi,  pour  faire  l'ascension 
de  la  brèche  de  Rolland,  fait-on  un  dé- 


STATIONS    DKTK    l)i:S    P  Y  1!  KX  ÉES 


(our  par  les  Sarradels,  sorte  d'épaulc- 
ment  qui  se  trouve  à  la  gauche  du 
cirque. 

La  brèche  de  Rolland  est  um^  étroite 
ouverture  qui  semble  faite  par  un  coup 
de  sabre  :  sabre  fameux,  la  Durandai, 
qui  a  ouvert  un  passage  au  célèbre 
paladin. 

En  bien  des  points  des  Pyrénées  nous 
retrouvons  vi-  nom  fameux,  de  Rolland  : 
c'est  à  lui  que  les  montagnards  attri- 
buent les  phé- 
nomènes natu- 
rels étranges 
qu  ils  ne  peu- 
vent expliquer. 
Le  palet  de 
Rolland  dans  le 
Roussillon  n'est 
qu'un  bloc  erra 
tique  :  mais  ce 
n'est  la,  ;iu\ 
yeux  du  \ul- 
gaire,  qu'une 
idée  de  savant  : 
la  vraie,  la  vé- 
ritable histoire, 
c'est  que  Rol- 
land jouait  au 
palet    avec    un 

bloc      de     plu- 

.'  i'  I 

sieurs       mètres 

cubes  I 

Son  épée  lui  ouxrail  un  passage  aussi 
jjien  dans  les  rangs  des  ennemis  (]uc 
<lans  les  rochers  de  la  montagne.  I']l 
comment  ne  pas  croire  à  tout  ceci'.'  Son 
palet  existe  encore,  et  son  épée  est  tou- 
jours apjiendue  dans  le  sanctuaire  de 
liocamadour. 

A  coté  de  la  brèche,  non  loin  du  pic 
du  Talion,  les  glaciérisles  \onl  admirer 
les  aiguilles  do  glace  du  (ialiiélnu  :  point 
inLéressanI  pour  le  savani,  car  il  permet 
de  voir  en  action  l'elVcl  picKluit  par  le 
mouvement  des  glaces,  les  roches  sous- 
jacenlcs  sont  arrondies,  polieset  portent 
de  lines  stries  [irofliiiles  par  les  grains 
de  sable,  de  profondes  cannelures,  ap- 
pelées coups  de  gouge,  creusées  par  les 
cailloux,  l'inlin  l'es  mêmes  cailloux  sor- 


tent de  dessous  la  glace  couverts  de 
fines  rayures  à  directions  irrégulières. 
C'est  la  nature  prise  sur  le  fait,  et  je 
doute  qu'il  y  ait  un  autre  point  aussi  in- 
téressant que  celui-là. 

C'est  de  (lavarnie  que  l'on  fait  ordi- 
nairement l'ascension  du  ^'ignemale  et 
que  l'on  va  rendre  \isite  à  l'hôte  aima- 
ble de  la  montagne,  au  propriétaire  de 
^'ignemale,  ^L  Russell.  Presque  au  som- 
met ont  été  creusées  une  série  de  grottes 


li  (J  n  E      DE      U  .4  V  A  II  N  1  K 

et  tous  les  ans  ^L  Husscll  \a  passer 
quelques  jours  dans  sa  villa  aérienne  ; 
ce  montagnard,  éjiris  de  la  montagne, 
trouvant  à  tort  que  les  années  venaient 
rapidement,  a  pensé  qu'avant  d'aban- 
donner définilivement  ces  courses  qui 
avaient  été  la  [lassion  de  toute  sa  vie,  a 
voulu  faire  un  dernier  sacrifice  à  la  mon- 
tagne et  aller  -e  recueillir  de  temps  en 
temps  le  plus  près  possible  d'un  de  ces 
sommets  ipill  a\ail  tant  aim(''s. 

Comme  le  .Ni'lhou  à  I.ucIkjii.  h'  mont 
Perdu  à  (ia\arnie  est  le  grand  sommet 
f|ui  domine  tout  par  son  altitude  et  par 
sa  vieille  répuliilion,  due  aux  ('-erils  de 
Ramond,  mais  .iiissi  moulagne  diflicile 
à  gravir  el  périlleuse  à  aborder,  .\ujour- 
d'Iiui   la    pln~    i;raiide    partie   (h'   ces  en- 


STATIONS  I)  i;tk  dks  pyrknkes 


UN    c  H  E  V  i;  I  E  R 


traves,  contre  lesquelles  venait  se  buter 
l'alpiniste,  a  été  supprimée  grâce  à  l'abri 
et  au  sentier  do  Tuqueroux  e  que  le  Club 
Alpin  a  fait  établir. 


Admirable  casemate,  bâtie  à  '2,866  mè- 
tres par  la  section  de  Bordeaux,  avec 
le  concours  des  guides  de  Gavarnie;  et 
sans    l'énerfrie    de  M.    Lourdes-Roche- 


STATIONS    D'ÉTÉ    DES    PVRÉXKES 


blanc,  secrélaire  de  la  section,  jamais 
ce  (ravail  difficile  ne  serait  arrivé  à  bien. 

De  ce  point,  la  vue  que  l'on  découvre 
sur  le  mont  Perdu  est  dune  beauté  sans 
égale,  et  rien  ne  pourrait  en  donner  une 
meilleure  idée  que  la  relation  enthou- 
siaste de  la  première  ascension  de  Ra- 
mond.  Nous  la  transcrirons  sans  y  rien 
changer. 

(I  La  brèche,  qui  nous  avait  été  long- 


Perdu  !  se  disait-on  l'un  à  l'autre,  et  ce- 
pendant personne  ne  le  démêlait  encore 
dans  le  chaos  de  rochers,  déneiges  et  de 
vapeurs.  C'est  le  Dieu  dont  la  présence 
est  sentie  plutôt  qu'aperçue,  et  qui  se 
manifeste  dans  tout  ce  qui  l'environne 
avant  de  se  révéler  lui-même. 

"  Et  ce  n'était  pas  sans  raison  qu'on 
voyait  partout  le  mont  Perdu  ;  tout  ici 
lui  appartient,  tout  en  fait  partie;  même 


Ca  u  t  eu  et. s.  -  -  L.i  il. 


temps  cachée  par  la  saillie  du  glaciei-, 
reparait  sous  de  gigantesques  propor- 
tions, et  déjà  l'on  sent  le  vent  froid  qui 
débouche  par  sa  large  ouverture.  On  se 
hâte,  on  s'élance,  on  atteint  hors  d'ha- 
leine le  liul  désii-é...  In  cri  de  joie  an- 
nonce le  changement  de  scène  :  un 
morne  silence  lui  succède  à  ras[)ect  d'un 
nouveau  monde,  des  profondeurs  qui 
nous  en  séparent,  des  glaciers  qui  le 
ceignent  et  du  nuage  qui  le  couvre; 
spectacle  alFreux  et  sublime  dont  toutes 
nos  facultés  sont  accablées!  L'n  instant 
indivisible  l'avait  dévelo[)pé  dans  toute 
sa  majesté,  et  plusieurs  instants  ne  suf- 
tisaienl  pas  pour  lui  coordonner  nos 
sens.  Voilà  le  mmil  Perdu  !  voilà  le  mont 


la  crête  où  nous  étions  parvenus  et  qui 
n'est  séparée  de  la  cime  principale  (|ue 
par  raffaissement  nu  l'énisinu  d'une 
partie  de  ces  lianes,  (lelli'cinic  cl.iil  de- 
vant nous,  un  peu  à  ganelie,  blanche, 
mais  omliive  de  gris,  et  fuyant  dans  le 
sein  d'une  brume  épaisse  qui  cireidait 
lentement  autour  d'elli'.  .\  ilriute  se  dé- 
tachail  le  cylindre,  plus  snrnlire  ipu'  le 
nuage,  [)lus  menaçant  que  le  mont  Perdu 
lui-même,  dressé  sur  son  éiu)nue  pié- 
destal an  niveau  duquel  nous  élicuis 
placés,  et  si  près  de  nous  ([n'd  semblait 
le  toucher  de  la  main,  l'ai  viiin  je  l'avais 
vu  cent  fois  de  loin,  son  apparilu)n  n'en 
était  (pu-  |)lus  fautaslitpu'.  Toujours  in- 
visible pour   moi   (le    tontes  l«>s  stations 


STATIONS    DKTK    DKS    1>  V  It  KN  KKS 


CaI'teuets.  —   Pont   d'Espagne, 

intermédiaires,  il  élail  devenu  subite- 
ment un  colosse  qu'agrandissait  encore 
à  mes  yeux  le  souvenir  de  sa  première 
apparence.  Cette  figure  de  tour  tronquée 
qui  rappelle  des  dimensions  connues, 
contrastant  avec  des  proportions  aux- 
•quelles  rien  n'est  comparable,  sa  situa- 
tion, sa  couleur,  sa  proximité,  la  vapeur 
dont  il  était  environné,  tout  concourait  à 
faire  de  cet  énorme  rocher  l'objet  le 
plus  extraordinaire  du  tableau.  C'était 
versluique  les  re- 
gards étaient  sans 
cesse  ramenés; 
c'était  lui  que  les 
guides  s'obsti- 
naient à  nommer 
le  mont  Perdu. 
<i  Mais  ce  qui 
était  encore  plus 
imprévu,  s'il  se 
peut,  que  ces 
étranges  aspects  ; 
ce  qu'aucune  vue 
antérieuren'avail 
préparé,  ce  qu'on 
ne  saurait  consi- 
dérer que  du  haut 
de  l'observatoire 
où  nous  nous 
étions    portés. 


c'est  l'indescriptible 
apparence  du  majes- 
tueux support  de  ces 
deux  sommités,  'l'aillé 
du  même  ciseau  qui  a 
façonné  les  étages  du 
Marboré,  il  présente 
une  suite  de  gradins, 
tantôt  drapés  de  neige, 
tantôt  hérissés  de 
glaciers  qui  débordent 
et  se  versent  les  uns 
sur  les  autres  en  larges 
et  immobiles  cascades, 
jusques  aux  bords 
d'un  lac  dont  la  sur- 
face encore  glacée, 
mais  déjà  dégagée  de 
neiges,  brillait  d'un 
éclat  sombre  qui  re- 
haussait l'éclatante  blancheur  de  ses 
rives.  » 

De  Gavarnie  il  est  facile,  mais  long, 
de  gagner  Cauterels  par  la  haute  mon- 
tagne; aussi  le  plus  souvent  descend-on 
la  vallée  jusqu'à  Pierrefitte  pour  re- 
monter le  col  du  Limaçon  et  arriver  ainsi 
en  voiture  jusqu'à  la  célèbre  station. 

Comme  toutes  ses  congénères,  les 
sources  sulfureuses  de  Cauterets  vien- 
nent au  jour  au  fond  d'une  gorge  assez 


LES     E  A  U  X  - B  O  X  N  E  S 


SÏATK)NS    D'ÉTÉ    DES    l'YRÉNEES 


110  II  n  A  T 


iuitres,  d'où 


■troilc 
loulus  parts  par  île  liautcs 
montagnes.  Ces  sources 
naissent  en  des  ])oints 
assez  éloignés  les  uns  des 
i  nécessité  de  construire 
des  établissements  distincts.  Cet  isole- 
ment des  divers  groupes  de  sources  est 
une  chose  avantageuse,  en  ce  sens  fjue 
chacun  d'eux  a  pu  être  approjirié  d'une 
manière  toute  spéciale  aux  divers  modes 
balnéaires  cpie  la  |)ratique  a  recoiuuis 
VI.  —  4. 


les  plus  convenables. 
La   plus  renommée 
de    ces     sources     est 
celle    de    la  Raillère, 
au  pied    d'une   mon- 
tagne en  ruine  et  qui 
menaçait    d'ensevelir 
l'établissement   et  de 
détruire  ses  eaux  bien- 
.••..        faisantes.  Mais  grâce 
à  l'habileté  des  ingé- 
nieurs  des    forêts,    le 
!..     mal   est  aujourd'hui  con- 
juré :  de  solides  barrages 
ont  été  établis  au  milieu 
des  torrents  de  pierres,  le 
reboisement  se  fait   et    la 
montagne  sera  bientôt  dé- 
finitivement fixée. 

Ces  eaux  sont  particu- 
lièrement efficaces  dans  les 
maladies     de     la     gorge  ; 
aussi     trouve-l-on    réunis 
là  des  avocats,  des  prédi- 
cateurs,   des   artistes   qui, 
tous  les  matins,  vont  sa- 
crifier aux  nymphes  de   la 
montagne,  auraient  dit  les 
poètes    du    siècle  dernier, 
et  qui  cherchent  plus  pro- 
saïquement, dans  un  garga- 
risme à  la  Uaillère,  à  recouvrer  une 
voix  perdue. 

Ue  nombreuses  courses  peuvent  cire 
faites  dans  les  montagnes  de  Caulerets; 
l'une  des  plus  faciles  et  des  plus  belles 
conduit  au  pont  d'Espagne  et  de  là  au 
lac  de  Gaube,  que  domine  la  masse 
imposante  du  X'ignemale. 

La  vallée  d'.\rgelès,  que  l'on  parcourt 
dans  la  plus  grande  [)artic  de  son  éten- 
due en  quittant  Cauterets  pour  gagner 
les  Kaux-Honnes,  est  une  des  plus  fcrlilcs 
des  Pyrénées.  Le  sol  est  d'une  grande 
richesse,  grâce  aux  apports  cpie  les 
anciens  glaciers  ont  déposés  en  ce|)oiiit. 
C'est  là  que  les  géologues  peuvent  le 
mieux  étudier  ces  traces  anciennes  de 
l'immense  lleuvc  de  glace,  qui  desccn- 
ilail  des  hauteurs  de  Cavaruie  et  arrivait 
au  delà  de  Lourdes  jusque  dans  la  plaine 


STATIONS    DÉTl':    DKS     l'YnKN'KlOS 


de  Tarbes.  De  nombreux  blocs  erra- 
tiques jalonucnl  la  roule  des  f,'laces  el 
restent  là  comme  témoins  irrécusables 
de  cette  période  lointaine. 

A  Argelès  on  abandonne  les  rives  du 
Gave  i)our  traverser  le  massif  qui  sépare 
celle  vallée  de  celle  d'Ossau;  une  roule 
excellente  franchit  le  col  de  Tories  à 
1,799  mètres  et  descond  rapidement  sur 
les  Eaux-Bonnes.  L/  village,  situé  au 
fond  d'une  gorge  piVjfonde,  ne  compte 
qu'une  rue  accrochée  aux  lianes  de  la 
montagne;  à  rextrémilé,  la  montagne 
du  Trésor  donne  naissance  aux  eaux 
célèbres  de  Bonnes.  Celles-ci  étaient 
connues  autrefois  sous  le  nom  d'eaux 
d'arqiiehusades,  et  elles  étaient  regar- 
dées comme  jouissant  d'une  efficacité 
merveilleuse  dans  le  traitement  des  bles- 
sures ;  aujourd'hui  elles  sont  surtout  em- 
ployées dans  les  maladies  de  poitrine. 

Les  Eaux-Bonnes  sont  souvent  le  point 
de  départ  de  courses  de  hauts  sommets, 
et  la  première  ascension  de  tout  alpi- 
niste qui  arrive  dans  le  pays  est  celle  du 
pic  de  Ger,  qui  domine  toute  la  vallée. 
La  vue  que  l'on  découvre  du  haut  de  cet 
observatoire  est  de  toute  beauté,  car  le 
pic  de  Ger  se  trouve  en  face  d'une  admi- 
rable suite  de  hauts  sommets. 

Non  loin  des  Eaux-Bonnes,  nous  avons 
encore  à  visiter  les  Eaux-Chaudes,  ainsi 
nommées,  probablement,  parce  qu'elles 
sont  presque  froides  :  eaux  pour  les 
dames.  Aussi  ne  trouve-t-on  dans  les 
hôtels  que  quelques  maris  compatissants, 
égarés  au  milieu  des  baigneuses  qui  vien- 
nent chercher  la  santé  aux  Eaux-Chaudes. 

Comme  leurs  voisines  les  Eaux-Bonnes, 
celles-ci  eurent  une  véritable  célébrité 
sous  les  rois  de  Navarre  :  Henri  IV  y 
mena  la  belle  M""  de  Fosseuse  et  vou- 
lait exiger  que  sa  sœur  l'accompagnât; 
mais  elle  refusa  énergiquement  et  vint 
seule  quelques  années  plus  tard,  ce  que 
rapporte  l'inscription  suivante  : 

A     DAME     CATHERINE 

DE    FRANCE 

SŒUR     DU     ROI     TRÈS     C  U  R  É  T  I  E  N 

HENRI    IV 


La  gorge  du  Ilourat  qui  conduit  aux 
IOaux-(>haudes  est  une  des  plus  étroites 
des  Pyrénées,  aussi  les  ingénieurs  ont-ils 
dû  tailler  la  route  en  plein  roc  vif. 

Au  delà  de  l'établissement  thermal  la 
vallée  remonte  vers  la  haute  chaîne,  cl 
à  (jabas  se  fait  l'ascension  du  pic  du 
Midi  d'Ossau. 

Celle  curieuse  pyramide  de  porphyre, 
haute  de  2,880  mètres,  est  isolée  de 
toutes  paris;  elle  occupe  le  centre  d'un 
immense  cirque  de  montagnes.  Son 
ascension  était  des  plus  ardues,  mais 
aujourd'hui  elle  est  devenue  facile  de- 
puis que  l'on  a  scellé  des  barres  de 
fer  dans  la  cheminée  qui  conduit  au 
sommet. 

Les  conditions  d'isolement  de  celte 
montagne  m'ont  permis  de  savoir  à  peu 
près  de  combien  les  Pyrénées  ont  di- 
minué de  hauteur  depuis  le  commen- 
cement de  la  période  géologique  ac- 
luelle. 

D'après  une  observation  de  ^L  de 
Bouille,  l'on  sait  que  ce  pic  lance  conti- 
nuellement des  débris  de  rocher  :  blocs 
énormes  quelquefois  et  qui  roulent  le 
:  long  de  ses  pentes.  Aujourd'hui  tous  ces 
blocs  d'éboulement,  même  les  plus  volu- 
mineux, ne  franchissent  jamais  une 
limite  déterminée.  L'on  trouve  cepen- 
dant des  blocs  de  même  origine,  beau- 
coup plus  loin  :  il  est  donc  permis  de 
supposer  que  lorsque  ceux-ci  se  sont  dé- 
tachés du  sommet,  celui-ci  avait  une 
force  deprojection  beaucoup  plus  grainde, 
qu'il  était  plus  élevé.  Il  est  donc  pos- 
sible d'établir,  d'après  ces  deux  obser- 
vations, une  sorte  de  proportion  :  par 
le  calcul,  nous  trouverions  qu'au  lieu  du 
chiffre  de  2,880  mètres  que  mesure  au- 
jourd'hui ce  sommet,  il  faudrait  lui 
assigner  plus  de  6,000  mètres.  J'ajou- 
terai qu'une  autre  série  d'observations, 
difîérenîes,  il  est  vrai,  et  qui  ont  trait 
au  remplissage  de  la  vallée  de  la  Ga- 
ronne, me  permet  de  dire  que  les  Pyré- 
nées devaient  s'élever  primitivement  à 
8,000  mètres  environ. 

Eugène    Trutat. 


LES    SALONS    DE    1897 


CHAMPS-ELYSKES 


LA     P  i:  I N  T  U  H  I . 

Je  mêlais  trop  pressé,  l'an  dernier, 
de  sonner  le  glas  de  ce  pauvre  palais 
des  Champs-Elysées,  condamné  à  la 
mort  sans  phrases  par  l'esprit  autori- 
taire et  mégalomane  des  ingénieurs. 
Voilà  que  son  agonie  s'est  prolongée 
juste  assez  pour  que  nous  ayons  encore 
une  fois,  à  propos  du  Salon,  l'occasion 
de  constater  les  inappréciables  services 
rendus  par  ce  modeste  et  honnête  ser- 
viteur. Cette  fois,  la  mort  est  proche  ; 
le  destin  sera  accompli  lorsque  paraî- 
tront ces  lignes.  La  pioche  des  démo- 
lisseurs n'attendait  plus  que  le  départ 
des  tableaux  pour  faire  tomber  en  même 
temps  murailles  et  arbres.  Dieu  veuille 
que  les  regrets  ne  soient  pas  trop  cui- 
sants et  que  les  splendeurs  promises  ne 
se  montrent  pas  trop  inférieures  au 
terre  à  terre  des  réalités  disparues  !  Les 
palais  bleus  du  Champ  de  Mars  tombe- 
ront en  même  temps.  Hélas!  trois  fois 
hélas  I  Les  deuxSalons  rivaux  sont  partis 
conjointemeni  eu  ((uéle  du  local  problé- 
mati(|ue  que  (IdII  leur  (■i'('cr  l'adminis- 
tration. L'ère  des  diflicultés  commence, 
(îrand    merci   poui-  l'adininistralion  1 

l"]tail-ce  suite  de  la  crainle  de  man- 
quer d'un  gîte  convenable  pour  celte 
année,  ou  simplement  un  résultat  de 
contingences  fortuites?  Je  ne  sais,  eu 
vérité  ;  mais,  ce  qui  est  certain,  c'est 
qnr  le  Salon  drs  Cliainps-l'Ilysées  était 
faible,  plus  faible  (piil  n'a  jamais  été. 
Le  [jiiblic,  même  le  moins  Champ  de 
NLai's,  a  été  MMaiilin<'  sur  ce  poiul.  Il 
n'est  pas  jusqu'à  la  sculpture  (pii  ne  se 
soit  montrée  moins  nourrie  que  de  cou- 
tume. Le  syslème  des  compensai  ions, 
[jar  Cdutic,  a  voulu,  fort  heureusemeni, 


que  l'exposition  de  l'avenue  I{app  se 
présentât  à  nos  regards  sous  les  dehors 
les  plus  aimables  et  les  plus  brillants. 

Les  Salons  sont  fermés.  Avantage  ou 
désavantage,  profitons-en  pour  envisa- 
ger les  choses  de  loin  et,  si  possible, 
avec  l'impartialité  du  juge  de  camp  qui, 
après  la  bataille,  enregistre  les  victoires 
et  les  défaites.  Toutefois,  pour  la  com- 
modité et  la  rapidité  du  style,  et  aussi 
pour  éviter  de  dangereux  subjonctifs,  je 
conserverai  la  forme  du  présent  et  sup- 
poserai que  lesdits  Salons  sont  encore 
ouverts. 

.lEAN  -  l'A  n,     I.AIIRKNS 

Le  [ircmier  tableau  (jui  saisit  l'atten- 
tion du  visiteur,  autant  par  les  caractères 
de  son  dessin  que  par  ses  dimensions  inso- 
lites, c'est  l'immense  peinture  décorative, 
le  L,iur;i(/u!ii.'!,  destinée  au  Capitole  de 
Toulouse.  Le  ferme  et  austère  talent  di' 
AL  Jean -Paul  Laurens  s'y  est  afiirmé 
avec  une  décision  qui  ne  saurait  laisser 
place  à  l'indilTérence.  L'dïuvre  a  été 
vigoureusement  discutée  :  c'est  bon 
signe;  elle  est  digiu»,  en  tout  cas,  d'in- 
spirer le  respect,  .lai  ciileiulu  bien  des 
gens  s'étoiuier  do  rencontrer  dans  une 
composition  murale  ces  grands  espaces 
vides  (pie  rien  n'éveille,  ces  croupes 
(le  cliaiiine  que  nul  accident  u'iuler- 
rom[)l,  celle  moiiolonio  achromati(pi<' 
qui  éloigne  volontairement  l'esprit  «le 
toute  vibration  lumineuse.  Je  demande 
cependant  la  permission  d'exprimer  net- 
tement mes  sympalhies  pour  une  «euvic 
(|iie  je  considère  comme  très  forte,  très 
p.irlieiilière,  <'l,  dans  sa  nudité  même, 
très  ornementale.  Cligne/,  des  yeux,pla- 
ci'z-vous  au  recul  voulu,  insistez  au 
besoin,  et  vous  r("Coiinailrez  avec  moi 
(pie    le^  lignes  de  ce   paysage   oui     une 


I,KS    SALONS    DIO    IJ'.n 


fjrandeur  exlrcme,  que  ces  Ixeul's  ac- 
couplés, qui  traînent  la  charrue,  et  dont 
le  dessin  fruste  vous  a  tout  d'abord  causé 
quelque  surprise,  ont  une  qualité  maî- 
tresse, rare  en  tout  temps,  le  style,  que 
ce  parti  pris  d'inertie  lumineuse,  sans 
aucun  souci  des  ambiances  que  recher- 
chent les  harmonistes,  n'est  pas  quan- 
tité négligeable,  que  tout  cela  est 
destiné   à   accentuer  la    puissance    syn- 


blant.  On  retrouverait  des  sensations 
analogues  dans  les  descri[)tions  si  naï- 
vement exactes  de  M.  Edouard  Pouvil- 
lon  ;  ce  n'est  pas,  h  mon  avis,  un  mince 
éloge. 

HIJMII     MAEITIN 

Si  vous  aimez  les  antithèses,  tournez- 
vous  vers  l'autre  paroi.  \'oici   l'étrange 


iuture  décorative,  par  M.  J.-P.  Laureu-. 


fhétique  des  lignes,  que  la  sauvagerie 
du  dessin  et  le  dédain  des  vaines  parures 
conviennent  enfin  à  merveille  à  une  pein- 
ture qui  doit  rester  au  mur  et  échapper 
aux  caprices  de  la  mode.  M.  Laurens  est 
un  Mérovingien,  j'en  conviens;  son  pay- 
sage nous  reporte  à  des  temps  barbares, 
c'est  entendu  ;  mais  soyez  sûr  qu'en  le 
voyant  ainsi,  l'artiste  n'a  rien  abandonné 
de  ses  sincérités  habituelles.  Je  ne  con- 
nais point  le  Lauraguais,  ce  pays  de 
Laurac,  dont  Saint-Papoul  est  la  capitale; 
je  suis  néanmoins  persuadé  que  le  por- 
trait de  cette  nature  agreste,  pastorale 
et    dénudée    est    parfaitement     ressem- 


composition  de  M.  Henri  Martin,  Ver.i 
l'abimc,  où  tout  est  lumière  et  vibra- 
tion. L'allégorie  est  claire,  elle  n'a  guère 
besoin  d'explication,  et  sa  philosophie 
est  à  la  portée  de  tous  ;  c'est,  si  vous 
voulez ,  l'éternelle  poussée  humaine  à 
la  poursuite  du  mirage  décevant  de  la 
volupté  ;  mais  ce  n'est  pas  pour  le  sym- 
bole qu'elle  m'intéresse.  Ce  que  j'aime 
et  suis  avec  la  plus  vive  attention  chez 
M.  Henri  Martin ,  c'est  le  praticien 
oseur,  épris  des  subtils  raffinements, 
l'adaptateur  très  personnel  des  effets  de 
plein  air  à  la  peinture  allégorique  et 
décorative.  Marier  Claude  Monet  à  Che- 


CHAMPS-ELYSEES 


navard  :  lâche  diabolique,  mais  non  inl'é- 
conde.  Comme  chez  M.  Tatlegrain,  autre 
paysagiste  à  tendances  apothéotiques  et 
philosophiques,  c'est  le  cadre,  c'est  le 
milieu,  le  décor  qui  constituent  la 
recherche  essentielle  ;  chez  M.  Martin, 
celle-ci  se  complique  des  plus  rares, 
des  plus  exquises  préoccupations  de 
l'ambiance  lumineuse.  Ses  tableaux 
m'ont   laissé    le    souvenir    de    plusieurs 


aux  ailes  de  chauve-souris  et  à  la  ceinture 
de  pavots,  n'est  pas  d'une  tonalité  exquise, 
de  même  le  ciel  pâle  qui  luit  dans  les 
profondeurs  de  l'élher,  de  même  ces 
onjbres  ténues,  aux  transparences  vio- 
lacées. M.  Martin  a  d'autres  qualités  en- 
core :  il  a  le  sens  du  geste,  du  mouve- 
ment, l'aptitude  à  grouper  les  formes  en 
des  rythmes  inédits  ;  il  a  la  curiosité 
des  grâces  féminines,  parfois  délicieuse- 


JI.  Ilriin  .\Liiti 


aspects  de  radiation  ensoleillée  d'une 
qualité  véritablement  admirable.  II  faut 
ajouter  que  le  procédé  de  l'urlistc, 
intermédiaire  entre  le  strié  et  le  poin- 
tillé, joue  un  rôle  capital  dans  les  ed'ets 
saisissants  de  luminosité  auxquels  il 
atteint;  il  nous  force  à  regarder  et  à 
achever,  par  la  distance,  des  toiles  des- 
tinées à  être  éloignées  de  notre  œil  :  -  la 
distance  ,  facteur  essentiel  et  cpion 
oublie  (ro|)  lors(|u'il  s'agit  de  juger  cer- 
tains tableaux!  Faites -en  rcxpéi'ionc(^ 
pour  celui  de  M.  Henri  Martin,  oX  vous 
nie  direz  si  la  dune,  dans  laquelle  dévale 
le  lorrcnl  ininiain  à   la   siillc  de  la  "oulc 


ment  attirantes,  et  des  élégances  pré- 
cieuses. Je  le  tiens  pour  un  peintre  (h- 
race  et  de  tempérament,  pour  un  des 
mieux  doués  de  la  jeune  génération  ; 
j'aime  sa  conviction ,  sa  ténacité  ,  son 
élan,  son  état  d'âme  que  rien  ne  rebute 
et  qui  le  soutient  dans  son  incessante 
montée  vers  l'idéal  choisi;  j'aime  jus- 
(|u'à  ses  erreurs,  ses  trébuchements,  ses 
audaces  a;jressives. 


iMini    iiiioi' I  If.  r:  r 


Il  était  aise  de   prt-voii-  que  la   récep- 
(111  du  tsar  à  l'aiis  susi'ili'rail  uu  débor- 


I.KS    SALONS    DU    1897 


dcment  de  toiles    commémoralives.   A   1   s'est  donné  carrière.  Je  dois  cependant 
moins  d'être  un  David,  il  est  bien  difli-   |   faire  exception  pour  M.  André  Brouillet, 


Réception  du  Tsar  ù  iAcaih'mie/iani;aise,  p:ir  JI.  André  Brouille 


cile   de  tirer  œuvre  d'art  de  ce  genre  i  dont  la  facture  délicate,   les  habitudes 
officiel.   Comme  toujours,  la  médiocrité   |   d'observation   véridique  se   sont  appli- 


cil  AM  l'S-ELYSEES 


quées  à  nous  rendre,  dans  son  inlimitc 
cordiale,  la  visite  à  l'Académie.  La  re- 
production qui  accompagne  ces  lignes 
suffit  à  montrer  tout  ce  que  l'artiste  a  dé- 
ployé dans  cette  page  d'illustration,  de 
conscience  et  de  talent. 
Chacune  des  physionomies 
est  à  reconnaître,  et  nos 
lecteurs  s'en  chargeront. 
L'œuvre  a  la  valeur  d'un 
document,  sans  en  avoir 
la  sécheresse;  j'y  voudrais 
seulement  plus  d'écritun- 
artiste  et  la  suppression 
de  certains  détails  trop 
précis  ou  inutiles,  comme 
les  lustres  à  gaz.  Ayant  été 
des  premiers  à  remarquer 
les  débuts  de  Brouillet,  je 
suis  heureux  de  constater 
une  fois  de  plus  qu'il  n'a 
pas  menti  à  ses  promesses 
et  qu'il  a  côtoyé  assez 
adroitement  les  écueils 
d'un  sujet  périlleux. 


Saluons  avec  respect  el 
admiration     M.     Hébert  ; 
plus  beau  cas  de  longévité 
et    de    probité   artistiques 
ne  saurait  être  proposé  en 
exem[)le    à    la    génération 
nouvelle.  Ne  vous  semble- 
t-il   pas  que  le  peintre  de 
la  Mnhirln   appartienne  à 
une  autre  époque  ?  Et  ce- 
pendant   quelle  jeunesse, 
quel     entrain     et     quelle 
grâce  dans  ce  l'orlriiil  (/<■ 
.1/'""  //....'  Rien   n'y  trahit  la   ukiIm   dé- 
faillante de  l'octogénaire.  Je  dirai  même 
que    jamais    l'artiste    n'a     caressé    une 
[)hysionomie  d'un  |)inceau  plus   délicat 
el    plus    allc'iitif.    La    fourrure,    la  robe 
de    vcloui-s   ni)ir,    li-   col    de  gui|)ure,  le 
petit  grillon  aux  yeux  éveillés,  puis  le 
calme,  expressif  et  souriant  visage  d'un 
modèle  vanté  pour  sa  beauté,  tout  cela 
est  rendu  à  perfection,  par  des  accents 


assoupis  et  d'une  tendresse  charmante. 
M.  Hébert  pourrait  dire  comme  Ho- 
kousaï  :  «  J'espère  que  j'arriverai,  au 
delà  de  la  centaine,  à  cet  état  supé- 
rieur, indéfinissable,    où   pas   un  point, 


rortrail  de  M'»'  II.,  par  M.  Hubert. 

pas  une  ligne  ne  demeurera  à  mes 
sans  signification.  » 

l!P.N.I.\MIN-(:oNST.VN  1 

Le  l'nrlr.iil  ,1c   M.    Clunnli^inl 
M.   Uenjamin-Constaut,   exposé    e 
gard   du   Poviruil  de   M-'   le  duc 
nulle,     nous    vient    fort    à     i)oiiit 
expliquer  lonic   la   distance    qui    s 


par 
Il   ro- 

pour 
épare 


I.KS    SALONS    DE    1S97 


un  portrait  vrai  d'un  portrait  faux.  Nos 
peintres  ont  aijsolumcnl  perdu  la  notion 
du  porlr:iil  décoratif,  de  ce  genre  oii  les 
reeherciies  de  l'arrangement  ajoutent  à 
la    caracli-risliquo     du    modèle,    qu'ont 


Portrait  de  M.  Cliaiu-hnrd,  p:ir  JI.  Benjamin-Constaut. 


illustré  Rigaud,  Largillière,  les  Anglais 
du  xviii"  siècle,  puis  David  et  Gérard, 
et  dont  Paul  Baudry,  dans  son  Por- 
trait du  (jcnéral  Cousin-Monlauhan,  a 
été  le  dernier  protagoniste.  Le  portrait 
de  M.  Chauchard  est  un  portrait  vrai, 
celui  du  duc  d'Aumale  un  portrait  faux, 
.le  voudrais  avoir  la  place  de  répéter  ce 
qu'un  de  mes  confrères  a  si  bien  dit    à 


ce  propos.  Pour  avoir  manqué  de  sim- 
plicité etcherché  midi  à  quator/c  heures, 
pour  avoir  voulu  compliquer  son  sujet 
d'intentions  secondaires  et  à  proprement 
parler  littéraires,  le  peintre  a  fait  de  ce 
modèle,  pétri  de 
sérénité  souriante 
et  de  bonne  hu- 
meur française  que 
lui  offrait  le  châ- 
telain de  Chantilly, 
un  personnage  at- 
tristé et  souffre- 
teux, de  significa- 
tion morne  et 
vague,  au  milieu 
d'un  décorde  parc 
quelconque,  qui  ne 
caractérise  ni 
Chantilly,  ni  même 
la  France.  Un  banc 
de  pierre,  une  allée 
d'arbres,  des  guê- 
tres, une  culotte  de 
chasse,  une  canne, 
ne  sont,  dans  un 
portrait,  des  acces- 
soires intéressants 
que  s'ils  corro- 
borent efficace- 
ment l'impression 
morale  résultant 
de  la  figure.  Ici  ce 
n'est  pas  le  cas  ; 
ils  ont  la  préten- 
tion d'être  tout  et 
ne  sont  rien. 

Pour  avoir  au 
contraire  regardé 
directement ,  en 
M.  Chauchard, 
l'homme  tel  qu'il 
se  présentait,  sans  ambages,  avec  sa 
vigueur,  ses  habitudes,  sa  rectitude, 
et  tous  ses  dehors  physiques  nette- 
ment et  même  violemment  accusés, 
M.  Benjamin-Constant  a  fait  un  portrait 
de  valeur  documentaire  indiscutable  et 
d'une  harmonie  parfaite.  La  figure  est  si 
parisienne  que  tout  le  monde  aura  pu 
en  reconnaître  l'exacte   et  scrupuleuse 


CHAMPS-ELYSÉES 


véracité.  La  bouche,  en  sa  femielé  mar- 
moréenne et  inflexible,  le  regard, en  son 
acuité  pénétrante,  le  front,  le  nez,  les 
cheveux,  les  favoris,  qui  encadrent  les 
traits  d'un  blanc  éventail,  sont  traduits 
avec  une  impeccable  et  décisive  auto- 
rité. Le  portrait  de 
M.  Chauchard  est 
sûrement,  par  sa 
tenue  d'ensemble, 
un  des  deux  ou 
trois  meilleurs  du 
Salon  des  Champs- 
Elysées,  et,  je  ne 
crois  pas  me  trom- 
per, le  meilleur  de 
son  auteur,  si  l'on 
admet  que  la  res- 
semblance soit, 
pour  un  portrait, 
la  qualité  fonda- 
mentale. 


mais  de  tout  ce  qui  est  de  nature,  dans  les 
accessoires,  à  faire  deviner  l'état  social, 
les  goûts,  les  occupations,  le  caractère 
du  personnage.  Tel  j'ai  vu  M.  Bertrand 
présidant  une  réunion,  la  tète  un  peu 
renversée,    l'œil     demi-clos,    le    sourire 


M.  Bonnat  pour- 
suit intraitable- 
ment  et  victorieu- 
sement la  loyale 
carrière  de  portrai- 
tiste à  laquelle  il 
s'est  voué.  Sa  ga- 
lerie d'hommes  cé- 
lèbres s'est  enri- 
chie d'iiiM'  figure 
qui  n'est  pas  de 
médiocre  significa- 
tion et  qui  comp- 
tera, jeu  ai  le  pres- 
sentiment, parmi 
les     meilleures. 

I/expressif  visage  de  M.  Joseph  Ber- 
trand, l'illustre  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  sciences,  est  si  connue, 
qu'il  est  aisé  d'en  contrôler  la  ressem- 
blance. Celle-ci  est  prodigieuse,  car 
M.  Bonnat  s'entend  à  ne  négliger  aucun 
détail.  A  ses  yeux  rien  n'est  inutile  pour 
déterminer  un  modèle.  Je  ne  parle  pas 
sculonieni  des  (rails  physionoiuitpics 
(pi'il  souligne  de   la  l'a(,'oii  que   l'on  snil. 


Portrait  ./c  .1/.  ./oscjik  licrtrnifl,  p.ir  M.  Boiiiiat. 


narquois  e(  bon  enfant,  la  jiarole  [irélc 
à  voler,  claire,  vibrante,  bien  timbrée, 
la  main  dans  la  poche,  la  chemise  bom- 
bée, le  gilet  largement  échancré  et  dé- 
coré d'une  grosse  chaîne  d'or,  l'allilude 
aisée  de  l'homme  maître  d<'  lui,  bien- 
veillant, point  vaniteux,  tel  je  le  vois, 
frappé  en  médaille,  dans  le  portrait  de 
M.  Honnal. 

Je  sais  ce  que  les  anus  des  exéculions 


LlîS    SALONS     DK     1897 


attendries  et  souples  reprochent  à  lii 
peinture  robuste  et  copieusement  ma- 
çonnée de  M.  Donnât;  je  sais  ce  qui  lui 
manque,  mais  je  sais  aussi  tout  ce 
qu'elle  a,  et  ce  qu'elle  a  est  de  iircmière 
force,  surtout  quand  le  peintre  s'en 
tient  au  morceau  d'étude,  comme  dans 
le  Ih'cnrd  ou  dans  le  lierlrand.  En 
somme,  nul  aujourd'hui  ne  va  aussi 
loin    dans    rexactilude     formelle,     nul 


n'incise  avec  autant  de  fermeté  le« 
lignes  d'un  visage  humain,  nul  ne  simule 
mieux  les  apparences  de  la  vie,  nul,  par 
conséquent,  ne  donne  à  celui  t|ui  pose 
la  certitude  du  résultat;  grande  sécu- 
rité, qui  est  pour  beaucoup,  cela  est  évi- 
dent, dans  l'universel  succès  de  l'artiste. 
M.  Bonnat  honore  son  art  par  la  con- 
viction qu'il  y  apporte;  il  est  un  des 
plus  beaux  exemples  que  je  connaisse 
de  conscience  professionnelle. 


Il  I   M  HE  in 


Portrait  de  M.  André  If.,  par  M.  Humbert. 


Idéaliste,  réaliste  ou  pitto- 
resque, le  portrait  ne  saurait 
s'éloigner  des  lois  imprescrip- 
tibles de  la  vérité.  Un  peintre 
de  la  haute  intelligence  de 
M.  Ferdinand  Ilumberl  ne 
pouvait  l'oublier.  Ses  portraits 
nous  olFrent,  à  doses  heureu- 
sement combinées,  le  mélange 
des  trois  facteurs  essentiels. 
Tout  en  restant  sévèrement 
exact  et  fidèle  à  l'impérieuse 
éloquence  de  l'expression  mo^ 
raie,  il  incline  volontiers  vers 
une  légère  prédominance  du 
pittoresque. 

M.  Humbert  est  un  concentré 
et  un  modeste,  un  inquiet  tou- 
jours mécontent  de  lui  et 
toujours  préoccupé  d'affiner 
ses  sensations.  En  cela  il 
m'intéresse  profondément ,  et 
je  n'hésite  pas  à  saluer  en  lui 
un  des  artistes  qui,  grâce  à  cet 
incessant  amour  du  mieux  et  à 
un  persévérant  désir  d'alîran- 
chissement,  honorent  le  plus 
notre  jeune  école. 

M.  Humbert  est  avant  tout 
portraitiste,  quoiqu'il  n'ait 
point  dédaigné  d'affirmer  sur 
d'autres  terrains  ses  belles  apti- 
tudes. Il  est  portraitiste  par 
les  côtés  délicats  et  sensitifs, 
et  aussi  par  des  qualités  d'ar- 
rangement et  de  goût  dont  je 
lui  sais  le  plus  grand  gré.  Le 


ClIAMl'S-ÉLYSÉKS 


portrait    de    M""^    Héglon,    au    dernier 
Salon,   était   bien  près  d'être   un  chef- 


fausses    recherches    et    sans    alTcterie. 
J'en    aime  la  svelte  élégance,   la  sou- 


nutiiaiiles,  pai-  M.  Jlr 


d'œuvrc;  celui  de  son  lils,  qu'il  exi)0sc 
celte  année,  ne  lui  est  pas  inférieur.  Un 
l)el  adolescent  en  tenue  de  salle  d'armes  ; 
voilà   le  motif,  traité  simplement,  sans 


plesse  désinvolte,  lu  savante  harmonie, 
jouant  dans  les  },'"'i!^,  *"•  i^'^'H^'  muxeuvre 
rapide  de  la  brosse  à  laquelle  le  peintre 
non-,    :i   habitués,   ri    (in'il    tend   chaque 


I-ES    SALONS    DK    1S97 


jour  à  rendre  plus  cursivc  el  plus 
Ihétique. 


^yn- 


M  i:n  H  I    1111^  i:n 


J'ai,   je  l'avoue,   une  [)référence    ins- 
linctive  el  incorrigible  pour  le  portrait. 


intention  expressive,  une  émotion  vive- 
ment ressentie.  La  revue  en  est  vile 
faite  aux  Champs-I'^lysées,  mais  encore 
y  aurait-il  déni  de  justice  à  passer  in- 
diU'érenl  devant  des  toiles  aussi  remar- 
quables   à   divers  lilrcs    que  celles  de 


>■,  par  M"*-'  Dufau. 


Le  portrait  occupe,  selon  moi,  le  sommet 
de  l'art;  il  en  est  la  force  et  la  vertu; 
il  est  noire  gloire  par  excellence,  à  nous 
Français.  Aussi  ne  s'étonnera-t-on  pas 
si  je  cours  d'une  haleine  aux  œuvres 
qui  mettent  en  jeu  la  physionomie 
humaine,  le  geste  humain,  la  vie  et  le 
mouvement  des  individus,  celles  où  je 
rencontre   une    observation    juste,   une 


M.  Henri  Royer,  de  M'"'  Dufau,  de 
M.  Geoifroy,  de  M.  Fouqueray  el  du 
prestigieux  M.  Struys. 

Le  thème  des  Conimnnianles  nesl  pas 
neuf.  Depuis  M.  (lervex  il  a  été  traité 
à  satiété,  mais  il  est  inépuisable.  Géné- 
ralement on  y  cherche  un  prétexte  à  la 
symphonie  des  blancs.  M.  Royer  y  a 
vu  les  éléments  d'une   élude  physiono- 


CIlAMPS-ÉLVï^EK; 


mique  ;  bien  lui  en  a  pris,  car  il  en  a  1  de  l'observation  juste,  de  la  vie  et  de  la 
tiré  un  tableau  d'observation  intime  et  I  lumière,  un  des  meilleurs  du  Salon,  le 
délicate.  Je  vou- 
drais seulement 
plus  de  précision 
et  de  dessin  dans 
les  fonds  et  les  ac- 
cessoires. 


Pour  le  critique 
qui  a  su  discerner, 
dans  le  modeste 
début  d'un  artiste 
ignoré  la  veille, 
la  certitude  des 
triomphes  pro- 
chains ,  il  y  a 
comme  un  plaisir 
qui  ressemble  un 
peu  à  de  l'amour- 
propre  d'auteur. 
Je  me  réjouis  du 
succès  de  M"'"  Du- 
fau,  d'abord  parce 
que  je  la  sais  vail- 
lante et  méritante, 
et  ensuite  parce 
qu'à  lui  seul  il 
suffirait  à  justifier 
une  mesure  à  la- 
quelle j'ai  vigou- 
reusement ap- 
plaudi :  l'admission 
des  femmes  dans 
les  ateliers  de  l'E- 
cole des  beau.x- 
arts.  l']n  trois  ans, 
le  talent  de  cette 
jeune  artiste  a 
conquis  une  matu- 
rité que  bcaucouj) 
de  ses  émules,  et 
des  ])lus  habiles, 
pourraient  lui  en- 
vier. Le  tableau 
de  cette  année,  où 
des  Enfttnls  de 
murinicrs  s'ébattent 
et  des   [jéniches,    est, 


.1  Ui  Vircl,.-,  ,,:,r  M,  Geolïn.y. 

sur  des    barques   I   meilleur  peut-èlrc,  aveccclui  de  M. 
au   i)oint  de  vue  ]   queray,  parmi  ceux  (|ui  portent  un 


Fou- 
nom 


l.liS    SALONS    1)1-:     isii-; 


nouveau.  M"''  Dul'au  —  je  ne  saurais 
assez  l'en  louer  —  ne  s'est  poinl  laissé  dé- 
tournpr  du  bul  (|u'cllo  s'était  proposé  :  la 
peinture  do  la  ligure  humaine,  cl  spécia- 
lement du  nu,  dans  l'ambiance  du  plein 
air.  Problème  capital  dont  les  plus 
grands  maîtres  de  l'heure  présente  ont 
reconnu  l'urgence.  M""  Dufau  l'aborde 
par  les  solutions  les  plus  difficiles  et  avec 
une  franchise  délibérée,  une  énergie 
presque  virile.  Jetez  les  yeux  sur  la 
reproduction  ci-jointe,  et  vous  verrez 
sans  peine  combien  les  formes  ont  de 
certitude,  le  dessin  de  solidité,  et  com- 
bien il  a  fallu  d'adresse  heureuse,  d'étude 
intelligente  et  de  goût,  pour  donner  à 
cette  composition  ramassée,  presque 
sans  horizon,  et  de  signification  pro- 
saïque, le  vibrant  des  choses  vécues  et 
le  prestige  de  la  lumière.  M""  Dufau  a 
trouvé  sa  voie;  qu'elle  s'y  tienne.  C'est 
le  souhait  que  je  me  permets  de  lui 
adresser. 

G  F  o  K  K  n  o  1 

Dans  le  tableau  de  M.  GeolFroy,  A  la 
Crèche,  clair,  lumineux,  transparent, 
d'expression  si  délicatement  nuancée,  je 
ne  vois  pas  trop,  étant  donné  qu'il  s'agit 
d'un  tableau  de  genre,  ce  qu'il  y  aurait 
à  reprendre.  Je  surveille  depuis  plu- 
sieurs années  les  recherches  sincères  de 
cet  artiste,  aux  tendances  bien  françaises 
et  bien  parisiennes,  et,  sauf  sa  facture 
encore  un  peu  mince,  rien  ne  pouvait 
ajourner  davantage  la  réussite  de  ses 
elTorts.  M.  Geoffroy  était  parti  en  cam- 
pagne avec  les  procédés  et  le  tempéra- 
ment d'un  illustrateur:  il  arrive  à  ses 
fins  avec  l'élolTe  d'un  peintre  épris  des 
subtiles  manifestations  de  la  vie.  L'œuvre 
est  charmante,  dans  son  enveloppe  de 
lumière  blanche  qui  filtre  à  travers  les 
rideaux;  elle  est  charmante  aussi  par 
le  calme  et  le  silence  qui  y  régnent; 
charmante  enfin  par  les  finesses  de  des- 
sin qui  en  relèvent  la  grâce.  L'image  qui 
accompagne  ces  lignes  supplée  aisément 
à  toute  description  écrite  et  traduit, 
sans  trop  les  transposer,  servie  par  la 
monochromie  de  l'original,  tout  en  blanc 


et  noir,  les  aimables  trouvailles  d'exécu- 
tion et  d'expression  dont  il  abonde. 


Je  regrette  de  ne  pouvoir  montrer  ici 
l'admirable  tableau  de  M.  Struys,  (Jon- 
xoler  les  afflit/és,  antérieurement  repro- 
duit, sous  un  autre  titre,  par  le  Monde 
moderne  (avril  1895)  et  celui  singu- 
lièrement remarquable  aussi,  dans  un 
tout  autre  genre,  de  M.  Fouqueray, 
la  Biilaille  de  TrafaUjar ,  épisode  de 
r  "  Achille  >'.  \'oiei  cependant  deux 
œuvres  qu'il  ne  faut  pas  hésiter  à  mettre 
à  la  tète  des  plus  marquantes  de  1897. 

M.  Struys,  de  Malines,  est  aujour- 
d'hui le  premier  peintre  de  la  Belgique: 
c'est  un  maître  acclamé  comme  tel  en 
Europe;  les  collections  publiques  se 
disputent  ses  œuvres  et  notre  adminis- 
tration des  Beaux-Arts,  en  dépit  de  son 
bon  vouloir,  n'a  pu  encore  en  acquérir 
une  seule  pour  nos  musées.  Le  Monde 
moderne  a  célébré,  dans  une  étude  spé- 
ciale, ce  peintre  aux  coulées  opulentes, 
aux  tons  profonds,  au  clair-obscur  pres- 
tigieux, à  l'émotion  intense,  qui  fait 
songer  aux  anciens  maîtres. 

Quant  à  M.  Fouqueray,  je  signale  en 
lui  quelques-unes  des  grandes  qualités 
de  dessin,  d'invention  et  d'exécution 
qui  font  les  vrais  artistes.  Cette  bataille 
de  Trafalgar  m'est  apparue  poignante 
et  saisissante,  et  je  ne  crois  pas,  en 
vérité,  qu'aucun  peintre,  sans  en  ex- 
cepter l'auteur  de  la  Bataille  d'Eylau 
et  celui  plus  étonnant  encore  du  PonI 
de  Taillebourg,  —  Gros  et  Delacroix, 
excusez  du  peu,  —  ait  encore  osé  péné- 
trer avec  cette  furia,  cette  force  et  cette 
sincérité,  dans  le  vif  des  émotions  trou- 
bles, des  fumées  mauvaises,  de  la  vision 
sanglante  du  combat.  Le  tableau  de 
M.  Fouqueray  n'est  certes  pas,  au  point 
de  vue  technique,  à  l'abri  de  tout  re- 
proche ;  son  ton  de  fresque  n'est  point 
plaisant,  l'inexpérience  y  est  encore 
manifeste  en  bien  des  points;  mais  que 
de  qualités  peu  communes  dans  cette 
œuvre  frémissante  de  fièvre  ! 


cil  AMl'S-KLYSEES 


M.  Roybet  se  soucie,  comme  un  pois- 
son d'une  pomme,  de  l'âme  de  ses  mo- 
dèles. Son  art  est 
tout  en  surface 
et  en  virtuosité. 
Pour  le  plaisir 
de  peindre  les 
cassures  brillan- 
tes d'une  belle 
étoffe ,  il  ven- 
drait, j'imagine, 
son  droit  d'aî- 
nesse. Joie  de 
vivre  et  joie  do 
peindre  sont  sy- 
nonymes pour  ce 
praticien  mer- 
veilleux. Parve- 
nue à  ce  degré 
d'aisance  et  de 
brio,  la  manœu- 
vre du  pinceau 
s'impose  à  l'ad- 
miration des 
l'ouïes.  Ne  vous 
avisez  pas  de  la 
discuter;  on  vous 
jetterait  Frans 
Hais  à  la  têle. 
Etde  fait  ceGuil- 
lemet  en  l'orlc- 
élciidurd  est  un 
miracle  dmit  il 
faut  suliir  l'évi- 
dence. .'Xdmirons 
donc  sans  iiint 
dii-e,  quille  à  ré- 
server IKIS  cH'ii- 
sions     pour     les 

manifestations 
d'une    adresse 
moins  impeccable  et   d'un   lan 
communicatif  et  plus  artiste. 


l'âme  de  l'artiste  devant  son  modèle, 
nous  le  rencontrons  dans  un  délicieux 
portrait  au  pastel  de  M.  Edouard  Danlan, 
Déjeuner.  Imaginez  trois  babys  frais  el 


Polirait  ,1e  M.  Guillemet  eu  Porte-étendard,  jinr  M.  Itnyljet. 


plUï 


Précisémenl,  ce  (pii  mancpieà  .M.  Hoy- 
bel,  ce  je  ne  sais  quoi  de  fugace  el  il'in- 
détinissable,    cpii    est     la    palpilalldri   de 


roses,  autour  d'une  lahle,  devant  leur 
tasse  de  lait,  dans  cet  état  de  douce 
béatitude  que  seuls  apprécient  à  leur 
prix  les  enfants  et  les  clials;  pare/,-les 
des  nuances  les  jjIus  fraîches,  les  |)lus 
gaies,  enveloppez-les  des  caresses  de  la 
lumière,  animez- les  du  souflle  de  la 
vie,  (le  celle  vie  eli;ii'inaiile    doul   nous 


Mis    SALONS    DlC    1X97 


aimonsùsurprendrelesbé{,'ayenientschcz  1   prit,  les  raffinemenls  d'une  composition 
ces  pelils  êlres  où  nous  relrouvons  le  i  déduite  ù  ravir,  les  saveurs  d'une  exé- 


Dtjeunei'j  pastel  yAi  AI.  K.  Dautuii. 


meilleur  de  nous-mêmes,  et  vous  aurez 
le  tableau  de  M.  Dantan.  Ajoutez  à  ce 
canevas,  si  vous  le  voulez,  la  gaieté,  les- 


cution  primesaulière,  les  mille  recher- 
ches innocentes  qui  trahissent  la  ten- 
dresse paternelle,  et  vous   comprendrez 


CHAMPS-ELYSÉES 


pourquoi  j"ai  eu  tant  de  plaisir  à  décou- 
vrir cette  jolie  chose  dans  le  demi-jour 
discret  où  elle  se  dissimulait. 

SOI!  O  L  L  A      \     B  A  S  T  I  D  A 

A-t-elle  assez  fait  parler  d'elle,  il  y  a 
quelques   années,  celte  école  espagnole 


du  plein-airisme  (pardon  du  néologisme) 
et  les  adeptes  convaincus  d'une  saine 
vérité. 

Le  plein-air  de  M.  Sorolla,  on  s'en 
doute,  n'est  point  celui  de  M""  Dufau, 
le  soleil  ardent  de  l'Espagne  n'étant 
point  le  même  que  le  pâle  soleil  des 
environs  de   Paris;   mais    le    jiut    nour- 


Coiimnt  la  toile,  jiar  M.  Sorolla  y  Basti.la. 


recréée  par  les  Kortuny,  les  Villegas,  les 
Domingo!  Que  resle-t-il  aujourd'hui  do 
ce  grand  l'eu  de  paille?  Une  fumée  (]ui 
s'envole  et  le  souvenir  déjà  lointain 
d'une  vogue  passagère.  1/arl  péninsu- 
laire s'étudie  à  se  retremper  dans  une 
communion  plus  intime  avec  la  nature. 
M.  Sorolla  y  Bastida,  dont  la  presse  a 
salué  l'apparition,  il  y  a  deux  ou  trois  ans, 
d'un  concert  enthousiaste,  et  M.  Harrau, 
dont  nous  avons  loué,  l'année  passée,  les 
curieuses  recherches  de  lumière,  repré- 
sentent aujourd'hui  les  tendances  de  la 
nouvelle  école;  ils  y  sont  les  champions 
VI.  —  b, 


i   suivi   est   analogue,    M.   Sorolla  appor- 
I    tant  à  la  réalisation  de  son  ohjeclif  plus 
i   d'emportement,  de   verve,  d'éclat,  mais 
I    aussi  moins  de  linesse,  d'élégance  et  de 
grâce.  Dans  le  tableau  exposé  au  Salon 
de   1897,    M.    Sorolla    nous    donne    un 
aperçu  très  complet  de  son  talent  méri- 
dional, à   savoir  de  son   aptitude  parti- 
culière à  noter  les  jeux  éclatants  de  la 
lumière  à  travers  les  feuilles  des  arhres, 
la  vérilé  et  le  mouvement  des  gestes, 
des  attitudes,  saisis  sur  le  vif,  la  gaieté 
violente  et  un  peu  encanaillée  des  cou- 


LL'S    SALONS    DK    1K97 


M  A  n  l'ii:  MHS 

linfni,  riu'urft  du  Irioniphe  a  sonnd 
pour  l'illuslrc  cl  vaillatil  ailisle.  M.  Ilar- 
pif;nies  a  re(,u  la  giaiule  niùdaille  d'hon- 
neur, que  ses  amis  cl  ses  admirateurs  lui 
avaient  déjà  décernée  depuis  de  nom- 
breuses années.  Dire  la  tenue  imposante, 


et  si  ràf;c  y  apporte  quelques  modilica- 
tions,  c'est  pour  ajouter  encore  à  la  plé- 
nitude de  ses  moyens,  à  la  netteté  de  sa 
conception. 


lùi  réalité,  le  meilleur  de  la  peinture 
contemporaine  peut  être  ramené  au  por- 


Les  Bords  du  Rhùne,  par  M.   Harpignies. 


la  sévérité  de  style,  la  belle  et  juste 
impression  de  nature,  le  sentiment  de 
décor,  qui  font  des  Bords  du  Ehone  et 
de  Solitude  deux  admirables  paysag^es, 
deux  des  plus  beaux  que  le  maître  ail 
rêvés  et  réalisés,  serait,  je  crois,  superflu. 
M.  Ilarpignies  est  comme  ces  vieux 
chênes,  dont  il  excelle  à  peindre  le  port 
robuste  et  que  leur  lente  croissance  as- 
sure d'une  longue  existence;  il  semble 
défier  les  atteintes  du  temps  ;  sa  force 
sereine  est  toujours  égale  à   elle-même, 


trait  et  au  paysage,  portrait  de  l'homme 
ou  portrait  de  la  nature.  Envisagez  le 
Salon  :  le  nu  d'atelier  est  délaissé  (à 
peine  peut-on  signaler  un  morceau  digne 
de  ce  nom,  l'élude,  à  la  Henner,  de  dos 
de  femme  de  M.  Bordes),  la  peinture 
d'histoire  se  meurt,  elle  se  raccroche  au 
paysage;  de  même  l'allégorie,  de  même 
la  peinture  décorative  ;  synthétique  ou 
réel,  le  paysage  est  partout.  C'est  le  signe 
du  temps  et  des  exigences  chaque  jour 
grandissantes  de  l'esprit   rationaliste  et 


cil  AMl'S-ÉLVSÉES 


scienlifique.  Les  paysagistes  purs  sont 
légion.  Les  uns  se  contentent  d'ouvrir 
une  fenélre  sur  la  campagne,  la  forêt,  la 
montagne  ou  la  mer,  sans  prétendre  in- 
terposer leur  personnalité  entre  le  molit' 
à  reproduire  et  le  regard  du  spectateur, 
ce  soait  les  photographes  de  la  nature  ; 
leurs  productions  demeurent  d  intérêt 
secondaire;  daulres  cherchent, dans  les 


regards  ;  ils  cherchent  la  vérité  sans 
petitesse  et  dans  ses  relations  exactes 
avec  le  grand  facteur  de  vie  :  la  lumière. 


C'est  parla  luminosité  que  M.  Higolot 
arrive  à  l'exactitude  intensive  des  formes. 
Déjà,  l'an  passé,  j'avais  été  frappé  de  la 
sensibilité  optique  qu'il   avait  apportée 


La  Route.  <hi  Kar.Uula  à   liou-Siiàdu,  yiar  M.  Rigolot. 


formes  cl  les  couleurs  fpic  leur  offre 
riiiliuir  n.ilurc.des  l'ésullals  de  choix, 
rytlimes,  lignes  ou  valeurs,  propres  à 
llatter  notre  mémoire  par  des  réminis- 
cences agréables  ou  à  éveiller  dans  noire 
osj)rit  des  associations  d'idées  esthéti- 
ques, qu'on  pourrait  qualifier  d'orne- 
mentales; d'autres  enfin,  et  ce  sont  les 
vrais  paysagistes,  ceux  qui  se  glorilieut 
d'avoir  à  leur  tête  les  Millet,  les  C^orot, 
les  Claude  iMoiiet,  clicrclienl  l'àmc  des 
choses,  l'éloquence  profonde  de  ses 
admonestations,  l'éniolion  (pii  s'en  dé- 
gage, ce  (pli  l'sl  SM[)éri(Mir  enliii  et  beau 
dans  les   lalilrau\    (iircllc   met   sous  nos 


à  rendre  les  paysages  sursaturés  de  lu- 
mière du  Sud  algérien.  Il  semblait 
qu'après  Fromentin,  Ciuillaumet,et  sur- 
tout après  M.  Dinet,  le  peintre  attitré 
des  régions  sahariennes,  il  restât  peu  de 
chose  à  dire  sur  les  pavs  du  soleil. 
M.  Rigolot  montre  une  fois  de  jjIus  qu'il 
y  a  bien  des  manières  d'exprimer  les 
mêmes  im[)ressions.  Il  cherche  la  strui- 
turc  exacte,  la  solidité  matérielle  des 
terrains  calcinés  et  rougis  |iar  kîs  feux 
du  ciel,  à  l'aide  du  jeu  délicat  et  extraor- 
dinairement  transparent  de  l'ullra-\  iolet 
dans  les  ombres.  I''n  regardant  atlenti- 
\enieiit  son  tableau  de  la  Hmitc  ilii  /\;ir- 


I.KS    SALONS    DE    1»97 


(/a(/aà /ioH-^S'a<l(/a,  et  il  en  vaut  la  peine,  déjà  cilée,  de  M.  Hordes,   les  paysages 

on  voit  comment  la  qualité  des  ombres,  |  de  M.  Demont,  le  Dimanche  à  Audierne, 

parleur  finesse  extrême, fait  valoirl'éclat  1  de  M.  Duvenl,\a  (jrotlc  aux  sirènes,  de 

des  parties  lumineuses.  M.  Hif,'oIol  doit  i  M.  Faul-Albert  [..aurons, lei'aiVi/Georf/e.t, 


Homme  de  l'âge  de  pierre,  par  M.  Frémiet. 


posséder  un  organisme  de  vision  singu- 
lièrement actif  et  résistant. 


D'autres  œ  uvres  encore  se  sont  recom- 
mandées à  mon  attention  :  le  Sauvetage 
en  pleine  nier,  une  émouvante  marine 
de  M.  Tattegrain,  la  Résurrection  de 
Lazare,  de  M.  Tanner,  aux  préoccupa- 
tions rembranesques,  la  Revue  de  Châ- 
lons,  de  M.  Scott,  aussi  exacte  et  plus 
vivante  qu'un  Détaille,   VElude  de  nu 


de  M.  Berges.  Mon  silence,  commandé 
par  les  limites  de  cet  article,  n'est  point 
du  dédain,  et  je  m'en  excuse,  pour  cette 
année.  La  sculpture  me  réclame. 


L.\    SCULPTURE 


A  parler  franc,  la  sculpture,  aux 
Champs-Elysées,  quoique  pléthorique, 
se  distingue  par  une  indigence  d'œuvres 
sensationnelles.    Le    talent    surabonde, 


\ 


GHAMPS-KLYSÉES 


comme  de  coutume  ;  ce  qui  manque, 
c'est  l'accent  personnel,  original,  la 
vision  aiguë.  Quelle  raison  de  choisir  la 
Faneuse  de  M.  Boucher,  la  Parleuse 
d'eau  de  M.  Guitlel,  la  Perle  el  la 
vague  de  M.  Loysel,  ou  la  Bacchante 
de  M.  Seules,  plutôt  que  le  Potier  de 
M.  Hugues,  le  Sommeil  de  l'Innocence 
de  M.  Barrau,  le  Spleen  de  M.  Vital- 
Cornu,  V Etoile  filante  de  M  Charpen- 
tier, ou  V Homme  aux  loups  de  M.  Jac- 
quot,  toutes  figures  exécutées  selon  les 
bonnes  méthodes  et  dans  l'excellente 
moyenne?  Cette  vision  aiguë,  cependant, 
que  je  demande  à  tous  les  échos ,  je 
l'avais  rencontrée  dans  le  curieux  bas- 
relief,  Pastorale,  de  M.  Desruelles,  un 
nouveau  venu  qui  a  été  récompensé  du 
prix  national.  M.  Desruelles,  retenez 
ce  nom.  Les  figures,  d'une  gracilité 
charmante  et  d'un  modernisme  inédit, 
m'avaient  insidieusement  attiré,  et  je 
me  proposais  de  leur  donner  ici  la  pre- 
mière place.  Malheureusement,  l'impos- 
sibilité de  tirer  une  bonne  épreuve  pho- 
tographique de  ce  plâtre  perdu  dans 
l'ombre  et  maquillé  par  l'artiste  d'une 
sauce  inopportune,  me  prive  de  la  satis- 
faction d'en  mettre  une  reproduction 
sous  les  yeux  de  nos  lecteurs.  Force  est 
donc  de  m'en  tenir  à  quelques  ouvrages 
qualifiés  des   coryphées  de  la  statuaire. 


M.  Frémiet  achève  son  cycle  du 
Muséum  d'histoire  naturelle.  Naguère 
c'était  la  lutte  de  l'humanité  primitive 
contre  son  redoutable  adversaire,  le  go- 
rille. Aujourd'hui,  nous  assistons  à  la 
lutte  non  moins  terrible  de  l'homme  des 
cavernes  contre  l'ours.  On  sait  que 
M.  Frémiet  est  un  animalier  de  premier 
ordre.  Le  succès  lointain  de  son  déli- 
cieux /)énicheur  d'oursons  est  revenu 
sans  doute  c'i  sa  mémoire  ;  les  oursons, 
gourmands  de  miel,  oui  grandi,  ce  sont 
maintenant  des  aiiini.uix  formidables, 
aux  mâchoires  |)uissantcs,  c|ue  l'homme 
combat  à  coups  d'éjjieu.  M.  Frémiet  a 
su  tirer  un  grand  parti  décoratif  de  ce 
lliènic    |)itliircs(iue. 


M.    Mercié,    habile    entre    tous    à   la 
conception  des   monuments    funéraires, 


Tombeau  d,-  .)/'"»  Carmlho,  par  M.  Mcix-ié. 

—  souvenez-vous  des  admirables  tom- 
beaux de  M'""  Charles  Ferry,  de  Micho- 
let,  de  Paul  Baudry.  —  et  coulumier  des 
poétiques  envolées,  symboles  de  l'au 
delà,  était  tout  désigné  pour  exécuter  la 
stèle  destinée  à  commémorer  la  divine 


I.KS    SALONS    DlC    1H97 


chanteuse  qui  avait  charmé  noire  jeu- 
nesse, M"""  Miolan  Carvalho.  C'est 
M.  Mercic  qui  a  imaginé  et  mis  à  la 
mode  ces  (igures  en  demi-relief  qui  sem- 
blent s'échapper  du  marbre.  On  sait  le 
parti  que  lui  et  d'autres  à  sa  suite, 
comme  M.  Puecli,  en  ont  tiré;  comment 
il    les    a   animées  de  mouvement  et   de 


Li-Hung-Tchang ,  par  il.  Bernstamm. 


grâce   et     par     quels     artifices    savants 
d'exécution,  par  quels  jeux  de  lumière 
délicats,   il  est  parvenu  à   leur  donner 
l'apparence  de  la  vie,    d'une  vie  imma 
térielle,  fluide  et  spiritualisée. 

La  figure  de  M'"'^  Carvalho  occupe  la 
stèle  dans  sa  hauteur  :  c'est  Marguerite 
s'élevant  au  ciel,  Marguerite  à  la  dernière 
scène  de  Faust,  les  mains  unies  dans  la 
prière,  les  cheveux  dénoués,  le  visage 
illuminé,  la  longue  robe  blanche  dé- 
roulée au  vent...  «  Ange  pur,  ange  ra- 
dieux... »  \'ous  entendez  d'ici  la  mu- 
sique de  Gounod,  les  harpes,  les  voies 


célestes...  M.  Mercié,  avec  son  tact  avisé 
et  en  véritable  artiste,  a  trouvé  encore 
une  fois  la  note  juste. 


Les  bustes  sont  légion.  Il  faut  choisir. 
Je  m'en  tiens  à  deux  :  celui  de  M.  Pucch, 
de  Jules  Ferry,  commandé,  sans  doute, 
pour  la  galerie  des 
pi'ésidents,  au  Sé- 
nat ,  magnifique 
rossouvenance  de 
l'admirable  buste 
de  Chapu,  du  Sa- 
lon de  \m.) ,  et 
celui  de  M.  Hern- 
slamm,  du  fameux 
envoyé  du  Fils  du 
Ciel,  Li-Hung- 
Tchang,  de  co- 
pieuse mémoire. 

Le  buste  de 
M.  Puech  est  d'une 
exécution  assou- 
plie qu'on  ne  peut 
s'empêcher  de  dé- 
clarer merveil- 
leuse; ^L  Puech 
s'entend  comme 
nul  autre  à  cares- 
ser le  marbre.  Ce 
buste  est,  de  plus, 
d'un  caractère  no- 
ble et  grave,  d'une 
ressemblance  par- 
faite, et  tous  ceux 
qui  ont  connu  le 
grand  homme  d'Etat  n'ont  pu  le  regar- 
der sans  émotion. 

Li-Hung-Tchang,  au  contraire,  est 
toute  vie  et  toute  malice  ;  l'œil  pétille, 
narquois  et  impénétrable,  œil  d'Oriental, 
bridé  et  à  demi  couvert;  le  nez  frémit, 
les  joues  se  creusent  sous  le  sourire  de 
la  bouche  que  dissimule  la  moustache 
emmêlée,  la  barbiche  inculte  et  mal 
tenue  retombant  sur  la  veste,  l'illustre 
veste  jaune  qui  a  fait  courir  tout  Paris. 
De  celte  physionomie  à  caractère. 
M.  Bernstamm  a  tiré  un  véritable  chef- 
d'œuvre  d'observation  intense  et  de  fac- 


CHAMPS-KLYSÉES 


lure  primesautière.  J'admire  comment 
l'artiste  est  parvenu  à  faire  poser  un 
semblable  modèle.  Le  morceau,  esquissé 
de  verve  et  sans  reprise,  aurait-il  été 
achevé  de  mémoire?  En  tout  cas,  il  est 
expressif  à  l'extrême,  et  de  la  plus  d 
cate,  de  la  plus  savoureuse  exécution, 
supérieurement  conçu  pour  la  fonte  et 
pour  la  fauve  patine  dont  il  est  revêtu. 


Un  des  reproches  les  plus  sérieux  que 
les  gens  de  goût  adressent 
aux    sculpteurs     modernes, 
c'est  d'abandonner  l'exécu- 
tion de  leurs    marbres   aux 
praticiens.  Le  statuaire  pres- 
sé, devenu,  et   pour  cause, 
économe     de     son    temps, 
n'exécute  plus  lui-même; 
ne    sait    plus,    à  vrai    dire, 
exécuter.    De  ce    qui   était 
autrefois     l'honneur    et    le 
souci  des  maîtres,  il  ne  reste 
plus  rien,  ou   presque  rien. 
Le  praticien  est  une  inven- 
tion du  progrès,  et  combien 
néfaste!  Elle  répond,  hélas  ' 
aux    besoins    utilitaires   de 
notre  époque.  Michel-Ange, 
Puget,    Coysevox,  Iloudon, 
Rude,    où    êtes- vous? 
Heureux  pourtant  lors- 
qu'on ne  nous  sert  pas 
une  maquelle  agrandie 
et  lorsque  l'artiste  ne  se 
contente  pas   de   jivicr 
une  simple  ébauche  au 
metteur  au  poinL  .Aussi 
faut-il  saluer  avec    une 
gratitude    resj)ec tueuse 
le    scul[iteur  assez  courageux 
nrlré    de    son     art,     pour    ne 


pei'sounc  le  suiii 
et  (|iii  sait  <'ii( 
inaiu,  "  faire  lr( 
vaut  lui. 

M.    Hartholoiiié    est    un    ( 
hommes. 

Considérons  donc  comm 
de    féliciter    M.    Sicard    d';i 


assez,  pe- 

coiilier   à 

traduire  sa  pensée, 

,    le     marteau    à    la 

ler    1    le  marbre  de- 


)re  en  iiKiiliie  et  bionzi-,  par  M.  CarliCT. 

vaille  ')  sou  marbre  /inijiri.i  in;iiiu  cl 
d'eu  avoir  parfait  anioui-eusenieiil  re|)i- 
derme.  Le  grou[)e  d',!//.!/'  exposé  pai 
eel  habile  artiste  est  sans  contredit  le 
plus  beau  inorceau  d'e\éeuli<>ii  de  tout 
le  Salon  de  sculpture.  Les  .■li.nrs  sont 
d'une  facture  inodigieiiseineiit  délicate 
et  savoureuse;  les  eou|>s  de  gradine, 
venus  en  dernier,  y  ajoutent  la  palpita- 
tion d<-    la   vie;    il   semble  iiue    le  seulp- 


MCS    SALONS     1)K    1S9T 


leur  se  soit  plongé  avec  délices  dans  la 
manœuvre  du  ciseau.  Ceux  qui  sont 
hors  de  la  petite  cuisine  des  récom- 
penses avaient  décerné  in  pello  et  sans 
débat  la  médaille  d'honneur  au  mai-bre 
de  M.  Sicard. 


.le  suis  persuadé  que  la  polychromie, 
forme  naturelle  et  rationnelle  de  la 
sculpture,  reprendra  un  jour  ses  droits; 
la  Grèce,  l'Orient,  le  Moyen-Age,  tout 
nous  y  invite;  mais  les  ])rogrès,  jusqu'à 
présent,  sont  lents,  timides  et  incertains. 
C'est  dans  les  petits  ouvrages  d'art,  sta- 
tuettes ou  objets  d'ameublement  qu'ils 
se  font  surtout  sentir.  Dans  le  milieu  de 
l'école  et  des  prix  de  Rome,  on  s'en 
doute  à  peine.  Que  de  ressources,  ce- 
pendant, et  de  nouveautés,  la  polychro- 
mie apporterait  à  l'art  un  peu  immobi- 
lisé et  attardé  de  la  statuaire!  Sachons 
gré  aux  artistes  qui, dans  un  milieu  doc- 
trinaire comme  celui  des  Champs-Ely- 
sées, ne  craignent  pas  de  s'intéresser 
à  ces  recherches  que  d'aucuns  taxent 
de  révolutionnaires. 

Il  y  a  la  polychromie    obtenue    par 


l'adjonction  de  la  peinture,  telle  que 
l'ont  pratiquée  nos  vieux  Gothiques;  de 
celle-là  on  ne  parle  guère.  Puis  il  y  a  la 
polychromie  matière;  c'est  celle  qui  a 
tenté  M.  Carlier,  dans  son  groupe, 
marbre  et  bronze,  du  Miroir;  tentative 
des  plus  honorables,  résultat  de  longs 
efforts,  —  il  s'en  est  fallu  de  peu  qu'elle 
ne  valût  à  son  auteur  la  médaille  d'hon- 
neur. 

Nous  retrouvons  encore  cette  sorte 
de  polychromie  dans  un  joli  buste  de 
femme,  à  j)iédouclic  de  bronze  doré  et 
à  draperie  ilcur  de  pêcher,  de  M.  De- 
loye. 

Houdon  avait  fait,  pour  le  duc  d'Or- 
léans, un  groupe  polychrome,  malheu- 
reusement détruit,  oii  il  avait  représenté 
une  baigneuse  accompagnée  de  sa  né- 
gresse au  naturel  et  tenant  une  aiguière 
d'or.  La  tentative  devait  être  singulière- 
ment intéressante.  Je  ne  sais  si  M.  Car- 
lier a  songé  à  l'œuvre  de  Houdon  en 
composant  son  groupe,  mais  il  est  certain 
que  l'opposition  des  chairs  blanches  de 
sa  Circé,  avec  le  bronze  noir  des  chairs 
de  la  négresse  et  les  ornements  dorés 
du  piédestal,  produit  un  trèn  heureux 
effet. 


l'omheau,  d' AUxamlre  Dumas,  par  M.  de  Saint-Marceaux. 


CHAMP    DE     MARS 


I,  A     PEINTURE 

L'ouverture  du  Salon  du  Champ  de 
Mars  avait  été  attristée  par  l'absence 
de  M.  Puvis  de  Cliavannes;  depuis, 
l'illustre  maître,  rétabli,  a  pu  envoyer 
le  carton,  en  camaïeu,  de  la  seconde 
composition  dd  VlJislnire  de  sainte  Ge- 
neinève,  destinée  au  Panthéon.  Celle-ci 
sera  digne  de  son  aînée,  n'en  doutons 
plus.  Jamais  la  pensée  de  l'artiste  ne  se 
sera  montrée  plus  ferme,  plus  haute  et 
plus  sereine.  En  regard  de  celte  mer- 
veilleuse Knfancc  de  sainte  (ieneviére, 
qui  est  déjà  le  chef-d'(ruvre  de  la  pein- 
ture monumenla!<'  au  \iv''  siècle,  nous 
verrons  donc  (Icnrricrc  r;iiilaill;inl 
Pnns  ;is.sii^(fé  cl  nH'n;iré  île  lu  funiine. 
Ah  !  l'admirable  cl  émouvante  vision, 
le  sublime  décor  I  A  l'avant  de  la  barque 
que  le  lleuve  a  amenée  sous  les  murs  de 
la  ville,  la  sainte  se  tient  debout.  Par 
la  porte  entr'ouverte  se  presse  le  peuple 
pour  accueillir  Geneviève;  une  longue 
théorie  de  vierges  tenant  des  cierges 
s'avance,  précédée  de  l'évêque  ;  un 
homme  agite  une  cloche  d'appel  au- 
dessus  de  la  foule  ;  une  immense  action 
de  grâces  monte,  comme  une  fumée 
d'encens,  de    tous  ces  êtres   aux   gestes 


pieux  et  attendris.  Quelques  groupes 
accessoires,  femmes,  enfants,  malheu- 
reux, infirmes,  disséminés  sur  les  berges; 
au  second  plan,  les  héroïques  murailles 
mérovingiennes,  d'une  majesté  indicible 
et  d'une  vérité  archéologique  saisis- 
sante, complètent  l'ordonnance  de  cette 
scène  où  vibre  l'âme  nationale  et  sur 
laquelle  semble  régner  une  paix  sidérale 
et  «  comme  un  souffle  de  la  très  vieille 
histoire  prolongée  à  travers  les  temps  ». 
Nous  devinons  sans  peine  ce  que  la 
couleur  ajoutera  de  séduction  et  de 
{irâce  à  cette  admirable  ébauche. 


J'eusse  aimé  à  mettre  sous  les  yeux 
des  lecteurs  du  Monde  moderne  le 
l'urlniil  de  M""'  Th.  //..de  M.  Dagnan- 
Houveret.  L'autorisation  n'ayant  point 
été  accordée  par  le  pi'opriélaire  du 
tableau,  je  dois  me  contenter  de  con- 
stater, tout  uniment,  c|uc  l'ieuvre  est 
d'un  dessin  achevé,  d'une  ressemblance 
exquise  et  qu'elle  a  au  suprême  degré  les 
qualités  de  charme  et  de  lonue,  qui 
caractérisent  la  manière  concentrée  de 
M.  Dagnan.  L'artiste,  plus  à  l'aise  dans 
ce  portrait  de  grandeur  naturelle  que 
dans  les  foi'mals  réduils  où  il  avait 
d(''bMté,  a  siL;né  là  un   morceau  délinilif 


Li;S    SALONS    UK    1H97 


dont   nous   devrons    garder   précieuse-   1  cherche  le  style  et  la  sévérité  des  formes 
ment  le   souvenir.  M.  Dagnan   modèle   I  dans  les  modalités  élégantes  de   la   vie 

contemporaine  ;  l'exo- 
tisme ne  l'a  point 
i-nlamé;  il  est  Français 
(I  a  1 1  s  la  plus  I  i  n  c 
iicceptioii  du  mot; 
pondéré  et  scrupu- 
leux, avec  ampleur  et 
décision,  ce  qui  paraît 
iiiconcilialjlo;  au  de- 
meurant, un  véritable 
cl  grand  artiste. 

EUGÈNE     c  A  H  11  1  t  R  i; 


L'originalité  de 
M.  Carrière  est  un 
tout  qu'on  accepte  ou 
condamne  en  bloc, 
clic  échappe  aux  ac- 
coutumances ordi- 
naires et  aux  com- 
munes mesures  ;  il 
faut  s'y  faire,  ce  qui, 
je  le  reconnais,  n'est 
pas  chose  aisée  ;  ses 
adversaires  ont  d'aussi 
bonnes  raisons  pour 
la  critiquer  que  ses 
partisans  pour  la 
louer. 

Ce  n'est  pas  assez 
de  dire  que  M.  Car- 
rière peint  dans  un 
brouillard  fumeux;  il 
peint  dans  une  cave, 
et  il  est  besoin  d'un 
sérieux  elTort  d'ac- 
commodation pour  y 
voirclair.  Mais  quand, 
une  fois  ce  parti  pris 
de  monochromie  ou- 
trancière  dans  le  gris, 
ce  dédain  irréductible 
de  la  couleur,  cette 
recherche  quasi  mala- 
dive du  clair-obscur 
sont  acceptés,  que  de  trésors  appa- 
raissent, que  de  suggestionnantes  har- 
monies se  mettent  à  vibrer  ! 


Chfht  en  croix f  par  M.  Carrière 

avec  les  lignes,  «  avec  des  lignes  qui 
viennent  de  loin  »,  dirait  Degas, comme 
d  autres  modèlent  avec  les  valeurs  :    il 


CHAMP   DE   MARS 


Pour  exprimer  le  charme  profond 
qui  se  dég:age  des  œuvres  de  M.  Car- 
rière, au  modelé  intense  et  léonar- 
desque,  il  faudrait  emprunter  son  voca- 
bulaire au  domaine  des  sons;  sa  peinture 
est  une  musique,  un  cliant  élégiaque, 
d'amour  ou  de  souffrance,  soupiré  dans 
le  silence  des    nuits;    ses   accents    pas- 


Doiice  journée,  en  effet,  que  celle  où 
M.  Lerolle  vit  dans  un  paysage  arcadien 
d'élégantes  femmes  faisant  la  sieste.  11 
s'agit,  vous  le  devinez  à  la  tournure  des 
arbres  et  à  la  molle  ondulation  des  ter- 
rains, d'un  panneau  décoratif.  Les  figures 


,'meut  du  puuueau  décoratif  de  M.  Lerolle 


sionnés  semblent  s'exhaler  dans  le  mode 
mineur,  sur  un  murmure  étouffé  de 
sourdines. 

Ne  vous  liàtc/  doiir  jias  de  Juger  le 
Clirisl  en  imi.r,  (|u'il  expose  cette 
année  au  Champ  de  Mars  ;  interroge/ 
ses  ombres  mystiques,  cherchez,  comme 
je  l'ai  fait,  dans  le  rayon  qui  les  traverse, 
le  drame  poignant  qui  s'y  cache;  écoutez 
le  cri  suprême  de  l'agonic,  le  dernier 
râle,  et  ce  sanglot  de  la  Vierge,  ramonée 
par  une  fiction  géniale  à  la  hauteur  du 
visage  de  sou  (ils,  sanglot  déchirant  que 
nul  |)eintre  ])eut-être  n'a  fait  encore  ré- 
sonner, .le  l'entends,  ce  sanglot,  il  se 
mêle  dans  l'air  à  la  plainte  du  C'hrist... 
Cdiisiiiiiiii.ilinii  fsl  ' . . , 


étaient-elles  indispensables  et  ce  déca- 
méron  champêtre  ajoute-t-il  à  la  valeur 
ornementale  des  troncs  de  pins  qui  pro- 
filent leurs  grêles  silhouettes  sur  le  ciel 
pâli  d'un  soir  d'été?  Quoique  le  paysage 
soit  la  partie  essentielle  de  la  composi- 
tion de  M.  Lerolle  cl  qu'il  y  excelle,  je 
regretterais,  pour  ma  part,  qu'elles  n  y 
fussent  |)as  ;  elles  animent  très  agréable- 
mcn(  le  snjel  et  nicllrnl  les  plans  à  leur 
échelle. 

Ce  grand  ])anncan,  doul  nous  repro- 
duisons la  partie  centrale,  \aul  surtout 
par  les  qualités  de  lumière  cl  d'atmo- 
sphère. Sa  trame  légèri'  n'en  demande 
pas  davantage.  i\L  LiMolle  a  du  charme, 
de  la  ^fàce,  niu-  entente  des  belles  lignes 


I.KS    SALONS    DIC    1897 


cl  certaines  colorations  point  banales, 
évoluant  dans  les  jaunes,  qui  en  font 
un   de   nos   plus    aimables   décorateurs. 


la  couleur  on  ne  saurait  ^uère  concevoir 
de  décor.  Les  Japonais,  qui  sont  les 
premiers  décorateurs   du    monde,    sont 


La  Pêche,  panneau  décoratif,  par  M.  Gaston  La  Touche. 


GASTON     L.\     TOrCHE 

Décorateur,  M.  GastonLaToucheTest 
sans  conteste;  il  1  est  par  la  couleur,  à 
la  façon  de  M.  Besnard,  auquel  le  rat- 
tache une  influence  directe.  Grasset  en- 
seigne à  ses  élèves  que  dans  chaque 
forme  il  y  a  un  décor  ;  le  tout  est  de 
savoir  le  discerner;  il  en  est  de  même  de 
toute  association  de  couleurs,  car  sans 


par  corrélation,  les  premiers  coloristes 
du  monde.  Il  peut  y  avoir  cependant 
prédominance  de  l'un  des  deux  élé- 
ments. 

Chez  Delacroix,  c'est  la  couleur,  et 
aussi  chez  M.  Besnard  :  chez  Puvis,  c'est 
le  dessin,  le  rythme  des  formes;  chez  les 
Japonais,  chez  leurs  g^rands  maîtres  de 
l'estampe  par  exemple,  l'équilibre  entre 
les  deux  éléments  est  complet;  une  belle 


CHAMP   DE   MARS 


composition  en  couleurs  de  Kiyonaga  ou 
d'Oulamaro  atteint  au  siimimiin  de  la 
puissance  décorative. 

Parmi  les  divers  panneaux  exposés 
par  M.  La  Touche,  j'ai  choisi  la  Pèche. 
La  couleur  v  chatoie   comme   dans  une 


H  E  N  E      M  i;  N  A  R  n 

Décor,  la  toile  de  M.  René  Ménard, 
Nu  (levant  la  mer;  décor  également, 
celle  de  M.  Ary  Renan,  les  Voi.v  de  la 
mer.  Notez  que  je   parle  dans  le  meil- 


par  M.  Reuû  Ménan: 


cristallisation  de  féerie,  avec  des  tons 
d'arc-cn-ciel.  t^hairs  nacrées,  vagues 
écumeuses,  voiles  tendues  au  vent  con- 
courent à  merveille  à  l'eirct  objectil'  du 
décor.  Cette  composition  mytliologico- 
marine  me  fait  songer  que,  en  dehors 
d(!  la  peinture  murale,  le  plus  beau 
tableau  décoratif  qu'ait  produit  l'art 
moderne  est  probablement  celui  de 
lî(jeclilin,  au  Musée  de  Munich,  Maïaile.s 
el    Triton.'!. 

Voilà  un  décor  réalisé  par  les  moyens 
les    plus    riches  de   la    jx'lnlure,  du 

Wagner  transposé  I 


leur  sens  et  avec  le  désir  évident  de  faire 
un  éloge  (jui  ne  soit  jias  banal. 

J'adore  le  nu  de  AL  Ménard.  Placez- 
vous  dans  l'embrasure  de  la  porte  à 
l'entrée  de  la  salle,  et  vous  m'en  dire/ 
des  nouvelles.  C'est  positivement  un 
charme.  Rien  n'est  mieux  dans  l'air,  au 
Salon;  l'enveloppe,  chose  si  rare,  prête 
une  magie  délicieuse  à  ces  formes 
qu'épure  un  souvenir  d'anlicpiité,  en 
fait  valoir  le  beau  mouvement  de  caué- 
])hore  el,  doucement  ensoleillées,  les. 
enlève  sur  un  fond  di'gradé,  mer  et  ciel, 
d'améthyste  et  de  rubis,  .le  trouve,  cou- 


LKS    SALONS    Dlv     IS9T 


densées  dans  ce  lableau,  les  qualités  de 
noblesse,  de  calme,  de  |)oésie,  de  cou- 
leur, el  ce  senlimenldu  décor,  qui  font 


marquable  et  si  bien  faite  pour  un  musée. 
La  reproduction  ci-jointe  en  donne,  il 
me  semble,  une  idée  fort  exacte. 


de  M.  Ménard  un  des  peintres  les  mieux 
doués  et  les  plus  personnels  de  notre 
jeune  école.  Je  regrette  que  l'Etat  ait 
négligé  d'acquérir  une  œuvre  aussi  re- 


A  n  V    R  E  N  A  N 


L'éducation  littéraire  n'est  certes  pas 
indispensable    au    peintre  ;    elle    serait 


CHAMP  DE   MARS 


même  nuisible  à  ceux  qui  ont  embrassé 
le  métier  aux  fins  exclusives  de  faire  de 
]a  peiuliire.  Il  est  certain  qu'un  Corot, 
un  Degas,  un  Monet  n'ont  point  à  se 
soucier  d'acquérir  un  bagage  étranger  à 


M.  Ary  Renan  est  un  écrivain  délicat, 
un  raffiné  de  lettres;  ses  préoccupations 
d'art  dérivent  de  ce  premier  fonds. 
Après  avoir  débuté  en  des  paysages 
exquis,  notes  de  Syrie  ou  vues  d'Ischia, 


leur  unique  passion  ;  celle  de  noh- juste 
et  de  rendre  juste.  Un  Delacroix,  un 
Ingres,  un  Puvis,  au  contraire,  ne  sau- 
raient se  ])asser  d  uni'  li.iulc  culture 
spirituelle.  Il  est  éviilfiit  ipicrapporl  de 
la  littérature  peut  être  considérable  dans 
une  [X'inturc    d'histoire    ou   d'allégorie. 


il  a  élargi  son  liori/on  et  s'est  pmposé 
d'adjoindre  la  figure  humaine  à  ses  pay- 
sages, pour  leur  donner  une  significa- 
tion mystique  ou  syniboli(pie.  Connnenl 
s'étonner  que  son  esprit  subtil  et  son- 
geur, nourri  du  commerce  inlellectnel 
le   plus    choiM,    ,ii(     trouvé,    dans    celle 


LES    SALONS    I)K    Ittai 


évolulion,  la  voie  qui  convenait  le  mieux 
à  ses  aspirations  initiales?  Sans  bruit, 
M.  Henan  a  con<|uis  une  place  que  d'au- 
tres plus  renommés  pourraient  lui  envier. 
Ce  qu'a  voulu  exprimer  le  i)eintrc, 
dans  son  tableau  des  Voix  de  la  mer, 
l'imagination  de  chacun  en  décidera. 
Est-ce    la    plainte    des    naufragés    qui 


Cet  accord  précieux  a  frappé  les  moins 
compétents,  devant  le  tableau  de  M.  Mue- 
nior,  d'une  ambiance  si  lumineuse  et 
d'un  calme  si  reposé.  J'ai  été  de  ceux 
qui  ont  discerné  dans  le  talent  naissant 
de  cet  artiste  de  race  plusieurs  caracté- 
ristiques, —  sentiment  du  geste,  senti- 
ment du  paysage,  sentiment  de  la  ligne 


Soir  orageux,  par  M.  Cottet.  (D'après  le  carton  du  tableau.) 


s'exhale  pendant  la  tempête,  est-ce  le 
cri  du  goéland  qui  fuit  sous  le  vent, 
est-ce  le  bruit  des  vagues  qui  s'entre- 
choquent ?  Un  peu  tout  cela,  sans  doute. 


M  U  E  N  I  E  R 


Je  suis  ravi  que  l'État,  consacrant  un 
succès  unanime,  ait  acheté  les  Chemi- 
neaujc,  de  M.  Muenier,  un  vrai  tableau 
de  musée,  qui  donnera  une  idée  parfaite 
de  l'union  intime  de  la  figure  avec  le 
paysage,  selon  les  exigences  nouvelles. 


ornementale,  —  dont  l'association  devait 
faire  naître  un  jour  des  œuvres  d'une 
harmonie  exemplaire. 


Je  ne  chercherai  pas  à  expliquer  qu'en 
regardant  les  interprétations  de  nature 
si  fortement  caractérisées  de  M.  Cottet, 
le  nom  d'Ingres  me  vient  souvent  à  l'es- 
prit? Le  rapprochement  semblera,  pour 
témoins,  paradoxal  entre  le  grandissime 
adepte  de  la  forme  parle  dessin  linéaire 


CHAMP    DlC    M  Ans 


et  ce  beau  manieur  de  pâles  uniquemeiil 
préoccupé,  en  apparence,  de  rapports 
de  valeurs.  Regardez  cependant  avec  at- 
tention les  tableaux  de  M.  Cottet,  même 
ses  plus  frustes  notations,  vues  de  mer, 
études  de  pêcheurs,  scènes  de  la  vie  des 
ports,  et  peut-être  vous  apereevrez- 
vous,  comme  moi,  que  nul  peintre,  parmi 


formisles,  qu'ils  s'appellent  Prud'hon, 
Ingres  ou  Degas.  Tout  ce  que  je  lui  vois 
peindre  décèle  une  constante  et  intuitive 
préoccupation  du  caractère,  de  ce  carac- 
tère immanent  qui  est  le  langage  mysté- 
rieux de  la  nature. 

Je  n'en  veux  pour  preuve  que  le  très 
remarquable  tableau.  Soir  orageux,  qui 


Cmirlisane,  par  M.  Dinet. 


les  jeunes,  ij'a  su  lirei'  des  entrailles 
de  la  réalité,  de  la  physionomie  spéciale 
(les  choses,  de  la  vie  qui  leur  est  propre, 
ce  ([u'Ingres  dénommait  d  un  mot  si 
juste,  "  le  caractère  »,  et  ce  qui,  dans 
le  domaine  de  l'imitation,  met  en  relief 
et  précise  la  signilication  essentielle,  les 
conditions  dislinctivcs  d'une  forme  ou 
d'un  ton.  J'ignore  les  préférences  csthé- 
li(|ues  de  M.  Cottet,  mais  je  suis  sûr, 
sans  en  avoir  jamais  parlé  avec  lui,  qu'il 
a  uneadniiialion  j)rol'oMd(' pour  les  grands 

VI.  —  (1. 


nous  représente  en  un  raccourci  intense 
le  va-et-vient  des  gens  au  moment  du 
retour  de  la  pêche. 


Le  caractère  ne  fait  pas  défaut  non 
plus  à  la  peinture  de  M.  Dinct  ;  mais  il 
est  moins  synthétique  et  moins  général. 
,\  travers  la  lîretagne,  M.  Cottet  entre- 
voit l'humanité.  M.  Dinet  s'attache,  au 
contraire,  îi  particulariser  de  la  façon  la 
plus  aiguë,   la   plus   incisive  et   la    plus 


I.KS    SALONS    DIC     1S07 


voloiilairejesobscrvalioiisqu'il  rapporte 
d'Algférie;  il  se  prend  corps  à  corps  avec 
un  sujet,  le  fouille  cl  le  tourne  clans  tous 
les  sens,  jusqu'à  ce  qu'il  en  ail  rendu 
avec  âpreté,  presque  avec  violence,  le 
canaclère  spécial. 

M.  Dinet  pouvait  se  contenter  d'être, 
comme  peintre  alf;érien,  un  paysagiste 
hors  de  pair;  sa  vive  intelligence  d'artiste 
lui  a  l'ait  ambitionner  d'être  un  peintre 
d'observation  morale;  nous  ne  pouvons 
que  l'en  féliciter.  Son  Adoration  des 
liergers,  sa  Réunion  publique,  aussi 
bien  que  les  deux  tableaux  de  celle 
année,  Courtisane  el  Douleur,  sont  des 
œuvres  dont  la  vigueur  d'écriture  égale, 
ce  qui  n'est  pas  peu  dire,  l'intensité  de 
sentiment. 


Les  paysagistes  du  Champ  de  Mars 
me  pardonneront,  j'espère,  de  leur 
fausser  compagnie.  Que  dirais-je,  d'ail- 
leurs, qui  ne  soit  banal  sur  le  charme 
reconnu  de  M.  Cazin,  sur  sa  manière 
soyeuse  et  élofTée  de  traduire  les  grâces 
de  la  nature,  sur  les  impressions  exqui- 
sement  sincères,  de  M.  Billotte  et  de 
M.  Binet,  ou  chatoyantes  comme  des 
gemmes  de  M.  Thaulow?  Les  portraits 
m'attirent  ;  j'en  aperçois  plusieurs  et  d'un 
ordre  supérieur.  Le  portrait  est  décidé- 
ment l'art  de  France  par  excellence. 

t;  V  R  o  I.  V  s    u  l:  h  a  n 

M.  Carolus  Duran  nous  a  fait  large 
mesure;  trois  portraits  :  le  portrait  de 
sa  fdle,  M'""  Feydeau,  entourée  de  ses 
enfants,  un  de  ses  meilleurs  ouvrages, 
un  vrai  thème  de  réception  à  l'Aca- 
démie, puis  le  portrait  de  son  fils,  un 
beau  gaillard  en  tenue  de  cuirassier,  et 
un  vif  et  savoureux  portrait  d'homme 
en  buste,  —  trois  morceaux  de  la  plus 
brillante  facture.  Pour  mon  plaisir,  je 
me  permettrai  d'ajouter  à  cette  liste  le 
portrait  merveilleux  d'un  canard  à  tête 
verte  pendu  par  la  patte.  Oudry,  Char- 
din, les  animaliers  japonais,  ne  sont-ils 
pas,  à  leur  façon,  des  portraitistes? 


II  ISN   \  Il  I) 


M.  liesnard,  cette  année,  ne  nous 
ollrc  pas  l'occasion  de  disserlcr  sur  ses 
magnifiques  audaces  de  décorateur; 
mais  il  s'impose  à  notre  allenlion  avec 
plusieurs  portraits,  dont  un,  tout  au 
moins,  a  eu  l'heureuse  aventure  de  sou- 
lever d'ardentes  polémiques,  ce  qui  est 
bon  signe.  Le  portrait  de  la  dame  en 
rose,  aux  yeux  de  myope,  vous  l'avez 
deviné,  est  l'objet  du  litige.  Les  con- 
naisseurs, ou  ceux  qui  ont  des  raisons 
de  se  croire  tels,  veulent  bien  admettre 
que,  dans  aucune  œuvre  peut-être, 
M.  Hesnard  n'a  affirmé  plus  délibéré- 
ment et  plus  librement  sa  personnalité; 
les  uns,  toutefois,  critiquent  le  mouve- 
ment, d'autres  la  vacuité  du  regard; 
quelques-uns  s'étonnent  du  choix  des 
gammes.  Pour  ma  part,  je  n'hésite  pas, 
—  et  en  cela  je  me  sens  d'accord  avec 
des  juges  dont  j'estime  grandement 
l'opinion,  —  je  n'hésite  pas,  dis-je,  à 
reconnaître,  en  ce  morceau  de  haute 
et  dédaigneuse  indépendance,  une  des 
œuvres  les  plus  caractéristiques,  les 
plus  raffinées  cl  les  plus  savoureuses 
qu'ait  encore  produites  le  pinceau  trou- 
blant et  prestigieux  de  ^L  Besnard.  Je 
ne  parle  même  pas  de  la  robe  de  soie 
d'une  nuance  innommable,  —  rose  sau- 
mon, si  vous  voulez,  —  glacée  d'une 
légère  enveloppe  de  dentelle  blanche, 
miraculeux  régal  dédié  aux  délicats;  je 
parle  précisément  de  ce  qui  effarouche 
les  timides,  de  ce  mouvement  de  torsion 
du  cou,  si  curieux  et  si  élégant,  du  dessin 
des  épaules  et  des  bras,  du  charme  un 
peu  bizarre  de  ce  visage  au  regard  ab- 
sent, de  cet  éclairage  à  jour  frisant,  de 
toute  cette  hardiesse  enveloppante  de 
lignes  et  de  couleurs. 


Je  ne  prétends  pas  insinuer  que  l'in- 
fluence de  M.  Besnard  ait  agi  directe- 
ment sur  des  portraitistes  d'une  valeur 
aussi  individuelle  que  MM.  Zorn,  Aman- 
Jean,  Jeanniot  ou  Jacques  Blanche;  on 
me  permettra  cependant   de  constater. 


cil  A  Ml'    llK    MARS 


l'mlinit  .!,■    M'"-   C.    F.  ri,  ./,.  «es  ,;\/hnl<,  |);.r  M.  f::iro1iis  Du 


LKS    SALONS    DlC 


sans  vouloir  leur  porter  ombrage,  que 
le  célèbre  artiste,  comme  un  astre  fécon- 
dant, resplendit  sur  un  groupe  de  pein- 
tres qui  cherchent  à  associer  trois 
conditions  fondamentales  de  l'art,  sou- 
vent désunies  dans  le  portrait  ou  par- 


à  larges  à-plals,  qui  n'est  point  celle  de 
M.  Besnard;  même  remarque  pour 
M.  Jeanniot,  qui  peint  à  petites  touches, 
pour  M.  Aman-Jean,  dont  la  facture 
estompée  fait  songer  aux  simplicités  de 
la  fresque,  et  pour  M.  Blanche  qui,  par 
le  procédé,  se  rc- 
tlamcdesAnglais 
du  wni'-  siècle. 
Combien  ori- 
^;iiial  et  élégant, 
en  sa  mélancolie, 
Vf  portrait  de 
M.  Ainan-Jean  : 
une  jeune  femme 
assise  surun  banc 
(le  jardin  et  en- 
cadrée, en  volets 
(le  triptyque,  de 
la  Beauté  et  de 
la  Poésie  I  J'en 
aime  infiniment 
la  pose  alanguie, 
la  silhouette  un 
peu  déhanchée  et 
la  belle  euryth- 
mie décorative. 
La  reproduction 
qui  figure  sur  la 
couverture  de  la 
présente  livrai- 
son n'en  a  pas 
altéré  l'effet. 


Portrait  de  -1/""'  L.,  par  M.  Besnard. 


tiellemenl  délaissées  :  le  sentiment  orne- 
mental de  la  ligne,  la  synthèse  expressive 
de  la  couleur  et  le  rendu  de  la  vie  dans 
la  vérité  ambiante. 

J'entends  dire  du  portrait  de  femme 
de  M.  Zorn  :  c'est  du  Besnard  exaspéré. 
Je  ne  suis  point  de  cet  avis.  Si  le  but 
poursuivi  est  identique,  les  moyens  de 
l'atteindre  sont,  chez  M.  Zorn,  très  dif- 
férents. Celui-ci  a  une  manière  cursive. 


Nature  puis- 
sante et  directe, 
M.  Roll  s'attache 
surtout  à  la  vé- 
rité morale  ;  il 
ne  s'attarde  point  aux  bagatelles.  Comme 
Manet,  il  tend  à  restreindre  son  exécu- 
tion au  strict  nécessaire.  Déjà  l'admira- 
ble portrait  d'Alexandre  Dumas  montrait 
jusqu'à  quel  point  l'artiste  avait  pro- 
gressé dans  la  voie  de  la  simplification. 
Le  Rocheforl  marque  encore  un  pas 
en  avant.  L'image  est  saisissante  de  vie, 
et  d'une  justesse  d'expression  qu'on 
pourrait  qualifier,  dès  maintenant,  d'his- 


CHAMP    DE    MARS 


torique.  Le  visage  du  célèbre  pamphlé- 
taire a  tenté  bien  des  peintres  et  des 
plus  habiles;  jamais  ce  masque  extraor- 
dinaire, où  la  lutte  a  imprimé  sa  formi- 
dable grilTe,  n'a  été  rendu  avec  celte 
intensité,  et  je 
dirai  même,  cette 
intraitable  fran- 
chise. L'attitude, 
le  geste,  le  pince- 
ment des  lèvres, 
la  fixité  presque 
hypnotique  du  re- 
gard, la  chevelure 
en  flamme  de 
punch,  tout  est 
rendu  à  miracle,  et 
avec  cette  sérénité 
tranquille,  cette 
force  intérieure, 
celte  unité  austère, 
qui  n'appar- 
tiennent qu'aux 
maîtres. 

«  Pour  arriver  à 
la  belle  forme,  di- 
sait Ingres,  il  ne 
faut  pas  procéder 
parunmodelécari- 
ou  anguleux;  i 
faut  modeler  rond 
sans  détails  appa 
renls...  Fasde  cou- 
leur trop  ardente, 
elle  est  anli-liis- 
loriqne.  " 


M.  Louis  Picard, 
dont  j'observe 
avec  un  vif  intérêt 
1  incessante  montée, 
année,  par  une  toile  ( 
l(!    portrait     de     M. 


remontant  à  celle  de  M.  Picard,  on 
trouverait  les  Flamands  du  xv"  siècle 
et  le  grand  physionomiste  Holbein.  On 
voit  la  différence. 

Pour  traduire  avec    loule    l'intensité 


s'aflirme,  celte 
le  premier  mérite  ; 
Dagnan-Iîouveret. 
Voici  encore  une  œuvre  de  vérité  morale 
et  psychique,  mais  obtenue  exclusive- 
ment par  la  sévérité  attentive  du  dessin. 
V.n  remontant  à  la  source  de  la  généa- 
logie inlellectuelle  de  M.  Holl,  on  ren- 
l'onlrcrail      \'ela'5que/.  ,     j'inKiginc  :     en 


»!■;  Ki,cl,r/„ri,  |.;ir  M.  Iloll. 

voulue  une  ligure  à  la  fois  aussi  liue. 
aussi  particularisée  et  aussi  réservée 
que  celle  de  M.  Dagnan,  il  fallail  regar- 
der il  travers  la  vie  de  lardsle  et  à 
travers  son  talent,  c'esl-à-dii-c  se  péné- 
trer de  deux  choses  \éri(ablenieiil  exem- 
plaires: une  carrière  faite  de  dignité  el 
d'anslérilé  professionnelles,  un  l.ilenl 
subordonné  à    i'ell'ori  pers(''véran(  d'une 


i.i;s  SAi.oNS  Di-:   \no-i 


volonlé  iridexiblc.  Ces  traits  tic  <■  carac- 
tère »,  M.  Picard  les  a  inscrits  dans  le 
modelé  du  visage  anguleux  ,  dans  la 
saillie  des  pommettes,  dans  la  largeur 
ihi  front,  dans  recuite  d'un  regard  scru- 


J\'itrfut  df  M.  Vaifnan-Bouferet,  par  M.  Louis  Pican.l. 


lateur,  dans  l'allure  rélléchie  de  la  pose, 
dans  le  sérieux  de  l'exécution. 


El' G  EXE     VIDAI. 

J'ai  entendu  Degas,  dont  les  éloges, 
on  le  sait,  ne  sont  pas  monnaie  cou- 
rante, et  qui  s'y  connaît,  saluer  en 
M.  Eugène  Vidal  quelques-unes  des 
qualités  les  plus  éminentes  et  les  plus 
rares  du   portraitiste.   M.  \'idal   a   vécu 


longtemps  en  Angleterre  cl  en  Amé- 
rique; il  est  peu  connu  <'i  Paris.  Ile  que 
j'avais  entrevu  de  son  talent  m'avait  fait 
discerner  en  lui  un  des  peintres  de  notre 
temps  les  mieux  armés  pour  aborder 
le  redfiiilabic  et 
Il  )!•  i.v»||i  ii;ni  ■  ,  I  fuyant  problèmedc 
la  physionomie  hu- 
maine. Ses  maîtres, 
ou  plutôt  ses  mo- 
dèles, Degas  et  Pis- 
saro,  lui  ont  mon- 
tré la  voie  :  chez 
le  premier,  il  a 
étudié  le  secret  de 
la  construction  des 
formes  ;  le  second 
lui  a  fourni  l'exem- 
|ilc  de  ses  con- 
quêtes hardies, 
dans  le  domaine 
à  peine  exploré  de 
l'optique  des  cou- 
leurs. M.  Pissaro 
est  un  novateur, 
dont  peu  de  gens 
soupçonnent  l'im- 
portance ;  c'est  de 
lui  que  M.  \'idal  a 
appris  à  restrein- 
dre sa  palette  aux 
unités  fondamen- 
tales du  prisme  : 
le  rouge,  le  jaune, 
le  bleu  et  le  blanc. 
Delacroix  ,  déjà  , 
avec  sa  puissance 
intuitive,  avait  in- 
diqué les  grandes 
lignes  de  la  ques- 
tion. Le  noir,  étant  la  négation  de  la 
couleur,  et  n'existant  pas  dans  la  na- 
ture, malgré  que  notre  œil  inhabile 
croie  l'y  discerner,  est  rigoureusement 
proscrit;  le  bleu  le  remplace.  Les  cou- 
leurs, employées  à  l'état  pur,  ne  sont 
point  mélangées  sur  la  palette;  c'est 
par  un  travail  de  superposition,  sur 
la  toile  même,  et  par  la  trame  des 
touches,  tissées  comme  une  étolTe,  que 
le  bleu  doit   disparaître   et  que  le  ton 


CHAMP  m-:  m  a  us 


rompu  esl  oblenu.  Voilà  le  système.  Il 
est  audacieux  ;  mais  à  voir  le  parti  qu'en 
ont  tiré  des  artistes  comme  Claude  Monel 
et  Pissaro,  on  peut  lui  prédire  des  desti- 
nées fécondes,  des  conséquences  impré- 
vues. Appliqué  au  portrait ,  il  permet 
d'atteindre  plus  sûrement  aux  ellets  d'in- 
lensilé  de  vie,  de  frémissement  d'épi- 
derme,  de  vibration  lumi- 
neuse, à  un  lien  plus  elTectif 
entre  ralmosphère  et  le 
modelé,  au  relief  des  formes, 
sans  dureté. 

Dans  le  portrait  d'homme 
qu'il  expose,  aux  salles  de 
In  peinture,  comme  dans 
ses  quatre  pastels  du  rez- 
de-chaussée,  W.  \  idal  a 
donné  à  ses  théories  la 
sanction  décisive  du  ré- 
sultat. 


Réunir    dans     un    même 
cadre  plusieurs  f]gures,    on 
les  traitant  chacune  avec  la 
préoccupation     individuelle 
du  portrait,  grouper  ce  qu  il 
est   déjà     si     difficile    d'ex- 
primer isolément  :  voilà  une 
tâche   bien   digne  de  tenter 
un    artiste    de    |)ersonnalité 
et  de  courage  tel  que  M.  Lu- 
cien   Simon.    (Jes    réunions 
de      portraits,      auxquelles 
excellaient    les     Hollandais 
du  xvn"  siècle  et  dont  Rem- 
brandt  a    dit    le    dernier    mot  dans  ses 
Sifiiclics  d'Amsterdam  ou   dans   cet  in- 
comparable et  définitif  chef-d'ieuvrc  du 
Musée  de   Rrunswick,    J'iirlrnil  de  fa- 
mille,  bien   peu,    parmi    les    modernes, 
les  ont  tentées;  (Courbet  y  a  échoué,  et 
je  ne  vois  guère  que   M.   Fanlin-l-alour 
(]ui  ait  su  triompher  des  p('rils  du  pro- 
gramme. 

C'était  donc  de  la  part  de  .\l.  Simon 
une  singulière  témérité  (|ue  de  placer 
ensemble,  dans  le  même  cadre,  sept 
ligures  de  grandeur  naturelle,  sept   re- 


présentants   d'une    même    famille.     La 
jeunesse  a  de  ces  imprudences. 

Je  vois  ce  qu'on  peut  reprocher  à 
l'œuvre  de  M.  Simon  :  une  certaine 
égalité  de  facture,  un  manque  de  pitto- 
resque dans  l'arrangement  et  un  ton 
local  inharmonieux;  mais  j'y  vois  aussi 
tout  ce  qu'on    peut  y  louer    :    la  belle 


J'ortraif,  pai    M.  En-.  Vi(l:.l. 

tenue  des  lignes,  la  valeur  expressive  de 
chaque  figure  et  une  probité  générale 
d'inter|)rélation,  qui  est  la  marque  du 
véritable  artiste.  Déjà,  l'an  passé,  j'avai'- 
signalé  l'effort  considérable  de  M.Simon  : 
un  secret  pn^ssentiment  m'avertissait 
qu'il  ne  mentirait  pas  à  mes  pronostics. 
Je  ne  m'attendais  pas  ce[)endanl  à  une 
œuvre  aussi  ample  et  aussi  caractérisée. 
Avec  déjeunes  talents  comme  MM.  Mé- 
nard,  Cottel,  Ricard,  Simon,  sans  parler 
de  beaucoup  d'autres,  l'avenir  i\c  notre 
école  esl  en  bonnes  manis. 


LKS    SALONS    l)K    IS!)7 


IIOUTET    Dl' 


A  quelle  catégorie  les  amis  des 
classifications  exactes  rallachcroiit-ils 
M.    Houlet    (lo    Monvel?    'l'ouï    houtic- 


à  laisser  loin  de  lui  son  modèle;  il  tie 
lui  est  resté  de  cette  première  origine 
qu'un  goût  un  peu  anglais,  comme  une 
coupe  fllialfil  spéciale.  Ses  marionnettes, 
(l'abord    rudimciilaires  ,    sont    devenues 


Portniits,  par  M.  Lucien  Simon. 


ment,  je  crois,  à  celle  des  gens  d'esprit, 
nombreuse  au  pays  de  Voltaire.  L'illus- 
trateur des  Chansons  de  France,  des 
Fables  de  La  Fontaine  et  de  VEpopée 
de  Jeanne  d'Arc  a  de  l'esprit,  et  du 
meilleur,  jusqu'au  bout  des  ongles.  Mais 
cela  ne  lui  suffit  pas;  à  cet  humour  char- 
mant que  son  imagination  sème  sans 
compter,  il  ajoute  un  sens  aigu  du  des- 
sin, une  abondante  et  originale  inven- 
tion, un  sentiment  physionomique  des 
plus  fins.  Issu  des  publications  enfan- 
tines de  Caldecott,  il  s'est  affranchi 
promptement  de  toute  imitation,  décidé 


bientôt  un  petit  monde  très  alerte,  très 
vivant  et- très  sensitif.  La  Jeanne  d'Arc, 
dont  il  expose  les  originaux  dans  une 
salle  réservée  à  ses  œuvres,  comptera 
parmi  les  meilleures  illustrations  de 
notre  temps.  Une  archéologie,  puisée 
aux  bonnes  sources,  y  vient,  dans  une 
juste  mesure,  corroborer  l'élément  pit- 
toresque ;  quelques  tableaux  sont  d'une 
grâce  achevée ,  d'autres  d'une  verve 
entraînante,  tous  ont  une  valeur  déco- 
rative et  dénotent  une  entente  de  com- 
position dont  pourraient  s'accommoder 
la  fresque  ou  le  vitrail. 


CHAMP   DE   MARS 


De  plus,  M.  Bou- 
let, qui  est  passé 
maître  en  l'art  de 
manier  l'aquarelle,  a 
signé  des  scènes  de 
genre  que  se  dispu- 
tent à  l'envi  les  ama- 
teurs ;  il  a  exécuté, 
à  l'aide  de  ce  pro- 
cédé, nombre  de  por- 
traits qui  sont  des 
merveilles  de  préci- 
sion, de  délicatesse, 
et  parfois  de  douce 
ironie  :  souvent  il 
atteint  à  l'élégance 
la  plus  rare,  à  l'har- 
monie la  plus  heu- 
reuse; je  n'en  veux 
pour  témoignage  que 
le  portrait  de  ses 
enfants,  dont  nous 
donnons  ici  une  re- 
production, ou  celui 
du  petit  garçon  au 
chien.  Notes  blondes 
et  notes  roses,  tout 
cela  est  délicieux. 


r.A    SCI  i.i'i  uni; 

Nul  ne  conteste 
(|uc  la  sculpture 
u Offre,  cette  année, 
au  Champ  de  Mars, 
plusieurs  reuvres  de 
premier  ordre  et  de 
nature  à  motivei 
diverses  observa- 
lions  intéressante--, 
susceptibles,  en 
tout  cas,  (le  ni)U> 
donner  cette  certi- 
tude que  noire  école 
est  toujours  la  prc- 
nnère  du  Mimidr, 


l'.n-trails  J'enfynis,  ai)ii:ircllr,  i.;ir  M.  liuiitut  .le  Munvel. 


I.KS    SAI.ONS     t)I-;    ln'jl 


:  A  INT-M  A  IICKA  l  \ 


Sous  le  veslibule,  dans  le  demi-jour 
([ui  aujj;menle  le  calme  de  ses  lignes,  une 
lif^ure  funéraire  apparaît.  (]'esl  Alexan- 
dre Dumas,  étendu  sur  une  dalle  et 
nimbé  d'une  couronne,  revêtu,  selon  sa 
volonté    expresse,  du    froc    de    travail. 


hors-d'<j'uvre;  déjà  le  goût  avisé  et 
1res  expérimenté  de  rarchilectc  du  mo- 
nument, M.  Houwens,  avait  obtenu  que 
M.  de  Saint-Marceaux  surélevât  la  tête 
de  son  gisant  sur  un  renllement  de  marbre 
formant  coussinet;  mais  cela  ne  suffisant 
pas  encore,  on  adopta  le  parti  bâtard 
de  la  couronne.  11  fallailaller  hardiment 


Victor  Ilugo,  groupe  en  plâtre,  par  M.  Rodin. 


pieds  nus,  les  doigts  des  mains  croisés 
sur  la  poitrine.  M.  de  Saint-Marceaux 
en  est  l'auteur.  Je  me  sens  l'interprète 
du  sentiment  universel  en  louant  la 
beauté  sévère  du  visage  émacié,  des 
mains,  des  pieds,  de  ces  pieds  fameux 
dont  le  maître  avait  l'innocente  coquet- 
terie, et  le  grand  style  de  la  draperie. 
Je  regrette  seulement  la  couronne,  qui 
n'est  là  que  pour  dissimuler  ce  que  la 
silhouette  aurait  eu  de  trop  rigide  sur 
cette  dalle  d'amphithéâtre;  on  sent  que 
sa    fonction    est     limitée    à    celle    d'un 


jusqu'au  coussin,  comme  les  artistes  du 
Moyen-Age  et  de  la  Renaissance.  Lé- 
gères critiques,  du  reste,  qui  n'ôtent 
rien  à  la  noblesse  sculpturale  d'une 
image  où  revit  tout  entier,  dans  l'éter- 
nelle tranquillité  de  la  mort,  le  souve- 
nir de  l'illustre  auteur  de  la  Dame  au.r 
Caméliaa. 


Continuons  notre  chemin.  L'ne  masse 
de  plâtre  bizarre,  de  forme  losangée,  et 


cil  A  M  I'   DE    M  A  liS 


soutenue  sur  sa  selle  d'atelier  par  des 
béquilles  de  bois,  nous  avertit  que 
quelque  chose  d'insolite  est  proposé  au 
jugement  de  l'opinion.  Vous  l'avez  de- 
viné, nous  sommes  en  présence  du 
Viclnr  Huf/o  de  M.  liodin. 


utilisé  dans  son  groupe),  M.  Rodin  serait 
encore  un  des  maîtres  de  la  plastique 
moderne. 

Mais  qu'a-l-il  voulu  prétendre  en  con- 
viant le  public  à  discuter  une  œuvre 
en    voie    d'enfantement  ?    A-t-il    voulu 


Fr;igun-nt  du  ,I/oh«« 


M.  linrtliolomi'. 


Me  voici  vraiment  l'ort  perplexe.  J  ad- 
mire autant  que  quiconque  le  génie  de 
M.  llodin  ;  je  sais  ce  qu'il  nous  a  donné 
comme  manieur  de  chairs  et  comme 
évocateur  de  vie,  et  je  mets  le  praticien 
an-dessus  de  toute  discussion.  N'cùt-il 
l'ail  que  le  groupe;  du  Uniscr  et  ses  admi- 
rables bnsles  {l);il<iii,  Anlonin  l'rinisl, 
\'itl(ir   /liufii.  celui-là  même  (pi'il   ,i 


al'lirnier  le  ilroit  du  public  à  violer  le 
secret  de  l'atelier?  .-V-l-il  entendu,  au 
contraire,  déclarer  par  cet  envoi  que 
l'ieuvre  lui  semblait  à  [)oint  et  i(u'olle 
était  parvenue  à  ce  moment  psycho- 
logique où  il  convient  de  n'y  plus 
toucher?  S'agirail-il  tout  simplement 
d'une  fantaisie  dont  raniour-pr(>|)re  de 
l'inléi-essé    n'a    pas    calcule     lonles    les 


l,i;S    SALONS     DK    IHD" 


Le    Marichal    Cauroherl, 
(Statue  en  bronze  pour  la 


par    M.    A.    Lenoir. 
■illeileSaint-Céré.) 


conséquences?  Je  ne  sais.  Quoi  qu'il  eu 
soil,  prenons  révéncinenl  tel  qu'il  se 
présente  et  cherchons  ii  déduire  les  en- 
seignements qu'il  comporte. 

Assurément ,  la  pensée  créatrice  de 
M.  Itodin  se  comprend  ;  elle  est  superbe 
et  impérativement  expressive.  Le  poète 
sera  assis  sur  un  rocher;  au-dessus  de 
lui  planera  rins|)iration  lyrique,  celle 
des  (lliAliincnls  et  de  la  Lci/einic  des 
.siècles:  derrière  lui  se  dissimulera  hum- 
blement l'inspiration  intime,  celle  des 
V'o/j-  inlcricures  et  des  C.hniils  du  cré- 
/>ii.f<iilc  ;  de  son.  vaste  front  absorbé  par 
le  rêve,  de  sa  poitrine  haletante,  de  son 
geste  dominateur  jaillira,  comme  un 
éclair,  le  \'erbe  qui  doit  parler  à  l'I'^s- 
pril;  la  nudité  des  immortels  donnera 
même  à  la  figure  principale  le  caractère 
de  grandeur  épique  qui  lui  convient.  Je 
vois  tout  cela  et  je  l'admire;  cependant, 
si  d'aventure  tout  cela  disparaissait  dans 
l'exécution  finale,  ou  se  trouvait  grave- 
ment compromis,  pourquoi  m'en  donner 
le  regret  ?  Car  je  ne  suppose  pas  que  ce 
groupe,  dont  les  bras  sont  attachés  avec 
des  ficelles,  puisse  être  envoyé  ainsi  à  la 
fonte.  Passe  encore  s'il  s'agissait  d'une 
véritable  ébauche  à  grandeur  d'exécu- 
tion et  d'intentions  définitives;  mais  ce 
n'est  pas  cela  :  M.  Rodin  n'expose,  en 
somme ,  il  était  facile  de  s'en  rendre 
compte,  qu'une  maquette  de  quelques 
décimètres,  grandie  par  une  mise  au 
point  et  moulée  ensuite  en  plâtre,  de 
façon  à  donner  le  change  sur  sa  gran- 
deur réelle.  Je  ne  saurais,  pour  ma  part, 
approuver  une  semblable  dérogation  aux 
rèffles  consacrées. 


BAR  TU  OLO  .M  l: 

Dans  le  Rodin,  tout  est  tumulte, 
désordre,  agitation;  dans  le  fragment 
en  pierre  du  Monument  aux  nior(s,  de 
M.  Bartholomé,  tout  est  repos,  gravité 
et  recueillement.  J'ai  déjà  dit  ici  mon 
admiration  profonde  pour  une  création 
qui  sera,  après  le  bas-relief  du  Départ. 
de  Rude,  la  grande  œuvre  sculpturale 
du  siècle;  je  n'y  reviens  que  pour  con- 


CHAMP   1)1-:    MAH! 


slaler  avec  joie,  d'après  cet  essai,  tout  I   m'avenlurer  dans  le  domaine  des  hypo 


ce  que  le  premier  modèle,  si  beau  pour- 
tant, aura  bénéficié  du  grandissement 
et  du  paracbèvement  final.  Descendant 
et  émule  des  gothiques,  M.  Hartholomé 
semble  né  pour  le  travail  de  la  pierre; 
c'est  un  tailleur  d'images,  dans  la  plus 
noble,  la  plus  haute  acception  du  mot. 


thèses,  prédire  à  cette  création  monu- 
mentale un  immense  retentissement.  On 
cherche  le  «  clou  »  artistique  de  1900  :  le 
voilà. 


A  L  F  R  E  D    I,  E  N  O  I  R 


Il    faut    bien    que,    de   temps  à   autre, 


fil  briques  (;maillées,  p^ir  MAf.  Cliarptiitier 


Sa  belle  intelligence  a  entrevu  l(;s  fins 
immuables  de  l'art;  sa  science,  débar- 
rassée des  misères  du  métier,  l'y  con- 
duira d'un  pas  sûr.  J'ai  pu  examiner 
la  grande  maquette  architecturale  du 
monument,  (el  ([u'il  sera  édifié  au  milieu 
de  l'avenue  centrale  du  Père-Lachaise, 
à  mi-chemin  de  la  montée;  j'ai  vu  les 
niodilicalions,  longuement  méditées  que 
le  maître  y  a  apportées,  d'accord  avec 
l'architecte,  M.  h'ormigé,  cl  je  puis,  sans 


une  œuvre  sincère,  étudiée  avec  le  souci 
de  la  dignité  de  l'art,  et  justifiée  par  la 
(|ualité  (lu  personnage  à  éterniser  dans 
le  marbre  ou  le  bronze,  vienne  nous 
consoler  de  foules  les  platitudes  dont 
on  nous  accable,  de  foules  les  fausses 
gloires  dont  on  nous  encombre,  des  fan- 
toches enfin  dont  on  déshonore  nos  rues 
et  nos  places  publiques.  I-orsque  ('elle 
(euvre  de  bonne  foi  nous  a|)parai(,  nous 
la    saluons    d'un     r<'<;ar(l    reconnaissanl. 


AI.ONS     DIO     lS!t7 


La  Douleur^  statue  en  marbre,  par  M,  Esoouki 


Les  souscripteurs  du  monument  du  Ma- 
réchal Canrohert  ne  regretteront  pas 
leur  argent;  l'auteur  de  la  belle  statue 
de  Berlioz,  du  square  Vintimille,  vient 
de  démontrer  péremptoirement  que  leur 


condaiice  availété  bien  pla- 
cée. Le  Ijronze  du  Canro- 
bcrl  se  dresse  au  milieu  du 
SmIdii  (lu  Champ  de  Mars, 
\n;inl  et  bien  campé;  à 
S;iiiil-Céré,  il  s'élèvera  sur 
iiii  haut  piédestal  de  pierre 
auquel  M.  Alfred  Lenoir  se 
propose  d'adjoindre  deux 
ll;,'ures  allégoriques  et  réelles 
à  la  fois  :  un  zouave  et  un 
soldat  de  ligne,  personni- 
liant  les  campagnes  de  Cri- 
mée et  d'Italie.  L'idée  est 
claire,  franchement  sculp- 
turale et  sa  réalisation  plas- 
tique sera, je  n'en  doute  pas, 
excellente.  L'(jeuvre  iconi- 
que  de  M.  Lenoir,  telle 
qu'elle  est  déjà,  se  présente 
comme  une  des  meilleures 
tpi'il  nous  ait  été  donné  de 
voir  durant  ces  vingt  der- 
nières années. 

eu  ARI'UNTI  EH 

L'Orient  avait  montré  tout 
le  parti  qu'on  pouvait  ob- 
tenir de  la  céramique  ap- 
pliquée à  la  décoration  mo- 
numentale; les  frises  du 
palais  de  Darius,  exhumées 
par  M.  Dieulafoy  et  magnifi- 
quement restituées  au  Lou- 
vre, devaient  avoir  leur 
contre-coup  sur  les  recher- 
ches de  la  statuaire  ;  la 
brique  émaillée  et  appa- 
reillée est,  en  effet,  un  mode 
de  décoration  qui,  manié 
par  des  mains  habiles,  peut 
devenir  singulièrement  sou- 
ple et  pittoresque,  durable 
en  même  temps  et  écono- 
mique. M.  Formigé,  dès 
1889,  avait  eu  le  sentiment  des  res- 
sources qu'offrait  l'emploi  de  la  céra- 
mique comme  adjuvant  de  l'architecture 
métallique  et  il  en  avait  tiré  les  plus 
heureuses    applications    dans    la    con- 


en  AMI-    DK    M  Ali  a 


struclion  de  ces  beaux  [)alais  bleus 
condamnés  bientôt  à  disparaître  ;  — 
vandalisme  inutile,  soit  dit  en  passant, 
puisqu'on  était  décidé  .'i  conserver  pré- 
cieusement la  Tour  Eiffel,  la  Galerie 
des  machines,  le  Palais  du  Trocadéro, 
les  grandes  lignes  enfin  de  l'Exposition 
de  1889. 

Le  bas-relief,  en  briques  émaillées,  de 
MM.  Charpentier  et  Mijller,  les  Boii- 
laiicfers ,  est  destiné,  je  suppose,  au 
Palais  de  l'Alimentation  en  1900;  c'est 
une  adaptation  selon  le  goût  moderne 
des  admirables  modèles  laissés  par  les 
vieux  Persans. 

La  tentative  est  très  intéressante  et 
digne  en  tout  d'être  encouragée.  Seu- 
lement elle  présente,  à  mes  yeux,  un 
défaut  que  je  tiens  à  signaler.  La  façon 
dont  les  joints  de  l'appareil  ont  été  mis 
à  nu  et  même  soulignés  est  une  erreur 
manifeste.  Jamais,  au  grand  jamais, 
les  artistes  de  Darius  n'auraient  com- 
mis un  tel  manquement  aux  principes 
rationnels  de  l'art;  les  joints  que  né- 
cessitait l'emploi  des  petits  matériaux 
étaient  soigneusement  atténués,  cela 
est  certain;  s'ils  sont  apparents  dans  la 
restitution  du  Louvre,  c'est  qu'on  n'a 
pu  unir  à  joints  vifs  les  briques  dont  les 
arêtes  étaient  usées.  Pour  tout  le  reste, 
composition,  dessin  et  couleur,  le  bas- 
relief  mural  de  M.  Charpentier  est 
excellent. 


Parmi  les  statues  les  plus  recomman- 
dablesque  le  Salon  du  Champ  de  Mars 
ait  vues  éclore,  je  citerai,  cette  année,  en 
terminant,  la  belle  et  expressive  figure 
de  la  Douleur,  exécutée  par  M.  Escoula 
pour  un  tombeau.  Nous  en  donnons  ici 
la  reproduction. 

Toute  celte  exposition  de  sculpture 
est  d'ailleurs  superbe  et  les  morceaux 
de  valeur  y  abondent.  Si  je  voulais  être 
en  règle  avec  ma  conscience,  je  devrais 
m'arrêler  devant  les  envois  si  intéres- 
sants, à  divers  titres,  de  M.  Dalou  (trois 
bustes  admirables);  de  M.  Lambeaux 
(groupe  en  bronze,  les  Lutteurs;  de 
mouvement  puissant  et  de  merveilleuse 
patine);  de  ^L  Dampt  (délicieux  buste 
en  pierre  lithographique  d'un  jeune 
garçon,  casqué  et  armé  en  chevalier); 
de  MM.  Bourdelles,  Vernhes,  Masseau 
(bustes  en  bronze  et  en  marbre);  do 
AL  Henri  Cordier  (cavaliers  d'Afrique, 
en  bronze);  je  devrais  aussi  discuter  les 
essais  si  curieux  de  sculpture  en  cire  de 
M.  Ringel  d'Illzach,  un  vétéran  de  la 
polychromie;  mais  si  je  me  laissais  in- 
duire en  tentation,  mon  article,  déjà 
long,  envahirait  le  numéro  tout  entier. 
Il  vient  un  moment  où  il  faut  avoir  la 
ferme  volonté  de  poser  le  point  final. 

Louis     (ioNSH. 


1»1<:T1TS    HOTELS    MODERNES 

lloTKI,    (jDNKTUrlT     l'Ail     M.     SAUVKSTIIK 


EN    SMALAH 


si)ii\'i;miis    i>  UN    ofi-'ici  lUi    de    spahis 


(Jui,  dit  le  capitaine  iJLiroclier  en 
poussant  un  profond  soupir,  c'était  lo 
bon  temps  alors!  La  vie  rude,  mais 
large;  la  sauvagerie  à  l'état  chronique, 
mais  si  sentimentale  qu'elle  devenait 
une  poésie:  une  nature  âpre  avec  des 
sites  pittoresques;  des  hommes  à  l'air 
farouche,  mais  d'une  naïveté  enfantine  ; 
une  existence  patriarcale  comme  on  la 
lit  dans  la  Bible;  du  monde  civilisé, 
quelques  échos  lointains,  rares,  n'éveil- 
lant plus  en  moi  qu'un  restant  de  curio- 
sité sans  allumer  ni  convoitises,  ni  re- 
grets, voilà  la  vie  de  smalah,  celle  que 
j'ai  menée  durant  les  huit  premières  an- 
nées de  mon  existence  militaire,  je  la 
l'egrette,  oui,  je  la  regrette  ! 

Après  une  pose  passée  dans  une  pro- 
fonde méditation,  le  capitaine  Durocher 
continua  : 

A  ma  sortie  des  l'xoles,  (h'signé  sur 
ma  demande  pour  servir  aux  spahis,  je 
fus  flirigé  sur  Alger.  J'étais  plein  d'ar- 
deur, plein  de  foi  en  l'avenir,  plein  de 
dé<lain  pour  mes  jeunes  camarades  qui 
se  condamnaient  aux  monotonies  de 
l'exislence  dans  les  garnisons  de  France. 

Il  fallait  voir  avec  quelle  crâneric 
mêlée  d'orgueil  j'endossai  mon  pi-cmicr 
uniforme,  confectionné  à  l'aiisclic/  l'un 
des  tailleurs  militaires  en  renom,  (l'était 
au  temps  où  les  culottes  commen^aienl 
à  devenir  boud'anles,  où  les  képis  allon- 
geai<'nl  démesurénu'iil  li'ui-  \  isière  et 
leui-  coilfc,  fa(;on  Sauinui-,  Ali  !  la  belle 
l<'nuc  ilr  icunc  sous  lieuli'iiaiil ,  (|ucllc 
coupi'  irn''|iriii-li,ililc,  (|ucl  chic!  l'uninic 
j'allais...  r/i;ilci-  les  cainar.iilcs  d'.\fn- 
qui',  qu'un  disait  ai-riérc'S  r[\  nialirri'  di' 
IcMur! 

I  )rs  nmn  aiTivi''c  au  d('-|iol  du  légi- 
niciil,  iiù  résidaicnl  ri-lal-major  et  deux 
cscadinns.  j  allai  faire  ma  visite  au  colo- 
nel. 

'ii'lall  un  honiiue  rigide  el  froid.  I'!ii 
VI.  —  7. 


voyant  ma  tenue,  il  froiira  le  sourcil. 
Après  l'échange  de  quelques  paroles  lia- 
nales  pendant  lesquelles  il  [larut  médi- 
ter, les  yeux  fixés  sur  la  pointe  de  ses 
bottes,  il  redressa  la  tête,  croisa  les  bras 
et,  me  regardant  dans  les  yeux  : 

—  Monsieur,  dil-il  d'un  air  qui  me 
fit  jiAlir... 

...  El  il  s'arrêta  brusqueinçiil.  In  trait 
de  lumière  avait  du  traverser  son  cer- 
veau,car  son  front  s'éclaircit.  PicnanI  un 
air  narquois,  il  continua  en  ces  termes  : 

—  Vous  appartenez  au  'Y'  escadron, 
smalah  de  C...  et  vous  serez  mis  en 
route  demain.  Avez- vous  un  cheval? 

—  Non,  mon  colonel. 

—  ^'ollS  en  choisirez  un  parmi  le-- 
disponibles,  l'ailes  vos  prl■■paratil'^  de 
départ.  Adieu,  monsieur. 

Je  sortis  le  cceur  gros,  sentant  bien 
(|ue  j'avais  déplu,  que  j'étais  sous  le 
coup  d'une  disgrâce,  que  la  smalah 
de  C...  devait  être  ma  Sibérie. 

Je  commençais  à  apprendre  à  mes  dé- 
pens qu'aux  spahis  ce  ii'csl  fins  l'hnhit 
(/ui  f:iil...  considérer  l'oflicier  comme 
un  homme  de  valeur.  J'allais  recevoir 
une  autre  leçon  cpii  me  cori-igcr;nt  tout 
à  fait. 

(l'est  sous  ces  aus[)ices  (pie  je  me  mis 
en  roule  le  lendemain,  accom|)agné  d'un 
spahi  (|ui  devait  me  servir  de  guide,  el 
suix'i  de  mes  bagages  à  dos  de  mulel. 
J'avais  cent  eiurpiaiite  Kilomèlre-  à  fran- 
chir. 

.le  11-;  dans  m.i  jourm'e.  à  la  moili' 
arabe.  1rs  cent  dix  lulomèlri's  (pu  me 
séparaii'nl   de  'riemecn. 

Le  lendemain, je  lis  ma  deniicre  étape, 
quarante  kilomètres  à  travers  la  brous- 
saille,  par  de  marnais  chemins,  dans  un 
|)ays  de  [)lus  en  |)lus  aeci<lenli',  m  èle- 
\ant  de  terrasse  en  leria--e  jiisqii'anv 
|)remiers  conlreforls  des  hauts  pla- 
teaux. 


Vers  le  soir,  au  détour  d'une  colline, 
le  spahi  qui,  dans  ce  moment-là,  mar- 
chait devant  moi,  me  montra  la  smalah. 

Sur  la  pointe  ahaissée  d'un  haut  pro- 
montoire horde"  de  roches  abruptes 
qu'entourent  les  eaux  tumultueuses  d'un 
torrent,    s'élèvent   les    tristes  murailles 


du  hordj,  llauquées  de  bastions  carrés. 
Le  soleil  couchant,  —  un  soleil  d'Afri- 
que, —  jetant  derrière  elles  son  man- 
teau de  feu,  les  fait  paraître  plus  sombres, 
donne  à  leur  silhouette  un  aspect  sinis- 
tre. Comme  cadre,  des  montagnes  vio- 
lettes avec  de  larges  taches  noires,  des 
roches  rouge  sombre,  un  ciel  d'un  bleu 
intense;  les  teintes  les  plus  inattendues, 
les  plus  abracadabrantes  pour  l'œil  qui 
n'y  est  pas  exercé,  s'étendent  sur  ce 
chaos  montagneux;  le  rêve  de  l'impres- 
sionniste devenu  réalité  se  présente  à 
ma  vue,  dans  un  silence  de  mort,  trou- 
blé seulement,    de   loin   en   loin,    par  le 


froissement  d'ailes  d'une  chauve-souris 
ou  le  cri  sinistre  d'un  chacal. 

Ah!  j'avoue  qu'à  cette  vue  j'eus  le 
cœur  serré  !  Il  me  sembla  que  j'allais 
entrer  vivant  dans  un  tombeau,  je  fis 
un  rêve  éveillé  dans  lequel  je  revis  le 
jeu  de  physionomie  de  mon  colonel. 
Pourtant  cette  pé- 
n  ible  impression 
dura  peu;  mon  che- 
val s'était  arrêté 
comme  s'il  avait 
compris  mes  hési- 
tations, je  le  mis  au 
galoj). 

En  un  temps,  in- 
terrompu seulement 
par  une  côte  à  des- 
cendre, une  rivière 
à  passer  à  gué,  une 
côte  à  monter,  j  ar- 
rivai à  la  porte  du 
bordj. 

l'^n  pénétrant  sous 
le     grand     portail , 
j'aperçus,   adossé   à 
la  voiîte,  un  Euro- 
péen vêtu  d'un  mé- 
chant    complet     de 
velours,  coilTé  d'un 
large  feutre  très  fa- 
tigué,    chaussé    de 
guêtres   et   de  gros 
souliers  ferrés,  fusil 
en         bandouillère, 
teint     basané,    che- 
veux et  barbes  incultes  ;  j'avais  rencontré 
sur  ma  route  des  hommes  de  ce  type-là,  on 
m'avait  dit  que  c'étaient  des  Espagnols. 
^'oulant  me  renseigner   sur  la  direc- 
tion que  je  devais  prendre  dans  le  bordj, 
et  ne  voyant  que  lui  à  qui  parler  en  lan- 
gage chrétien,  —  je  ne  connaissais  pas 
l'autre,  —  je  l'interpellai  : 

—  Qu'est-ce  que  vous  êtes  dans  les 
huiles,  vous?  lui  demandai-je  en  argot 
militaire. 

—  Monsieur,  me  répondit-il  en  se 
découvrant  poliment,  je  suis  le  capitaine 
commandant  de  la  smalah. 


K\     SMALAH 


qu 


Eh  bien,  me  voilà  beau!  —  Aussi, 
pourquoi  élail-i!  ainsi  ficelé!  —  Etait-ce 
ma  faute,  à  moi,  si  je  lavais  pris  pour 
uu  f^arçon  de 
cantiiK'  ou  uu 
braconnier  es- 
pag^nol  !  —  Il 
n'a\ait  qu'à 
conserver  une 
tenue  cor- 
recte, et  j'aurais  su  à 
qui  je  parlais. 

Mais  j'avais  beau 
\'ouloir  me  raisonner, 
au  fond,  ma  con- 
science mo  dénonçait, 
je  comprenais  que 
j'avais  eu  tort,  que, 
que  soit  Ihomme,  je  n'au- 
rais pas  dû  l'interpeller  de 
favon  aussi  légère. 

Mes  débuis  continuaient 
à  être  très  malheureu.x. 

Comme  il  était  l'heure 
de  dîner,  le  capitaine  me 
lit  conduire  à  In  chambre 
dos  hôtes,  pour  y  l'aire  ma 
toiletle. 

A  tal)le.  je  lrou\ai  réunis 
le  capitaine  commandant, 
le  cajiilaine  en  second,  et 
un  lieutenant  qui,  avecmoi, 
formaient  au  complet  régle- 
mentaire le  cadre  des  ofli- 
<iers  français  de  l'escadron. 

Le  repas  fut  morne.  Le  capitaine  en 
second,  (pu  avait  [lourlant  l'aii-  il'un 
bon  gros  vivant,  fut  grognon  ;  le  ca|)i- 
taine  commandant  ne  parla  qu'on  termes 
sentencieux  dont  je  no  compris  que  trop 
les  intentions;  le  lieulenanl  garda  une 
sti  ictr  neuli-aliir-, 

.\[)rès  le  repas,  le  capitaine  couiman- 
<lant  se  leva  et  me  congédia  :  — Monsieur, 
me  dit-il  .  vous  devez  être  fatigué, 
.Ahmed  va  \(ius  conduire  à  votre 
<liambi-e;  bonne  nnil,  monsieur. 

.\lnned  l'Iail  lindigène  chargé  du  ser- 
virc  de  la  lalile,  il  parlait  assez  bien  le 
français.  Marchant  devant  moi.  il  me 
<onduisil  ù  l'extrémité  du   pavillon.   Ma 


chambre  était  au  premier  étage  :  c'était 
une  grande  pièce  carrée,  aux  murs  nus, 
peints    en    vert.    Dans    uu    angle    élail 


dross. 

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■oiiique. 

iblail  allendre  cpiclque  observa- 


ICN     SMAI.AII 


lion,  je  le  congédiai  en  le  remerciant 
el  je  m'assis  sur  mon  lit  en  proie  aux 
amères  réncxions  que  me  sugf,'éraienl 
mes  malheureux  débuls. 

.l'étais  par  bonheur  doué  d'une  cer- 
taine force  morale,  je  n'étais  pas  dénué 
de  bon  sens,  j'avais  surtout  le  désir  de 
plaire  à  mes  chefs  et  de  faire  mon  de- 
voir; la  jeunesse  seule,  l'inexpérience 
de  la  vie,  gâtaient  tout. 

Je  n'en  voulus  pas  'i  mon  capitaine 
dem'avoirsi  durement  traité;  ne  l'avais- 
je  pas  bien  mérité?  Au  contraire,  la  leçon 
me  profita. 

Le  lendemain  matin,  quand  j'eus  re- 
vêtu ma  pimpante  tenue  et  que  je  me  re- 
gardai, je  me  trouvai  ridicule.  Non,  je 
n'étais  pas  un  officier  d'Afrique,  je  le 
compris  et  j'eus  honte;  me  déshabillant 
à  la  hâte,  je  recherchai  dans  mes  can- 
tines, pour  les  revêtir,  mes  vêtements 
les  plus  modestes. 

Lorsque  je  descendis  dans  la  cour  du 
bordj,  l'animation  y  régnait  déjà.  Les 
spahis  pansaient  leurs  montures.  Les 
chevaux  piaffaient,  hennissaient,  se 
tourmentaient  à  attendre  la  ration  ;  le 
maréchal  des  logis  chef  transmettait 
des  ordres  au  sous-officier  de  semaine  ; 
l'officier  indigène  de  jour,  vêtu  d'un 
caban  bleu,  se  promenait  gravement  les 
mains  derrière  le  dos,  tandis  que  le  four- 
rier en  pied  courait,  ayant  en  main  les 
pièces  à  signer. 

Je  demandai  le  capitaine,  on  me  con- 
duisit à  la  salle  du  rapport. 

Occupé  à  expédier  son  courrier,  le 
capitaine  commandant  ne  sembla  pas 
tout  d'abord  remarquer  ma  présence. 
J'attendis  debout  à  quelques  pas.  Lors- 
qu'enlin  il  leva  la  tête,  il  me  considéra 
en  silence.  J'avais  les  yeux  fatigués  d'un 
homme  qui  a  mal  dormi,  mais  le  sou- 
rire aux  lèvres. 

Soudain,  le  capitaine  me  comprit  et, 
se  levant  vivement,  vint  à  moi  les  mains 
largement  tendues  et  me  donna  une 
royale  poignée  de  main. 

La  glace  était  rompue  et  ma  mala- 
dresse oubliée. 

A  midi,  le  capitaine  en  second  et  le 


lieutenant  me  firent  le  meilleur  accueil  ; 
le  soir,  on  mit  les  petits  plats  dans  les 
grands  pour  fêter  mon  arrivée,  j'étais 
désormais  de  la  famille;  je  fus  bientôt 
le  fils  chéri  de  ces  braves  gens. 

Plus  tard,  lorsqu'il  me  fallut  les  quit- 
ter, je  pleurai  à  chaudes  larmes. 

Le  cadre  des  officiers  était  complété 
par  trois  officiers  indigènes  :  un  lieute- 
nant et  deux  sous-lieutenants.  Le  lieu- 
tenant s'appelait  Ahmed  ben  Lagdar. 
C'était  un  bel  .Arabe  d'âge  mûr,  au  vi- 
sage grave,  au  port  droit  el  noble,  une 
figure  biblique  dans  son  costume  orien- 
tal. Élevé  au  lycée  d'Alger,  il  parlait  le 
français  avec  une  pureté  qui  frisait  l'élé- 
gance. Erudit,  sa  conversation  était  at- 
trayante. Je  me  liai  promplemenl  avec 
lui  et,  s'il  ne  devint  pas  précisément  mon 
ami,  il  fut  du  moins  pour  moi  un  agréa- 
ble compagnon  et  un  bon  camarade. 

15en  Lagdar  m'olfrit  de  me  faire  con- 
naître la  smalah.  Nous  partîmes  à  pied, 
une  après-midi,  un  bâton  à  la  main;  il 
marchait  devant  d'un  pas  lent  et  mesuré 
et,  tandis  que  nous  gravissions  la  col- 
line, de  sa  belle  voix  de  ténor  un  peu 
grasse,  mais  harmonieuse,  qui  me  berçait 
comme  un  chant,  il  me  parlait  des 
spahis,  de  la  conquête  de  l'Algérie,  de 
l'occupation  de  ce  pays  perdu,  de  la 
création  des  smalahs. 

Arrivés  à  mi-côte,  Ahmed  s'arrêta  et 
son  visage  prit  une  expression  de  tristesse. 
Élevant  le  bras,  il  me  montra,  sur  notre 
gauche,  un  espace  couvert  de  tumuli  et  de 
pierres  levées  :  «  Le  cimetière,  me  dit- 
il.  Là  sont  enterrés  beaucoup  de  spahis 
morts  au  service  delà  France.  Comme  tu 
le  vois,  l'égalité  la  plus  parfaite  y  règne, 
toutes  les  tombes  se  ressemblent  :  même 
forme,  même  orientation  vers  la  Mecque, 
nulle  inscription;  on  ne  connaît  les 
tombes  des  siens  qu'au  rang  qu'elles  oc- 
cupent dans  les  alignements.  Celle  que 
tu  vois  là,  la  troisième,  est  celle  de  mon 
père:  il  était  sous-officier  à  l'escadron, 
tu  entendras  souvent  parler  de  lui,  car 
il   fut  chasseur  émérite  et  brave  soldat. 

Cependant  nous  avions  repris  notre 
ascension.  La  pente  devenait  rude,  ro- 


i;n   smalah 


cailleuse,  parfo 
rocher  formait  de  véritables 
escaliers  qu'il  fallait  gravir. 
Je  voyais  partout  l'empreinte  du 
pied  des  chevaux  ;  j'en  lis  la 
remarque  à  Ben  Lagdar,  il  sou- 
rit :  "  Nos  chevaux,  me  dil-il,  onl  le 
pied  aussi  sûr  que  nos  mulets.  Ils  gra- 
vissent ces  pentes  sans  efforts,  ils  les 
descendent  de  même,  ayant  en  outre  sur 
le  garrot  une  grosse  botte  d'alfa  qu'ils 
ont  été  chercher  dans  la  montagne  et 
qui  doit  leur  ser\ir  de  lilirrc  Jamais 
nous  n'avons  eu  à  déphirei-  (raceidenl. 
.Nous  comprenons  l'écpulalidn  à  noire 
favon,  nous  ne  faisons  pas  de  ré(pnlalion 
savante,  nous  faisons  de  l'cquilalion 
()ratique.  Dans  nos  montagnes  comme  à 
la  guerre,  la  science  é(piestre  est  un  luxe 
inutile,  (le  (pi'il  faiil  à  nos  chevaux, 
conuHi'  à  Udus,  c'i'sl  Ihui  |iied.  bon  leil 
cl   MU  csloinac  rnniplai>anl .    ■■ 

Arri\cs  au  --(inHUcl  de  la  cullinc,  mius 
voyons  au-dc>sciu^  i\r  nou>  \r  burdj, 
avec'  li>  rectangle  de  m'S  ipiati'c  laces 
nan(pii''es  de  bastions  carrés. 

l'ont  prés,  sur  le  versant,  sont  les 
lentes  des  spahis,  rangées  en  douars 
(c'est-à-dire  en  cercles),  entourées  do 
haies  d'éjiiiies  appi-h'cs  zrrril);is. 


Quoique  à  cette  heure  du  jour  —  il 
était  cinq  heures  —  les  troupeaux  fus- 
sent encore  dehors,  il  régnait  dans  les 
douars  une  certaine  animation.  Les 
aboiements  furieux  des  chiens  roux  à 
long  poil,  les  cris  des  volailles,  les  aj)- 
pels  gutturaux  des  femmes,  les  brai- 
ments passionnés  des  ânes  montaient 
jusqu'à  nous. 

Des  femmes  voilées,  courbées  sous  le 
poids  des  jieaux  de  bouc  remplies  d'eau 
puisée  à  la  rivière,  gravissai(>ut  péni- 
blement les  pentes  du  ravin.  On  prépa  , 
rait  le  couscous  du  soir. 

.\  <piel<pic  distance  m'  \dvail  le  ma 
rabciul  aux  nun's  blanchis  à  la  chaux  ; 
c'ol  la  sépullin-c  i\u  saint  du  pays,  l'oul 
aulnui-,  ^ous  sa  prolcclion,  MUit  les  sd.'-- 
dans  les(|uels  les  spahis  i-cnfcrnienl  leurs 
récolles;  au-dessous,  éparses  sur  la  l'ol- 
line,  les  blanches  et  pnipi-cltcs  maisou- 
nelles  des  ofliciers   indigènes. 

I-a  smalah  lire  ^cm  iMipi>rlancc  de  sa 
situation  au  déb.iuclu'  des  inoutagnes,  à 


i:n   smai.aii 


rcnliH'C  (le  la  ])laiiie;  elle  surveille  l'une 
et  l'an  lie. 

C'est  un  poinl  d'occupation  au  milieu 


J]  I  E  N  s    II  O  U  X    AT   L  0  N  (i    POIL 


des  tribus  qui,  livrées  à  elles-mêmes, 
seraient  la  proie  du  premier  agitateur 
venu,  et  comme  les  spahis  sont  recrutés 
dans  le  pays,  ils  assurent  la  tranquillité, 
autant  par  la  surveillance  qu'ils  exercent, 
qu'en  servant  d'otages  inconscients,  eux 
et  leurs  familles. 

Ben  Lagdar  m'explique  comment  se 
fait  le  recrutement  des  spahis  indigènes 
de  smalah. 

N'est  pas  spahi  qui  veut.  Pour  être 
admis,  il  faut  jouir  dune  certaine  noto- 
riété dans  sa  tribu,  être  chef  ou  fils  d'un 
chef  de  tente,  amener  un  bon  cheval 
d'armes,  une  ou  plusieurs  tentes,  au 
moins  une  femme,  posséder  des  trou- 
peaux, autant  que  possible  une  jument, 
enfin  avoir  un  ou  plusieurs  khammès 
(serviteurs). 

Me  montrant  du  geste  les  terres  qui 
environnent  le  bordj  :  «  Tout  cela,  me 
dit-il,  appartient  aux  spahis.  Chacun 
d'eux  reçoit  de  15  à  "20  hectares  de  ter- 
rains de  parcours  pour  les  troupeaux,  et 
de  1.5  à  'iO  ares  de  terres  irrigables.  Avec 


ses  terres,  sa  solde  cl  ses  troupeaux,  le 
spahi     peut     faire    vivre     aisément    sa 
famille,  car  l'Arabe  a  peu  de  besoins.  » 
C'est  ainsi   que  je   m'initiais 
peu  à  peu  à  l'existence  des  spahis 
de  smalah,  vrais  soldats  labou- 
reurs   tels   que    les    avait   rêvés 
Hngeaud  pour  ses  villages  mili- 
taires. .Mais  si  les  spahis  s'accom- 
modent de  cette  existence  mixte, 
c'est   parce   qu'elle    ne    change 
rien  à  leur  constitution  sociale, 
basée  sur  une  sorte  de  féodalité 
et  sur  le  communisme. 

Le    spahi   manie    la    charrue 

comme  le  sabre  (ense  el  anilro). 

V.\\  dehors  du  service   intérieur, 

de  celui  des  détachements,  des 

expéditions,  il  cultive. 

Dans  le  principe,  les  smalahs  devaient 
servir  aux  spahis  d'écoles  d'agriculture; 
mais  les  Arabes  n'eurent  que  du  dédain 
pour  nos  beaux  procédés  et  continuèrent 
de  cultiver  à  leur  manière. 

Comme  le  jour  baissait,  nous  redes- 
cendîmes la  colline:  mais,  au  lieu  de  re- 
gagner le  bordj,  nous  allâmes  nous 
asseoir  sous  une  tonnelle  rustique. 

C'était  l'heure  de  la  rentrée  des  trou- 
peaux ;  on  les  voyait  dévaler  de  toutes 
parts,  bientôt  ils  commencèrent  à  gravir 
les  pentes,  venant  vers  nous  en  pha- 
langes houleuses,  comme  une  marée 
montante;  les  brebis  bêlaient  de  ce  ton 
plaintif  de  bêles  malheureuses  qu'elles 
conservent  lors  même  qu'elles  sont  re- 
pues. Les  bergers,  armés  du  long  bâton 
recourbé,  faisaient  entendre  des  appels 
stridents,  sifflaient  leurs  chiens,  lan- 
çaientla  fronde  auxbrebis  récalcitrantes. 
Les  troupeaux  de  chèvres  ne  se  voyaient 
plus,  dans  la  nuit  tombante,  que  comme 
des  taches  noires  glissant  sur  le  fond 
gris  du  sol  ;  derrière  eux  venaient  les 
vaches  mugissantes,  enfin  les  chameaux 
dont  on  ne  distinguait  plus  que  vague- 
ment les  grands  cous  qui  se  balancent  et 
les  longues  jambes  grêles,  qui  tricotent. 
Tous  ces  animaux  vont  s'engoulfrer 
pêle-mêle  dans  l'enceinte  des  douars,  où 
les    femmes    des    spahis,  reconnaissant 


aisément  les  bêtes  qui  leur  appartiennent, 
viennent  traire  chèvres,  brebis,  vaches, 
et  jusqu'aux  chamelles  dont  le  lait  est 
apprécié. 

Cependant,  la  nuit  étant  venue,  de 
f;rands  l'eux  s'allument  dans  les  douars, 
les  ombres  s'allongeant  déforment  les 
objets,  les  chacals  qui  rôdent  pour  cher- 
cher une  pâture  hurlent  dans  la  mon- 
lag'ne,  les  chiens  leur  répondent  furieu- 
sement. Parfois  le  silence  se  fait  et  l'on 
entend  alors  les  sons  doux  et  mélanco- 
liques de  la  lli'rte  en  roseau  qui  fait  en- 
tendre une  mélopée. 

El  ce  sera  ainsi  tous  les  soirs  ;  tous  les 
soirs  on  assistera  à  la  rentrée  des  trou- 
peaux, à  l'illumination  des  douars,  aux 
concerts  de  flûte  et  de  derbouka  ;  tous 
les  soirs  on  entendra  les  cris  des  chacals 
et  les  aboiements  des  chiens  se  prolon- 
g-eanl  jusqu'à  Faube;  tout  ce  mouvement, 
tout  ce  bruit,  ([ui  éveille  sans  cesse  les 
échos  des  montagnes,  qui  en  trouble  les 
solitudes,  c'est  la  vie  en  smalah. 

Quinze  cents  êtres  humains  et  plus  de 
cinq  mille  têtes  de  bétail  grouillent  dans 
ces  trois  douars,  tandis  que  dans  le 
bordj  les  chevaux  de  l'escadron, 
sous  leurs  hangars  ouverts  à  tous 
les  vents,  dans  toutes  les  saisons, 
agitent  leurs  cent  cinquante  chaînes, 
que  les  gardes  décurie  font  en- 
tendre leurs  appels  gutturaux  poui- 
imposer  le  calme  aux  batailleurs, 
qu'au  café  maure,  accessoire  indis- 
pensable;! toute  smalah,  le  son  sourd 
et  cadencé  du  tam-tam  marque  la 
mesure  de  ipielque  danse  arabe  ou 
d'une  fantasia  kabyle. 

Il   faudra    vivre  dans  celle   caco- 
phonie   étourdissante    dont    on    ne 
peut  se  fair<'  une  idée  (|uaiid   on   iir 
l'a  [)as  entendue,  comme   d    faudra 
s'acclimaler  ilaris  un  pays  malsain.  C'est 
dur  (piand   on    vient    de   Fi'anee,    quand 
on  débute  dans  la  vie  militaire  au  sortir 
de    l'existence   de  Saint-Cyr,    avec     ses 
écliap[)ées  joyeuses  sur  Paris. 

(>etl(!  vie,  au  milieu  de  la  sauvagerie 
<lu  pays  et  des  gens,  semble  impossible 
aux    rares    visiteurs   des    smalahs  ;    des 


rapports  faits  au  ministre  de  la  guei-re 
par  les  généraux  inspecteurs  ont  pré- 
senté l'existence  des  officiers  de  smalah 
sous  un  jour  assez  sombre. 

Cependant  le  son  de  la  trompette  se 
faisait  entendre:  c'était  la  soupe  des  of- 
ficiers qui  sonnait,  nous  nous  séparâmes, 
nous  donnant  rendez-vous  pour lelende- 
main  et  je  me  rendis  à  la  salle  à  manger. 

C'est  au  repas  du  soir  qu'on  se  re- 
trouve généralement  au  complet.  Tout 
le  jour,  chacun  a  vaqué  à  ses  occupa- 
tions; la  chasse,  la  pêche,  les  excur- 
sions, les  courses  aux  localités  voisines, 
le  service  ont  plus  ou  moins  séparé  la 
petite  famille. 

On  se  raconte  les  événements,  on 
rend  compte  d'une  mission,  on  se  con- 
sulte pour  l'emploi  du  lendemain,  on 
dépouille  le  courrier  rjuand  il  Hrrire,  et, 
lorsqu'on  n'a  plus  rien  à  se  dire,  on  ra- 
conte des  gauloiseries,  de  sempiternelles 
histoires  qu'on  entend  pour  la  centième 
fois  et  dont  on  s<>  gausse  chaque  fois, 
parce  cpiil  faut  liien  rire  un  peu. 

I,e>     bordjs    sont    presque    lous    con- 


■•iWs'X^ 


struits   sur  le  même 
modèle,  le  modèle  il  u 
génie    :    lorsqu'on  a 
dépassé   l'entrée,   on   a   derrièri 
bureaux,  la   chand)re  di's  lu'iles. 
du  rapport,   le  corps    de    gaide 
des  enfants,  les  locaux  de  disci] 
fond    de    la    cour,   à  <lroile,  un 


n   les 
salle 


e.  .Au 
,  1 1 1  o  1 1 


i:  N     s  M. A  I.A  II 


I.  E     SEUvrCK      EN      CAMI'AUNK 


rpiifermaul  les  loyements  du  cadre  fran- 
çais (sous-officiers,  Irompelles,  ouvriers, 
ordonnances),  la  cantine,  l'alelierde  ré- 
parations. Derrière  se  trouvent  la  forge 
et  la  cuisine.  Au  fond  de  la  cour,  à 
g^auche,  on  a  le  pavillon  des  officiers, 
dont  la  moitié,  qui  comprend  :  salle  à 
manger,  salon,  deux  chambres  à  cou- 
cher, quatre  cabinets,  cuisine,  cave, 
appartient    au    capitaine   commandant. 

Les  officiers  sont  logés  dans  l'autre 
moitié,  ils  se  meublent  eux-mêmes, 
comme  ils  peuvent  ;  pour  mon  compte, 
j'ai  couché  mes  huit  années  dans  mon 
lit  de  troupe. 

Les  officiers  français  ont  un  jardin  en 
commun. 

Le  nôtre  était  un  véritable  éden.  On 
y  arrivait  par  une  longue  allée,  ombragée 
d'arbres  séculaires. 

Jamais  un  rayon  de  soleil  ne  pénétrait 
dans  cette  allée,  on  y  jouissait  tout  le 
jour  d'une  délicieuse  fraîcheur.  Des  cen- 
taines de  rossignols,  des  milliers  d'oi- 
seaux de  tout  plumage  y  faisaient  en- 
tendre les  chants  les  plus  variés.  Parfois 
un  craquement  dans  les  branches  faisait 


lever  la  tête,  on  apercevait  dans  l'ombre 
du  feuillage  sombre  deux  yeux  fascina- 
teurs,  ceux  d'un  lynx  ou  d'un  chat  sau- 
vage en  quête  dune  proie. 

A  l'extrémité  de  l'allée,  dans  l'enca- 
drement des  derniers  arbres,  se  dressait 
un  superbe  palmier,  dont  la  silhouette  se 
détachait  sur  le  fond  bleu  du  ciel.  Au 
pied  du  palmier,  une  source  cristalline, 
débordant  d'un  petit  bassin,  s'échappait 
en  cascadelles  qui  s'étalaient  largement 
jusqu'au  fleuve. 

Sur  la  droite  s'ouvrait  le  jardin,  vaste, 
ombragé  d'orangers,  de  citronniers,  de 
mandariniers,  clos  de  haies  de  figuiers 
et  de  vignes  vierges,  avec  des  lauriers 
sauce,  dont  les  masses  cylindriques, 
s'élançant  à  plus  de  quatre  mètres  de 
hauteur,  semblaient  les  bastions  de  cette 
muraille  verdoyante. 

Danscetle  terre,  pour  laquelle  l'engrais 
serait  une  pléthore,  sous  les  rayons  ar- 
dents et  féconds  du  soleil  d'Afrique,  les 
fruits  viennent  à  profusion,  s'épanouis- 
sent à  pleine  peau,  se  colorent  richement, 
se  parfument,  deviennent  succulents. 
Ah  !  les  bonnes  fraises  que  j'ai  mangées 


!■:  \     SMALAH 


A      T  R  A  V  E  It  S 


là-bas  1  Et  les  pêclies  !  et  les  brugnons 
},'ros  comme  cela,  elfermes,  elsavourcux  1 

La  création  de  ce  jardin  était  due  aux 
officiers  français  qui  n'avaient  épargné 
ni  soins,  ni  argent  pour  le  doter  des 
belles  espèces  darbres  fruitiers  et  des 
|)lus  beaux  légumes. 

Lejendemain,  Abmed  Ikmi  Lagdarviiit 
me  chercher  pour  aller  visiter  à  cheval 
les  environs  de  la  smalah.  Après  avoir 
chevauché  quelque  temps  par  monts  et 
par  vaux,  voulant  voir  de  près  l'entrée 
d'une  gorge  qui  semblait  niléressante, 
je  tournai  à  dioite  sur  un  sentier  à  flanc 
(le  coteau.  Mais  à  mesure  (|ue j'avançais, 
le  sentier  se  faisait  plus  étroit,  tandis  que 
la  pente  de  la  colline  devenait  plus 
abru|)te  ;  bientôt  je  fus  obligé  de  ni'ar- 
rèter.  Je  vis  alors  (|u'il  était  inq)ossdjle 
ii  mon  (•lie\al  d'avaiirer,  ilc  reculer  et 
de  toiirni'r  s.iiis  roiinr  la  chance  à  jieu 
pi-rs  ciTl.nnr  d'rlrr  |ii(''(qii|i''  au  fonil 
du  l'aN'in.  <Jm('  faire  .'  ,Ic  jelai  un 
regai-d  anxieux  vers  l.agdar,  il  était 
calme  et  souriant.  .Aucune  émotion 
n'effleurai I  son  visage  :  «  I'"ais  comme 
moi,  me  dit-Il,  ouvre   la   rêne  "anche  et 


laisse  le  che\al  libre  d'agir  à  sa  guise.  » 
Joignant  l'exemple  au  principe,  Lagdar 
ouvrit  la  rêne  gauche,  le  cheval,  compre- 
nant qu'il  fallait  tourner,  se  cabra,  pi- 
vota sur  les  jarrets  et  se  trouva  face  en 
arrière. 

C'était  à  la  fois  lerrihlc  et  merveilleux  ; 
j'ouvris  à  mon  tour  la  rêne  gauche,  et 
mon  cheval  exécuta  la  même  mana'u\re 
avec  un  succès  identique. 

J'avoue  que  j'eus  honte  de  mon  iguo- 
l'ance,  car  un  officier  français  ne  doit 
jamais  paraître  inférieur  à  un  officier  in- 
digène. J'ai  juré  ce  jour-là  de  travailler, 
d'étudier  le  cheval  à  un  point  de  vue 
pratique,  de  devenir  en  tout  supérieur 
aux  indigènes  :  j'ai  tenu  parole.  l*lus 
tard,  alors  que  je  les  entraînais  dans  une 
course  folle  à  travers  les  roches,  sur  la 
pente  des  collines,  le  long  des  précipices, 
je  les  ai  entendus  dii-e  :  >■  Il  ne  sait  doiu- 
pas  tpn'  nous  sommes  marii'-<  !  ■  (Juel- 
(pi'un  leur  répondil  :  •■  l'!l  lui  m-  l'csl-il 
pas  ('•gaiement?  ■>  (le  jour-la,  mon  anmur- 
pi'0[)re  fut  satisfait  el  j'c'lais  vengé  de 
riinmilialion  ipn-  m'avait  iniligée  un 
inili''ène. 


i;n  smai.aii 


Sc'plemljrc  esl  la  saison  des  pluies, 
seul  hiver  de  ces  réf,'ions.  Les  cours 
(l'eau,  {grossis  de  lous  les  lorrenls  formés 
instantanément  dans  les  ravines,  s'en- 
llent  et  jettent  par-dessus  bords  leurs 
eaux  bourbeuses.  (Juand  elles  se  retirent, 
les  eaux  laissent  sur  le  sol  un  limon  fer- 
tile, mais  chargé  de  ferments  paludéens 
que  le  soleil  vient  ensuite  dilater  et  ré- 
pandre dans  l'atmosphère.  Ce  va-ct-vicnl 
des  eaux  se  renouvelle  plusieurs  fois 
dans  la  saison.  Alors  la  fièvre  éclate  et 
l'on  assiste  au  bordj  à  un  spectacle  la- 
mentable :  la  garnison,  si  alerle,  si  vi- 
vante le  mois  précédent,  semble  avoir 
été  échangée  contre  une  garnison  de 
spectres  jaunis  et  parcheminés,  déguisés 
en  spahis.  Des  hommes  qui  traversent  la 
cour  péniblement  salfaissent  tout  à 
coup  sur  le  sol,  on  les  enlève,  le  lende- 
main la  voiture  d'ambulance  les  trans- 
porte à  l'hôpital,  à  vingt  kilomètres;  il 
y  en  a  qu'on  ne  revoit  plus. 

Durant  la  seconde  année  de  ma  pré- 
sence à  la  smalah,  le  commandement 
m'échut  dans  de  pareilles  circonstances; 
mes  deux  capitaines  et  presque  tous  les 
sous-ofliciers  français  étaient  entrés  à 
l'hôpital,  le  lieutenant  était  mort. 

Je  m'occupai  aussitôt  des  moyens 
d'enrayer  le  mal.  J'avais  remarqué  que 
ceux  des  hommes  qui,  comme  moi, 
étaient  restés  actifs  et  sobres,  avaient 
été  préservés  du  fléau,  tandis  que  quel- 
ques sous-ofliciers  qui  avaient  coutume 
d'aller  deux  fois  par  jour  prendre  une 
absinthe  au  palmier,  près  de  l'eau, 
avaient  été  les  premiers  atteints.  J'en 
conclus  qu'il  fallait  respirer  l'air  sur  les 
hauteurs,  que  les  ferments  morbides 
n'atteignaient  pas,  et  barrer  le  passage 
de  la  vallée  empoisonnée.  Je  traçai  une 
ligne  de  démarcation  au-dessous  de 
laquelle  je  défendis  de  descendre  sous 
peine  d'une  punition  sévère  et,  pavant 
d'exemple,  j'entraînai  mes  hommes 
dans  des  chevauchées  matinales  sur  les 
crêtes  des  collines. 

En  quelque  temps  l'état  sanitaire 
s'améliora.  J'avais  suppléé  à  mon  igno- 
rance par  le  raisonnement.  Avec  le  beau 


temps  la  (ièvre  disparut  et  la  vie  de 
smalah  reprit  enlin  son  cours  normal 
pour  un  an. 

—  l'.tes-vous  chasseur?  me  demanda 
un  jour  le  capitaine  commandant. 

—  Non,  mon  capitaine,  répondis-je, 
non  sans  rougir  légèrement. 

—  Tant  pis,  mon  ami,  tant  ])is,  il 
faudra  chasser,  cela  lue  l'etmui  ;  et 
puis,  ici  chacun  apporte  son  tribut  à  la 
popote,  il  faut  faire  comme  les  cama- 
rades. Avez-vous  un  fusil? 

—  Non,  mon  capitaine. 

—  On  vous  en  prêtera  un.  Savez-vous 
faire  les  cartouches? 

_     [ 

—  On  vous  en  fera.  Demain  vous  irez 
à  la  solde  à  ma  place  et  vous  chasserez 
chemin  faisant.  Vous  emmènerez  Ben 
Caddour  qui  sait  oii  est  le  gibier. 

Arrivé  sur  un  plateau  que  Caddour 
m'avait  signalé  comme  giboyeux,  je  mis 
pied  à  terre,  j'entrai  dans  la  broussaille 
et  je  me  mis  en  quête.  Je  m'étais  bien 
gardé  d'emmener  un  chien,  ij  m'eût 
plutôt  gêné. 

Ma  grande  préoccupation  était  de  tuer 
quelque  animal  à  plume  ou  à  poil,  n'im- 
porte lequel,  mais  de  ne  pas  revenir 
bredouille. 

Ayant  aperçu  un  oiseau  jaune  roux, 
assez  gros,  dont  j'ignorais  le  nom  et  l'es- 
pèce (j'ai  su  depuis  que  c'était  un  émou- 
chet),  jeme  mis  à  le  suivre,  en  me  dissi- 
mulant le  plus  possible. 

Tandis  que  le  diable  d'oiseau,  sem- 
blant me  narguer,  sautillait  d'une 
branche  à  l'autre  au  moment  où  je 
l'ajustais,  car  je  n'osais  tirer  qu'au  poser, 
j'entendis  la  voix  du  spahi;  ayant  levé 
la  lêle  par-dessus  la  brousse,  je  l'aperçus 
tenant  par  les  oreilles  un  superbe  lièvre. 

—  Où  as-tu  pris  ce  lièvre?  lui  criai-je. 

—  Je  ne  l'ai  pas  pris,  je  l'ai  lue. 

—  Comment  as-tu  fait? 

—  Avec  une  pierre,  là,  dans  la  brous- 
saille. 

L'Arabe  a  l'œil  perçant.  Pour  lui,  la 
broussaille  n'est  pas  comme  pour  nous 
un   corps  opaque.   Ben    Caddour  avait 


KN     SMALAH 


aperru  le  lit-vre  blotti  près  de  lui  clans 
une  toulfe  de  lentisques  et,  tout  en  maî- 
trisant nos  chevaux  de  la  main  gauche, 
de  la  droite  ayant  ramassé  une  pierre, 
il  l'avait  lancée  avec  assez  de  force  et 
d'adresse  pour  assommer  le  lièvre. 

Je  compris  à  l'instant  le  succès  que  je 
venais  de  rcmporier.  Je  n'avais  pas 
besoin  de  chasser  davantage  ce  jour-là. 
Pour   mes    débuts,  rapporter  un 

lièvre  était  bien  beau  et  je  rece-       

vrais   certainement  les    lélicila- 

tions  du  capitaine  commandant,        féolSiÈ; 

tout   en   éveillant   légèrement  la 


demanda  à  me  parler,  il  me  présenta  sou 
bissac  qui  avait  servi  la  veille  au  trans- 
port de  la  solde.  Il  était  resté  un  écu 
au  fond  d'une  des  poches.  Caddonr 
n'avait  même  pas  voulu  l'en  retirer  lui- 
même.  Touché  de  cet  acte  de  probité,  je 
voulus  lui  faire  présent  de  la  pièce,  il 
refusa  : 

—  Me  prends -tu  pour  un  Khnmniès, 
me  dit-il  d'iui  ton 
(.le  reproche. 


UN    E.srAnRON    ii  E    srAuis 

jalousie  tlu  capitaine  en  second.  Pris 
d'un  scrupule,  je  dis  à  Caddour  : 

—  Pose-le  là,  je  vais  le  tuer.  Place- 
le    comme   s'il    courait. 

Caddour  obéit. 

Comme  je  recidais  pour  écarter  le 
plomb,  Caddour,  comprenant  ma  pen- 
sée, me  lit  remarquer  qu'il  était  inutile 
de  changer  de  place,  qu'en  visant  de 
trois  quarts,  obliquement,  je  ne  logerais 
dans  le  lièvre  que  (pi(>l(|ues  grains  de 
plomb. 

.le  Mie  rangeai  à  cet  avis  et,  restant  en 
place,  je  visai  de  trois  (|uarts;  mais 
I  eniiiliiin  (]u<'  |'('prou\aislit  dévierl'arme 
et  la  charge  porta  en  [ilein  dans  lecenlre. 
l'ille  lit  balle.  Le  lièvre  bondit  et  retomba 
à  trois  |)as  de  là,  je  le  relrou\ai  dans  un 
étal  piteux, complèlcMieiit  \iilicl  na\anl 
I>lus  (pie  trois  pattes. 

i.e  leudcniain  de  ce   succès,   (iaddour 


J  ignorais  alors  cpie  les  spahis, 
du  moins  ceux  des  smalahs, 
n'acceptent  pas  de  pourl)oires. 
Notre  petit  groupe  dol'Iiciers 
était  uni  comme  une  famille  dont  le  ca- 
pitaine eût  été  le  père.  Moi,  le  [dus 
jeune,  j'étais  choyé  comme  un  Benjamin. 
Cette  union  ne  nuisait  en  rien  à  la  disci- 
pline, chacun  avant  assez  de  lact  jiour 
se  tenir  à  son  rang.  (JuanI  à  notre  soli- 
darité, elle  était  jiarfaile:  l'épisode 
typique  que  je  vais  \ous  racdiiter  vous 
en    donnera   une    idée. 

Mes  capitaines  étaient  des  passionnés 
de  la  pèche  à  la  ligne;  ([uant  à  moi,  je 
ne  me  sentais  aucune  inclination  pour 
ce  genre  de  sport.  Si  j'étais  à  |)eu  près 
de  toutes  les  parties,  c'est  parce  (pie  |e 
sa\ais  faire  plaisir  à  mes  chefs.  (Jiiand 
on  est  si  peu  nombreux,  la  vie  cominuiK» 
à  long  terme  n'est  [)0ssible  qu'à  la  con- 
dition de  se  faire  des  concessions  mu- 
luelles. 

I,e  capitaine  du  ^rnie  devait  venir 
passer   riii>peclioiÈ  des   li.ilinienls    niili- 


KN    SMAI.All 


lairos  de  In  smalah.  l'"ii  ralisciue  du 
capitaine  conimandaiil,  c'est  le  capitaine 
en  second  qui  devait  le  recevoir.  Cet 
oITicier  du  irénie  était   un  l'ei-\i'nl   de    la 


LE     .I.\KDIN      DES     OKFICIEK 

liyne.  On  projeta  pour  le  lendemain  de 
son  arrivée  une  partie  de  pèche  à 
l'anguille. 

Tous  les  pêcheurs  irexpérience  savent 
combien     l'anguille    se    laisse    prendre 


dil'licilemenl.  Il  faut  aller  la  taquiner  au 
|)elit  jour,  lorsque  le  soleil  va  paraître  il 
l'hori/.on.  J.e  matin  convenu,  nous  nous 
mimes  doue  en  roule  suivis  de  spahis 
porteurs  de  nos  engins. 
La  matinée  s'annon- 
■  .lit  helle  et  nous  nous 
i'rcions  do  l'espoir  de 
q)porter  une  bonne  fri- 
ture pour  le  déjeuner. 

Nous  l'ûmes  déçus.  A 
neuf  heures  du  malin 
nous  n'avions  encore  rien 
pris.  Obligé  d'aller  faire 
son  rapport  à  la  smalah, 
le  capitaine  en  second 
planta  sa  ligne  en  terre, 
en  un  point  de  la  rivière 
connu  pour  être  fré- 
quenté par  les  anguilles 
et,  se  tournant  vers  moi  : 

—  Durocher,  medil-il, 
avant  de  rentrer,  vous 
relèverez  ma  ligne  el 
vous  me  rapporterez 
l'anguille.  Je  répondis 
simplement  :  Je  n'y 
manquerai  pas,  mon 
capitaine. 

Comme  le  capitaine 
du  génie  nous  regardait 
d'un  air  moqueur,  le  ca- 
pitaine Féru  (c'était  le 
nom  de  mon  chef  j  ajouta 
en  appuyant  sur  les  mois, 
avec  un  hochement  de 
léteénergiquement  affir- 
inatif  : 

—  Et-elle-y-sera,  elle 
V  a  toujours  été! 

Le  capitaine  du  génie 
-e  contenta  de  hausser 
les  épaules  et  s'éloigna 
pour  chercher  fortune  le 
long  de  la  rivière. 

Cependant,  tout  en 
continuant  ma  pêche,  j'étais  obsédé  par 
cette  pensée  :  il  me  faut  l'anguille  du 
capitaine,  mais  comment  l'avoir,  puis- 
que rien  ne  mord,  sinon  les  infectes 
tortues    d'eau,    aussi    stupides    qu'elles 


KN    S  MAI.  A  11 


sont       répugnantes     et     pestilentielles. 

J'avisai  une  toulTe  d'herbes,  au  milieu 
d'un  coin  tranquille  de  l'eau,  mon  llair 
de  pécheur  m'y  lit  jeter  l'amorce.  0 
bonheur!  au  bout  d'un  moment  le  bou- 
chon remua,  puis  tout  redevint  Iran- 
quille.  Je  tenais  ma  lii,'ne  nerveusement, 
les  deux  mains  crispées  et,  le  cou  tendu, 
retenant  ma  respiration,  je  ne  quittais 
pas  des  yeux  le  bouchon.  Le  temps  pas- 
sait... après  quelques  hésitations  le 
bouchon  se  mit  en  marche.  Mon  C(cur 
battait  à  rompre  ma  poitrine,  je  laissai 
hier  la  lif;ne. 

•Mteiilion  !    [)as  de    nervosité,   pas  de 
maladresse,    une    l'ois,    deux    l'ois,   trois 
l'ois,  j'amène,  et  au  bout  de  la  corde  je 
li'ouve...     ranf,Miille 
du    ca|iitaine  I    San-  .^, 

vé!  mon  Dieu!  *0Mt.1!¥'î^ 

J'allai  sournoise- 
ment faire  l'échanffe 
des  li;,^nes,  et,  de 
l'air  le  plus  innocent 
du  monde,  je  me 
rapprochai  du  capi- 
taine du  génie. 

—  I'!li  bien,  mon 
capitaine,  ave/.-vous 
pris  quelque  chose? 

—  Non,  monsieur, 
rien,  et  vous? 

—  Bredouilic, 
mon  capitaine,  mais 
nous  avons  la  ligiu- 
de  .M.  l'éru. 

—  l'arceur!  \'ous 
aussi,  vous  élcs  du 
.Midi? 

Sans     (loiilc,  .....t,- (■>— .«-^ 

mou  capitaine,  sans  «..,i',,|':  < 

doute  :  mais  comme 
il  est  temps  de  ren- 
trer,    nous      l'crioiis 

bien  de   relever   loiil  de   niéinc    la    ligne. 
.A  vous  l'honneur,  mon  capilaine. 

Le  capitaine  relc\a  la  ligne  coinplai- 
sainment  et  ne  pul  s'empêcher  de  |)Ousser 
un  formidable  piion  en  trouvant  l'an- 
;;uille    au    bout,    ,1e    la    mis    dans    mon 


sac  et  nous  réprimes  le  chemin  du 
bordj. 

Le  capitaine  I''éru  nous  attendait  sous 
la  tonnelle  en  fumant  sa  pipe. 

Lorsque  nous  fûmes  à  lui  :  —  Et  mon 
anguille?  me  demanda-t-il. 

~  \'oilà,  mon  capitaine,  répondis-je 
en  sortant  de  mon  sac  l'anguille  encore 
pleine  de  vie. 

A  cette  vue  le  capitaine  Féru  fut  tel- 
lement saisi  qu'il  resta  d'abord  sans  \  oix. 
Se  tournant  \ers  l'oflicier  du  génie  en 
croisant  les  bras,  il  lui  dit  ces  seuls 
mots;  — Quand  je  vous  l'avais  dit!... 

Tous  les  pécheurs  à  la  ligne  dignes  de 
ce  nom  comprendront  sans  peine  cette 
émotion  du  capitaine  en  second;  mais  il 
faut  être  militaire,  avoir  la  solidarité 
d'armes,  pour  saisir  l'impor- 
tance de  la  victoire  que 
l'arme     des    Spahis 


(les  deux  braves  iifliciers  n<'  -mil  plus, 
ils  nul  ignoré  l'un  d  l'aulre  ju-c|ii  à  leur 
mort  l'innocenl  subtciiiige  doiil  j'avais 
usé.  Telle  es!  la  laiiiaradeiii'  d'Alri(pie 
et  celle  de  smalah. 

F.     (tlT. 


..  ./ ,  \^ 


LKS 


l'KciiKrns  DU  ijhandkhouik; 


i-bro: 


l.a  première 
fois  que  je  fus 
à  Sans-Souci, 
c'était  un  jour 
ensoleillé,  mais 
froid,  avec  du 
?   la    fflace   aux 


f;i\ir  .  iui\ 
liriiulilles. 

Le  gardien  de  la  pclilc  maison  du  roi- 
philosophe,  heureux  de  recevoir  un  visi- 
teur, espèce  rare  en  hiver,  ne  m'avait 
fait  grâce  d'aucun  détail,  exaltant  Vol- 
taire, Herr  i^on  Vollaire.  comme  il  di- 
sait, qui  est  l'âme  de  l'endroit;  puis 
j'avais  poussé  jusqu'au  Nouveau  Palais, 
la  dernière  création  du  grand  Frédéric. 
De  retour  à  Potsdam,  j'avais  encore  une 
bonne  heure  devant  moi  ;  alors  je  pris 
le  jiremier  tramway  venu  pour  aller  où 
il   lui  plairait  de  me  conduire. 

La  tête  de  ligne  n'offrait  rien  de  re- 
marquable. Une  auberge  fermée;  quel- 
ques maisons  de  campagne  soigneuse- 
ment closes;  à  gauche,  un  rideau  de 
l)etits  arbres  tamisant  un  soleil  pâle;  à 
droite,  et  au  loin,  à  mi-côte,  le  château 
de  Babelsbcrg,  d'architecture  anglaise. 
Jecontinuaidoncmon  chemin,  sans  but, 
pour  attendre  la  nuit  et  voir  quelques 
arpents  de  plus  en  ce  monde,  lorsque, 
venant  de  lra\'erser  un  petit  bois,  je  me 


trouvai  tout  à  coup  devant  un  tableau 
qui  me  causa  l'une  des  grandes  surprises 
de  mes  étapes  de  touriste.  In  lac,  aux 
eaux  claires,  bordé  de  bouleaux  au  pe- 
lage argenté,  s'étendait,  en  grande  lar- 
geur, devant  moi. 

Le  Nord,  seul,  a  de  ces  paysages  d'une 
poésie  infinie.  l']n  Hnssie.  en  Suède,  ils 
sont  |)lus  accusés  encore,  et  plus  tendres, 
et  plus  impressionnants;  mais,  dans  le 
Brandebourg,  où  le  sable  et  la  lande 
succèdent  trop  souvent  à  la  lande  et  au 
sable,  ils  frappent  d'autant  plus  l'esprit 
qu'ils  sont  plus  inattendus. 

Ce  premier  lac  me  donna  l'idée  d'en 
visiter  d'autres,  et  ils  sont  nombreux, 
car  la  Sprée,  depuis  Custrin  jusqu'à 
Berlin,  et  la  Havel,  depuis  Spandau 
jusqu'à  Brandebourg,  ne  sont,  en  réalité, 
qu'une  succession  de  lacs.  C'est  au  cours 
d'une  de  ces  excursions  que  je  découvris, 
heureux  Colomb  de  ces  parages  inconnus, 
la  vaste  nappe  d'eau,  vraie  mer  inté- 
rieure, qui  porte  le  nom  même  du  pavs 
où  elle  se  prélasse,  le  lac  des  grandes 
pêcheries,  le  lac  des  grands  horizons,  le 
lac  de  la  Marche  de  Brandebourg. 

C'était  le  soir,  et  l'eau,  et  le  ciel,  et 
les  bouleaux  avaient  des  taches  et  des 
bandes  rouges,  violettes  et  jaunes.  A  la 
sortie  de  la  rivière,  dans  le  clapotement 


LES     PKGIIHUUS     DU     niiANDKnOUUG 


d'un  flot  suhilcnu'iit  (■•m;incipé ,  des 
barques,  smis  l'iiispeelidii  Ijiern'eillaiile 
d'un  moulin  tournant,  s  avançaient  péni- 
blement menées,  par  des  hommes  et  par 
des  femmes,  à  la  \oile,  à  la  rame,  à  la 
pap;aie.  Tout  es!  Ihui  pour  faire  marcher 
ces  bateaux  de  prehe.  qui,  sans  cela, 
iiroche  les  hautes  herbes,  sur  les  bords 


sur  un  paillasson  de  nénuphars,  (l'est  le 
clieniin  le  |ilus  court,  parait-il,  pour 
gayner  la  première'maison  riveraiiu>  où 
l'on  puisse  trou\er  gite  et  couvert,  l'u 
brochet  sournois  fait  levei'uneconipagnie 
de  fretin.  Une  perche  jette  ré|)ouvante 
dans  le  monde  des  poissons;  c'est  une 
vraie  chasse  ;i  courre.  In  dernier  cnibra- 


1.  K       I.  A  ('       I)  K       I.  \        M  A  l;  V  II  K 


lu      lac,      s  eiidiirniirairiil      ciiniiue      une  '    '■l'Ulcii  I  ;  il  il  pniiil  d'or,  une  aif;rel  li' :  puis 

;ondole    \(-ni  I  ii-liiir.   \.i    tiiiiI,    aii    loin  du  li'     ^ninlirr    di'    la    iiiiil,    i\nc     les    l'Ioilo 

îiallo.  u'i'clairriit   pa^  ciicoïc  1    l'as  de  l'anal    an 

l'',l,cii   \iTil('',  elle  \ii'mI,   la  n  il  il ,  j;rise  [    bati'aii;  mais,  au  |i>in,  une  linnirre  dans 

■t  rose  ciHiirc.   \a->   liniils   de    la    bei'f;e,  [    un    rniirn''.    (pi'on     n'apciçoil     plii^    qiir 

oui   à  riicurc  susurraiils,  s'aM'aiblisseiit .  '•    i'alblrineiil . 

l'oiil    l'sl    silence    maiiilenanl .     I  .a    brise  N'oii^    iinus    dirigeons    \  er^    ce    |iliare 

•lli'-mèini',  cpie  le  (h'cliii    du    jour   a^ui-  |i;ilol,  cl   bienlMl   nous  \    louclmns. 

■liail,   csl   Iniiiliée.    \nlrr   bal, Mil,  lourd.  De    bonnes  .i;cns    viveul    l.i.    qui    nous 

leiiir.   l'rolr  les  ajoiiis  <pii,    en  rebondis  lonl    bon    accneil.    lu    sonpi'r   snmniaire 

^anl,    foiiellent    la     lii^nre.    s'euclievel  ri'  i-sl     \ile    pn-pan''.    I.e    poisson,     roi     du 

lans  les   herbes,    cl    glisse,   en   f;riiiçaiil,  pa\s.    eu    l'ail    les    frais,  a\cc  une    piude 


iM:i;iii;riis    nr    ii  it ANDiciioruc 


tluMs    lia   cocon   (I'IktIh 
pour  desscrl.   des  cerises 


jiromalique 

l'U  eiisuilo,  au  lit  j 

l'^lranfjfc  curiosité  que  celle  du  voya- 
geur ignorant   de   ce  qu'il    va  voir   en 
s'éveillaiit.  Au  petit  jour,  il   est  debout 
el  sonde  les  mystères  du  pays  qu'il  ne 
connaît  pas. 

Devant    la    fenêtre 
rr  .^àH^  niiverli',      l.i       luiime 


sique  aiguë.  I.es  loseanx,  animés,  vibrent 
comme  des  harpes.  Kl,  eu  arrière,  dans 
les  arbres  c|ui,  du  haut  d'une  colline  en 
pente  douce,  dévalent  jusqu'à  la  berge, 
les  oiseaux,  pai-  milliers,  assourdissent 
l'air  de  leur  aubade  piailleuse. 

Une  acre  odeur  de  friture  remplit 
déjà  la  maison.  Les  hommes  vont  partir 
à  la  grande  pêche,  tandis  que  les  femmes 
et   les  tilles   se   préparent   à  prendre  la 


.M  A  I  s  0  .V     U  E     P  K  C  K  E  U  R  S 

SVR 

LE    BORD     DU     LAC 


s'étenil,  puis  séclaircit,  et,  en  coquette, 
livre  peu  à  peu  les  secrets  des  trésors 
qu'elle  a  tenus  cachés.  C'est  d'abord 
comme  une  plaine  herbeuse,  sur  laquelle 
se  détachent,  près  du  bord,  des  canots 
amarrés  à  la  rive,  et  des  boîtes  à  pois- 
sons percées  de  trous.  I^es  libellules  ma- 
tinales se  croisent  en  tous  sens,  avant 
même  que  le  soleil  ait  mis  de  l'orà  leurs 
ailes.  Un  bourdonnement,  sourd  d'abord, 
puis  grandissant,  s'élève  du  marais. 
C'est  toute  une  symphonie  de  coasse- 
ments, de  bourdonnements  et  de  susur- 
rements qui  s'exhale  de  l'eau  stagnante. 
Mouches  et  cri-cris   y   mêlent  leur  mu- 


rame  pour  porter  à  Berlin,  ou  tout  au 
moins  à  un  lac  plus  rapproché  de  la  ca- 
pitale, le  poisson  pris  la  veille  ou  dans 
la  nuit,  et  qui,  de  là,  gagnera  sa  desti- 
nation par  les  voies  rapides  de  la  navi- 
gation ou  de  la  traction  à  vapeur. 

On  va  lever  les  nasses,  et  c'est  un 
spectacle  qu'il  ne  faut  pas  manquer. 
Nous  doublons,  en  canot,  la  pointe  où 
se  dresse  l'hospitalière  demeure  de  notre 
hôte,  et  nous  longeons  la  réserve,  vraie 
forêt  de  mâts  et  de  perches,  où  sont 
attachées,  flottant  dans  l'eau,  les  boites 
pleines  et,  suspendues  en  l'air,  pour  se 
sécher  au  soleil,   les  boites  \ides;  puis. 


LK?     l'KCIIEUHS    DL'    liR  ANDEliO  U  RG 


mettant  pied  à  terre,  nous  gagnons,  en 
pataugeant,  les  canaux  perfides,  vrais 
travaux  d'art,  où  l'humaine  subtilité 
s'est  ingéniée  à  tendre  au  crédule  pois- 
son les  pièges  les  plus  traîtres.  Au  mo- 
ment oii  nous  arrivons  à  l'entrée  de  ces 


I,  A     it  Ê  s  K  R  V  E 


méandres 
de  la  mel- 


on   vient 
la  nasse  'j 


<hi    <-ôl( 


l'haute 


_  le  oii  s  est 
cngoull'ré  le  bataillon  lluvial,  qui,  de 
confiance,  [)renait  le  chemin  de  la  |)leiiie 
eau. 

La  ])etite  [jéche  a  été  bonne;    mainte- 
nant, à  la  grande!   Nous  revenons  à   la 
maison,  aveuglés  par  une  nappe  d'or  qui 
.s'est,  pendanl  notre  excursion,  ré|ian(lue 
VI.   -  s. 


sur  le  lac.  Au  ri\age,  la  llore  aquatique 
brille  de  mille  couleurs,  et  de  l'humble 
toit  de  chaume,  encadré  par  les  arbres, 
une  fumée  bleue  s'échappe,  droite  et 
paisible. 

Un  plat  de  goujons  frits,  avec  des 
pommes  de  terre, 
compose  le  déjeu- 
ner. On  se  hâte  de 
lefaire  disparaître, 
car  la  journée  sera 
laborieuse.  Les 
'  femmes,    en    jupe 

rouge    et     bonnet 
"^  J  '  blanc  en    této,     se 

dirigent  vers  les 
barques  de  trans- 
port, où  la  voile, 
hissée  déjà  et  cla- 
quant au  niï'it,  a 
comme  des  piaffe- 
ments d  impa- 
tience. J'avais  eu 
l'idée  de  reprendre 
en  leur  compagnie 
ij  la   route  du    logis; 

mais  l'attrait  de  la 
grande  battue  qui 
se  préparait  me  lit 
changer  d'avis.  La 
grande  pêche  ne  se 
fait  pas  tous  les 
jours,  et  c'est  une 
bonne  fortune  que 
d'y  pouvoir  assis- 
tel-. 

.Mon  hc'ile  et  ses 

r  fils  ont    |)ris   place 

sur     leur    bateau  , 

saiisquilh',  au  fond 

duquel     sont      dé- 

])osés  les  filets  bien 

reprisi-s  cl   garnis,  assez  |)riniili  venienl , 

de   flotteurs  en  jiuic,    sur  une  de    leurs 

lisières,  et  de  cailloux  troués,  sur  l'autre, 

en  guise  de  plomb.  Il  s'agit  d'une  action 

collective,  et  bientôt  des  barques  pai-eilles 

à  la  notre  se  détachent  de  dixcrs  points 

de  la  rive.    Lentement,   lourdement,  car 

la  charge  est  j)esante,  celle   flottille   se 

dispose  en    demi-cercle,   barrani    le   lac 


I.KS     IM^CIIICI'IIS    Ur     IIIIAM)i:H()UH(; 


tliuis  loulo  sa  larf^eur,  chaque'  bateau 
nouant  son  filet  à  celui  de  son  voisin. 
Le  rideau  maintenant  est  complet,  et 
la  manœuvre  de  concentration  com- 
mence. Le  cercle  se  resserre  ;  les  fdels 
raclent  péniblement  le  fond  de  l'eau; 
dans  l'espace  qui  se  rétrécit,  l'inquiétude 
du  monde  des  poissons  est  sensible  : 
l'ontle  se  moire  de  frémissements  sifjni- 
ficalifs,  et  dans  la  nappe  ensoleillée,  des 


La  ])éclie  a  été  spicniluic.  lirémes^ 
carpes,  anguilles,  brochets,  j,'ardons  et 
chevaliers,  em[)ilés  comme  harenf^s  en 
caque,  grouillent  et  frétillent  autour  de 
nous.  Il  sort  de  cctamascomme  un  mur- 
mure de  foule.  «  Le  poisson  se  plaint  », 
me  dit  mon  hôte,  et,  en  vérité,  le  poisson 
à  lieu  de  ])lainlc,  car  le  soleil  dai'de  ses 
rayons  brûlants  sur  ces  belles  écailles  qui» 
tout  à  l'heure,  étincelaienl  à  Heur  d'eau. 


],  A     NASSE 


myriades  de  paillettes  d'argent  sautent 
et  déambulent  comme  un  banc  de  frai 
phosphorescent,  retombant,  par  une 
belle  nuit  d'été,  du  chalut  à  la  mer.  Des 
mouettes,  accourues  à  cette  curée,  rasent 
les  Ilots  et  s'offrent  à  bon  compte  un 
régal  peu  commun.  A  un  moment,  l'anse 
où  s'est  opéré  le  rabattage  évoque  le  sou- 
venir de  la  Garonne  légendaire:...  Chez 
nous,  pas  d'eau,  rien  que  du  poisson  !... 
Et  alors  l'épervier,  lépuiselte,  la  nasse, 
et  tout  ce  qui  tombe  sous  la  main,  de 
s'emplir  et  de  combler  en  un  instant  les 
flancs  du  bateau. 


—  Belle  pêche!  m"écriai-je,  pensant 
trouver  un  écho  chez  mes  compagnons. 

Mais  le  patron  se  contenta  de  hocher 
la  tête,  d'un  air  qui  semblait  dire  : 
"  Qu'est-ce  que  cela  peut  me  faire?»  Ses 
fils  demeuraient  impassibles. 

—  Allons,  en  route  !  dit  le  père,  quand 
on  eut  relevé  le  filet  à  l'aide  d'un  treuil 
installé  spontanément  à  l'arrière  du 
bateau. 

Et  il  ajouta  queicpies  mois  dans  une 
langue  que  je  ne  comprenais  pas,  mais 
qui  n'eut  point  pour  elfet  de  dérider  les 
figures. 


LES     PKCIIKURS     DU    BRANDEBOURC 


Les  garçons  se  mirent  aux  rames,  et 
nous  eûmes  bientôt  gagné  le  fond  de 
lanse,  où  les  autres  barques  arrivèrent 
bientôt.  Elles  se  rangèrent  côte  à  côte, 
comme  pour  une  revue  ;  et,  en  eifet, 
c'était  bien  d'une  revue  qu'il  s'agissait. 
Un  gros  homme,  à  poil  hirsute,  vêtu 
d'un  complet  aussi  jaune  (|ue  sa  barbe, 
et  portant  des  lunettes  ronties,  à  branches 


à  traverser  le  lac  dans  le  sens  de  sa 
longeur. 

—  Quel  était  cet  lionnne?  deniandai- 
je,  quand  nous  lûmes  à  qiicl(|ue  distance 
du  rivage. 

Je  pensais  que  c'était  quelque  agent 
du  lise  ou  quelque  commissaire  de  pêche, 
vu  l'aspect  tout  bureaucratique  de  ce 
j;rotesr[ue:  mais  je  nie  trompais. 


LA     G  n  A  N  I)  K     r'  K  C  H  E 


d'or,  qui  s'accrochaient  à  ses  oreilles, 
parut  et,  d'un  air  important,  visita  l'un 
après  l'autre  chaque  bateau,  comptant, 
appréciant  la  valeur  des  lots  de  poisson 
et  marquant  sur  un  carnet  à  souches  le 
résullatdc  son  expertise,  ('liacjue  patron, 
tête  nue  et  l'air  profondément  humble, 
recevait  de  ses  maiii-;.  on  luillaicnl  de 
grosses  bagues,  le  l'cinllcl  qui  le  ^(^nc(•r- 
nait;  puis,  (pjaiid  I  in-|ir<l  imi  fui  lei'- 
minéc,  la  llnHillc.  après  a\(ur  dc'b;ii(|U(' 
ses  lilcls,  (|uc  crrlaiiu's  bartpirs  d<'\  aienl 
reconduire  à  terre,  se  dishxpia,  mais,  en 
réalité,  lit  roule  de  concert,  se  disposant 


-  Ces!  rinlcudaiil 
ré|)()iidil  miiii  In'ilr.  ri 
idiome,  ipii  se  rap|i 
plus  du  wende  (|ue  (h 

<'  ...  Oui,  l'iKMuine 
lui  (pii  cotiqile  le  poi- 
ce  (lue  vaut  noire  nêc 


a  noblesse, 
"uta  dans  ; 
ait  beauci 
IliMuand  : 
I  noblesse. 
Il  a  mai-( 
■I  il  faudra 


■apporter  lar^, 
inênu'. 
(iommenl  !  C 


■ni 


-I  pas  p. 


Non. 

VA   p(Mii'  (pu  do; 

l'^h  1  pour  la  no 


I.KS     l'KC.IlKl'IlS    DU     lUtANDKBOUai; 


—  yut'Uc  noblesse? 

—  Ils  soiil  plusieurs  :  un  prince,  un 
comte  el  deux  barons. 

—  Je  comprciiils  :  les  locataires  de 
lit  péclu'. 

—  Non,  la  pèche  leur  a[)parlient.  Ils 
en  sont  propriétaires.  C'est  une  laveur 
qu'on  leur  a  accordée,  comme    on    leur 


homme,  que  je  n'osais  interrompre  le 
silence  morne  qu'il  garda  longlcm()s.  Ce 
fui  lui  qui,  brusquement,  le  rompit.  Il 
releva  subitement  la  tcte,  qu'il  secoua 
comme  au  sortir  d'un  rêve,  et  d'un  air 
presque  enjoué  : 

—  Oui,    maintenant,     nous    péchons 
même  en  hiver,  el  c'esl  à  ce  moment-là 


LA      PÊCHE,      EN      HIVER 


aurait  donné  une  croix,  un  titre  ou  une 
pension. 

«  Autrefois,  ils  nous  la  louaient,  et 
nous  travaillions  pour  notre  compte.  Mais 
les  lemps  durs  sont  arrivés.  La  concur- 
rence; le  poisson  qui  vient  de  loin;  le 
poisson  de  mer,  surtout.  Le  matériel 
s'usait.  Il  a  fallu  emprunter.  On  n'a  pas 
pu  rendre.  Les  hommes  de  justice  sont 
venus.  Et  tous,  du  premier  au  dernier, 
nous  avons  été  asservis,  comme  nos  an- 
ciens des  temps  passés. 

Un  air  si  douloureux  se  peignait 
maintenant    sur    la    iigure   du    pauvre 


que  vous  devriez  venir.  C'est  bien  plus 
curieux  que  ce  que  vous  avez  vu. 

—  En  hiver!  Comment  vous  y  pre- 
nez-vous ? 

—  .Ah  I  dame,  ce  n'est  pas  aussi  aisé 
que  maintenant,  mais  on  en  vient  à  bout 
tout  de  même. 

—  Alors,  chacun  pêche  pour  soi. 

—  Oui,  dans  les  bras  de  rivière,  à  la 
nasse,  comme  ce  matin  ;  mais  dans  le 
lac,  c'est  la  grande  pêche,  comme  tout 
à  l'heure. 

—  Contez-moi  donc  ça. 

—  Voilà.   Au  lieu  de  bateaux,   nous 


LES     PÈCHKUIiS    DU    lili  AND  E  lîO  U  BG 


avons  des  traîneaux.  De  quinze  mètres 
en  quinze  mètres,  chaque  équipe  fait  son 
trou.  Elle  y  trempe  son  filet,  où  les 
poissons  sautent  d'eu.x-mêmes,  et  que 
relève,  du  trou  voisin,  à  l'aide  d'une 
gaffe  de  même  dimension,  l'équipe  d'à 
côté.  Les  filets  ainsi  attachés  sous  la 
glace,  on  trace,  ou  plutôt  on  a  tracé 
d'avance,  aux  deux  bords  de  Fanse  per- 


méme  son  équipage.  Le  soir,  au  retour, 
cela  va  tout  seul  ;  on  se  tient  par  la 
main,  deux  à  deux,  sur  le  traîneau  vide, 
et  comme  l'argent  qu'on  rapporte  n'est 
pas  bien  lourd,  on  file  avec  une  rapidité 
vertigineuse. 

En  route,  nous  croisi'mies  les  femmes 
qui  revenaient. 

—    Ah  '.    celles-là    ont    liioa    du    mai 


R  E  T  0  U  U      A  U      LOUIS 


(idc,    un   clK'min   (pu    suit    la    ri\e,  puni' 
nhoulir  à   un   cir(|ue,    où    l'on    prend    le 
poisson  aussi  facilement  qu  ii  présent. 
J'étais  émerveillé. 

Eh  bien  !  et  après? 
.\[)rés...,  on  se  partage  son  poisson 
comme  on  veut,  et  on  va  le  vendre  comme 
ou  [)eul...  pour  la  noblesse  toujours... 
On  part  en  traîneau,  oh!  pas  attelé.  On 
se  lient  sur  le  côté,  sur  le  patin;  ou  est 
ferré  à  glace,  comme  les  chevaux  de 
maître,  à  Hcrlin,  cl  on  l'ail  ni.u'cher  soi- 


aussi.  nie  tlil  mon   liôlc.  et    elle 
gncnt  pas  un  [ilcnnij; . 

—  Comment  cela  .' 

—  La  |)elile  pèche  est 
marché,  —  et  obligatoir 
jours;  • —  c'est  dans  notre 

Triste  pays,  [)ensai-jc 
ces  j)auvres  gens  reslaui-i 
vilèges  qui  nous  scnibl 
FraM(,'ais,  une  nmiisti-uositi 


par-. 
•onli 


s   en 
eut. 


lossus  le 
tons  les 
■al. 

\  oyant 
(les  pri- 
,'i     nous 


Niu 


ÉVÉNEMENTS    GEOGRAPHIQUES 

ET    COLONIAUX 


I,o  2i  jivril  (Icrnior,  U'  bras  do  mer  r|iii 
(lorl  iMiIro  la  colc  luiiisiciiiic  de  Sfux  el  la 
li{;m"  dos  îlos  Korkoniiah,  olail  ploiii  dos 
cluniours  joyoïisos  ol  do  ra|i|iaicil  d'uiio 
l'ôlo. 

ïaoholaiU  l'a/.ur  moiio  ot  luillanl  do  la 
moi-,  lotides,  larlanes  ot  earèhe»,  los  doux 
millo  haniiios  do  pôolio  korkonnioniios 
oloiidaionl  los  ailes  hlanohos  do  loui's 
voilos;  ol  sur  ohaouno  dos  oitiharoalions, 
dosdolonalioiis  hrovos  ciopilaiont,  dos  lain- 
l)ours  baltaieiil  sourdonionl,  tandis  qu'au 
soleil  élincclaienl  les  étendards  des  asso- 
ciations religieuses  des  zaouias.  Mainte- 
nant los  taniliours,  los  coups  do  fusil, 
pailanl,  Ijallanl  do  tous  les  côtés,  ne  font 
jilws  (pi'un  i()ulon\ont  continu  :  l'escadrille 
dos  pécheurs  salue  le  Marcchal-Buijeaud, 
qui  va  inauf;uror  le  port  de  Sfax.  Le  pre- 
mier, le  pa(|uel)ot  pénètre  dans  le  chenal, 
pénètre  dans  le  bassin,  accoste  au  mur  du 
quai;  et  là,  les  personnages  ofûciels,  mi- 
nistres venus  do  Paris,  représentants  de 
la  Krancc  à  Tunis,  représentants  du  boy, 
proclament  solonncilemont  :  le  port  de 
Sfax  est  ouvert  à  la  navigation. 

Dans  le  môme  toni])S,  était  promulguée 
au  Journal  officiel  tunisien  toute  une  série 
do  conventions,  conclues  avec  l'AUemagno, 
l'Autiicho-Ilongrio ,  le  Danemark,  l'Es- 
l)agno,  l'Italie,  la  Russie,  la  Suisse,  de 
juillet  189G  à  février  1897.  Par  ces  conven- 
tions, pour  la  première  fois,  la  situation 
prépondérante  do  la  France  et  son  privi- 
lège commercial  en  Tunisie  sont  recon- 
nus par  les  grandes  puissances,  d'une 
manière  explicite.  Au  point  de  vue  poli- 
tique, les  agents  de  la  République  sont 
désormais  chargés,  dans  les  jîays  étran- 
gers, de  la  protection  des  Tunisiens.  Au 
point  de  vue  commercial,  il  est  «  entendu 
que  le  traitement  de  la  nation  la  plus  favo- 
risée ne  donne  pas  droit  aux  puissances 
au  régime  douanier  qui  pourrait  être  insti- 
tué entre  la  France  et  la  Tunisie  ». 

Los  délibérations  du  Parlement  sur  les 
conventions  tunisiennes  et  l'éclat  des  fêles 
de  Sfax  ont  commandé,  pour  un  instant, 
l'attention  générale  :  on  pensait  si  peu  à 
la  Tunisie  !  Comme  elle  était  tranquille  et 
prospère,  elle  n'avait  plus  d'histoire  ;  et 
cependant  elle  accomplissait  de  grands 
progrès.  L'heure  est  propice,  puisque  son 
nom  a  reparu  dans  les  journaux,  pour  vous 
donner  de  ses  nouvelles,  |iour  énuniorer 
ces  progrès. 

Le  fait  le  plus  remarquable  qui  se  soit 
pro<luit,  au  cours  de  l'an  IIS'.K),  on  Tunisie, 


est  l'impulsion  donnéi-  ini  i)eu  partout  aux 
travaux  publics  <■!,  d'une  fa(;oii  particulière, 
à  la  construction  dos  routes,  des  chemins 
de  fer,  des  ports. 

Cette  année,  furent  construits  2i;8  kilo- 
mètres de  routes,  si  bien  qu'à  l'heure 
actuelle,  la  longueur  du  réseau  empierré 
tunisien  dépasse  1,400  kilomètres.  Celte 
année,  également,  fut  inaugurée,  le  7  no- 
vembre, la  ligne  do  Tunis  à  Soussc 
iV.'M  kilomètres),  ainsi  que  ses  embranche- 
ments do  .VIenzol-Bou-Zalfa  et  de  Nabeul  ; 
furent  commencées  les  lignes  de  Tunis  à 
Zaghouan  ((H  kilomètres),  de  Sous.sc  h 
Kairouan  (ii.'i  kilomètres)  et  à  Mokninc  ; 
fut  concédée,  onlin,  la  ligne  du  Sud  :  de 
Sfax  h  Gaf/.a  iVO  kilomètres).  Tout  récem- 
ment, en  avril,  il  était  procédé  solennelle- 
ment à  la  pose  de  la  première  |)ierre  de  la 
gare  de  Sfax.  Dans  le  mémo  temps,  les 
ports  de  Bizerte  et  de  Tunis  étaient  ache- 
vés, et  une  Société  commençait  les  travaux 
des  ports  de  Sousse  et  de  Sfax.  Nous  avons 
raconté  l'inauguralion  toute  récente  de  ce 
dernier;  le  chenal,  dragué  à  6'",!)0  au-des- 
sous des  basses  eaux,  est  large  do  22  mètres 
au  plafond,  long  de  2,î)00  mètres;  le  bassin 
occupe  dix  hectares.  Le  port  de  Sousse,  en 
pleine  période  de  construction,  sera  essen- 
tiellement composé,  comme  ceux  de  Sfax 
et  de  Tunis,  par  un  bassin  d'une  douzaine 
d'hectares,  bordé  do  quais;  il  comprendra, 
do  plus,  une  jotéo-aliri  de  500  mt'tros  de 
longueur.  Des  ports  de  pèche  et  de  refuge 
pour  los  embarcations  calant  de  deux  à 
trois  mètres  d'eau  vont  êtrecréés  à  Tabarca, 
Hammamet,  Mahedia  et  Zarzis. 

En  quinze  années,  le  Protectorat  a  doté 
les  régions  peuplées  de  la  Tunisie  de  l'ou- 
tillage public  que  possèdent  aujourd'hui 
les  nations  civilisées,  et  pour  la  constitu- 
tion de  cet  outillage,  —  qui  représente  un 
capital  de  plus  de  cent  millions,  —  il  n'a 
eu  recours  ni  à  la  mère  patrie,  ni  à  un 
emprunt.  La  France  ne  contribue  aux 
dépenses  de  la  Tunisie  que  pour  l'entretien 
de  son  ministre-résident  (!>0,000  fr.)  et  de 
la  division  d'occupation  .(.'i, 847, 870  fr.),  et 
pour  les  garanties  d'intérêt  de  la  Jigne 
Tunis-Ghardimaou  (1,918,000  fr.  en  t89o)  : 
au  total,  7,453,870  francs.  N'est-ce  point 
payer  à  bas  prix  les  avantages  que 
nous  rapporte  l'occupation  de  la  Tunisie"? 

Ces  avantages  sont  grands. 

La  Tunisie  est  une  des  rares  possessions 
françaises  oii  les  Français  puissent  vivre. 

Ils  étaient,  en  188t,  quelques  centaines; 
ils  sont,  à  cette   heure,   sans   compter   les 


E V  EN  EM  ENTS    GEO  G  H  A  PU  I Q  V  ES 


hommes  de  troupe  et  les  protég^és  français 
non  lanisiens,  H),000  :  ils  se  sont  accrus 
d'im  millier  par  an.  Aussi  l'inlluence  de 
la  population  framaise  l'st-elle,  surtout 
dans  le  Nord,  considi  ralilc  :  ce  sont  nos 
nationaux  —  l'ail  cxcepliouuel  dans  nos 
colonies  —  qui  sont  à  la  tète  des  princi- 
pales entreprises  agricoles,  industrielles, 
commerciales. 

La  viticulture  fut  l'occupation  préférée 
des  premiers  Français  c[ui  vinrent  en 
Tunisie,  ("était    répo([ue  où  le  pliylloxera 


tunisien,  un  hénélice  certain.  Voici  un 
petit  calcul  fait,  sur  les  données  foiu-nics 
par  des  colons,  par  un  économiste  :  une 
concession  de  iiO  hectares,  qui  exigerait 
pour  l'achat  du  sol,  l'organisation  de  l'eu- 
îreprise  et  sa  mise  en  fonctionnement  une 
avance  de  20,000  francs,  rapporterait,  tons 
frais  payés,   2,700  francs   par  an. 

L'industrie  minière  est  fort  peu  dc'vc- 
loppée  en  Tunisie.  Avant  IHSI ,  ileux  conces- 
sions et,  depuis  cette  date,  sept  autres  oui 
seules  été  accordées,  Sin-  ces  neuf  coiices- 


T  r  N I  s  1 E   :     r  N  E    ii  r  i  n  k    ik  i  m  a  i  x  K 


niinail     \v    midi    (!■■    la     FraM.-c.     lui     \SW>.    .    sinus    d.iiil    riiiq    seulement  loul.-s    les 

!;,i:i'.l   heclarcs   ,!,•  \i;;iii-s  éLiicul    p.iss,.(lés        cin.i.dc  niiurs  <lr/.iMc  —soûl   arlucllement 
par    d<-s    ICuL-npéeMs,     cl     |ii-esi|uc    cxrlusi-    j    m  ('Npioilal  ion.  si'pl  sont    françaises,    liieii 


vemeiil  |)ar  des  Franrais,  I  ,lls:i  srulemenl 
l)ar  des  indigènes.  1  .a  culhnr  de  i'oli 
vier,  rauliqM<'  richesse  di'  la  Tunisie 
tenla  ég.alcnu'iil ,  in.iis  plus  l.ird,  le; 
colons      IVançais,      Des       :,'.!, S2:)       lieclarc 


plus  iinpcirlauls  que  les  gisemeuls  de  zinc 
el  de  plond>S()ul  l.'s  gisein. Mils.  déc(>u\ . Mis 
en  IKM.",.  <le  pliosplia'h-,  de  chaux.  Ils  c.ni- 
nuMiC(Mil  à  l'ouesl  de  Cal/a  cl  -<■  .nul  iuueul , 
durant    une    i-iuquaulanH-    de     kdonu'l  ic-. 


<'(>n(erl('s,  rhnaul  les  cinq  dernières  .nuii'es,  l  jusipie  dans  l'.\urès  algérien.  Par  cnin  eu- 
dans  1,1  r.'gidu  de  Sfax  ,  ;):'),:(l)l'i  le  fureul  .à  '.  liiiii  du  1  :i  aoùl  IS'.lll.  une  coiiqi.i^nic  Iran 
(les  l'iMiirais.  l,2:)ll  il  des  iiidjnènes.  201  à  caisc  a  reçu  la  coneession  de  ces -iscmculs  ; 
des  l'hanun.,.  Mais,  plus  i-iicorc  .|ne  la  pa  f  c.  uil  ir,  clic  s'esl  cil-a-é,'  à  cnilslruire 
laliiMMlInii  ,!,■  rinnl,-  ,1  du  \iii,  pr.,.lni*-  le  rlH-niiii  .!.■  l'cr  Ar  (lalVa  à  Slax.  Celle 
doiil  1  r\pr,ilalinii  allniidia  loi  cciuciil  un  c.  .ii\  ciili.  m ,  ipu  \  a  fiiie  d.qieiiscr  au  pi'olil 
nia\iniiiiii  .]ii'cllc  iir  sanr.iil  liauclin-,  l.i  d  iiuc  c.lnnie  l'ianç.iis,-  \  in- 1  uilllious  cr,ir- 
cilllllle  de>  iiri-alr-,  ai. lie  pal  r.'lr\r  du  i;cill  IVançais.  esl  un  lail  assez,  larc  dans 
iH'Iail,  .lui  (Ml  esl  liialispiMisalilc  .■..iiiplc  ii.ili,.  liisloirc  c.iloiiialc  pour  èlre  cité  (Ml 
niiMil,  .issm.M'a  à  nos  iialioiiaux .  sur  le  sol  .'x.Miii.le, 


i;  V  KS  KM  KNTS    (J  Kl  Mi  li  A  l'Il  I  g  f  KS 


I.ii  |)iirl  (le  In  !•  ranco,  (liins  li"  conimei'ce 
cxliTiour  de  la  Tunisie,  est  Ofjalcmciit  la 
plus  f;iaiuli\  Ku  ISiKi,  sur  44  niillioiis  de 
iVancs  (le  inaicliandises  importées,  24  mil- 
lions et  demi  venaient  de  France  et 
tl'Alj^érie;  sur  41  millions  de  francs  de 
marchandises  exportées,  'M)  millions  et 
demi    allaient    en    France   et   en    Algérie. 

Il  faut  se  contenterdes  résultats  obtenus 
el  son  réjouir.  Fn  matière  coloniale  — 
n'csl-ce  qu'en  matière  coloniale?  —  nous 
stuninr^  lonjmirs  pressés  ;'i  Texcès,  A  peine 


était  appelée  à  nouveau  sur  les  choses  de 
Tunisie,  viennent  de  nous  rappeler  el 
l'existence  «le  la  f;rand('  ile  française  el 
l'entreprise  du  {;énéral  Gallicni. 

Le  27  février  au  soir  la  reine  liova 
Hanavalo  était  déposée  el  dirigée,  dans  la 
nuit  même  (pii  suivit,  vers  Tamatave  cl  la 
Héunion.  Le  résident  général,  dans  la 
proclamation  «pii  annonçail  «  au  peuple 
d'  myrne  »  celte  déposition  el  ce  départ, 
disait  :  La  France  est  désormais  la  seule 
soui'friiinp    à     Mnihr/nxrrtr    rt    rlle    nVpfTid 


r X E    n r E    de    k a i r o r a x 


occupons-nous  une  colonie,  nous  la  vou- 
drions devenue  tout  à  fait  française,  et 
nous  nous  indignons.  Le  meilleur  agent 
colonisateur  est  le  temps.  «  Souvenons- 
nous,  disait  un  jour  M.  Gaston  Boissier, 
cju'en  Afrique  les  Romains,  malgré  leur 
expérience  et  leur  habileté,  ont  mis  plus 
de  deux  siècles  pour  accomplir  leur  œuvre  : 
nous  avons  donc  cent  cinquante  ans  pour 
les  rattraper.  » 

La    Tunisie    n'est    qu'au    début    de    sa 
renaissance. 


Madagascar  n'en  est  qu'à  son  premier 
jour. 

Deux  événements  qui  sont  d'hier,  dans 
le  même   temps   que   l'attention   publique 


partager  sa  souveraineté  avec  personne.  Elle 
seule  est  maîtresse  dans  l'île  entière.  Ces  pa- 
roles, on  le  peut  dire,  étaient  adressées 
urhi  et  orhi.  Elles  furent  entendues  au  delà 
des  limites  de  l'ile  et  comprises.  A  la 
suite  du  vote  unanime  par  lequel  la 
Chambre  des  députés  approuva,  le  3  avril, 
la  politique  suivie  à  Madagascar,  il  se 
passa  à'  Tananarive  un  petit  fait  d'une 
grande  importance.  Le  consul  anglais  fit 
connaître  au  résident  général  que  les  su- 
jets britanniques  accepteraient  désormais 
à  Madagascar  la  juridiction  des  tribunaux 
français,  qu'ils  s'étaient  jusqu'alors  refusés 
à  admettre.  La  France  était  réellement  la 
maîtresse  de  l'île. 

La  démarche   du  consul   anglais  a  suivi 
d'assez  près  le  départ  de   l'ancienne  reine 


KV  km:  M  EXT  s    ( 

pour  qu'il  soit  permis  d'établir  entre  les 
deux  événements  une  relation  de  cause  à 
ell'et.  l.a  bonne  volonté  des  Ang-lais  a 
tté  la  [iremière  consé([ueiK-e  de  l'aett'éni'r- 
(;i(|ue  du  f>énéral  Gallieni. 

Cet  acte,  le  général  l'expliiiue,  dans  sa 
|)roelamation,  ainsi  ".  "  l.a  royauté  est  de- 
venue inutile  en  Eniyrne.  ■>  Elle  y  était 
devenue  nuisible.  Depuis  la  vietoire  des 
Français  la  noldesse  liova  s'était  orga- 
nisée pour  préparer  la  levanche,  et  la 
reine  avait  prêté  secrètement  à  ce  parti 
de  la  guerre  son  inlluence  et  son  nom.  Le 
plan  était  double  :  dans  la  capitale  même, 
se  débarrasser  par  un  heureux  complot  du 
chef  de  la  bourgeoisie,  devenu  le  chef  du 
parti  français,  Rasanjy,  et  du  résident  gé- 
néral; dans  les  provinces,  et  jusque  dans 
les  abords  immédiats  do  la  capitale,  en- 
tretenir la  rébellion,  la  faire  renaître 
clnupie  jour  et  partout,  afin  de  disperser, 
de  faliguer  et  de  décimer  les  soldats  de 
l'envahisseur.  On  se  doutait  de  la  paît 
ell'ective  de  Ranavalo  dans  la  rébellion 
des  provinces  et  dans  le  complot  de  la 
cour.  Lorsqu'on  l'eut  exilée,  on  eut  do 
cette  part  la  preuve.  Dans  son  palais  du 
Rova ,  des  copies  linciil  trouvées  des 
lettres  et  des  proclain.ilimis  qu'elle  avait 
adressées  en  juillel,  ac.nl  et  décendire 
derniers  aux  chefs  ipii  Icnaunl  la  cam- 
liagne.  L'intermédiaire  ciilre  ces  chefs  et 
leur  reine  était  le  pasleui-  de  l.i  cdui-, 
Andrianaivoravi'lona  ;  Il  ,1  ('■(('•  e\il(''  avec 
Ranavalo.  Dès  (pie  la  nouvelle  du  départ 
de  la  reine  eut  été  répandue,  plusiiMirs 
rebelles  vinrent  rendre  aux  autorilés  fran- 
çaises leurs  armes  ;  ils  élaienl  Iraliis, 
disaient-ils.  Même,  che/,  ceux  cpii  lutlaienl 
encore  perçait  un  ceilain  d(''coiiiageriienl . 
et  de  loulcs  p.irls  ntis  Irnupcs  icpjc^iiaienl 
l',-.vanlauv. 

L'Kinvinr  élail  cr.dicud  d,-b,n  r^is>,-,. 
d'ennemis.  Du  colé  du  N'oid.  !,■  .-..Imii,.! 
Combes  refoulait  liabozalia  dans  1,-  pa  s  s 
sakalave;  du  i-A(é  du  Sud,  les  .apil.niirs 
Deleuzi'  el  l'iclM.i,  icfoulaieiil  liaiiiilM-l  si- 
misaraKa  dans  U-  pas  s  lai, al;,.  |),.s  Irs  ,!,•,■ 
niers  ii),,is  ilc  i,,,iiv,  >i  lUj,  <-\(i'p|f  (pirl- 
,|„.-s  |„ll, .,„•>,  ,.  |„,„„.es  a„sMlol  par  la 
inilire  ri  1rs  Mlla-,-,,is  anins,  rEmvrne 
él.iil  Iraucpnlle.  ll.enlnl.uMe  ligne  iniùler- 
rompiie  de  posles  en  inlerdir.a  renlré-e  ;, 
tout  rebelle.  Dans  le  même  leiups,  la  cèle 
saUalav.-  élail  oceupéi^.  Les  i^shiaiivs  lavo- 
rables  à  l.a  (-(inlrebaiHle  des  aii,,es  .^l  <pil 
se  succêd.'iil  ,\r  i'il,-  Nossi-Ilc  au  c;q.  Sainl- 
Amlré  :  baies  de  lialv,  de  Marambilsy,  de 
la  Maliajamba,  de  la  Lo/.a,  de  Port-lia- 
<lama,  recevai<'nl  des  douanieis  el  <les 
soldais.  Celle  dnuble  si'iie  ,  I  opérai  i(ms 
lenniiiée.  le  pl.,ii  <bi  -enr.al  (iallieui  se 
<lessinad  nellem.-ril  :  cl,-,  de,i\  bases  d',,- 
péralions.     Ini  luees     pal>     !,■     lilh.lal    ,-l     p.-,|- 


KOdli  APIIIQUES 


121 


les  frontières  de  l'Emyrue,  envoyer  des 
expéditions  qui  mareberalent  les  unes  vers 
les  autres,  cxploreiaieni  par  degrés  le 
pays  et  l'occuperai, 'iil.  C'esl  ainsi  ,[u'eu 
avril  les  avaiit-]iosl,'s  ,-l.,iiiil  |Hi,,ssés,  vers 
le  Sud,  jusfiu'à  Ivolube  ,'l  Ihnsy,  ipii  esl  ii 
'200  kilomètres  an  sud  de  Fianarantsoa  ; 
vers  l'Ouest,  jus,|u'à  Kenoarivo  et  Tsiroa- 
mandidv,  occupation  qui  amenait  la  sou- 
mission de  la  \ill,'  d'A.d^axandra.  ,pii  esl 
.'i  100  kilomètre-,  <lr  I.,  r.M,-  \,'is  le  Nor.l, 
jus.in'à  Vohilen.,.  l'ai  1,'s  vallées  ,1e  la 
Maliajamba,  ,1e  la  ll,tsil.,,ka,  de  la  Maiiam- 
bolo.  nos  tin,ip,'s  lies, ■en  lent  leiitemeni, 
il  travers  le  pa\s  sakalave,  vers  la  mer  de 
l'ouest.  Aux  dernières  nouvelles,  la  situation 
était  si  satisfaisante,  ipie  le  général  Gallieni 
venait  de  (]uitter  Tananarive,  pour  entre- 
prendre une  longue  tournée  d'inspection. 

Ainsi,  avec  le  départ  de  la  reine,  la  |M'e- 
mière  période  de  l'histoire  de  l'occupation 
française  à  Madagascar,  la  période  de  la 
guerre  a  été  close.  Notre  conquête  nous 
est  reconnue  par  rEuro|ie;  la  pacilieation 
s'achève;  l'œuvre  de  la  mise  en  valeur  ,■! 
en  civilisation  de  la  grande  ile  \a  pi>ii\,iir 
êlre  abordée,  eiilin  :  dans  , pu-Iles  i-ondi- 
lioiis.  il  rheun-  achu-lle.  s,-  pr,-s,-nt,-  <ctle 
o-uvre? 

L'idée  eu  l.iiiuclh-  s,-  résume  la  poli- 
liipie  français,-  ailii,-ll,-  à  Madagascar  est 
simple  :  faire  ,1,-  I'il,-.  sous  la  direction 
elVecllv.-  ,1,-  la  Lrame,  une  ,-,  .nlV-.l.-iat  i,m 
d'Étals,  régis  par  di-s  ,li,-ls  ii,ili,,iiau\. 
Considèr,-e  dans  s,.i,  .-iis.-nibh- ,  Mada- 
gascar est  une  cohiii'n'  /'nnifdisi  .  il  u'v  a 
d'autre  autorilé  -,-11,-1  al,-  ,lans  lile  ,|iie 
e,-ll,-  (1,1  r,-pr,-s,-iilaiil  ,1,-  la  fiance.  La 
Lraiic-  V   c-l    la    -„-,ilc  ^..nx.-ianu-.    Mais  1,-s 

di\(-rs     Liai-,    ,l(,iil     (-11.-     I suit     i,     c-tt,- 

b(-uic  l.-i  pacilieation.  c-liii  d,-,  S.ikabn.-v, 
ri-;in\riie.  le  Delsib-c,  etc.  ser,.nl.  ((uisi- 
(lrl(-s  cli.iclln  en  part  i.iilici  .  de  veiilables 
/,n,lfrl,irfils.  Des  ,-li,-|s  1  nd  ii;,-ll,-s.  appll- 
,p,alil  1,-s  l,.is  l,.,:il,-s,  1,-s  r,-L;in.nl.  mais 
s,,ns  I,-  ,-,,nlr..l,-  uiilnclial  des  résidents 
hancais.   C'(-sl    ainsi  ,pi,-  T  Ijil  v  me.    ,l,-p,lls 

laboliti le    l.a     nixanle,    est    a,l  min  ist  r,-e 

par  un  -(iiix  eriK-iii  -ei„-ial  iii.lit;(-ne.  Ra- 
sanjy, s, .IIS  r.iutcril,-  (In  icsi.l,-ut  général. 
Ne  recoiin.iil-on  pas  ici  1,-  princi].e  si 
lëcoiid  du  prolectoral,  l(-l  (pi'il  a  éle 
appliipu-  d'abord  en    rnnisie'.' 

Il  V  a  trop  peu  de  U-iiips  .pie  l'el.il  -^'é- 
iiérai  de  Madagasc-ar  était  l'état  de  guerre, 
pour  (|U(-  la  mise  en  valeur  du  p.ivs  .lit  pu 
êlre  eiu-.u'c  sérieuseiiieiit  entrepris,-,  l'our 
l'd-uvre  éeon(uui(pie  accomplie,  on  ne  sau- 
rait établir  de  (-ompai-.iisoii  eiilre  celle 
eompiêle  réceiiti-  el  la  ■iiinisi,-.  pai-iliée 
depuis  (piin/i-  ans.  Celle  .iinre,  pour  Ma- 
dagasear,  ne  se  compose  (|m-  de  c.nuillell- 
c,-m.-iits,  de  pr,.|,-ls,.t   (resperances. 

l.a    cohmis.ih.m    du    sol    de    Madagascar 


122 


kvkni:mi:nts  choc  h  a  I'Imqi  t.s 


ne  sera,  en  auenn  point,  oriiciclle.  I.e  rési- 
lient {général  s'est  piononcé,  dans  sa  cir- 
culaire —  vraiment  remarquable  —  du 
H  aviil  dernier,  ponr  la  niétliode  de  colo- 
nisation lilire  a|i|ili(|née  avec  succès  au 
(Canada,  en  Australie,  en  Nouvelle-Zélande, 
el   qui   consiste   en    ceci   :   certains   lerri- 


Ic  plunU'iM',  pour  te  pelit  a^nciilluur,  pour 
ri>uvriei'  d'art.  I^c  climat  tempi>ré  dos  pla- 
teaux appelle  ta  petite  rotonisaiion  qui  dun- 
neru  l'aisance  il  de  nomhreux  agrieutleurs 
français,  A  l'étroit  dans  lu  mère  patrie  ;  les 
vastes  pAtui'aKcs  du  Nord  assureront  une 
grande  extension  à  l'industrie  de  l'élevage, 
déjà   prospère  ;  les  climats   chauds  de  la  c6tc 


i  T  H  K  U  It  A  1,  K      DE      T  A  X   V 


toiros,  d'une  superficie  comprise  entre 
une  centaine  et  plusieurs  milliers  d'hec- 
tares ,  judicieusement  choisis  près  des 
centres  habités  ou  sur  les  grandes  voies 
de  communication,  reconnus  fertiles  et 
salubres,  seront  déclarés  «  ouverts  à  la 
colonisation  >i  ;  chacun  d'eux,  au  préalable 
arpenté ,  sera  divisé  en  lots ,  dont  les 
titres  définitifs  de  propriété  seront  éta- 
blis d'avance  :  ainsi,  l'acquéreur  pourra 
entrer  immédiatement  en  possession  de 
sa  concession.  Une  proposition,  dont  l'au- 
teur est  M.  Brunet,  député  de  la  Réunion, 
met  à  la  disposition  des  Alsaciens-Lorrains 
et  des  créoles  des  colonies  françaises  des 
concessions  de  100  hectares,  situées,  pour 
ceux  -  là ,  sur  le  plateau  central  ;  pour 
ceux-ci,  dans  la  zone  cotière.  Que  feront, 
sur  le  sol  de  Madagascar,  ces  futurs  colons? 
Le  général  Gallieni  répond  lui-même  : 

Par  sa  conformation  même,  l'ile  oITre  les 
ressources  les  plus  variées  ;  à  coté  du  com- 
merçant, il  .V  a    place    pour  lindustriel,   pour 


sont  propres  à  toutes  les  cultures  coloniales  ; 
sur  bien  des  points,  l'industrie  minière  peut 
se  développer  ;  enfin,  partout,  le  commerçant 
et  l'ouvrier  d'art  peuvent  trouver  une  juste 
rémunération  de  leur  travail. 

L'or,  à  côté  de  l'élevage  et  de  l'agricul- 
ture, semble  devoir  être  un  des  éléments 
principaux  de  la  prospérité  de  notre  colo- 
nie. Il  était  exploité,  dans  ces  dernières 
années  déjà ,  au  Belsileo ,  au  Vakinanka- 
ratra ,  dans  la  région  d'Ankavandra ,  à 
Suberbieville,  chez  les  Maroftsy,  du  côté 
de  Mandritsara;  depuis  ISOo,  le  Betsiriry 
est  deveiui  un  nouveau  centre  de  produc- 
tion. Ces  diverses  exploitations,  sauf  peut- 
être  celle  de  Suberbieville,  en  sont  encore 
à  la  période  du  placer,  du  lavage  des  allu- 
vions  ;  on  n'a  pas  trouvé  jusqu'ici  de  filon 
de  quartz  aurifère.  Il  serait  heureux,  pour 
l'avenir  de  Madagascar,  que  le  phénomène 
se  produisit  ici,  qui  enrichit  et  peupla 
presque  subitement  la  Californie  et  l'Aus- 
tralie :    que     l'or    attirât    une     population 


K\"KN  i:  ME  NT  S    «'iKOC.  H  A  IMl  lUUKS 


nomhrouse,  .lux  besoins  nomlnoux,  dont 
les  filés  demeureront,  alors  i[uo  seront 
épuisés  les  filons  el  les  placers,  et  que  les 
chercheurs  d'or  fissent  souche  de  colons. 
A  l'heure  présente,  ce  (]u'il  fnut  avant 
tout  à  Madagascar,  ce  sont  les  voies  de 
communication.  La  capitale  elle-même  est 
reliée  à  la  côte  par  une  route,  qu'abo- 
minent, à  chnijue  courrier,  les  colons. 
("ei)endant  ,    alin    de    remédier   à    l'insulli- 


çaise  d'études  et  d'exploration  à  }[iidii<jaficar, 
avec  la  concession  de  ;)20,()OU  hectares  de 
terre,  la  concession,  pour  quatre-vingt- 
dix-neuf  ans,  d'un  chemin  de  fer  de  Tana- 
narive  à  la  mer,  et,  s'il  y  a  lieu,  d'un 
port  à  établir  soit  sur  l'iaroka,  soit  sur 
une  des  lagunes  ou  sur  un  des  lacs  qui 
bordent  la  terre,  soit  sur  la  mer.  Un  autre 
[irojet^  de  loi  accorde  à  la  Société  mtxiliaire 
de   la  cohmisotion  franqaige   à   Madagascar 


l'I  A  X  A  U    1  NlVl'l  A  .      I     \  !■  I  ' 


sauce  des  liiiurjanrx ,  porteurs  indigéiu'S, 
inu»  |)isle  Miulcliérc  a  éli'  (■(iTishiiilc  |iai-  le 
corps  du  ;^.-nl.',  ciilic  Tan.uiarive  el  Tama- 
lave;  loul  iricniiiicnl ,  le  -éru'ral  (ialliéui 
all'erlail  à  l'iunclH.!;,!  inn  .le  celle  pisie  un 
crédil  de  SOII.dOll  li;nH-,.  Ces  saciillces 
nOnl  poinl  fail  ..■■^sci  1,-s  lanu'iilal  ions, 
l.a  -.ilu.ili.ij.,  |Mi:iil-il,  ,-sl  iiilcIciMlilr.  1  ,e 
h-ans|M,rl  d  niir  ioin;r  ,lr  m.nvIl.llM  I  isrs,  (!,• 
'l'aiiKilaM'  à  1  ,iii:iiiarl\c,  i-.iiili'  J.IMIII  |i:iih-s  ; 
les  pcirleurs.  ipii  se  payaieiil  jadis  \'.\  fiaucs, 
ne  mai'cluMil  plus  aninui'd'luii  ii  moins  de 
•V:;  Irancs;  la  roule  ruuirlicre.  aliiinée  par 
les  pinirs,  ,.sl  impialical.le  le  plus  son- 
\rril  ;  lirrf,  j  ,•,„■  ,■!  ;,  ,-,i,  ,,n  nTlaun-  le 
clii-iniii  dr  1er  -,invcMi-.  Il  seniM,'  que  l'on 
snil  ,',diu  a  la  veille  de  f, ■ver, il  ion.  lu 
projel     de     loi    accorde    à    la     S^rivtr    fraii- 


la  conslnielioii    d'une    roule  .'i   péai;e    île  l.i 
enle   à     l 'ia  lia  i  .iliKo.i . 

.\pivs  plus  de  d,.,i\  sir.-le^  d  iiilerveu- 
lioiis  ^iie,-essi\e>  et  dellnils  iii  leniiil  I  enl  s. 
voiei  qu'^uiciin  olisl.iele  ne  s'opposi'  plus  à 
la  colonisalion  française  d.'  Madagascar.  Il 
<'st  permis  d'espi'-rer  (pie  la  l''ranee  mèiuuM 
à  bonne  lin  son  enlrepri->e  el  que  lous  si>^ 
représeiil.iiils  dans  la  grandi'  de  s'inspire- 
ronl  des  belles  parolesdii  lésidenl  général 
aelnel  :  ••  SuivanI  moi,  le  meilliMir  admi- 
uislraleiir  sera  eelui  qui  aura  ri''ii->si  pu-  sou 
iidelligenle  sollicilude  ^  favoris,.,,  dans 
sa  province  ,  l'inslallalion  du  plus  grand 
luimbi'c  d'enlriquises  ai,rieoles ,  commer- 
ciales ou    indusirielles. 

(  i  .ï  >  1  O  N       Hor  V  1  111. 


LK    MOUVEMENT    LITTEllAIUE 


Le  xviii'  siècle,  qui  fui  bien  des  choses, 
mais  qui  fut  surtout  le  siècle  de  l'es^prit  et 
de  lu  fiiiKe.  a  été  en   ces  derniers  temps 
robjcl    de   (iuel<|ues  l)ous   travaux.  L'abbé 
Le   Sueur   a    ])ublié   un   lot    important   do 
lettres   inédites   do    Maupertuis,   —   celui 
que  Voltaire  ai)pelail  le  docteur  A  kakia, 
et  qu'il  roula  clans  la  saumure  du  ridicule. 
Le   volume  contient  un  prand   nombre  de 
lettres   de   ses   correspondants  :  le   grand 
l-'rédéric,  le  président  Ilénault,  Euler,  Con- 
dillac,  etc.   Tout   ce   lot  a  été  trouvé  dans 
un  diâteau  de  la  Somme.  Il  avait  été  réuni 
autrefois    par    La     Beaumelle,    pour    une 
f;;iande    vie  de  Maupertuis.  La  préface  de 
l'abbé  Le  Sueur  est  une  excellente  biogra- 
])hie   raisonnée   du    fameux   savant,    et    il 
faudra   désormais  y   recourir  pour   parler 
de  lui.  (Juant  aux  lettres,  elles  sont  cu- 
rieuses, sans  plus.  Elles  ne  nous  révèlent 
rien  de   très  capital  ipii  ne  fût  connu,  et 
elles  ne  font  pas  aimei-  davantage  ce  sa- 
vant intelligent   et    fat,  qui  eut  le  mérite 
de  mesurer   le   méridien  de  la  terre  et  le 
tort  d'en    concevoir   une  morgue    outrée. 
Aussi  Voltaire,    qui  était  son  commensal 
chez  le  roi  de   Prusse,  le   grand    Frédéric, 
lui   fit-il  payer    cher  sa    renommée    tapa- 
geuse en  se  moquant  de  ses  projets  dont 
quelcpies-uns  étaient  bizarres,  d'un  moder- 
nisme  précoce  :  ne  voulait-il  pas  percer 
la   terre  d'un   grand   trou  qui  ressortirait 
par  les  antipodes?  Cela   se  fera  peut-être 
quelque  jour.    11   \oulait  aussi  fonder  une 
ville  latine  où  l'on  ne  parlerait  que  le  latin, 
afin  de  permettre  aux  élèves  des  collèges 
de  mieux  apprendre  cette  langue.  Il  vou- 
lait encore   qu'on   disséquât    les   cadavres 
des  condamnés  à  mort  au  lieu  de  les  jeter, 
pour  que  ce  fût  utile  à  la  science  ;  il  pro- 
posait même  ipi'on  les  disséquât  vivants 
pour  mieux  surprendre  le  secret  de  la  vie. 
Il  avait  pressenti  les  phénomènes  de  l'hyp- 
notisme    et     de    ce    qu'il    appelait    l'état 
d'exaltation   de   l'âme.  Voltaire   la   verte- 
ment plaisanté  sur  tout  cela  dans  sa  Dia- 
tribe, qui  est  désopilante  à  lire.  Maupertuis 
le    provoqua    en    duel.    Voltaire     déclina 
l'offre  en  prétextant  qu'il  était  bien  faible, 
au  lit,  et  qu'il  ne  pourrait  que  lui  jeter  à  la 
tête  «  ma  seringue  et  mon  pot  de  chambre». 
La  publication  de  l'abbé  Lesueur  est  une 
intéressante  contribution  à  l'histoire  litté- 
raire. Nous  ne  pouvons  ici  que  la  signaler, 
car   ce   serait   trop   nous   étendre   que   de 
retracer  cette  curieuse  figure  de  Mauper- 
tuis, et  la  place  nous  est  mesurée. 


Une  contemporaine  de  Maupertuis,  la 
délicieuse  M'""  Ueoffrin ,  vient  également 
d'avoir  les  honneurs  de  deux  bonnes  études 

pres(|ue  simultanées  :  Le  Salon  de  M (Uof- 

j'rin,  par  Torne/.y  (chez  LEi:fe\Ei,et  le  livr(^ 
plus  considérable  du  comte  Pierre  de 
Ségur  :  Le  Royaume  de  la  rue  Saint  I/mioré, 
Madame  Geoffrin  et  sa  fille  (chez  (Ialm.vnn 
Lévy).  11  était  difficile  d'apporter  des  traits 
nouveaux  à  une  figure  bien  souvent  étu- 
diée, bien  connue.  Et  cependant  ces  deux 
livres  sont  utiles  et  agréables  encore  après 
tant  d'autres  sur  le  même  sujet,  après  les 
études  de  Sainte-Beuve,  de  Goncourl,  de 
Bonhomme,  de  Colombcy,  de  Lescure,  du 
comte  de  Mouy. 

Oui,  cette  figure  est  connue,  et  par  les 
excellentes  études  qu'on  fit  d'elle,  el  par 
les  beaux  portraits  (pie  les  artistes  nous 
ont  laissés.  Elle  était  jolie.  Son  portrait, 
peint  par  Naltier,  a  grand  air  et  donne 
l'impression  d'une  grande,  belle  et  jolie 
femme  avec  des  traits  réguliers,  un  visage 
en  ovale  parfait,  les  cheveux  rebroussés 
droit  au-dessus  du  front,  le  nez  grec,  les 
yeux  beaux  et  grands,  la  poitrine  plas- 
tique. Ne  songez  plus  à  la  vieille  M""  Geof- 
frin, la  seule  que  Goncourl  ail  connue  dans 
son  \\\Tc  La  Femme  au  wiw"  siècle,  la  vieille 
M™"  Geoffrin  gravée  par  Miger,  l'air  pensif, 
la  figure  allongée  par  les  joues  autrefois  si 
fraîches,  aujourd'hui  tombantes;  c'est  la 
vieille  femme,  gravée  aussi  par  Robileau, 
peinte  par  Chardin  (musée  de  Montpellier), 
peinte  par  Hubert  Robert  dans  une  série 
de  panneaux  qu'elle  commanda  elle-même 
et  qui  figurent  des  scènes  de  son  existence 
intime  :  M""'  GeoiTrin  dans  sa  chambre  à 
coucher,  dégustant  une  tasse  de  chocolat  ; 
W"  Geoffrin  déjeunant  avec  les  religieuses 
de  l'abbaye  de  Saint-Antoine  de  Paris.  Elle 
soignait  sa  postérité. 

M.  de  Ségur  nous  a  révélé  une  M""  Geof- 
frin jeune,  orpheline,  élevée  singulièrement 
par  une  singulière  grand'mère,  grand'- 
maman  Cheniineau. 

11  est  admirablement  documenté,  ayant 
dépouillé  les  sept  grands  cahiers  reliés  en 
maroquin  vert,  écrits  de  la  main  de 
M'"""  Geoffrin,  et  qui  sont  actuellement  chez 
la  marquise  d'Etampes.  Il  a  connu  aussi  les 
papiers  manuscrits  de  la  fille  de  M"""  Geof- 
frin, M"'  de  la  Ferté-Imbault,  et  encore 
une  collection  de  lettres  adressées  à 
M""'  GeoiTrin  par  l'impératrice  Catherine. 
Il  a  eu  en  mains  également  les  lettres  do 
M""' GeoiTrin  à  Hume,  qui  sont  à  la  Société 


L  E  M  n  u  y  K  M 1-:  x  t  l  i  t  r  i:  n  a  i  u  k 


125 


rovalo  d'Edimbourg.  Ce  soiil  là  de  précieux 
et  nouveaux  documents  pour  mener  un 
supplément  d'enquête. 

M""'  GeofTrin  est  l'une  des  ])lus  brilhinles 
parmi  ces  charmantes  figures  de  femmes 
du  xviii''  siècle,  M"""  de  Lambert,  deTencin, 
d'Epinay,  de  Lafayette,  du  Defl'aud,  du 
Châtelet,  de  Slaal-Launay,  du  Maine,  de 
Staël,  etc.  Regardez  ce  joli  portrait  que  fit 
Horace  Walpole  de  cette  illustre  })our- 
geoisc  <(  d'une  roture  infinie  ».  U  dit  d'elle  : 

Mme  GeofTrin  est  une  femme  extraordinaire 
qui  possède  plus  de  sens  commun  que  je  n'en 
ai  jamais  rencontré  pour  découvrir  les  carac- 
tères et  les  pénétrer  jusqu'aux  derniers  replis, 
et  un  crayon  qui  n'a  jamais  manqué  un  por- 
trait, iirilinairement  peu  flatté;  elle  exige  et 
elle  conserve,  en  dépit  de  sa  naissance  et  des 
préjugés  absurdes  d'ici  sur  la  noblesse,  une 
véritable  cour  et  beaucoup  d'attentions.  Elle 
y  réussit  par  mille  petites  manœuvres  et  par 
des  services  d'amitié,  en  même  temps  que  par 
une  franchise  et  une  sévérité  qui  semblent, 
être  son  seul  moyen  pour  attirer  chez  elle  un 
concours  de  monde  :  car  elle  ne  cesse  de 
gronder  ceux  qu'elle  veut  s'a'tacher.  Elle  a 
peu  de  goùl  et  encore  moins  de  savoir,  mais 
elle  protège  les  artistes  et  les  auteurs,  et  elle 
courtise  un  petit  nombre  de  personnes  pour 
avoir  le  créclit  nécessaire  à  ses  protégés.  Elle 
a  fait  son  éducation  sous  la  fameuse  M""  de 
Tencin,  qui  lui  a  conseillé  de  ne  jamais 
rebuter  aucim  homme,  parce  que,  disait  son 
institutrice,  quand  même  neuf  sur  dix  ne  se 
soueiei'aient  pas  plus  i^le  vous  cpTun  sol,  le 
dixième  peiil  di-vi-uir  lui  ami  ulile. 

Ah!  la  délicieuse  femme!  On  m-  la  con- 
naît, on  ne  la  voil  que  vieille  cl  célèbre, 
parce  ipie  sa  jeunesse  fut  obscure.  M.  de 
Ségur  a  éclaii'é  celte  jeunessi".  Il  nous 
montre  M""  Hodel,  baliilant  rue  des  l'iou- 
vaires,  chez  son  |irre,  un  commissaire  con- 
trôleur juré,  mouleur  de  bois  de  la  ville 
do  Paris.  Devenue  orplieline,  elle  b.ibita 
chez  la  grand'nière  (ibeniine.iu,  iiie  S.iiiil- 
Ilonoré,  —  une  femme  <1(^  tèle  solide,  qui 
prisait  plus  le  jugement  que  le  savoir.  Elle 
disait  :  <<  Si  ma  petite-fille  est  une  bête, 
le  savoir  l.-i  remlrail  conli.inle  el  insuppor- 
table; si  elle  a  rie  Irspril  el  de  l.-i  sensi- 
bilité, elle  supph'eia  par  son  adresse  :i  ce 
(pi'elle  ne  saura  pas.  m  11  est  curieux  de 
voir  (pie  M'""  (jeolïrin,  qui  devait  plus  tard 
tenir  nu  salon  lilléraire  et  obtenir  un 
grade  élevé  dans  le  corps  des  bas-bleus, 
n'a  pas  reçu  d'instruclion  dans  sa  jeu- 
nesse. Même  U?  niailre  ;i  danser  fui  con- 
gé'dié.  i<  Quand  cette  enfani,  disait  la 
grand'mère,  vomira  sauter,  elle  saillera  ; 
elle  n'a  que  faire  d'être?  une  d.iuseuse.  » 
C'esl  un  Ivpc.  icllc  gr.indmère  Cl li- 
teau ,  .l'espiil  .lr.,il  ,  sididr  .  résolu  el 
simple.  ICIle  lil  apprendre  ii  Thérèse 
(M'""  (ieolTrin,  jeune  fille,  s'appelait  Thé- 
rèse Hodel)  le  chant,  mais  sans  accompa- 
gnemenl    d'inslriiinenls;   elle    n'en    voulait 


à  aucun  [irix  :  ••  Cela   l'ait  trop   ■le  bruit.   .1 

Thérèse  se  jeta  d'abord  dans  la  dévotion 
et  le  mysticisme.  A  quatorze  ans,  on  par- 
lait d'elle  dans  le  quartier,  et  Diderot  lui- 
même  avait  remarqué  cette  fillette  •<  en 
cornette  plate,  en  mince  et  légère  Sia- 
moise. "  Elle  songeait  aux  ordres.  L'an 
d'après,  elle  épousait  un  vieux  veuf  riche, 
M.  Geoffrin,  fabricant  de  glaces  et  miroirs. 
Il  avait  cinquante  ans;  elle  en  avait  quinze. 

Ce  ménage  bizarrement  assorti  logea 
dans  cet  hôtel  de  la  rue  Saint -Honoré 
dont  la  façade  existe  encore,  au  n"  372,  et 
qui  allait  devenir  le  royaume  du  bel  es- 
prit. 

Les  premiers  temps  furent  calmes, 
M.  Geoffrin  avait  tout  lieu  de  s'estimer 
heureux  d'avoir  trouvé  une  jeune  femme 
modeste,  rangée,  économe.  H  comptait 
sans  la  littérature.  Sa  femme  connut  cette 
gredine  intelligente  qui  fut  la  marquise  de 
■Tencin,  femme  supérieure  en  tout,  en  es- 
prit et  en  vice.  (Test  elle  cpii  déposa  un 
soir  son  enfant  sur  les  marches  de  Saint- 
Roch  pour  s'en  débarrasser.  Le  petit  fut 
recueilli  et  élevé  par  d'honnêtes  vitriers. 
Il  devint  le  fameux  savant  d'Alembert. 
Alors,  comme  il  se  couvrait  de  gloire, 
M"'"  de  Tencin  lui  proposa  de  le  recon- 
naître pour  son  fils.  D'Alembert  refusa, 
chassa  cette  mère  indigne,  et  ne  reconnut 
que  sa  mère  d'adoption,  la  vitrière.  M""'  Le 
Rond.  Ce  trait  l'honore,  comme  il  désho- 
nore la  Tencin.  Ce  fut  |)ourtanl  ctdle-ci 
ipii  servit  de  marraine  ."1  M""' (ieolfrin  dans 
le  monde  des  lettres.  Elle  r.illira  d.nis  son 
salon.  M'^"'  (ieotl'riu  v  lit  s,--.  ,,rges.  Elle 
pliil  à  tous  les  habitués,  et  elle  les  en- 
traîna tous  dans  ses  salons  ii  idle,  ipielle 
ouvrit  en  son  hôtel  de  la  rue  Sainl-llonoré. 

Ce  fut  grand  émoi;  iM.  CieotTriu,  qui 
s'était  arrangé  une  petite  vie  si  IranquiUe, 
poussa  les  hauts  cris  devant  cette  invasicui 
de  beaux  esprits  et  de  gros  a|)pétits.  Ce 
furent  des  (pierelles,  des  dispules  ii  l'occa- 
sion de  chacpie  diner.  Il  finit  par  céder  en 
maugréant,  et  se  n'sign.i  .'1  se  rencogner 
i.laus  sou  faiiteiiil,  d.iiis  un  coin  du  salon 
rempli  de  (■i''l('bi  iti'>..  silencieux,  solennel 
et  ennuyé,  lu  jour  sa  place  demeura  vide. 
On  ne  le  remar(|ua  pas.  Plus  tard,  lorsipi'uu 
habitué  s'avisa  de  ri''clamer  ce  vieux  mon- 
sieur ((non  voyait  toujours  l,à  et  qui  ne 
disait  mot,  la  maîtresse;  de  inaisori  ré- 
pondit ;  Il  C'était  mon  mari.  Il  est  mort.  " 
Et  ce  bit  tout.  On  lie  parla  plus  de 
M.  (leollriii.  el  |iersoiine  n'en  ,nail  plus 
parlé  jusqu'à  M.   1'.  de  Sé-iir. 

L'originalité  de  ce  salon.  <;•  bit  de  voir 
cette  femme  sans  iiaissame.  sans  litre, 
vivant  avec  ((uaraute  mille  li\  1  l's  de  renies, 
prendre  le  haut  pas  sur  l,i  société  mon- 
daine et  lettrée;  ci'  salon  bourgeois  brillait 
devant    les   plus   arislocraliques  salons  de 


I.K    MOl'VKMK.NT    I,  ITTKH  Al  11  K 


Piiris,  cl  (IcvciMil  le  ciMilic,  le  loyer  ili-s 
Ici  lies  IVançaiscs,  sans  noblesse  et  sans 
liclicssc,  car  Marmonld  nous  confie  (|u'on 
Y  dinail  le  plus  souvent  d'une  omelette, 
(l'un  poulet  cl  d'uii  plat  d'cpinanls.  Klle 
(Hait  secondée  par  sa  Idlc,  d'une  j^^aîlê  in- 
tarissable, d'une  {;ait»';  ininioitelle,  disait 
Maupeiluis,  rieuse  et  folle,  la  future 
M'"''  la  l''ertc-Iml)aull,  (jui  devait  plus  lard 
faire  succéder  au  salon  académicjuc  de  sa 
mère  les  réunions,  sur  sa  terrasse,  de 
l'ordre  dont  elle  avait  la  grande  maîtrise, 
l'ordre  des  Lanturelus  et  des  Lampons.  Sa 
mère  se  fût  voilé  la  face  si  elle  les  eût  en- 
tendus chanter.  I,es  salons  se  suivent  et 
ne  se  ressembleni  pas. 


M.  Jacques  Normand  publie,  chez  Le- 
MiiHiu:,  un  charmant  livre  de  vers,  Soleil» 
d'hiver,  notes  d'un  l'arisien  en  Provence. 

i(  Imageriechantante  >■,  nousdisaitrécern- 
nienl  Catulle  Mendès  dans  son  recueil, 
pour  marquer  le  souci  d'harmonie  et  de 
prose  cadencée  qu'il  apporta  à  l'œuvre. 
Jacques  Normand  a  fait ,  lui  aussi  ,  de 
l'image  ;>  la  plume,  des  peintures  écrites 
et  chantées  dans  le  mode  des  Muses. 

Les  arls  sont  frères,  et  les  artistes  ont 
une  tâche  commune  malgré  la  diversité  des 
procédés  et  des  formes.  Tous  concourent 
à  l'expression  des  sentiments  que  font 
naître  en  nous  les  communications  du 
monde  extérieur.  L'instrument  seul  dif- 
fère. Kt  l'idée  doit  venir  aussi  au  poète 
de  faire  œuvre  de  peintre,  d'avoir  son  al- 
bum, ses  croquis,  ses  types,  ses  paysages, 
puisqu'il  a  son  pinceau,  qui  est  sa  plume 
et  aussi  sa  palette  sur  laquelle  se  jouent 
tous  les  tons,  tous  les  ors,  tous  les  rayons, 
toutes  les  richesses  de  son  imagination. 

Ainsi  a  pensé  et  ainsi  a  fait  le  délicat 
poêle  Jacques  Normand.  Il  a  emporté  son 
Kodak  ,  et  il  a  illuminé  de  poésie  les 
épreuves  des  plaques. 

Et  voici  l'album.  Feuilletez.  C'est  le 
journal  poétique  du  voyage.  Nous  partons 
par  le  rapide  : 

Dans   l'immense  gare 
Résonne  et  s'égare 
Un  coup  de  sifflet. 

Nous  flânons  sur  la  Canebière,  au  nom 
retentissant  ainsi  qu'une  fanfare,  sur  le 
Prado,  sur  la  tlorniche,  à  Toulon,  à  Cannes, 
à  Ilyères,  à  Nice,  à  Monte-Carlo,  et  le  ca- 
lepin s'emplit  de  vues,  de  types,  un  porte- 
faix, l'escadre,  une  sauvageonne,  un  type 
d'Anglaise,  la  Promenade  des  Anglais,  la 
Bataille  des  fleurs,  le  Casino,  chez  Rou- 
bion,  les  aloès,  les  roses.  C'est  un  défilé 
pittoresque.  A  mesure  que  tournent  les 
pages,  on  aime  celte  musique  des  vers  qui 


accompagne  les  vues,  comme  un  orchestre 
en  sourdine  derrière  un  cinématographe. 
Ce  sont  de  jolis  panneaux  bons  à  regar- 
der. Voyez  cette  vieille  jeteuse  de  sorts, 
qui  vous  vise  aux  yeux  de  son  long  doigt 
maigre  et  luisant  : 

Comme  nous  regardions,  à  l'Iieure  du  couchaiil 
La  mer  Iragique  avec  flcs  lueurs  d'incendie, 
La  vieille  Ilalicnnc  en  haillons,  l'air  mCchant, 
Parut  ei  vint  à  nous  d'une  marche  hardie. 

Son  long  doigt  d<^charnâ  nous  visant,  droit  aux  yeux, 
Elle  dit,  d'une  voix  de  sibylle  sauvage, 
D'étranges  mots  sur  un  rythme  mystérieux... 
Puis  disparut  dans  l'ombre  grise  du  rivage. 

C'était  le  mauvais  sort  qu'elle  lançait  ainsi 
Sur  nos  deux  fronts  voisins.  la  sombre  jetlature; 
D'autres,  à  notre  place,  en  auraient  pris  souci... 
Nous,  cliêre,  nous  avons  souri  de  l'aventure. 

Contre  nos  cœurs  unis  que  peut  le  mauvais  sort? 
Va  !  je  la  bénirais  plutôt,  l'horrible  femme, 
Car  ton  bras  s'attachait  à  mon    bras  bien  plus  fort 
Tandis  qu'elle  parlait,  —  et  ton  âme  à    mon  àme  ! 

Vous  n'avez  pas  oublié  les  pages  remar- 
(juables  de  Paul  Bourget  sur  le  casino  de 
Monte-Carlo,  et  vous  vous  les  rappellerez 
devant  le  tableau  de  Jacques  Normand 
qui  a  la  touche  plus  large  et  l'impression 
plus  philosophique,  grâce  au  prestige  de 
la  poésie  : 

On  songe  à  quelque  étrange  et  beau  Palais  du  mal 

Où  le  démon  du  jeu,  fantastique  animal 

A  la  griffe  d'argent  et  d'or,  bien  acérée 

Saisit  le  pauvre  humain  aussitôt  son  entrée, 

Et  sous  ces  hauts  lambris  d'un  luxe  éclaboussant 

Lui  déchire  le  cœur  et  lui  suce  le  sang... 

Ainsi  va  ce  livre,  cet  album  coloré  et 
poudroyant,  chaud  de  soleil,  avec  des 
rellels  d'azur  et  des  souvenirs  vibrants, 
des  impressions  vécues  ;  c'est  un  joli 
voyage  avec  un  charmant  compagnon. 

M""  Jane  Dieulafoy,  dans  son  roman 
Déchéance,  paru  chez  Li:.MEiinE,  conte  un 
récit  dramatique,  niouvementé,  bien  mo- 
derne, dans  un  style  pur  et  ferme.  Elle  y 
défend  la  thèse  de  la  foi  et  du  sacrifice  à 
l'Idée,  au  mépris  des  compromissions 
mondaines.  M'"  de  Deyme  s'épiend  d'un 
jeune  officier;  mais  son  frère,  qui  est  dé- 
puté de  la  droite,  s'oppose  au  mariage 
parce  que  le  jeune  homme  est  protestant. 
Quant  à  lui,  M.  de  Deyme,  il  s'éprend 
d'une  jeune  personne  qu'il  voit  chez 
M"""  de  Rodeloze,  dont  elle  est  la  protégée. 
Mais  sa  S(eur,  à  son  tour,  s'oppose  à  ce 
mariage  parce  que  la  jeune  personne  est 
divorcée.  Ainsi  des  deux  parts  il  y  a 
obstacle  et  impossibilité  pour  des  raisons 
de  foi  et  de  principes,  divorce  et  protes- 
tantisme. 


l.K    MdlVKMKNT    M  TT  Kli  A  I  li  K 


Mais  des  deux  paris  le  sacrifice  et  l'hé- 
roïsme ne  sont  pas  les  mêmes.  M""  de 
Deyme  a  tous  les  courages  et  ne  faillit 
pas.  Elle  se  réfugie  au  couvent.  Toute  la 
cérémonie  de  la  prise  de  voile  est  un  ta- 
bleau frais,  blanc  et  gracieux. 

Le  frère  n'a  pas  cette  vertu,  et  il  des- 
cend tous  les  degrés  de  la  déchéance;  il 
devient  infidèle  à  tout  :  5  ses  opinions,  à 
son  parti,  à  son  honneur;  la  divorcée  de- 
vient sa  maîtresse,  sa  sieur  en  meurt  de 
chagrin.  Tout  cela  est  fortement  vécu  et 
analysé,  avec  de  perspicaces  analyses,  des 
caractères  bien  vus  et  nettement  tracés  et 
de-ci  de-là  d'agréables  paysages  : 

Le  soleil  se  levait  derrière  les  bois  de  peu- 
pliers dont  les  troncs  se  miraient  dans  les  eau.\ 
du  Lot.  11  jeta  ses  rayons  pales  sur  les  saules 
jaunis  déjà  ;  il  fit  briller,  à  travers  les  chaumes, 
les  coquelicots  lents  à  s'ouvrir;  il  colora  les 
vis^nobles  qui  ruisselaient  du  haut  en  bas  des 
coteaux.  Le  pays,  fertile  par  places,  aride 
dans  d'autres,  rappelait  l'Orient,  où  l'oasis 
confine  sans  transition  au  désert.  A  travers 
les  fenêtres  couraient,  entrevus  à  peine,  des 
fermes  d'aspect  rustique,  des  meules  de  blé, 
des  champs  de  ma'is  aux  panaches  orfjueilleux, 
des  guérets    remués   par  des  bicufs  puissants. 

Les  scènes  sont  mouvementées,  les  dia- 
logues pressés,  le  développement  régulier 
et  pourtant  pathétique.  L'étude  de  l'ar- 
chéologie et  de  l'humanité'  dans  son  passé 
n'est  pas  une  gène  pour  la  connaissance 
de  l'Ame  moderne,  au  contraire  ;  l'intré- 
pide exploratrice  des  palais  de  Xerxès  en 
est  la  preuve.  Les  sentiments  humains  ne 
sont-ils  pas  élernellement  les  mêmes'? 


Il  V  :<  un  livre  lU-  KoHlmelIc  (pi'ou  ne 
1,1  |,|,,s  -iiérc,  -  ce  virux  cl  i;;daiit  Koii- 
Irncllc,  si  rhaiiii.inl  crrg..ïs,nr  spirihicl. 
Ce  livre  s'appelle  la  riiiraUt,  ,l.s  .l/,»/,/,.v, 
(l'esl  lin  eiiiirs  d'aslronniiiie  |iniM  il.iiiies, 
le  soir,  ;i|.iés  dincr,  dans  le  p.n.'  el  mii  Ij 
len;isse  du  elKileaii.  (  l'csl  un  IJM  c  e\i|uis  ; 
il  iiieriLiil  un  nieilh'iir  sori  ipie  eeliii  ipie 
nous  lui  faisons;  mais  les  pins  belles 
choses  oui  le  jiire  desliii, 
■  t^amille  Klammai-iou,  dans  scm  riini.in  de 
Sirl/a,  nous  l'ail  penser  m  l'inileiielle,  C'esl 
d.'  l.,  MllL;;ili^;ilioil  .inle;il,le  inelee  à  lin 
rniiuin  M'nliliienl.il  dune  belle  .'le\,ilinli 
el      .Il leli.Mie      ;ili;,lyMV      Ce     <pie      ,-e 

SI  rniiline-,,  ,  l;,sl  r,  ,ii,  un  ie  p.  .pu  l;il  le.  e'esi 
une  pari  iinpoiliinle  di'  plnloseplne .  île 
cosniogonii' ,  de  nnslieisine  iiiênie,  .le 
glisse  rapideinenl  sur  les  .•iinonrs  siipia- 
sensiielle^  de  Slell:i  el  de  l'iisl  roiionie 
Daigil.iii  ;  ee  .pii  en  esl  |j  inile  (lonii- 
n.-inle,  e'esl  l;i  l'.ii.  rainnnr  pi.ui-  l..s  asires, 
l'iillir.inee  ipiils  eNeieenI,   le  besoin   ipi'ils 


imposent  de  s'abimi'r  eu  eux  et  do  les 
posséder.  Ce  n'est  plus  de  la  vulgarisa- 
tion, ceci,  c'est  une  observation  person- 
nello  et  frappante  que  le  ciel  attire  et 
séduit,  fascine  et  domine.  Le  roman  se 
termine  par  une  mysliipie  ascension  des 
deux  âmes  enlacées  vers  les  planètes  su- 
périeures, vers  un  degré  de  vie  plus  par- 
faite, et  c'est  une  iissez  belle  image  de 
l'espoir  dans  l'avenir  meilleur,  et  le  [iro- 
grès  constant  di'  l'Iiiiin.inili'  en  iiiarelie 
vers  le  bonheur. 

Ce  livre  intéressera  eeii\  .pii  \eiilenl 
qu'on  les  fasse  rélh^'cbir  el  eeu\  :iiissi 
qui  aiment  la  diseus-,icin,  e.n-  li.ul  y  esl 
matière  à  re%isiiiii,  ;i  e\:iineu.  ;'i  eeiilia- 
diction.  Ce  ne  seul  p:.s  de  ees  -.iijeK  sur 
lesquels    il     sc.il      peiiui-~     .{'.ippiiiler    des 

solutions  délinili\es.  .les  .• Iiisii.iis  s:iiis 

recours.  On  m. us  \  e\pli.pie  l.ien  .pie  la 
vie  a  coninieiiee  sur  !:i  l.ure  p;ii  nue  e.un- 
binaisoil  illl  e:iib.iue  ,i\  er  I  li\  ilii.i;èiie  el 
l'azote,  mais  ne  \  .iii.lrie/.-\ .  .ils  pus  niissi 
([u'on  vous  dil,  pi. 111  Mins  li\er  Imit  a  lail. 
qui  donc  avail  nus  l,i  d.'  I  a/i.le  l'I  du  car- 
bone, el  comiueiil    lisse    I  ii.in  .ilelll    la? 

Tout  le  volume  .'sl  pl.uu  lie  ees  pn. blê- 
mes dont  les  solul  i..us  .l.mn.-es  p,ir  l:i  libre 
|iensée  ne  nous  s,il  isli.ul  pus  pins  .pie  eidles 
propos(''es  p,ii  les  leligimis.  Mais  il  legne 
sur  binl  eelii  un  air  d''élé-\  al  ion .  .le  siiieé- 
rilé.  de  -iMii.l.-ui  ipii  se  déga-e  .les  en- 
Ir.iilles  iiieiu.-  .lu  suj,.|.  le.piel  esl  -riiud 
el  r.,iiipoile  une  li.lle  p,irl  de  pi.esie,  ,\h! 
eninnii-  il  esl  pfiis.iul,  .piali.l  i.li  a  e,.iileiii- 
ple  riiiilneusile  .les  ,-ieil\  .1  l:i  p..ussièle 
eelesie,  .  1  (■,■,, ni  er,  .■..iiiiiie  le  fa  1 1  lauleur 
pai-  un  conlrasli-  inali.ieiix.  les  ..  liiiuisl.'- 
ri<.s  svbillisles  -  <lii  p.iel.'  .piil  appelle 
Klieunc  niiMiaiiiH' !  Des  pa-.'s  s.  .ul  j.ilies. 
c.miiie  eelle-.l,  sur  la   peu. lui.'  si.  lei  al,- ipii 

lliai.pie.li\-s.-pl  lieui.s,  .ai   l.s.isli ii.-s 

\iselil     .'Il     .leheis     des     li.Mlr.'s     Mil-aires. 

\.,iis,issislous; .■.■vpiil.ui.-.-.l.'Ia.pielle 

il  ivss.irl  (pi'eli  IS|-.:i,  ..u  a\all  .-..nslale, 
.lalis  un  laps  .1.-  l.-inps.  une  se. .,11, le  <le 
plus,  i;i  \oiei  les  eonsé.pienees  bien  <li'- 
diiiles  el  insleinenl  comprises  il.'  .•«•Ile 
simple  .■oiislalali..n  .l'Iiorle-erie  ;  .-ar  e'esl 
le  eaïa.lére  de  la  sei.ul.  .■  .!.■  lirer  de  gros 
ellels  de  pelil.'s  .1  i-e,  .iisl  a  mes  ;  el  c'est 
paie.,  .pu-  I,'  Mil^aiie  ne  ^•n^  pas  ee  rap- 
pel I  ,lu  pi'lil  an  ^laii.l.  .pi  il  luee.Hill.all  le 
sens  el  1,1  p..rl,a'<li's  in..in.li.'s  opéra  I  i.  ms. 
D.ilie,  .111  a  .■..iiipl.-  eelleann.-.-  une  se.-.mde 
,l,-  pins;  el    u.K-i  «a-  .pi.-  ..la   m. il   ilii.-  : 

Il  la.i.li-a  ,v.-.,iii,„.Mu-.M-  f..l.-erva(i..ii  un 
Hiaii.l  ii.iniliiv  il.-    r..is    p.. m-   assurer  si,  préci- 

si„ii,  sii|.|...s.,Ms  ,|ii,.  ;;;;^';';';")^;;';;;'';;,.'^!;;;;;' 

mù''''sV.-.u.'.'l.-'  '  i:l'ri'i.ii'  .''.-'l ''en'. nue:  ('.ellJ 
(lillVreiie,-  11.. us  a|.|.i  .■n.li-.iil  i|il.'  ramas,  .111 
IVL.il.-  V..ISIII,.,  .,11  les  .leuv  peiil  .'■Ire,  s,.  s..nt 
,|,|,la,a'-s  .lans    !..    ilir.-el  jeu  esl  ,,u.-sl.   Kl    avec 


1-2 


MO   MOL'VKMKNT    I,  Il  T  i:H  A  I  II  K 


des  oli'imMiU  siiHis^mls  df  laliul,  nous  Irou- 
vci'ions  siins  doute  là  mi  iiioovcment  considé- 
rable, non  pas  seiiU'nienl  de  cent  mille  kilo- 
mètres A  riieure,  lonnne  la  Terre  dans  sa 
Iranslalion  annuelle  aulotn'  du  Soleil,  mais  de 
deux  cent,  trois  cent,  quatre  cent  mille  kilo- 
mètres à  I  heure  et  davantage.  I.a  mesure  en 
elle-même  parait  un  peu  prosakpie.  Compter 
un,  deux,  trois,  quatre,  n'est  pas  une  opéra- 
tion transcendante.  Mais  combien  le  résultai 
est  intéressant  lorsqu'il  nous  montre  ainsi 
tous  ces  soleils  lancés  dans  l'espace  avec  une 
vitesse  verti(;ineuse. 

Quel  soudain  cou|)  d'aile  !  Comme  l'cx- 
|)i'rience  grandit  tout  à  coup  et  nous 
emporte  à  travers  les  espaces  dans  le  tour- 
noiement fantasli(iiic  et  vertigineux  des 
mondes  ! 


Louis  Knaull,  le  charmant  romancier  qui 
a  écrit  Stella,  Nadéje,  l'Amour  en  voyage, 
la  Rose  blanche,  la  Vierge  du  L^han,  Uer- 
mina,  Alba,  Christine,  tous  ces  romans  dont 
le  titre  évoi]ue  un  passé  de  vogue  et  d'éclat, 
—  Louis  Knaull  vient  de  se  remettre  à 
l'œuvre  et  de  publier  un  roman  nouveau, 
Pour  un!  (chez  IIacuette).  On  y  retrouve 
ses  qualités  niaitrcsses,  qui  sont  l'analyse 
fine  et  perspicace,  le  style  aisé,  le  tact  qui 
excelle  à  exprimer  avec  une  grâce  fleurie 
et  souple  les  ténuités,  les  déiicjU'ssc^  .les 
sentiments  féminins,  des  inipi .  ---i.  iii-~  l.ii- 
dres,  des  galanteries  voilées,  dr^  |i.i>si(>iis 
discrètes,  avec  une  louable  préciosité. 
Ajoutez  à  ces  mérites  du  mouvement,  du 
pathétique,  et  vous  voudrez  lire  ce  récit 
dramatique  où  deux  sœurs  aiment  le  même 
homme,  —  les  Sceurs  rivales,  de  Rotrou. 
Mais  l'aînée  est  plus  coupable  que  sa  cadette, 
car  Valérie  est  mariée  avec  un  autre,  et  se 
donne  pourtant  à  cet  Herbert,  aimé  aussi 
d'Angèle  sa  sœur.  Le  mari  surprend  l'épouse 
infidèle;  Angèle  était  là;  elle  sacrifie  son 
honneur  à  son  amour,  et  déclare  que  Her- 
bert était  venu  pour  elle.  Mais  comme  cette 
même  nuit  un  vol  avec  effraction  a  été 
commis  au  château ,  le  mari  fait  arrêter 
l'amant  comme  voleur.  On  voit  combien 
l'action  est  violente.  Tout  s'arrange  d'ail- 
leurs à  la  lin,  comme  il  sied. 

Une  des  plus  jolies  parties  du  roman, 
est  l'histoire  de  l'ascendant  qu'Herbert 
exerce  sur  la  jeune  Angèle,  qui  l'aime,  l'ad- 
mire, oriente  toute  sa  vie  vers  lui,  et 
découvre  en  même  temps  son  cœur  et  son 
amour. 

Il  y  a  là  une  fine  et  jolie  étude  de  l'amour 
naissant  et  grandissant  au  cœur  d'une  pure 
jeune  fille  capable  de  tous  les  dévouements 
et  de  tous  les  héro'ismes  pour  celui  qu'elle 
aime  et  admire;  c'est  du  plus  délicat 
talent. 


Aimez-vous  les  reconslitulions  histo- 
riques? Vous  savez  combien  on  en  a  fail 
de  belles  et  d'intéressantes  (pielipiefois, 
le  Voyage  du  jeune  Anacliarsis  de  Itarlhé- 
Icmy,  la  Rome  nu  siècle  d'Auguste  de  Dezo- 
liry,  les  Récit»  des  temps  Mérovingiens  d'Au- 
gustin Thierry,  la  Ligue  de  Vilel.  Crest 
un  genre  agréable  et  souvent  heureux.  Kn 
voici  un  nouveau  et  bon  spécimen,  Tolla 
la  Courtisane,  par  E.  Hodocanachi  (chez 
Fla.mmaiiion).  Appelez  cela,  si  vous  voulez, 
Rome  en  1700.  C'est  un  tableau  de  mœurs 
et  coutumes  curieux  et  varié.  On  y  trouve 
les  aventures  galantes  avec  le  récit  scru- 
puleusement historique  des  amours  de  la 
folla  Boccadileone  (Bouche  de  Lion?  quel 
nom  brutal  pour  une  femme!)  de  don 
Gaetano  Cesarini  et  du  prince  Constantin 
Sobieski.  Cela,  c'est  de  la  petite  histoire, 
tirée  des  archives,  et  c'est  un  roman  vécu 
bien  captivant.  A  côté  de  cette  intrigue 
mouvementée,  vous  discernerez  les  élé- 
ments d'un  vivant  et  complet  tableau  de 
la  vie  à  Rome,  avec  les  menus  faits  et  les 
menus  détails  de  chaque  jour.  Vous  trou- 
verez enfin  la  description  très  complète 
et  très  documentée  des  solennités  du  ju- 
bilé de  1700.  Tous  ces  grands  panneaux 
.se  complètent  et  s'avivent  l'un  par  l'autre. 
Parcourez  les  rues  : 

Des  places  très  petites,  décorées  de  gigan- 
tesques obélisques  ou  de  fontaines  monumen- 
tales, des  palais  imposants,  liautains,  d'archi- 
tecture un  peu  monotone,  flanqués  de  masures  ; 
des  maisons  allant  à  la  débandade;  puis  des 
grands  espaces  vides  et  plantés  de  vignes  ou 
couverts  de  joncs;  des  églises,  des  chapelles, 
des  oratoires  sans  nombre,  de  toute  forme, 
dédiés  à  tous  les  saints  du  paradis,  mais  sur- 
tout à  la  Vierge;  le  beau  et  le  laid,  le  sublime 
et  le  baroque,  le  somptueux  et  le  misérable  jux- 
taposés, superposés,  confondus  dans  le  désor- 
dre le  plus  troublant.  Partout  on  admire  des 
eaux  limpides  et  jaillissantes  ;  il  n'y  a  presque 
pas  de  place  ou  de  maison  qui  ne  soit  ornée 
d'une  fontaine  d'où  l'eau  coule  en  abondance. 
Quand  la  reine  de  Suède  vit  celle  profusion, 
elle  pensa  que  c'était  un  jeu  qui  ne  devait 
durer  que  quelques  heures,  comme  à  Versailles, 
el  qu'on  faisait  en  son  honneur,  et  elle  pria 
qu'on  le  fit  cesser  par  économie.  On  lui  fit  lire 
l'inscription  que  portent  certaines  fontaines  ; 
Aquée  perennes,  (Eaux  élernelles),  et  qui 
convient  à  toutes. 

Ajoutez,  pour  avoir  l'aspect  des  rues,  que 
les  boutiques,  je  devrais  dire  les  échoppes, 
car  elles  sont  toutes  le  plus  pauvrement  gar- 
nies du  monde,  sont  en  plein  vent;  l'étalage 
se  fail  en  partie  dans  la  rue;  l'on  y  vend  de 
tout  :  les  charcutiers  débitent  de  la  ficelle  ; 
les  cartonniers,  du  tabac;  les  tailleurs,  des 
images  saintes;  les  épiciers  du  fil  de  fer. 

La  place  me  manquerait  pour  évoquer 
seulement   le   grand  tableau  des  fêtes  du 


I,  K   MdlXKMKNT    LITTÉRAIRE 


jubilé,  le  cortège,  l'ouverture  de  la  Porte 
Sainte,  les  costumes,  les  livrées;  tout  cela 
est  chatoyant  et  grouillant.  Et  que  de  dé- 
tails typiques  sur  la  société,  sur  les  cour- 
tisanes fastueuses,  sur  les  courtiers  de 
paris  mutuels  <c  sur  le  sexe  des  enfants  à 
naître  ».  Voilà  une  industrie  h  laquelle  nos 
bookmakers  négligent  de  songer.  Dans  ce 
cadre  se  déroule  le  drame  galant  de  Tolla, 
qui  relie  et  anime  ces  pittoresques  et  vé- 
ritables panneaux. 


Les  Féeries  de  Jean  Rameau  (chez  Ollen- 
dorff)  sont  un  excellent  recueil  de  trente- 
cinq  poèmes  où  le  charme  d'une  élocution 
choisie  et  harmonieuse  se  joint  à  l'intérêt 
des  récits  pathétiques  et  mouvementés. 
On  l'a  dit  avec  justesse,  ces  poèmes  fan- 
tastiques sont  lumineux  comme  dos  vitraux 
du  moyen  âge.  C'est  poétique,  élevé,  sa- 
vant et  ingénieux,  d'une  fantaisie  ex<|uise 
(pii  se  joue  parmi  des  personnages  fabu- 
leux, médiéviques,  rois  et  bergères,  fées 
et  jongleurs,  parmi  les  orangers  et  les 
étoiles,  emmi  les  mélodies  des  musettes 
et  des  violes.  Le  goût  du  jour  est  à  ce 
genre-là,  à  ce  moyen  âge  (jui  a  cessé  d'être 
romantique  pour  s'estomper  dans  des 
vagues  lointains  wagnériens.  Mais  Jean 
Rameau  a  res[)rit  trop  net  pour  nous  lais- 
ser dans  les  nuages  d'une  Hrocéliande,  cl 
ses  récils  sont  vivants,  attrayants.  Parmi 
leur  murmurant  essaim,  soufl'rez  <[ue  j'aie 
naturelle  tendresse  do  coeur  pour  le  Afiracle 
d'Oliran  (|ui  m'est  dédié,  et  dont  je  vous 
veux  livrer  quelques  beaux  vers  : 

Arômes  de  la  menthe  et  de  la  mariolaine, 
N'ètes-vous  pas  son   soufHe  épandu  sur  la  plaine? 
Vous  sur  qui  Mellida  s'est  mîrce,  ô  ruisseaux. 
Ne  racontez-vous  point  sa  grâce  à  vos  roseaux? 
Ciel  si  pur,  n'es-tu  pas  un  peu  de  son  sourire? 
Et  vous,  prés  verdoyants  et  mois  où  le  zépliyre 
Fait  dclore  aujourd'hui  des  liserons  menus. 
Ne  fûtes-vous  pas,  hier,  fouk-s    par  ses  pieds  nus  ? 
Ellecsi  jeune, elle  cstbelle, elle  m'aim.-!  oh!  vertiges! 
S'(;criait  Oliran.  Et,  balançant  leurs  tigos, 
Tous  les  arbres  semblaient  heureux  de  son  bonheur. 
Et  les  cloches  des  tours  chantaient  en  sou  honneur 
«  Vive  Oliran  !  »  criaient  les  femmes  attroupiies, 
Et  les  vieillards  baisaient  ses  deux  longues  (îpies 
Dont  le  fil  s'ébriicha  sur  des  fronts  d'ennemis; 
El  les  vierges  aux  traits  suaves,  ayaru  mis 
Des  Heurs  dans  leurs  cheveux,  des  rul)ans  à  leurs  tailles, 
Chantaient  l'hymne  de  paix  aux  hiros  des  batailles.  » 

A  noter  aussi  la  Blonde  Zii/imé  cpie  con- 
naissent déjà  les  lecteurs  du  Manile  itindi'rtu', 
le  Savant  Z'KM~.td,\o  lutin   liant   d'mi  pouce 


et  demi,  l'Eglise  .s 
c'est  une  fanlas 
féerique. 


A   les  aulr 
lélodieusç 


.le  ne  puis  ipie  vous  signaler.  l'aiiU'  d'cs- 
pac(>,  les  délicates  Notes  sur  Londres  de 
M"""  Alphonse  Daudet  en  une  petite  pla- 
([uette  entoilée  h  la  mode  anglaise,  pour 
laquelle  Fasquelle  a  apporté  une  ingénio- 
sité artisli([ue  et  charmante.  Et  tenez, 
voici  encore  un  bon  livre  dont  il  scr.iit 
intéressant  de  vous  parler,  mais  lisez-le, 
Foreats  et  Proscrits,  de  Paul  Miniande 
(C.  LévvI.  Vous  y  trouverez  de  pin(irc^(|iii's 
paysages  de  Cayenne,  de  Kniiicm,  de  d.ule 
la  Guyane,  les  mœurs  el  (■iiulunu's  du 
bagne,  des  légendes  locales,  des  crociuis 
de  types,  des  scènes  amusantes  et  des 
scènes  horribles,  du  Camp  de  la  Mort  à  la 
forêt  vierge,  où  l'évadé  tombe  épuisé  de 
fatigue,  et  où  son  crâne  blanchit  dans 
l'ombre,  poli  par  les  myriades  de  fourmis 
qui,  en  quel<[ues  instaids,  l'envahissent  et 
le  déchiquètent.  11  sort  de  ces  pages  des 
appels  stridents  à  la  pitié  pour  ces  vilains 
gas  déportés  là-bas.  (l'est  une  mauvaise 
cause.  On  y  (larle  aussi  de  Dreyfus,  in- 
juste objet  d'une  clémence  irrégulière.  Il 
y  a,  parmi  ces  éloipientes  horreurs,  des 
notes  gaies,  comme  l'histoire  de  ce  .lides 
Gros  (pii  s'inslalla  rlans  le  leiiiloire  (^)n- 
Icsli',  sv  lit  élire  |,rcsidciil  de  la  Répu- 
blique, y  irislalla  une  (  ihanil.ic  .lr>.  députés, 
et  se  lil  expid^-rr  pan  e  ipie  sou  iniiiistre 
de  l'instruction  publicpic  elail  un  piicliaril. 
Ce  .hdesGros  \il  a  piCM'al  n-hr,-  à  Cliehy- 
Levallois,  comme  ui\  ri.i  eu  exil. 

Enfin,  aux  am.aleurs  d'émolions  tories  et 
vibrantes,  signalons  lliabili-  récit  d'un 
maître  du  roman  populaire,  lleini  Ihuncsse, 
La  Fleuriste  des  liallis.  lal.leaii  vivant  el 
curieux  ili'  ce  milii'U  m  di\cis  cl  si  agile 
(h'S  vcM.lians  des  halles. 

V.Mis  sa\r/  aussi  qu'.X  1  pla.Mse  Haiiilel 
vieni  (l,T,Miiiii(Mi  ni!  voluiiu' de  (■harmanles 
luisia'llaiices,  iioim-llcs  el  souvenirs,  im- 
pressions du  r.ul  .le  Monlrouge.de  la  Sal- 
pèlrière,  d'un  cliel'  de  <-al.iiiel,  du  phare 
des  Sanguinaires,  di-jà  \u  dans  les  contes. 
(Test  un  précieux  ramassis,  ri  lilluslral  ion 
en  est  toute  gracieuse,  .le  ne  \(jiis  dis  rien 
de  La  bataille  dl'lide,  de  Paul  .\dani  :  le 
livre  vaul  la  peine  d'v  riiM'iiir  à  hasn-  l.\ 
fois  |, roi-haine. 


ClIUONIQUE    THÉÂTRALE 


Le  nioi.s  (|ui  vionl  de  s'i'coiilor  mo  fail 
relTel  tic  CCS  menus  de  table  illiôlc  trop 
cliargp<?s,  dans  losnuels  il  faut  choisir  un 
plat  ou  deux  seulement  et  négliger  le  l'cslc. 

Malgré  la  saison,  cl  comptant  sans  doulc 
sur  vuie  série  de  jours  |)luvieux  que  sainl 
Médard  permettait  de  craindre  et  que  saint 
Barnabe  a  sécliés,  prescpie  tous  les  théâtres 
ont  renouvelé  lem-  affiche. 

L'Opéra  a  enlin  compris  <pie  la  Maladetta 
ne  pouvait  s'éterniser  cl  a  hospitalisé  un 
ballet  nouveau,  l'Etoile,  dont  le  livret,  dû 
à  l'imagination  charmante  cl  pittoresque 
de  ce  pauvre  Camille  do  Roddaz,  qui  fut 
mon  collaborateur  et  mon  ami,  un  écrivain 
d'une  fantaisie  extrême  et  d'un  esprit  acéré 
auquel  les  directeurs  ont  si  longtemps 
fait  faire  antichambre  qu'il  a  fini  par  mou- 
rir sans  s'être  réellement  fait  connaître  du 
public.  Comme  il  senilile  impossible  qu'une 
pièce  apportée  par  un  jeune  auteur,  (de 
Roddaz  avait  près  de  cinquante  ans  cepen- 
dant), puisse  marcher  sans  tripatouillages, 
on  lui  adjoignit  comme  collaborateur 
M.  .\d.  Adorer.  M.  André  Wormser,  prix 
(le  Rome,  <pii  avait  reçu  la  commande  d'un 
ballet  à  l'Opéra,  fut  imposé  comme  musi- 
cien ;  on  élaya  l'œuvre  des  inspirations 
chorégraj)hi(pies  de  M.  Hansen,  et  j'ima- 
gine que  l'auteur  très  joué  de  la  Maladeita, 
M.  Gailhard,  ne  fut  pas  avare  de  conseils. 
Il  y  eut  ensuite  à  ménager  les  susceptibi- 
lités de  tel  premier  sujet  qui  voulait  un 
pas,  à  satisfaire  les  exigences  de  tel  dan- 
seur, qui  demandait  ime  scène,  à  satisfaire 
le  goût  d'un  chef  de  claque  qui  réclamait 
un  effet,  à  flatter  les  désirs  d'un  certain 
nombre  d'abonnés  qui  souhaitaient  un  ra- 
jeunissement des  quadrilles.  On  prit  encore 
l'avis  des  machinistes,  celui  dos  mamans 
(le  ces  demoiselles,  et  on  ne  négligea  pas 
de  consulter  le  lampiste,  le  balayeur  et  le 
concierge.  Le  résultat  do  cette  collabora- 
tion multiple  fut  le  ballet  qu'on  nous  a 
offert  au  commencement  du  mois.  Camille 
de  Roddaz  n'était  plus  là  pour  donner  son 
avis,  et  la  version  définitive  ne  ressemble 
que  de  loin  au  scénario  primitif  que  je 
connaissais  depuis  longtemps.  N'en  dé- 
plaise à  tous,  j'aimais  beaucoup  mieux  la 
première  manière  que  la  dix-septième. 
Mais  en  France,  il  est  entendu  qu'une  idée 
ne  paraît  jamais  devant  le  public  telle 
qu'elle  est  éclose  dans  l'esprit  de  l'auteur, 
et  qu'il  est  beaucoup  plus  habile  et  beau- 


coup plus  lucratif  d'être  intermédiaire  que 
producteur.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  reste  en- 
core dans  VEloile  assez  d'attractions  pour 
justifier  le  succès,  cl  il  faut  se  féliciter, 
somme  toute,  de  voir  un  peu  diminuer  la 
prépondérance  des  chorégraphes,  qui  ne 
savent  et  ne  peuvent  savoir  tpi'inventer 
des  ;>a«  cl  régler  des  ensembles.  Quant  h 
construire  une  pièce,  quant  à  avoir  une  de 
ces  idées  poétiques  ou  philosophiques  sans 
lesquelles  pantomime  ou  ballet  ne  sauraient 
vivre,  où  veul-on  qu'ils  la  prennent?  C'est 
comme  si,  dans  un  théâtre  de  comédie,  on 
demandait  au  régisseur  chargé  de  la  mise 
en  scène  d'écrire  un  acte.  Il  faut  que  cha- 
cun reste  à  sa  place  et  que  les  calculateurs 
ne  soient  pas  toujours,  comme  du  temps  de 
Beaumarchais,  évincés  par  les  danseurs.  A 
ce  titre  donc,  VEtoile  datera  dans  l'histoire 
de  la  chorégraphie,  et  marquera  peut-être 
le  commencement  d'une  ère  nouvelle. 
Ainsi  soit-il  ! 


Dans  ma  dernière  chronique  j'avais  pro- 
mis de  parler  de  Frédéffonde,  la  tragédie 
ou  plutôt  le  mélodrame  en  vers  que  la 
Comédie-Française  venait  de  représenter. 
Bien  que  la  pièce  ait  déjà  disparu  de 
l'affiche  je  liens  parole.  On  a  été  très  dur 
pour  Frédégonde.  L'ouvrage  de  M.  Alfred 
Dubout  n'a  pas  trouvé  grâce  devant  la 
critique,  qui  l'a  exécuté  en  un  tour  de 
plume.  Je  crois  que  le  plus  gros  reproche 
qu'on  puisse  faire  à  l'auteur,  c'est  sa  for- 
tune. Un  homme  qui  n'a  pas  besoin  de  ça 
pour  vivre  ne  saurait,  paraît-il,  être  qu'un 
amateur,  et  l'on  sait  la  haine  de  la  critique 
pour  l'amateur.  Il  faut  déjà  avoir  les  reins 
bien  solides  pour  résister  à  une  honnête 
aisance,  mais  quand  le  poète  ou  le  drama- 
turge se  mêle  d'écrire  avec  une  plume  en 
or,  gare!  M.  de  Buffon  y  laisserait  aujour- 
d'hui ses  manchettes  de  dentelles  et 
M.  Ed.  Rostand  aurait  succombé  à  la  peine 
s'il  n'avait  trouvé  en  M""  Sarah  Bernhardt 
une  interprète  géniale  et  une  amie  à  toute 
épreuve.  M.  Alfred  Dubout  a  succombé. 

Mon  Dieu,  je  ne  prétends  pas  que  Fré- 
dégonde soit  un  chef-d'oeuvre,  non,  mais  on 
a  eu  si  souvent  des  indulgences  extrava- 
gantes pour  d'autres  pièces,  qu'il  est  à  bon 
droit  permis  de  s'étonner  des  sévérités 
qu'on  a  montrées  pour  celle-ci. 

L'œuvre,  très  bien  montée,  comme  cos- 


C  H  H  O y  I Q  VE    THÉ  A  T  H  A  L  K 


tûmes  et  décors,  a  élé  Iden  légèrement 
distribuée.  Sauf  Paul  Mounot,  parfait  dans 
le  rôle  de  l'évèque  Prétextai,  personne  ne 
semblait  à  sa  place.  Le  sujet  par  lui-même 
n'étant  pas  très  récréatif  et  le  style  n'ayant 
rien  de  la  forme  cornéliemie,  la  malheu- 
reuse i)ièce  a  coulé  à  |iic.  Requicsrat  in  pace. 


L'Opéra-Comique  est  un  peu  comme  le 
chien  du  jardinier.  Chaque  fois  (pi'on  veut 
loucher  à  un  os  quelconque  il  ffroojno  et 
montre  les  dents,  mais  n'y  touche  jamais 
lui-môme.  Un  jour  l'Opéra  annonce  qu'il 
veut  monter  LoheMjrin.  «  Touchez  pas, 
crie  l'Opéra-Comifjue,  cet  os  est  à  moi  !  » 
On  passe  outre  et  Wagner  entre  à  l'Opéra... 
Il  est  queslion,  disent  un  matin  les  com- 
muniqués officiels  envoyés  à  la  presse,  de 
reprendre  Orphée  h  l'Académie  nationale 
de  lUMsiquc.  "  Touchez  pas,  crie  l'Opéra- 
Coniiiiue,  cet  os  est  à  moi!  ><...  Et  Gluck 
parait  place  du  Chàtelet...  L'Opéra  prépare 
une  reprise  de  D(yn  Juan,  annoncent  les 
feuilles.  «  Moi  aussi,  riposte  l'Opéra-Co- 
mi(]ue!  »...  Et  nous  avons  deux  i^onJ^»an  en 
même  temps!...  MiM.  Bertrand  et  Gailhard 
songent  à  monter  le  Vaisseau  fantôme  avant 
les  Maîtres  chanteurs,  insiiuient  les  courrié- 
ristes. «  Pardon,  gémit  l'Opéra-t^omique, 
toute  cette  réjouissance  nu'dullaire  est  de 
mou  garde-manger...»  Et  il  donne  le  Vais- 
seau fantôme  en  attendant  les  prochainc^s 
batailles  sur  les  Maitres  chanteurs...  f/esl 
là  une  noble  et  belle  émulation  et  la  con- 
currence pi'ouve  une  fois  de  plus  cpi'eili' 
est  l'âme  du  commerce.  SeiilemenI ,  pciidaMl 
ce  tenq)S-là,  nos  nuisiciens  marcpieni  le  p;is 
et  nous  assistons  à  des  exhumations  peut- 
être  imililes,  en  tous  cas  bien  tardives. 
Mais  si  li's  ou\  r.ii;i's  nniinie  celui-là  jiarais- 
seid  démodés  cl  \icillis,  la  fuite  (M1  est  à 
l'oslracisme  dont  ils  <>nl  v[r  IVjppi'S  sotle- 
nUMil  pendaiil  si  l.)n-h-iii|,s.  Ah!  I.'s  nuir- 
mitons  de  M.  Déroiilèd.-  aiunnl  cii  mii  l'^irl 
musical  de  ces  vingt  .In  im,m  fs  ;imiu-cs  une 
bien  (l.-|,lr>inl>lr  i  nllncM.c.  i:,,  dépit  de 
r. ■.!-., uriu, ■ni  du  publie  |HMir  .c  Wagn.'r 
ipi.'  nous  .■■li.Mis  SI  |,,.n  à  d.-leinlie  il  v  a 
(pduze  ans  ri  <,ni  -.y  lini  pai  sn„|„,.,.,  à 
l'éclectisme  .ju  au  sM.ibisin,.  de  j.-i  luiilr, 
MOUS  sommes  i'n<ii[-e  bu'ji  <'n  relard 
ave(-  le  grand  g.-nie  allemand.  Il  v  a  loul 
un  stock  dont  la  plus  pclile  bourgade 
d'Alleiuagric  ri  .l'jhdir  ne  veut  déjà  plus, 
(pie  nous  il.'ripuvi  nus  juj.iiird'hiii  riiiiiiiii' 
uiir  nciiiM'julr.  Crsl  iiiir  Inpiidalion  ipir 
nous  (IrMMis  Ijiir  :n;iul  d  rirr  ;iii  p;iir  iivre 

les  autres     sieurs     rUK.pirllIlrs,     Il     f.iiil    SI- 

l-ésiiiiiei-  cl   .ilirudic. 


nos  murs.  Ceci  est  un  événement.  La  ré- 
clame dont,  paraît-il,  l'artiste  a  une  sainte 
horreur,  ne  l'a  pas  épargnée  grâce  aux 
soins  de  son  imprésario.  Si  elle  lit  les 
journaux.  M™"  Duse  a  dû  bien  soulTrir. 

On  n'aurait  pas  joué  de  la  grosse  caisse 
avec  plus  d'énergie  s'il  se  fût  agi  d'un 
mouton  à  cinq  pattes  ou  d'une  femme  à 
barbe.  Le  résultat  a  été  de  présenter  an 
public  une  vraie  et  grande  artiste  comme 
un  phénomène.  Si  l'on  a  voulu  battre  mon- 
naie en  même  temps  que  peau  d'âne,  le 
but  a  été  atteint,  mais  ce  sont  des  j>r()ré- 
dés  de  «  tournée  »  dont  il  y  a  (piel([ues 
années  encore  on  se  fut  sans  doute  fiffusipié 
à  Pap'is.  Aujourd'hui,  c'est  à  peine  si  on  a 
sourcillé.  Demain,  ce  tam-tam  snnblna 
naturel. 

Le  nom  d'Eleonora  Dusr  est  (■(■Irbir 
dans  le  monde  entier  et  sa  répulalion  est 
universelle,  elle  a  dans  les  deux  hémis- 
phères des  partisans  enthousiastes  qui  la 
proclament  la  première  tragédienne  des 
temps  modernes.  Quand  une  artiste  excite 
de  tels  emballements,  il  faut  croire  qu'elle  a 
quelque  chose.  M°"  Duse  a  beaucoup,  mais 
(piant  à  justifier  le  beau  tilir  i\v  liagi'- 
dienne,  cela  c'est  une  aulrr  all'aiir.  Oui 
dit  tragédie,  dit  poésie,  en\.ilér,  au  <lrlà, 
.souffle,  puiss.n.rr,  liénusuir:  ,  u-  M""'  Ouse 
a  tout  cr  que  I  ou  \rul  ,'\r.'pl.'  rida.  S.ui 
jeu,  tout  dr  siiiqilirili',  -  mais  d'iuu!  siiii- 
plirilé  r\l  iMi>rdinairr  ,  iuvraisendilable, 
alfrrti'r  uiniir,  piiiirrail-ou  dii'e,  si  les  deux 
mots  ne  formaiiuit  antinomie,  —  bn  inter- 
dit les  sublimités  tragi.pies.  M"-  Duse  c'est 
la  prose  druis  toute  sa  nelleté,  son  exac- 
titiidr,  r'rst  la  \  ir  lidrlemrul  -  prescpi.' 
srivilriurul  rrpr.  .du  1 1  r,  .■'.■si    \r  Irrrr   à 

trrrr,  .-rsl  I,-  ,  t.. us  1rs  j,.urs  ..  pli.>l.. 
graplii.',  .■m.-iu.il..-i-aphié,  c'est  l'art  du 
Tliéàlrr  Id.iv  |,...issé  à  son  extrême  degré 
de  perf.-rlM.ii,  .'rsl  le  dranu-,  r'<'sl  le  nié- 
lo.liMm.'  iial.ir,-,  mais  (■,■  nCst  p;is,  ua 
jamais  (•h-,  u.'  sria  jamais  l;i  I  i-.ir.Mlie.  ^)\u• 
rrllr  niaiiiriv  ..il  un.-  val.'ur  i-i-la  iir  îail 
au.-.iu  .l.i.il.';  .pu-  la.-hi.-i'  s, .il  nu.- ail  isir. 


il   r.nil 


Maiairnaiil    pailoiis  de  choses  sérieus. 
La  tragédirnn..   f'.JeoiKU'.a   l)us(-   est    da 


•mire  siii-  le 
.•li..i\  .l.-s  m, ,1s  ri    ir,-piiit;I.T  iiur  rii. pu-Ile 

Par  un  srllliuirlil  d.'  rnuil.iisie  dont 
ii.iiis  .IrM.Ms  lui  s;iV.Hr.lautanl  plus  .le  gré 
ipi'il  (■.•iiliiplail  1rs  .lini.-ullés  inhérentes  à 
loiit  .Irbul  laiil  par  l.'s  .-..mparalsous  i|u'il 
pr(.Miipiait  .pie  [)ar  ramoncellemi'nt  .1.' 
iraditions  i-t  de  routines  .pi'il  oppi.s.iil  à 
la  réussili-  finale.  M"'"  Duse.  paiaiss:iiil  poiii- 
la  premièri!  fois  sur  une  scène  l'iancaise,  a 
voulu  s'y  montrer  .lans  un  r.'.h'  tiuiila- 
luental  de  notre  école  ilraïual  i.pic  moilerne. 
l'MIe  a  .-hnisi  la  Dame  iiii.r  Onnéliits. 
l.'('-pnMi\.'  n'a  pas  l'Ié  concluante.  11  sei'ait 
absnnlr  .1.-  l'aii-r.l.'s  .•omparaisons  el  d'op- 
poser au  j.'ii  <!.■  Irlli'  .■.iiué.liriuu'  le  jeu  île 


IMIlKlNIQUr:    TIIKATII  AI.K 


telle  ou  toile  nuire.  (Test  uu  [H'oeédt' 
tr<)|)  eommodo  d'aillcuis  cl  <|ui  ne  peut 
donner  (|uo  dos  idées  fausses.  Or  on  est 
tro|)  poilé  h  sulisliluei'  rinloii)rète  à  Pau- 
tour  i/ui  xr«/  com/ilr,  l'ailiste  n'étant  ol  ne 
pouvant  être  (pi'un  insliuniont.  11  no  s'af;it 
donc  pas  de  savoir  si  M""  Duse  a  rendu  la 
Marguerite  Gauthier  de  M"""  X,  Y  ou  /., 
mais  si  clic  a  rendu  l'héroïne  d'Alexandre 
Dumas.  Kh  bien  non,  non,  et  non  !  Klle  a 
ou  dos  efïets  très  curieux,  elle  a  soulevé 
d'unanimes  applaudissements,  elle  a  laissé 
le  pulilie  sous  le  coup  d'une  émotion  très 
violente,  mais  elle  a  joué  une  iMarguorite 
(iauthier  do  fantaisie,  une  Marguerite 
<ia\Uhicr  de  la  Duse,  et  non  riiéro'i'nc  de 
Dumas.  Que  celle  autre  chose  soit  égale- 
ment très  bien,  je  n'en  disconviens  pas, 
mais  c'est  autre  chose,  et  voilà  le  tort... 
Dans  un  personnage  déformé  par  les 
siècles,  où  la  pensée  même  de  l'auteur 
n'est  pas  là  pour  guider  sûrement  lintor- 
prèto,  ([ue  l'artiste  crée  do  lui-même,  et 
se  taille  un  rolc  sur  mesure,  s'il  a  du 
génie,  soit!  Bien  malin,  on  eirct,qui  pour- 
rait dire  comment  Shakespeare  compre- 
nait I.ady  Macbeth.  Mais  la  pensée  de 
Dumas  lui  survit  et  tant  que  la  pièce  est 
debout,  c'est  à  ce  modèle  qu'il  faut  avant 
tout  se  conformer.  Dans  un  siècle  ou  deux, 
(|ue  les  Duse  de  l'avenir  accommodent  le 
rôle  —  s'il  subsiste  encore,  ce  qui  est  plus 
que  douteux  —  à  leur  sauce  particulière, 
libre  à  elles,  mais  notre  temps  se  contente 
de  la  sauce  Alexandre  :  c'est  déjà  bien 
assez  qu'on  ait  carnavalisé  le  drame  en 
Traviaia  sans  que,  sans  l'excuse  de  la  mu- 
sique, on  lui  mette  en  simple  prose  un 
faux  nez. 

Toutes  ces  réserves  faites,  il  n'en  de- 
meure pas  moins  que  Eleonora  Duse  est 
une  grande  artiste,  et  notre  époque  n'est 
pas  déjà  si  fertile  en  ce  genre  de  produc- 
tion pour  qu'on  méconnaisse  ou  qu'on  dé- 
daigne celle  que  notre  bonne  fortune  nous 
permet  d'entendre. 


L'événement  dramatique  le  plus  consi- 
dérable du  mois  qui  vient  de  s'écouler  est, 
sans  contredit,  cette  Rosine,  que  M.  Alfred 
Capus  vient  de  faire  représenter  au  Gym- 
nase et  qui  a  obtenu  à  la  première  repré- 
sentation un  succès  indiscutable. 

Rosine  est  l'histoire  toute  simple  et  très 
simplement  racontée  d'une  pauvre  fdle 
séduite,  abandonnée  par  son  amant,  expo- 
sée à  toutes  les  tentations,  on  but  à  toutes 
les  vexations  de  l'étroitesse  et  de  la  mé- 
chanceté desprit  dos  petites  villes  qui, 
d'une  vertu  revèche,  se  vengent  sur  les 
irréguliers  des  amertumes  et  des  tristesses 
de  leur  existence  monotone,  et  qui  (c'est 
Hosine   cpie  je   veux   diroi,  après  mille  et 


une  humiliations  supportées  avec  une  rési- 
gnation (piasi  héroi(iiio,  linit  par  s'évader 
de  <'el  enfer  et  va  clu'rclicr  le  ropos  sinon 
le  bonheur  aux  côtés  d'mi  brave  gardon 
(|ui  se  passe  do  l'intervention  d'un  notaire 
|)our  être  heureux.  Si,  ce  rpi'à  Dieu  no 
plaise,  nous  en  étions  encore  aux  pièces 
à  thèse,  ce  serait  la  thèse  de  l'union  libr<! 
soutenue  victorieusement  par  un  honnête 
homme  de  lettres  qui  a  prouvé  que  le 
théâtre  no  vivait  pas  exclusivement  d'elTels 
et  <|u'on  pouvait,  pondant  trois  heures 
d'horloge,  tenir  on  haleine  une  salle  de 
première,  sceptique,  railleuse  et  futile, 
rien  que  par  le  développement  logique  et 
l'étude  CJ)nscioncieuse  dos  caractères. 

Mon  Dieu!  la  bonne  soirée  reposant  do 
tout  ce  (pie  le  théâtre  contemporain  nous 
offre  de  complications  et  tarabiscotage. 
Ici  rien  de  semblable.  Une  langue  claire, 
précise,  mise  au  service  d'une  cause  aussi 
hardie  que  possible  sous  son  aspect  inof- 
fensif; des  personnages  bien  posés,  des 
caractères  bien  dessinés,  une  action  juste 
assez  pimentée  pour  n'êtie  point  fadasse, 
mais  se  tenant  heureusement  très  loin  des 
condiments  épicés  dont  on  a  si  souvent 
abusé;  enfin  une  idée!  <c  une  idée!  »,  c'est- 
à-dire  ce  qui  manque  actuellement  aux 
neuf  dixièmes  des  productions  théâtrales. 

Certes,  il  y  aurait,  si  l'on  voulait  être 
grinchu,  des  critiques  do  détail  à  faire  ; 
mais  à  quoi  bon  ?  Pounpioi  chicaner  .son 
plaisir.  Voilà  un  jeune  auteur  —  celui-là 
dans  toute  l'acception  du  mot  —  qui  a  pro- 
duit une  œuvre  intéressante.  C'est  fort 
bien.  Los  défauts '?  M.  Capus  les  connaît 
aussi  bien  que  qui  que  ce  soit,  ce  sont  des 
vérités  (|ui  n'apparaissent  éclatantes  qu'a- 
près l'épreuve  décisive  du  public.  Dans  sa 
prochaine  pièce,  il  se  corrigera  de  quel- 
ques-uns ;  dans  la  suivante  il  fora  mieux 
encore,  jusqu'au  jour,  certain,  oii  il  fera 
tout  à  fait  bien  et  prendra  une  des  nom- 
breuses places  laissées  vacantes  depuis  la 
disparition  des  grands  auteurs  comme  Du- 
mas, Augier  et  quelques  autres.  Féli- 
citons-le donc  et  félicitons-nous,  c'est  ce 
qu'il  y  a  de  mieux  à  faire,  et  souhaitons 
que  cet  exemple  donne  aux  directeurs  un 
peu  plus  de  confiance  et  d'audace.  Ils  ont 
sous  la  main  tout  ce  qu  il  faut  pour  réussir. 
Qu'ils  osent  faire  de  la  jeune  génération 
un  essai  franc  et  loyal.  Elle  est  vaillante, 
instruite,  rélléchie.  Une  lui  manque  que  l'ha- 
bitude de  la  bataille  ;  qu'on  la  conduise  au 
fou  le  plus  souvent  possible.  En  peu  de- 
temps  elle  constituera  une  armée  solide. 
Tandis  que  si  on  la  laisse  s'étioler  dans- 
l'inaction,  se  consumer  dans  des  tentatives 
vaines,  se  décourager  dans  une  attente 
indéfinie,  on  marche  à  un  krack  inévitable 
ot  nous  perdons  un  des  plus  beaux  fleu- 
rons de  notre  couronne. 


C  II  U  O  X  I (,U'  !•:    T II  E  A T  H  A  I,  !•: 


Si  Rosine,  ;iu  lieu  lif  xfiiir  en  lin  do  sai- 
son avec  la  mine  [)ileuse  d'un  qualorzième 
à  table,  invité  à  la  dernière  minute,  avait 
été  donnée  en  plein  hiver,  c'eût  été  un 
f;ros  succès  d'argent.  ,Je  regrette  d'avoir  à 
«mployer  de  tels  arguments  pour  défendre 
la  cause,  mais  ce  sont  ceux  qui  frappent 
le  plus  et  séduisent  davantage  le  com- 
merce directorial.  Oui,  Ronine  eut  fait  de 
l'argent!  La  pièce,  liien  lancée,  soutenue 
par  une  puljlicilé  adroite,  se  fût  imposée 
à  l'irréflexion  de  la  masse  du  public  comme 
elle  s'est  imposée  à  l'estime  et  au  jugement 
des  spectateurs  de  la  première  et  peut-être 
que  le  mot  de  la  révolution  eût  alors  été 
dit,  peut-être  que  ce  fiât  lux  eût  dissipé 
les  ténèbres  qui  enveloppent  l'art  drama- 
tique depuis  la  dévastation  apportée  dans 
l'édifice  par  les  canonnades  du  Théâtre- 
Libre.  Mais  pour  cela  il  fallait  y  croire,  la 
présenter  hardiment,  en  connaissance  de 
cause,  et  non  l'offrir  avec  un  air  de  deman- 
der pardon  de  la  liberté  grande! 


Quoi  (juil  en  soil,  c'est  déjà  fort  bien 
de  ne  l'avoir  pas  jjlackboulée  sans  la  lire, 
comme  il  est  ariivi-  si  souvent  à  d'autres 
qui  avaient  peul-èhc  uiu'  valeur  aussi 
grande,  comme  il  csl  .iilvcnu  pendant  dix 
ans  h  mon  pauvjc-  .inii  dr  lîciddnz,  dont  je 
parlais  au  ilrbul  ilr  itIIc  iludniijur.  d  qui 
était  lui  aus'-i  lui  .inlcui-  ilr;i]n.il iquc  ori- 
ginal, aili-oit,  li.irdi,  mais  qui  a  succombé 
dans  celle  lullc  du  pot  de  terre  contre  le 
pot  de  fer  et  qui  est  moit  .'i  la  peine  sans 
avoir  pu  <liiniirrs:i  inesiiic.  l'nuvre  gai\'on! 
condiien  lie  l'oi^  lai-jr  \u  |i.iilir  pliMU  d'es- 
poir, un  iii.iiin^ri  il  cil  iiiM-lir  ii|iirs  avoir 
obtenu  nni'  lecture  <  au  |iii\  dr  quelles 
démarches!  et  grâce  ii  qnclli's  ruses  di' 
guerrier  apache  !  i  et  c-.unbien  de  lois  esl-il 
revenu  cassi'  eu  iIimin,  ileses|i(''ri'  iioii  p.is 
seulement  d  :i\eir  eehinn-,  mais  de  n'innir 
pas  niêiue  l'Ii''  eeniile. 

l'n  exemple.  C'est  une  seeiie  ii  l.upielle 
j'ai  assisté.  Ilans  un  tliealre  du  lMiiile\ard, 
il  vient  lire  nue  eliannaiil  e  el  e^ij,.  eouu'- 
di(,>  lyriipie.    I  .e  diicelem     —  je  ne  le  noin- 

menii  pas  :  il  est    ri.  |,;ii\  ii  ses  eeudies! 

—  s'installe  .1  s,. Il  l.iiie.Mi,  s,.  e;de  dans  son 
fauteuil  et  se  |uV'|.^iiv  ii  ,.|ilendie.  Kodda/. 
comiueMee  irniie  \oi\  elaire,  joyeuse  (il 
lisait  à    1  M\  ir 

—  La  seeue  se  p.isse  s.. Us  l.uuis  MX', 
dil-il  eu   uiaiiuTe  d'.i  \  erl  isseinenl . 

Le  dij'eetelir  bunei'  le  s.uirell,  agili' 
sileneieuseuicnt  ses  levies  el  se  tient  coi, 
se  sentant  suiveille. 

Le  leeteiii-  enntiuiie  et  se  pieiiant  Ini- 
mêine  à  son  action,  jonc  sa  pii'ee  avec  une 
verve    irrésislible.    ï.e    iireniier   acte    fini. 


nous    regardons    le    directeur,  qui,   inq)as- 
sible,  dit  : 

—  N'oyons  le  deux  ! 

Le  deuxième  acte  se  déroule.  .Même  si- 
lence ! 

A  la  lin  du  troisième  el  dernier,  nous 
levons  les  yeux  :  le  directeur  dormait! 

Je  sais  bien,  comme  dirait  l'autre,  que 
le  sommeil  est  une  opinion,  et  nous  nous 
levions  pour  partir  sur  la  pointe  du  pied, 
mais  voilà  que  notre  homme  s'éveille  cl 
du  ton  le  plus  entendu  : 

—  Ça  n'est  pas  mal,  mon  cher,  dit-il, 
mais,  voyez-vous,  Louis  XIV  à  la  scène, 
peuh!  c'est  bien  risqué!  Et  puis,  ajoute- 
t-il  péremptoirement,  je  n'ai  personne  dans 
ma  troupe  pour  jouer  cet  emploi... 

—  Mais,  interrompt  de  Roddaz,  il  n'y 
a  pas  de  Louis  XIV  dans  ma  pièce!  On  en 
parle,  mais  il  ne  parait  pas! 

—  Oh!  alors,  reprend  le  directeur  sans 
se  déconcerter,  c'est  une  autre  atl'aiie.  l)u 
moment  qu'on  en  parle  tout  le  temps  et 
qu'il  ne  parait  jamais,  c'est  itliot!... 

J'interviens  alors  : 

—  Mais  et  VArlésienne,  el  le  Uni  l'a  dit, 
ce  sont  des  pièces  aussi  où  l'on  parle  d'un 
personnage  qui  ne  se  voit  point. 

—  Permettez,  permellez,  re|)re!nl  ledru- 
meur  éveillé,  mon  théâtre  n'est  ni  l'Odi-oii, 
ni  r(.)péra-Conii((ne.  et  votre  ami  n'est  m 
Daudet  ni  Gondini't. 

Devant  des  arguments  [khiuIs  il  n'y 
avait  ipi'à  s'incliner,  e  Csl  le  ipie  nous 
finies  en  réprimant  diriieilenieni  nue  co- 
lossale en\  je  di'  lire. 

Hire!oui,  en  elVel.  nous  .ivions  quinze 
ans  de  moins  el  le  long  a\cnir  s'ouvrait 
devant  nous... 

L'avenir  est  le  passe'  rnainlenanl  el  rien 
ou  piesc|iie  II  a  iliiingi'.  l!spi''i-oiis  mieux  du 
piéseiil  el  i-epreiHins  eouliance.  En  somme 
I  année  lliealrale  tinil  bien,  elle  a  été  .sa- 
tisfaisaiile  :  la  Loi  de  llioinme,  l'Evasion, 
le  Cheiiiitieaii,  la  Doitloiireitse,  la  Siimari- 
tiiliie,  Ji'oxiii'',  d'.auli'es  encoi-e  que  j'omets 
pour  ne  point  alloimcr  oui  re  uiesnrc  l'énu- 
niérali.Hi,  voilà  ,|iii  r;i,-iiele  l.ieii  des...  cl 
bien  des...  que  (e  Lusse  h  m, 's  lecteurs  le 
soin  (le  i|i'sit;ner  eu  \-iiieiues. 

Le  beau  s,,leil  d,-l,.  n  .1  fjire  ,,àlir  les 
bistres,  ,-est  lli,-iiie  du  rceuci  IlemenI . 
l'iiisseiil  les  dieux  lueiiv.ùllants  inspirer 
les  ilispeiis.ileiiis   de    la    joie  parisienne  et 


leur  laiie  (Iccouvnr  dans  la  plaine  il  api.a- 
leiiee  aride  du  Transv.ial  drainai  i. pie  des 
liions  et  des  veines  qui  leur  doiiueiil  à  eu\ 
la  l'oitiiuc  qu'ils  rêvent,  el  ii  nous  la  ri- 
chesse artistique  à  laipielle  nous  aspirons 
el  en  larpiellc,  mal-ré  loiil ,  nous  a\  011s  une 
foi  in.'branlable: 

M  .>  r  11  I  c  E    L  li  1  1;  V  II  B. 


CAUSERI1-:    SCIENTIFIQUE 


On  s'()ccu[ic  ho.'iiicoiip  en  ce  ninniciil  de 
la  |)liolofira|iliio  des  couloiiis.  On  a  IroiivO, 
nous  assui('-(-on,  un  procédé  nouveau  qui 
donnoniil  d'cxcoUeids  résultais;  nous  avons 
pu  voir  en  ciret  des  épreuves  ol)lenuos  par 
l'invenleur  el  elles  olVront  un  réel  inlérét 
au  point  do  vue  de  la  vérité  des  couleurs 
rcj)roduiles,  mais  nous  ne  saurions  dire 
s'il  s'agit  d'aquarelles,  comme  certain  soi- 
disant  inventeur  nous  en  a  déjà  montré, 
ou  si  réolleniont  l'elVet  est  produit  automa- 
ti(|UOmcnt.  Il  plane  là-dessus  un  mystère 
([ui  s'éclaircira  pcul-être  un  jour;  quoi  qu'il 
en  soit,  les  propriétaires  de  la  méthode 
n'ont  pas  jugé  à  propos  de  l'exposer  à 
aucune  société  savante  compétente  pour 
en  juger  la  valeur.  Les  queUpies  explica- 
tions qu'on  donne  sont  au  moins  assez 
étranges.  Voici  ce  (|u'on  nous  dit  :  le  cliché 
est  fait  sur  une  |)laque  spécialement  pré- 
paréo, mais  une  fois  développé  il  ne  pré- 
sente aucune  couleur;  on  le  tire  sur  un 
papier  spécial,  mais  une  fois  le  tirage  ter- 
miné il  n'y  a  pas  non  plus  trace  de  cou- 
leurs; alors  on  le  trempe  successivement 
dans  trois  bains  spéciaux,  dont  la  compo- 
sition est  tenue  secrète,  cl  toutes  les  cou- 
leurs du  modèle  vont  se  placer  là  où  elles 
doivent  être.  Nous  ne  dirons  pas  que  cela 
est  impossible,  mais  nous  voudrions  seu- 
lement qu'on  nous  indique  sur  quelles 
bases  scientifiques  s'appuie  le  procédé. 
Actuellement  nous  ne  connaissons  que 
deux  moyens  de  reproduire  les  couleurs  à 
l'aide  de  l'objectif  photographique.  L'un, 
le  seul  qui  les  donne  toutes  directement  et 
d'un  seul  coup  est  celui  de  M.  Lippmann, 
c'est  la  méthode  interférenlielle  dont  le 
|irincipo  a  été  exposé  ici  même  de  main 
de  maître  par  M.  Berget,  le  collaborateur 
de  l'inventeur.  Si  ce  procédé  n'est  pas 
entré  jusqu'à  présent  dans  la  pratique  cou- 
rante ce  n'est  pas  ([ue  le  temps  do  pose 
soit  trop  long,  car  on  a  pu  obtenir  des 
portraits  avec  des  modèles  restant  immo- 
biles environ  une  minute;  pour  le  paysage 
inie  pose  plus  longue  n'aurait  du  reste  pas 
grand  inconvénient.  Mais  la  préparation 
des  plaques  présente  beaucoup  de  diffi- 
culté; en  outre,  on  obtient  une  épreuve 
unique  qu'on  ne  peut  pas  tirer  comme  im 
cliché  ordinaire.  L'image  possède  des  cou- 
leurs b'ès  brillantes,  mais  l'œil  ne  les  per- 
çoit pas  sous  toutes  les  incidences,  il  faut 
incliner  la  plaque  sous  un  certain  angle 
pour  bien  les  voir;  enfin  on  ne  peut  guère 
dépasser  le  format  de  8  centimètres  de 
côté.  C'est  pour  toutes  ces  raisons  que  le 
procédé,  qui  est  une  véritable  merveille  au 


point  lie  vue  scient ifi(|ue,  n'a  pu  |>reiidrc 
jusqu'à  présent  plus  d'extension. 

Le  second  moyen,  dû  à  M.  Ducos  du 
Ilauron,  est  bien  antérieur  à  celui  de 
M.  Lippmann,  il  reinoiite  à  trente  ans! 
mais  il  commence  seulement  à  entrer  dans 
le  domaine  de  la  pralitpio  et  à  être  employé 
induslriellemenl.  ("est  un  procédé  indirect, 
c'est-à-dire  qui  ne  donne  de  résultats  qu'en 
passant  par  plusieurs  transformations.  Il 
est  basé  sur  la  sélection  des  couleurs  ; 
toutes  les  teintes  de  la  nature  peuvent  se 
réduire  à  trois  :  le  jaune,  le  bleu  el  le 
rouge.  D'un  autre  côté  les  procédés  photo- 
graphiques permettent  de  préparer  des 
plaques  de  telle  fac^on  qu'elles  sont  sen- 
sibles seulement  pour  lune  de  ces  trois 
couleurs,  à  l'exclusion  des  autres.  Si  on 
photographie,  par  exemple,  un  bouquet  de 
lleurs  avec  une  plaipic  préi)aréc  pour  le 
jaune,  on  aura  au  développement  du  cliché 
une  image  (non  colorée)  des  lleurs  jaunes 
seulement;  on  fera  un  second  cliché  avec 
une  plaque  préparée  pour  la  couleur  bleue 
cl  un  troisième  pour  le  rouge.  Quant  aux 
teintes  intermédiaires  la  plaque  photogra- 
phique prend  sur  chacune  d'elles  ce  qui 
lui  convient  ;  pour  le  vert,  par  exemple,  la 
plaque  bleue  sera  légèrement  impressionnée 
et  la  plaque  jaune  aussi  ;  l'une  ou  l'autre 
prédominera  suivant  que  le  vert  sera  plus 
ou  moins  bleu,  plus  ou  moins  jaune;  il  en 
sera  de  même  pour  le  violet  composé  de 
rouge  et  de  bleu  et  pour  toutes  les  couleurs 
composées.  Si,  avec  chacun  de  ces  trois 
clichés,  qui  ont  été  faits  naturellement  du 
même  point  et  dans  des  conditions  iden- 
tiques de  grandeur,  on  tire  trois  images 
positives  transparentes,  que  l'on  colore 
l'une  en  jaune,  l'autre  en  bleu,  la  troisième 
en  rouge  et  que  l'on  superpose  les  trois 
images  on  obtient  la  reproduction  fidèle  de 
l'original  avec  toutes  ses  teintes. 

La  difficulté  de  la  méthode  consiste 
d'abord  dans  le  choix  de  la  substance  qui 
doit  entrer  dans  la  préparation  des  plaques 
destinées  à  l'aire  la  sélection  des  couleurs; 
ensuite  dans  le  choix  des  trois  couleurs 
qui  doivent  teindre  les  trois  images,  car 
il  y  a  bien  des  sortes  de  jaune,  de  bleu  et 
de  rouge. 

Mais  ce  qui  est  un  grand  avantage,  c'est 
qu'on  peut  tirer  des  épreuves  sur  papier 
el  en  très  grand  nombre;  aussi  beaucoup 
de  chercheurs  se  sont-ils  occupés  de 
rendre  le  procédé  pratique. 

Les  trois  épreuves  dont  nous  avons 
parlé  et  que  nous  avons  supposées  trans- 
parentes peuvent  en  effet  être  imprimées 


c  A  r  s  E  lu  !■;  s  c  I  p:  N  T I  v  i  q  u  e 


sur  papier  pourvu  (|u'oii  ciioisisse  des 
encres  suffisamment  transparentes;  on  sait, 
d'autre  part,  qu'il  est  facile  aujourd'hui  de 
transformer  un  cliché  photographique  on 
cliché  (ypographique;  la  plupart  des  illus- 
trations de  ce  journal  sont  faites  par  ce 
procédé  sur  lequel  nous  leviendrons  un 
jour. 

Lorsqu'on  a  ol)l('iui  les  trois  clichés 
fondamentaux,  on  en  fait  donc  des  clichés 
typographiques  sur  cuivre  ou  sur  zinc  et 
on  fait  les  trois  tirages  superposés;  le 
repérage  n'est  pas  très  difficile,  c'est  lo 
choix  des  couleurs  et  la  transparence  des 
encres  employées  qui  offre  le  plus  grand 
obstacle.  Quoi  qu'il  en  soit,  plusieurs  in- 
dustriels sont  arrivés  déjà  à  se  servir 
d'une  façon  courante  de  ce  procédé. 

Dans  l'invention  dont  nous  parlions  plus 
haut,  on  a  vu  (|u'on  se  sert  aussi  de  trois 
couleurs,  mais  on  a  un  seul  cliché  et  c'est 
là  qu'est  le  mystère;  du  reste,  jusqu'à 
présent  du  moins,  nous  no  croyons  pas 
qu'en  France  ou  à  l'étranger  elle  soit  en 
exploitation;  nous  y  reviendrons  s'il  y  a 
lieu,  c'est-à-dire  s'il  y  a  réellement  une 
inveulion  nouvelle. 


I.a  Suisse,  ]);u'  sa  conligiiraliou  plutôt 
bosselée,  ne  |)araissait  pas  devoir  êhe  la 
terre  classique  des  chemins  de  fer  et 
cependant  ils  s'y  développent  tous  les 
jours  davanlage  en  donnant  li(Mi  ; 
travaux  exlraordinaïres.  I.o  Highi,  I 
late,     le     mont    Salève    sont    aujourd'hu 


avant-projet,  car  le  capilal  esl  souscrit  et 
les  travaux  .sont  commencés. 

M.  Guyer-Zeller,  ingénieur  suisse,  a  ob- 
tenu l'approbation  du  Conseil  fédéral  [jour 
cette  vaste  entreprise.  Le  point  de  dépail 
est  situé  à  la  Petite-Schcideck  sur  la  ligiu! 
de  Grundelwald  à  Lauterbrûnuen  (lig.  1); 
cet  embranchemenl  aura  un  dévelo|ipe- 
ment  de  12  kilomèlres  et  coulera  environ 
dix  millions.  Afin  d'assurer  à  la  voie  une 
stabilité  suffisante  on  sera  obligé  de  passer 
en  tunnel  sous  les  gl.iciers  pour  trouver  la 
terre  ferme  ou  le  rocber;  il  y  aura  cepen- 
dant de  temps  en  Icinps  une  échappée  sur 
le  panorama.  Après  les  deux  premiers 
kilomètres  la  ligne  pénètre  sous  la  mon- 
tagne pour  n'en  sortir  (|u'à  quatre  kilo- 
mètres plus  loin,  nn-<lessus  du  glacier  de 
l'Eiger,  à  :i,L'2ll  iiièlics  d'jlliludr,  non  loin 
de  la  cabane  consliiiilc  à  cel  cjulroit  |)ar 
le  Olub  alpin.  La  pente  est  de  2:i  centi- 
mètres par  mètre,  ce  (jui  n'a  rien  d'exagéré 
pour  un  chemin  de  fer  à  crémaillère, 
ainsi  que  l'expérience  l'a  prouvé  dans  les 
exploitalions  précédentes.  Après  cette 
station  on  rentre  en  tunnel  pour  passer 
sous  le  sommet  du  M(">nch  et  on  sort  à  la 
hauteur  de  .3,4(10  mètres.  A  partir  de  là 
on  péiu"'tre  directement  <lans  le  mas>ir  de 
la  Jungfrau  pour  aboutir  au-di'ssous  <bi 
sommet,  à  4,100  mètres 
de  (•>(■.  mètres  d 
sm-    I 


ascenseur 
alors  les  voy; 
nant  (fig.  2;. 
En  raison 
il  ne 


d'altitud, 
haut  iu( 
point    i 


ulmi- 


C  A  IJ  s  K  H  I IC    S  f  :  I  !•;  N  T  1 1'  1 1.)  I  •  E 


au  voyiijçcur  de  jouir  du  piinoi-aiiia;  elles 
seiont  très  louroilaMeinenl  iiislallées  et 
poiUTont  liébeif^er  les  voyaj^euis  ()ui  vou- 
voudraient  s'y  reposer.  La  dernière  sta- 
tion fllf"'.  2),  située  sous  le  soinniel  même  de 
la    montagne,  sera    naturellement    la  plus 


Fig    2    —  Ascensem  uv.io  ut-  n.cu.   .i..,iu 

sue  teimiuu'ï     ii  sommet  de  la  montairne. 


Spacieuse  el  la  plus  confortable,  car  elle 
sera  vraisemblablement  la  plus  fréquentée; 
c'est  là  que  fonctionnera  l'ascenseur  qui 
déposera  le  touriste  au  point  culminant. 
Il  se  composera  d'un  tube  en  acier  de 
60  mètres  de  haut  dans  lequel  deux  cages 
mues  par  un  treuil  électrique  monteront  et 
descendront  simultanément.  On  ne  sera 
pas  forcé  d'employer  ce  mode  de  locomo- 
tion et  ceux  qui  préfèrent  aller  à  pied  au- 
ront à  leur  disposition  un  escalier  circu- 
laire s'enroulant  en  hélice  autour  du  tube; 
du  reste  toute  la  voie,  depuis  son  point  de 
départ,  sera  rendue  accessible  aux  piétons, 
grâce  à  un  chemin  spécial  qui  permettra 
de  la  suivre  d'un  bout  à  l'autre;  on  fera 
ainsi  l'ascensioEi  à  pied  en  profitant  des 
tunnels  qui   seront    du   reste  éclairés  à   la 


lumière  électri<pu' ;   on  ne  nous   dit   pas  si 
le  chemin  sera  inlei'dit  aux  bicyclettes. 

Il  est  clair  ()ue  la  station   terminus  sera 

reliée  par  télé|)hone  »  la   Pclile-Scheidecli 

el  (|u'on  pourra  ne  faire  l'ascension  que  si 

on   est   averti    d'avance  que  l'atmosphère 

est   pure   et  qu'on    peut  jouir   du 

j)anorama  dans  tonte  .sa  splendeur. 

De  tels   travaux   ne   sont   pas  à 

l'heure    (pi'il    est     au-dessus    des 

forces  de   l'ingénieur,  les  moyens 

dont  il  dispose  lui  permettent  de 

les  alTronter  avec  confiance  et  de 

les  mener  à  bien. 


Depuis  que  la  bactériologie  nous 
a  prouvé  clairement  que  la  plupart 
du  tem|)S  les  épidémies  se  pro- 
pagent par  l'eau,  on  a  adopté 
|)resque  partout  l'usage  du  filtre, 
surtout  ijuand  on  n'est  pas  sûr  de 
la  provenance  des  eaux  qu'on  a  à 
sa  disposition,  comme  cela  arrive 
dans  certaines  grandes  villes,  à 
Paris  notamment,  où  pendant  une 
|)arlie  de  l'été  on  distribue  de  l'eau 
de  Seine  aux  habitants,  l'eau  de 
source  faisant  défaut. 

Quel  que  soit  le  filtre  employé, 
il  arrive,  au  bout  d'un  certain 
temps,  qu'il  s'encrasse  et  ne  débile 
plus  suffisamment;  d'un  autre 
côté,  une  partie  de  cet  encras- 
sement provient  de  microbes  qui 
sont  engagés  dans  les  pores  du 
filtre  el  finissent  par  le  traverser; 
il  faut  donc  procéder  à  des  net- 
toyages fréquents,  et  M.  Vincent  a 
i  indiqué    quelles    sont  les  précau- 

ia 1        lions  à  prendre,  principalement  au 

,  sujet   du   filtre  Chamberland,  qui 

est  l'un  des  plus  connus.  Nous  rap- 
pellerons seulement,  pour  ceux 
qui  ne  le  connaiti-aient  pas  encore, 
que  son  principal  organe  est  un  cylindre 
creux  en  porcelaine  poreuse  ayant  la 
forme  d'une  bougie;  l'eau  passe  de  l'exté- 
rieur à  l'intérieur,  et  les  impuretés  se 
trouvant  sur  la  paroi  externe  sont  faciles 
à  enlever;  il  faut  compter  cependant  avec 
celles  qui  restent  dans  les  pores  de  la 
porcelaine  et  qui  diminuent  le  débit  du 
filtre  assez  rapidement.  Les  expériences 
de  M.  Vincent  avaient  pour  but  de  déter- 
miner le  meilleur  moyen  de  stérilisation 
et  en  même  temps  de  régénération,  c'est- 
à-dire  de  suppression  de  l'engorgement 
des  pores.  11  a  reconnu  qu'il  ne  faut  pas 
compter  sur  une  stérilisation  complète 
pendant  plus  de  cinq  à  sept  jours,  et  que 
le  débit  diminue  de  plus  de  moitié  au  bout 
I   du    troisième  jour;  mais  dans  la  pratique 


c A u s  1-: un-:  s i ; i e x t i i- 1 i.n' i-; 


couranle,  le  (lél)il,  en  sniniiu',  imporlorait 
moins,  c'est  surtout  la  stérilisation  qui  est 
intéressante;  du  reste,  l'un  est  un  peu  so- 
lidaire de  l'antre.  L'essentiel  est  de  savoir 
quand  il  faut  nettoyer  son  fdtre;  cela  dé- 
pend naturellement  du  plus  ou  moins 
grand  degré  d'impureté  de  l'eau  qu'on 
emploie,  et  on  ne  saurait  jioser  de  règle 
fixe  à  cet  égard;  mais  on  peut  dire  cepen- 
dant qu'il  est  bon  de  faire  ce  nettoyage 
tous  les  huit  jours  en  temps  ordinaire,  et 
tous  les  trois  ou  quatre  jours  en  temps 
d'épidémie.  D'après  les  expériences  de 
M.  Vincent,  le  meilleur  moyen  de  stérili- 
sation est  la  chaleur  sèche;  si  on  ne  peut 
pas  l'utiliser,  on  emploie  les  moyens  chi- 
miques. Il  y  en  a  plusieurs;  nous  indi- 
querons comme  le  plus  sûr  l'immersion 
de  la  bougie  pendant  une  demi-heure  dans 
une  solution  de  permanganate  de  potasse 
à  5  pour  100  et  dans  une  solution  de 
bisulfite  de  soude  à  1  pour  20  pendant 
une  seconde  demi-heure.  Mais  il  est  bien 
rare  qu'on  ne  dispose  pas  d'une  source  de 
chaleur,  et  il  suffirait  de  s'entendre  avec 
son  boulanger  pourqu'il  mette  les  bougies 
au  foui-  au  moment  où  il  défourne  son 
pain,  il  y  a  là  280  ou  ^iOO  degrés  qui  cui- 
sent le  microbe  en  moins  d'une  demi- 
heure. 

Le  four  de  la  cuisinière,  au  niomi'iil  du 
diuer,  est  aussi  suflisant;  eudn,  si  l'on  a 
un  réchaud  à  gaz,  ou  passera  la  bougie 
dans  la  flammo,  pendant  un  (piart  d'Iieure 
ou  vingt  minutes,  en  la  faisant  tourner 
sur  ell(;-niême  et  en  lui  donnant  un  mou- 
vement de  va-et-vient  dans  le  sens  île  la 
longueur,  de  façon  à  échaulTer  à  peu  pi-ès 
en  même  temps  tous  les  [)oinls  de  la  sui- 
face,  ce  <pii  l'empêchera  de  se  fendre.  A 
défaut  d'autre  inoyi'M.  on  >e  eonlenlera  de 
faire  bouillir  peiidaiil  une  demi-heure  sa 
bougie  dans  une  suhilinri  s.ilurée  de  car- 
bonate de  soude,  eonnue  on  en  a  dans 
toutes  les  cuisines;  un(!  marmite  très 
allongée,  comme  celle  ipii  sert  à  cuire  le 
[loisson,  esl  très  comnioile  dans  ce  cas. 
Hien  qu'indiipié  h-  (leruier,  ce  procédé, 
qui  n'est  eerli's  pas  parfait,  suflira  la  plu- 
pari  du  temps  el  vaudra, cl:ins  |,,us  les  cas, 
mieux  que  ririi.  (Jiiel  (pie  s, .il  le  uioven 
employé,  on  fei-a  bien  da\oir<>n  double 
la  ou  les  bougies  nécess;nr-<'s  .au  lillre, 
.'din  de  [)ouvoii'  preiulre  son  lenqis  pour 
opérer  l.a  siérilisalion. 


Dans  pres<|ue  lous  les  élablisseiuents 
d'une  eerlaine  inqioilaiH-e,  on  possède  uiu' 
pelite  ponq»'  h  iueeudi<'  ipii  permel  <le 
parer  aux  pia'Uiiers  se<*r)Ui's.  si  toutefois 
elle  esl  en  état  de  l'oncliouju'r,  ce  qui  n'est 
|ias  lonjoiu-s   le   cas.   Nous  voyons  .aussi  se 


i-épandie  l'usage  de  grenades  en  verre 
<|u'on  doit  jeter  sur  le  foyer  et  qui,  en  se 
brisant,  laissent  échapper  un  liquide  chargé 
de  gaz  incombustible.  En  principe,  ces 
grenades  ont  certainement  du  bon;  mais 
encore  faut-il  qu'elles  se  brisent  immédia- 
tement et  qu'elles  tombent  au  bonendroil. 
Dans  le  môme  ordre  d'idées,  c'est-à-dire 
par  l'emploi  de  liquide  chargé  de  gaz  non 
combustible,  on  a  combiné  d'autres  appa- 
reils qui  permettent  de  diriger  le  jet  au 
moyen  d'une  lance  comme  avec  une  pompe, 
ce  qui  nous  paraît  plus  siir.  On  comprend 
<[ue,  dans  tous  les  cas,  dès  qu'un  li(juide 
de  cette  nature  arrive  sur  le  foyer  de  l'in- 
cendie, le  gaz  se  dégage  en  abondance  et 
|irend  la  place  de  l'air;  l'oxygène  faisant 
défaut,  les  flammes  disparaissent  rapidi'- 
ment. 

On  peut  employer  l'acide  sidfin'eux  ou 
l'acide  carbonique  qui,  lous  deux,  sont 
gazeux  et  se  dissolvent  bien  dans  l'eau  ; 
mais  le  second  est  préférable  à  plusieurs 
points  de  vue;  c'est,  du  reste,  le  plus 
facile  à  fabriquer  et  le  siphon  d'eau  de 
seltz  qu'on  sert  sur  nos  tables  est  un  excel- 
lent extincteur  d'incendie;  son  seul  défaut 
est  d'être  d'une  contenance  trop  faible. 
Aussi  plusieurs  inventeurs  ont-ils  eu  l'idée 
de  l'utiliser  sous  une  forme  plus  a]i])ro- 
priée  à  son  nouvel  enijjloi.  Parmi  ces  ap- 
pareils, l'un  des  plus  ])rati(pu's  est  celui 
lie  MM.  Tabouët  et  Regnard,  parce  (pi'il 
est  d'une  grande  simplicité  de  consli-ue- 
lion  et,  par  conséquent,  d'un  fonclit>n- 
nemenl  sûr.  On  sait  <pie,  pour  préparer 
l'acide  carbonitiue,  il  suffit  de  mettre  un 
acide  en  présence  d'un  carbonate;  toid  le 
monde  a  employé  les  pa(|nels  préparés 
chez  le  pharniaeien  pour  faire  l'eau  de 
seltz  sur  la  table  :  l'un  contient  du  bicar- 
bonate de  soude,  l'aulre  de  l'acide  tar- 
lri([ue;  ce  sont  aussi  ces  deux  sels  cpii 
sont  enqiloyés  dans  l'extincleur  l'abouèl, 
ils  ne  présenlent  aucun  danger  et  n'alla- 
(pienl  pas  le  nu'lal.  Daiis  un  réci[)ient  en 
lole  1  lig.  :(,  n"  1  ;  contenant  une  trentaine  de 
lilri's,  on  introduit  par  l.i  tubulure  H  nue 
soluliou  de  bie.irbonale  de  soud<'  qui  peul 
rester  l.'i  indéliniineut.  .\n  milieu  de  celle 
soluliou,  pal'  une  l.'iige  ouverlure,  ou  in- 
troduit une  bnnli-llle  eu  grès  A  conlcmanl 
l'acide  larl  liipie  el  bernu'l  iipu'ment  fermée 
.aux  deux  e\  I  ifniib'-s  par  di's  bouelimis 
réunis  par  une  nuMue  lige  nu'l al li<|ue.  Onand 
l'appareil  ainsi  disposé  est  co]n|ilèU'iueMl 
fernu'',  celle  lige  vient  s'engager  dans  la 
vis  V  qu'il  suflira  de  lonriu'r  pour  nii'llre 
l'appareil  en  marche;  c.-ll<-  \is  lera  lelVet 
d'un  lir<'-bouehon  et  l.i  Ixiuleille  l'u  grès 
glissera  ]<•  long  de  l;i  lige  p.'u-  sou  propre 
poids,  comme  on  K-  xoil  lig.  .'!,  n"  :!:  à 
«Iroite  de  noire  dessin.  L'aeid.-  larlriquo 
se    lrou\anl    immedialenu'nl    inél.angé   à    la 


c. A  r  s  i: Il  1 1:  s c.  1 1-: n t  i  i'  i  y  i •  ic 


Sdlulidii  (lo  caihoiuili",  il  se  pioduit  dans 
ra|i|i:iicil  un  vil' (l(''<;aj;omciil  de  jra/.  acide 
tarl)(mii|ue  dont  une  partie  se  dissout  dans 


Fig.  3.  —  Extincteur  d'incendie 
Tabouët  et  Regnard,  au  moyen 
d'eau  chargée  d'acide  carbonique. 

l'eau,  tandis  que  l'autre  se  comprime  à  la 
partie  supérieure  du  réservoir  et  chasse  le 
liquide  dans  un  tube  T  qui  descend  jus- 
<iu'au  fond  et  à  l'extrémité  supérieure  du- 
quel est  branchée  la  lance:  en  tournant  le 
robinet  L  de  celle-ci,  le  liquide  chargé  de 
gaz  incombustible  se  trouve  projeté  à  une 
grande  distance.  Il  résidte  des  nombreuses 
expériences  déjà  faites  avec  cet  extincteur 
qu'en  vingt  secondes  on  arrête  les  flammes 
d"un  bûcher  composé  de  copeaux  arrosés 
<le  pétrole  et  en  deux  minutes  on  l'éteint 
complètement. 


Lorsque  la  foudre  tombe,  on  dit  souvent 
qu'elle  laisse  une  odeur  de  soufre  ;  il  se 
dégage,  en  efîet,  une  odeur  très  caracté- 
ristique après  une  décharge  électrique, 
mais  ce  n'est  pas  le  soufre  qui  la  pro- 
duit, c'est  l'ozone.  Lorsqu'on  se  sert  d'une 
machine  d'électricité  statique  ou  d'une 
bobine  d'induction,  on  constate  immé- 
diatement cette  odeur.  On  a  longtemps 
discuté    sur    la    composition    de    l'ozone, 


qu'on  considère  comme  de  l'oxygène  élcc- 
trisé,  mais  on  n'est  pas  encore  bien  fixé 
à  cet  égard.  (Juoi  qu'il  en  soit,  on  con- 
naît ses  propriétés,  dont  plusieurs  sont 
appelées  5  rendre  des  services  importants 
dans  l'industrie  et  l'hygiène.  Tout  récem- 
ment le  Conseil  municipal  de  Paris  a 
accordé,  pour  la  stérilisation  en  grand  de 
l'eau  au  moyen  de  l'ozone,  une  concession 
provisoire  qui  deviendra  délinilive  si  les 
essais  réussissent.  Les  appareils  employés 
sont  de  construction  toute  spéciale,  sur 
laquelle  nous  reviendrons  plus  tard.  De- 
puis qucl(|ues  années  on  a  imaginé  de 
riombreux  systèmes  producteurs  d'ozone, 
soit  pour  le  vieillissement  artificiel  des 
vins  et  des  eaux-de-vie,  soil  pour  le  blan- 
chiment des  fécules  ou  des  étoffes,  soit 
[)Our  le  traitement  des  maladies.  Voici, 
entre  autres,  un  petit  appareil,  construit 
par  M.  Seguy,  qui  donnera  une  idée  géné- 
rale sur  les  ozoniseurs.  Il  se  compose 
(fig.  4)  d'une  pile  P,  renfermée  dans  une 
boite,  actionnant  une  bobine  d'induction  B 
dont  les  décharges  se  produisent  sur  des 
électrodes  en  métal,  en  forme  de  spirales, 
afin  de  présenter  plus  de  surface;  ces 
électrodes  sont  enfermées  dans  un  tube  en 
verre  C  et  on 
y  envoie  de 
l'air  par  en 
bas  au  moyen 
d'une  souflle- 
rie  en  caout- 
chouc ;  cet 
air  sort  ozo- 
nisé par  lii 
partie  supé- 
rieure ou- 
verte en  en- 
tonnoir. 

L'emploi 
de  l'ozone 
constitue  une 
méthode  de 
désinfection 
rapide  et  éco- 
nomique ,  il 
détruit    en 

quelques  minutes  les  bacilles  des  maladies 
les  plus  graves.  Les  docteurs  Labbé  et 
Oudin  en  ont  fait  une  application  spéciale 
à  la  tuberculose  et  obtiennent  des  résultats 
qui  rendent  incontestable  son  action  cu- 
rative.  Le  docteur  Frolich,  de  Berlin,  a 
fait  de  son  côté,  sur  la  purification  de  l'eau, 
de  nombreuses  expériences  qui  paraissent 
concluantes ,  et  nous  aurons  à  revenir 
bientôt   sur  cette  application  spéciale. 


Depuis  le  mois  d'avril  dernier,   on  voit 
circuler  régulièrement  entre  Paris  et  Co- 


4.  —  Petit  appareil  pou 
produire  l'o 
P  pile,  B  bobine  d'iDdoction,  C  tube 
(le  verre  dans  lequel  circule  l'air 
en  passant  sur  les   électrt)des  à 
grande  surface. 


s  I  ;  ii:  N  T I F I  y  u  e 


lombes  un  omnibus  à  vapeur.  ].:i  Irnclion 
mécanique  sur  route  ordinaire,  sans  rails, 
a  déjà  fourni  une  brillante  carrière  avec 
les  voitures  automobiles  à  pétrole;  mais, 
pour  un  service  public  consistant  à  faire 
le  transport  d'un  assez  grand  nombre  de 
voyageurs,  les  voitures  à  pétrole  parais- 
sent jus(ju"à  présent  impraticables.  C'est 
aux  moteurs  à  vapeur,  présentant  beaucoup 
plus  de  souplesse  dans  leur  fonctionne- 
ment, c'est-à-dire  permettant  par  la  simple 
manœuvre  d'un  robinet  de  diminuer  la 
force,  ou  de  l'augmenter  dans  des  propor- 
tions très  considérables  pour  un  i:ottp  de 
coUier,  qu'on  a  dû  s'adresser  pour  obtenir 


charbon  pour  quatre  heures  de  marche. 
Cette  première  voiture  en  remonjue  une 
seconde  pouvant  contenir  vingt-quatre  per- 
sonnes. Les  premières  expériences  pra- 
tiques eurent  lieu  dans  le  département  de 
la  Manche,  puis  dans  la  Meuse,  les  Vosges, 
et  enfin  actuellement  aux  environs  de 
Paris.  Le  résultat  parait  satisfaisant  au 
point  de  vue  de  la  traction;  il  s'agit  main- 
tenant, au  point  de  vue  de  l'exploitation, 
de  choisir  des  trajets  qui  soient  rémuné- 
rateurs au  point  de  vue  du  mouvement  des 
voyageurs  et  des  marchandises.  Il  ne 
manque  pas  de  localités,  éloignées  des 
lignes  ferrées,  telles  que  bon  nombre  de 
stations     bal- 


ani— 


Fig.  b.  —Train  Scotte  faisant  le  tran.«imrt  de  qu 
ordinaire,  sans  rail?,  au  moyeu  d'un  moteur  jY  v: 
voiture. 

un  bon  résultat.  Les  premiers  essais  ne 
sont  pas  d'hier;  ils  précèdent  tous  ceux 
qu'on  a  faits,  d'une  façon  générale,  dans  la 
traction  mécanique ,  et  c'est  un  de  nos 
compatriotes,  l'ingénieur  Cugnol,  qui  con- 
struisit, en  1700,  la  première  voiture  mue 
par  la  vapeur;  on  peut  la  voir  encore  au 
Conservatoire  des  arts  et  métiers.  C'est 
plutôt  un  fardier  qu'une  voiture,  car, 
dans  l'esprit  de  son  auteur  il  s'agissait 
surtout  de  transporter  des  marchandises. 
Les  résultats  de  <-cttc  tentative  furent 
du  reste  mauvais,  ce  qui  n'a  rien  d'éton- 
nant, vu  l'état  rudimentaire  où  se  trouvait 
à  celte  époque  l'élude  de  la  machine  à 
vapeur.  Depuis,  de  nombreux  essais  ont  été 
faits  et  on  a  réussi  ,  depuis  une  dizaine 
d'années,  à  construire  des  voitures  auto- 
mobiles à  vapeur  donnant  des  résultats 
satisfaisanls,  mais  n'ayant  qu'un  nombre 
de  places  restreint.  M.  Scotte,  d'Ilpernay, 
.•1  réussi  à  établir  une  sorte  de  petit  train 
(fig.  ■.>}  qui  se  compose  d'une  voiture  con- 
Unanl  (piatorze  places,  portant  à  l'avant 
une  machine  verticale,  comme  celle  des 
bateaux,  et  une  chaudière  tubulairc  tim- 
brée à  12  atmosphères.  Le  mouvement  est 
communiqué  aux  roues  d'arrière  au  moyen 
d'une  chaîne  et  les  roues  d'avant  servent 
à  donner  la  direction;  à  l'avant  de  la  ma- 
chine et  sous  les  banquettes  des  voya- 
geurs se  trouvent  les  réserves  d'eau  et  de 


arante  voyageurs 
peur  placé  sur  la 


neaires,  qui  pour- 
ront ainsi  être 
reliées  à  la  gare 
la  plus  voisine. 
La  vieille  dili- 
gence ,  pittores- 
que, mais  incom- 
mode,est  de  plus 
en  plus  menacée. 


Un  jeune  mé- 
'•^  decin    qui    s'est 

"'  consacré   tout 

spécialement  à 
l'étude  des  ma- 
ladies de  la  peau,  M.  le  docteur  Sabouraud, 
a  mis  dernièrement  en  émoi  le  monde  des 
coiffeurs  et  des  chauves.  Il  a  découvert  le 
microbe  de    la    calvitie. 

Tout  le  monde  connaît  les  petits  points 
noirs  qui  se  forment  plus  spécialomenl  sur 
le  nez  et  qui  sous  une  faible  pression  pro- 
duisent un  petit  fil  blanchâtre  de  matière 
grasse,  c'est  la  séborrlu'e  ;  quand  elle 
s'accumule  ainsi  sur  certains  points,  c'est 
qu'il  y  a  excès  de  sécrétion,  et  M.  Sabou- 
raud a  reconnu  dans  ce  cas  la  présence 
de  microbes,  dont  (piel([ues-uns  don- 
nent lieu  à  dillV'rentes  alTections,  telles 
(pie  les  clous,  furoncles,  etc. 

H  a  en  outre  reconnu  que  certains  de 
ces  microbes  sont  les  pires  ennemis  du 
cheveu,  du  poil  en  gc'nérai,  et  que,  si  un 
amas  de  séborrhée  se  trouve  près  de  la 
racine,  il  ne  larde  pas  à  mourir. 

Il  a  pu  isoler  et  cultiver  ce  dernier  mi- 
crobe, et  en  l'injeelant  à  un  lapin,  il  a 
eonslaté  que,  sans  se  porlei'  pour  e<'la 
plus  mal,  l'animal  était  devenu  roiiiplèle- 
ment  chauve  au  bout  de  si\  -eniaiues. 
Voilà  donc  un  fait  qui  [lar.iil  bien  établi, 
on  peut  l'eiulre  les  gens  cIkuucs  à  vo- 
lonlé;  mais  combien  il  seiail  plus  intéres- 
sant de  pouvoir  faire  le  contraire  !  Il  ne  faut 
pas  désespéi'er,  nos  baetéi-iologues  en  ont 
trouvé  bien  d'autres. 

G.    M  A  m;  s  en  AL. 


MEMENTO   ENCYCLOPÉDIQUE 
Mai     1897. 


Murl  (le  M.  Birè.  sùvitour  monnrelilsto  do  In  Vonilùc 
dopuU  1887.  —  La  journée  (1"  mai)  c»t  tria  cilnic  il 
Pari;.  Miiiiitcstatioiis  il  Ciirmimx.  —  A  In  Chambre 
grecque,  déclaration  du  nouveau  niir.wtère  Itilli;  11 
deniando  la  suspension  des  séance»  en  attendant  lc3  rap- 
ports dos  ministres  de  la  guerre  et  do  rintérieur.  partis 
pour  Pliarsale. 

2  -  M.  Darlan  préside  à  rinnugurallon  du  monument 
élevé  au  président  Carnet,  A  AngnuWme.  -  Al'aris, 
place  Denrert-Kocheroau,  inauguration  du  monument  de 
Charlet,  iruvr.-  du  statuaire  Alexandre  Charpentier.  — 
Election  sénatoriale  dans  le  Jura;  au  deuxième 
t.nir.  M.  VuiUo.l  i-st  élu  par  483  voix,  contre  M.  Labor- 

3.  —  M.  F.Faure  visitel'cxpositiondcsBquarolIistts 
fiiinçiis.  —  M.  Touny,  connuissairc  divisionnaire,  rem- 
place M.  Gaillot,  comme  directeur  de  la  police  munici- 
l)alo  A  Paris.  —  Los  mineurs  grévistes  de  la  Grand'- 
Combe,  après  une  réunion  présidée  par  MM.  les  députés 
Coûtant  et  Dejeante,  décident  de  continuer  la  grève.  — 
Le  prince  héritier  de  Monténégro  reçoit  le  roi  de 
Serbie  h.  Autivari  et  l'accompagne  à  Cettigne.  —  Arri- 
vée il  Vienne  de  la  reine  des  Pn.vs-Bas  et  de  la  reine- 
mère  régente.  —  15,000  Grecs  se  sont  repliés  sur 
Domokos,  en  arriére  de  Pliarsale;  les  Turcs  ont  concentré 
par  différeutcs  routes  leur  année  devant  Pharsalc. 

4.  —  Mort  de  M.  Tolaln,  sénateur  de  la  Seine,  âgé 
de  soixaute-linit  ans.  Ancien  ouvrier  cUcleur,  fondateur 
de  VMmialiomle,  i  Londres,  député  en  1871,  séna- 
teur depuis  1876.  Il  était  que-tcur  depuis  1893.  — 
Incendie  du  Bazar  de  la  Charité,  ouvert  dcpui.^ 
deux  jours,  et  édifié  dans  un  terrain  vague  de  la  rue 
Jean-Goujon,  sous  la  direction  de  M.  de  Mackau.  Il  com- 
prenait vingt-trois  comptoirs  installés  dans  un  décor  en 
toile  représentant  une  rue  du  vieux  Paris.  Un  accident  à 
la  lampe  du  cinématographe  allume  le  vélum  un  quart 
d'heure  après  le  départ  du  nonce.  Tout  est  consumé  en 
quelques  minutes.  Horrible  affolement  de  la  foule;  nom 
l>reux  sauvetages  opérés  par  un  jour  do  souffrance  des 
cuisines  de  VlIO/fl  du  Palais  donnant  sur  le  terrun 
Les  cadavres  sont  transportés  au  Palais  de  l'Industrie 
Douze  cadavres  sont,  le  soir  même,  reconnus,  apparte 
nant  pour  la  p'.upart  à  la  p'.us  haute  aristocratie  fran- 
çaise ;  parmi  eux  :  baronne  de  Saint-Martin,  comtesse  de 
Bomiéval,  M""  Jacques  Haussmann,  baronne  de  Saint 
Didier,  etc. 

5_  _  Arrivée  A  Paris  de  l'ambassadeur  extraordinaire 
du  shah  de  Perse,  Mouzafler  ed  Dine,  chargé  de  notifier 
au  président  l'avènement  de  son  souverain.  Il  est  reçu 
par  M.  Hanotaux.  —  Pendant  la  nuit,  on  continue  de 
déblayer  le  terrain  du  Bazar  de  la  Charité  ;  tons  les 
objets  trouvés  sont  invcnuiries.  —  Au  palais  de  1  In 
dustrie,  soixante-dix  cadavres  environ  sont  reconnus  et 
emportés  par  les  familles.  Parmi  eux  :  M"«  de  Carayou 
la  Tour  (60  ans);  M™«  de  Varanval  (25  ans);  M»"^  la 
comtesse  d'IIuuolstein,  née  à'Vzés  (59  ans).  M™  la 
duchesse  d'Alençon,  horriblement  défigurée,  a  été  recon- 
nue par  son  dentiste.  E!le  était  sœur  de  l'impératrice 
d'Autriche,  mère  du  duc  de  Vendôme,  be!le-mèro  du 
prince  Louis-ïcrdinand  de  Bavière.  —  Le  Conseil  des 
ministres  décide  qu'une  cérémonie  aura  lieu  le  8,  il 
Notre-Dame,  pour  les  obsèques  des  victimes  du  Bazar 
de  la  Charité.  Des  dépêches  de  condoléance  arri- 
vent de  toutes  parts  à  l'E  ysée  :  do  la  reine  Victoria,  de 
l'empereur  Guillaume  (celui-ci  s'est  rendu  en  personne 
à  l'ambassade  frauçiise  à  Beriin)  ;  d.'  la  reine  Amélie  de 
Portugal,  de  l'empîreur  d'Autriche,  du  roi  de  Portugal. 


6.  -  Au  palai.  de  l'Indostrle,  une  dizaine  de  ca-lavre» 
sont  encore  rcconiius  parmi  lesquels  ceux  de  M'"«  Mo- 
roiu-Nélaton,  M"-  de  Clievilly.  Il  reste  encore  7  à 
8  corps  il  rocoiiniiltre  qui  «cront  tronsiiortés  h  la 
Morgue;  ce  sont  des  débrU  presque  méconnaissable». 
Ace   jour,  le   nombre  des  morts   est  de   113.  Plusieurs 


AM,orLhME    ;    MONUMENT    A    CAKNOT 
(M.  Verlet,  statuaire.) 

personnes  ont  succombé  à  leurs  terribles  brûlures  : 
telles  M.  le  général  Munier  (né  en  18'28,  dont  la  cM- 
rière  était  superbe.  II  était  ii  la  retr.aite  depms  1893), 
M"'»  la  vicomtesse  d'Avenel,  M""  de  Florès,  etc.  —  La 
Russie  et  les  autres  puissances  informent  le  gouver- 
nement heUène  qu'elles  sont  toutes  disposées  à 
intervenir  en  faveur  de  la  Grèce,  pourvu  que  celle-ci  en 
exprime  le  désir  formel.  -  Consécration  de  la  cathé- 
drale de  Marseille. 

7  —  Mort  du  duc  d'Aumale  à  Zucco,  près  Pa- 
lerme  (Sicile),  à  l'âge  de  75  ans,  4«  fils  de  Louis-Phi- 
lippe ■  il  commence  sa  carrière  militaire  en  Algérie, 
comme    capitaine    (1839);    sert    sous   Bugeaud  (1811); 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


in 


prend  la  smula  .l"Ab.l-el-Ka(ler  (1^43),  c-t  ce  dic-f  lui- 
même  (1847);  après  la  Révolution  «le  1848,  proscrit,  se 
réfugie  eu  Angleterre  ;  en  1870.  il  demande  du  service 
qu'on  lui  refuse;  élu  de  l'Académie  fraiiçuise  et  -X  la  dé- 
putation  (1871);  préside  le  conseil  de  guerre  de  Ba- 
z.iine  (1873)  ayant  été  réintégré  à  l'armée  cumme  gé- 
néral de  division;  rayé  des  cadres  de  l'armée  (1883), 
puis  expulsé  (1886).  La  même  année,  donation  à  l'Insti- 
tut de  France  du  domaine  de  Chantilly;  il  rentre  en 
France  en  1889.  Ouvrage  principal  :  Histoire  des  princes 
lie  Confie.  —  Obsèques  d'une  trentaine  do  victimes  île 
l'incendie  d.-  l;i  rue  Jean-Goujou.  —  M.  Faure  reçoit 
en  audience  solennelle  l'envoyé  du  shah  île  Perse.  — 
Incident  de  frontière  sur  les  frontières  de  Turquie 


et  de  pensées,  de  justice  6t  d'apaisement.  —  Au  Journal 
officiel,  parait  im  décret  décernant  des  récompenses  (mé- 
dailles, mentions,  etc.)  aux  sauveteurs  qui  se  sont  dis- 
tingués rue  Jean-Goujon;  en  tête,  le  cuisinier  Gaumery 
et  ses  aides,  le  cocher  Georges.  —  Mort  de  M.  Pazat, 
sénateur  des  Landes,  secrétaire  du  Sénat.  Né  en  1839,  il 
siégeait  depuis  1888  à  la  gauche  républicaine. 

9.  —  Le  discours  du  Père  Olivier,  à  Notre-Dame, 
est  sévèrement  apprécié  en  tuus  lieux,  même  par  le 
clergé.  —  Election  d'un  député  à  Brest  (ballottage). 
M.  Pichnn,  repub!.  lih.,  est  élu  par  4,833  voix.  —  Le 
cabinet  hellénique  remet  aux  ambassadeurs  des 
jmissances  a  Athtnos  une  note  écrite  sollicitant  la  mé- 
diation de   l'Europe    pour   la    tenniniison  île   la    guerre. 


LES     RESTES     DU     R  A  Z  A  R      DE     LA      CHARITE 

(d'aprc-s  une  phutograpliic  in. 


t;.N'     yU  A  RT      D'il  E  IM!  K 


de  hi 


et  de  -Serbie;  des  gi-ndarmos  sorbes  ont  été  attaqués  et 
tués  p,i,r  des  Turcs,  —  Los  ambassadeurs  des  puissances 
Bf  réunissent  à  Athènes  pour  arrêter  loR  bases  de  la 
médiation  prévue. 

8.  —  Le  journal  le  Fiijaro  ouvre  une  souscription 
pitur  venir  en  aide  à  toutes  les  œuvres  charitables  pri- 
vées de  leurs  subsides  par  l'ineendic  du  Bazar. 
A  Notre-Dame,  cérémonie  en  l'hoiuieur  des  victimes  du 
Bazar  de  la  Charité  ;  y  assistent  le  Président  et  le 
Gouvernement.  le  coriïs  dii>îomatique  ati  grand  complet, 
h-  lord-maire  venu  spécialement,  le  duc  de  Leueliten- 
berg,  représentant  la  Ru^wie,  le  prince  Radziwill,  envoyé 
HiKfcial  de  rem])ereur  Guillaume,  et  tous  les  corps  oon- 
stitué*.  Discours  du  Père  Olivier  :  l'orateur  voit  dans 
cette  catastrophe  <(  tuio  manifestation  de  la  justice 
divine;  en  punition  do  sea  fautes,  la  Franco  a  déjà  été 
frapp('K;  cruellement,  mais  il  fallait  que  les  femmes 
aussi,  lef»  plus  nobles,  les  plus  pieuses,  eussent  à  do)nier 
leur   vie    ».   Discours   de   M.  Barthou,    plein   d'émotion 


nelle 


10.  —  Le  baron  de  Mackau  annonce  qu'il  a  nvu  un 
don  anonyme  de  937,438  francs  qui,  avec  les  45,UUU  fr. 
recueillis  le  premier  jour  de  vente,  rci)roduit  lo  total 
obtenu  l'an  dernier.  —  Le  cardinal  Richard  adresse 
au  Président  de  la  Républiriue  une  lettre  très  élevée  au 
sujet  de  la    cérémuuio  de    Notre-Dame.  —    Au  Conseil 

icipa!,  on   décide  de   recevoir  en  une  séance  solen- 

les  personnes  qui   se  sont  signalées  par  leur  çi.u- 

iige  ft  l'ooeasion  de  l'incendie  du  4  mai,  et  de  pninlrc 
désormais  des  mesures  sévères  dans  les  théâtn-',  lon- 
certs,  etc.  Le  jiréfet  de  police  se  défeml  viveuu-nt  de 
toute  espèce  do  responsabilité  djins  la  o.tta-^tri']>lH- ;  la 
police  n'avait  rien  ù  voir  au  Bazar.  —  \  l'HiM-l 
Drouot,  commencement  de  la  vl-iu-  ri. ->y  -  U.-lliére 
(tableaux  franç-ais  et  hoUandiiis).  —  A  Bruxelles, 
inauguration  utUt  iello  de  l'Kxp'-sition.  plusieurs  fois 
retardée. 

11.  —  L*emi«reur  d'Allemagne  envole  x\  la  souserip- 
tiou  du  ri'jnro  une  w>mnie  de  10,000  francs,  par  l'entre- 


1\2 


MKMKNTO    KNCYCI.01MU)IQUK 


nitrtO  du  conilc  MuiiMter.  —  A  Athènes,  lus  niiibjH^u- 
deurs  remcltetit  une  iioto  au  gouverneraent,  où  lU 
déuluronl  quo  log  imi8saiic(.-s  uctîepteiit  U  uiédiation  à 
la  condition  do  l'autonomie  do  la  Crète. 

12.  —  lie  iH)Uvu:tu  mintrttro  du  Chili  rcmot  acs  lottrc» 
do  (Ti-aïun!  i\  M.  Fauro.  —  A  Pa'.ormo,  obsèquia  du  due 
d'Aumale;  lo  due  d'Ork^ana  conduit  lu  dooll;  lo  eur- 
cuell  a  6t(^  nu's  en  wagon  pour  McmhIuo  d'où  il  Ira  ^ 
Ronio.  —  Ix!  ooiiHoil  municipal  voto  6,U00  franos  pour 
les  familles  den  grévistes  do  la  Grand'Combe.  —  M.  de 
MohronluMm  romot  au  3'résidont  uno  lettre  do  condo- 
léances, autographe  do  l'omporour  do  Russio.  ii  projms 
do  l'incondio  du  Baxar  de  la  Charité.  —  A  Constan- 
tinople,  los  aml)assiideurH  ont  romirt  uno  note  h  lu 
Pt>rtt\  appelant  ^on  attontion  sur  t'opportunitô  d'un 
armistice. 

13.  —   T,'  ir-iMTi'  Porter,  nn.,v*.i    ,-..1.,..  ./-ir  .h»« 


do  Niiples.  1.!  c.miLr  d'iiu,  les  dm:»*  de  l'entliù.-vro.  d^3 
MontpoMHiiîr.  di-  MaKenta.  otc.  —  Mort  du  ««"'nt-ra!  Poîl- 
loûe  de  Saint-Mars,  ancien  coninuindant  du  12'  corixt. 
No  il  Cuadé  on  IHZ'2,  lioutenant-oolonol  en  1875,  général 
do  division  on  16U3.  .Surnommé  a  lo  p^'re  du  Holdat  ». 
bien  connu  |xiur  fies  ordres  du  jour  ùeritM  dans  un  style 
particulièrement  Inmgè  et  fumilicr.  —  M.  F.  Faure 
reçoit  M.  l^igurdn,  de  rotour  de  misHlon  auprès  do  H6né- 
lilc,  —  Lo  proHidunt  Mac-Kinlej  inaugure  une  stutU4 
do  Wusliington  h  Pliilarlolphic.  —  Kn  prijsonce  do»  nou- 
veHes  oi>èratiuim  offenHircs  tentées  jmr  le»  GrecB  en 
Kpirc,  la  Porte  déclare  aux  i>ui88ttnco8  qu'elle  ne  peut 
renoncer  imuiéi!iat<!mcnt  aux  hostilités  engagées. 

16.  —  Lo  total  recuoiili  par  la  souscriptifjn  du  Figaro 
se  monte  à  1,^18,016  francs  dont  8MUU  i>t)ur  les  sauve- 
teurs, 41.000  p>mr  la  famille  Jullian  ot  13.000  pour  la 
f.unilip    )l:.viii     —    I-     fï'irw'l    li    r.-.-ii.itli    )7ii.n.    fr,M-- 


I,  A      NOUVELLE      C  A  T  H  fc  D  U  A  L  E      D  K      31  A  R  3  K  I  L  L  E 


Etats-Unis,  arrive  à  Paris.  —  La  commission  du  budget 
s'occupe  de  l'aliénation  des  terrains  de  la  Cour  des 
Comptes  pour  établir  sur  son  emplacement  la  nouvelle 
gare  d'Orléans.  —  M.  de  Mackau  a  reçu  de  la  com- 
tesse de  Castellane,  née  Gould,  un  don  de  1  million,  des- 
tiné à  la  construction  d'tm  local  qtû  servira  désormais 
aux  ventes  et  aux  fêtes  de  charité  et  de  bienfaisance.  — 
A  l'Elysée,  diner  en  l'honneur  de  l'ambassadeur  du 
shah  de  Perse. 

14.  —  A  Féglise  Saint-Philippe-du-Roule,  célébration 
des  obsèques  delà  duchesse  d'Alençon  ;  3,000  invités 
appartenant  à  la  plus  haute  noblesse  d'Europe  ;  le  prince 
de  Joinville  représente  le  due  d'Orléans.  Me'  Richard 
donne  l'absoute.  —  M.  le  D""  Chantemesse  est  nommé 
professeur  de  pathologie  cxpirinientiilc  a  la  Faculté  de 
médecine.  —  Le  train  ramenant  le  corps  du  duc  d'Au- 
znale  arrive  à  la  gare  de  Lyon  à  neuf  heures  et 
demie  du  soir.  Le  cercueil  a  été  transporté  à  la  Madeleine. 
—  A  I  Kcole  des  beaux-arts,  les  élèves  manifestent 
bruyamment  et  grossièrement  contre  les  femmes  admises 
aux  cours;  les  ateliers  seront  fermés  jusqu'au  15  juiu. 

15.  —  Inhumation  de  la  duchesse  d'Alençon  dans  la 
crypte  de  la  cUipelle  de  Dreux  ;  sont  présents  :  la  reine 


pour  les  sauveteurs.  —  L'ambassadeur  de  Perse  quitte 
Paris  par  la  gare  de  Lyon.  —  Séance  aimuelle  de  l'Union 
de  ia  Jeunesse  républicaine;  discours  de  M.  Berthelot, 
de  l'Institut,  sur  les  rapports  de  la  science  avec  les 
institutions  sociales  et  le  gouvernement  des  États  et  de 
M.  Bourgeois  sur  «  l'éducation  sociale  ».  —  Inauguration, 
rue  Saint-Antoine,  de  la  statue  de  Beaumarchais; 
discours  très  documenté  île  M.  Lintilbar.  —  Murt  du 
général  de  division  Geoffre  de  Ghahrignac.  né  en 
1830  à  Savasse  (Drôme).  —  Élection  d'un  député 
à  Saint-Gaudens  (Haute  -  Garomie)  ;  ballottage  entre 
MM.  Ruau,  radical,  et  Claverie,  républicain  progressiste. 
—  A  Valence,  discours  politique  important  de  M.  Mé- 
line  présidant  la  distribution  des  prix  du  Concours 
agricole.  —  L'empereur  d'Autriche  quitte  Vienne  pour 
aller  passer  quelques  semaines  à  Budapest  ;  la  situation 
du  comte  Badeui  devient  de  plus  en  plus  critique  devant 
les  Chambres.  —  La  Grèce  rejette  la  responsabilité  des 
nouvelles  opérations  sur  les  Turcs  qui  se  préparent  à 
attaquer  Arta.  Du  reste,  les  Grecs  sont  encore  battus 
autour  de  cette  ville.  —  Les  aidœ  de  camp  du  diadoque, 
rappelés  de  Thessalie,  sont  hués  au  Pirée.  —  Les  puis- 
sances discutent  les  modalités  de  la  levée  du  blocus  cré- 


MEMENTO    ENCYCLOPÉDIQUE 


tois.  La  Porte  consente  cesser  la  guerro.  pourvu  rjue  la 
Grèce  consente  :  l'imnesiou  do  la  Thessalie,  une  iiideni- 
iiité  de  230  millions,  la  conclusion  d'un  traité  d'extradi- 
tion, etc.  Les  ambissadeurs  jugent,  dans  une  note  remise 
HU  sultan,  la  premi^Te  de  ces  conditions  inadmissible. 

17.  —  M.   Faure    visite   l'exposition   nationa'e  de 
céramique.  —  Obsèques  imposantes  du  duc  d'Aumale 


cents  personnes  ?ont  venues  en  train  spécial.  —  Ai)pari- 
tioM  du  premier  tramway  de  la  nouvelle  ligne  des 
Champs-Elysées;  il  est  salué  par  des  huées.  —  M.  le 
D-^  Rendu  e-t.  ehi  de  l'Académie  de  médecine  en  rem- 
placement du  docteur  Strauss.  —  Rentrée  des  Cham- 
bres à  deux  heures.  M.  Cocliery  dépose  À  la  rhuiuhre  le 
builset  projeté  pour  18!ïfi.  M.  Brisson  pri]nnii<e  au  disniurs 
où  il  preud  a  intrti  le  l'ère 


(;  H  A  N  T  I  L  h  Y 

lie  isyr.) 


pa- 


Olivier  à  prop.is  d 
l'olesà  Notre-Dame;  l'affi 
chage  est  vote  â  nmiui 
levées.  —  An  Sénat,  or 
s'occupe  de  la  réforme  ih 
l'instruction  judiciaire.  — 


Mo 


de    la    pr 


•  ■r--r  Isabelle  de  Bour- 
bon-Bourbon, sœiir  du 

l'âge  de  soixante -seize  ans, 

—  M.  Faure  reçoit  le 
iluc  d'Aoste.  —  Les  puis- 
sances sont  unanimes  à 
regarder  comme  inaccep- 
tables les  conditions  que 
met  la  Turquie  j'i  un 
armistice;  elles  préparent 
une  réponse  collective.  — 
Le  sultan,  devant  l'insis- 
tance des  puissances 
et  en  particulier  celle 
nettement  exprimée  du 
tsar,  donne  Tordre  de  né- 
gocier un  armistice  avec 
la  Grèce. 

19.  —    A    Mostagaiicm, 

rixes  entre  Arabes  et 
Juifs.    —    M.    Faure 

visite  l'exposition  canine. 

—  M.  Hanotaux  reçoit 
le  prince  de  Bulparic.  — 
Départ  de  Paris  de  la  du- 
chesse  d'Orléans.  — 

A    (.lliatellerault,    baptême 

de  i:i  cloche  Alezan- 
dre-Nicolas  nilVrtc  par 


Sai 


,-]'l-> 


otiii 


l'.eiiie  on  présence  de  prince- 
maisons  royales  d'Rurope,  d 
.  -M.  Faure  s'est  fait  représente 
■.  ïa:  corp-i   part  pnur  Dreux 


desCr 


et  de  prînccssL'S  de 

L!s  aTnba>*sadeur3,  de 

r.  C'est  M^'ïlichard 

Kn  Epire,  les 


i-nnsid.rablcs  (2,(JO0  hommes)  autour 
d'Arta.  —  L'armée  turque  i»pére  un  inouvement  tour- 
nant û  Dfmiokos  et  marelie  sur  cette  position  forte 
de  30,000  hommes.  L'aile  droite  des  Urées  lleciiit  et,  crai- 
gnant d'être  coupée,  se  retire  eu  arrière  sur  Lnnna. 

18.  —  A  Dr(;ux.  ons,.veIiH«ement  du  dUC  d'Aumale 
dans  \a  crypte  de  la  chajio'Ie  de  Louis-Pliilipiie  :  quatre 


veinr  de  l'aeeueil  fait  uux 
officiers  chargés  de  sur- 
veiller la  fabrication  des 
fiOO.OOO  fusils  coniman.lès 
)iour  lîi  Russie.  Le  baron 
l-'reedcricksz  ipprésente 
Xico'ius  II.  —  L'armis- 
tice est  signé  en  Tlies- 
salie  entre  Edhcni  pacha 
et  le  diadiHiuo  ;  la  guerre 
durait  depuis  le  M  avril; 
elle  a  couipté  quatre  ba- 
tailles inqjortantes  :  celles 
de  Mati,  de  Pliai-sa!e,  de 
Velcstinos  et  de  Dui!i..kus. 
remise  de  la  barrette  :ui\  .  ar- 


ct    J-ab( 


assisté   des   nui 
~    M.   de    Mu 


le   |.t 


et  .bi 


Plu 


devait  lias,  dit-il,  ten 
est  ameJiée 


■il  hniL'age  ».  Cette  lettre 


eaux    du    Loin^  a    1'; 


Louise  Michel  conl< 

des  ChamiH-KlVH.-e-..  hi    i 

à    M.    Harpignies; 


lii 


MEMKNTO    KNCYCLOPKDIQUK 


thurin   Moreau;  pour    lu    KTiivun-,  i\  M.   Siroux. 

21.  Kti  AlKcrlo,  cxtciihion  tlo.  l'agitation  antisé- 
mîtique  II  ËnkcriiiiitDi  ;  ti  Cran,  trouble»  grave'»*,  coti|M 
i\v  U-\i.  -  An  niinÎHtère  «le  rintérieiir,  M.  Louîb  Bartliou 
reçoit  les  sauvcti-urs  de  lu  nie  Jcan-Qoiijon  et  leur  (ifs- 
tribue  Xhwxa  ri-coinpen.ses,  âpre,'*  titi  petit  discours.  Le 
cocher  Eugène  Georges  \\  la  croix  de  clioTiiIk-r  de 
la  L<''Kion  d'IiûniRnir  ;  lea  autres,  îles  nn^*daiUc«  ou  des 
mentions.  —  L'armistice  a  une  durée  de  dix-sept 
juurs  ;  il  cHt  renouveluhle.  ~  Le  curé  do  Wœreslmfcn 
(lïavirre),  Sébastien  Kneipp,  <:(?lèbre  par  «ou  appli- 
cation hydrotlunipHpie  i^  la  (.rinTigon  do  toutes  les  uiula- 

22.  —  L'ambassade  marocaine  arrive  à  Mnr- 

Kcilîc  sur  le  croiï^iMir  Alger.  —  Lj  conseil  munieifNvI  de 
liiuibiiix  vi)te  i,uOO  francs  jjour  les  mineurs  de  la 
Grand'Gombe.  —  A  la  nonciature,  itfeniière  rùceiHiou 
iliploniatifiue  el  olllciflle  ;  les  dames  pont  nombreuses; 
elles  )i'otit  [)as  Ht    invitées  ji  la  nonciature  depuis  1870. 

23.  —  L'agitation  continue  ^  Oran  et  dans  tous 
le^  environs  ;  les  troupes  battent  le  pays  ;  des  synago- 
gues sont  pillées  ;  les  juifs  se  sauvent  et  se  caclicut.  — 
A  Longjunieau,  inaugumtion  du  monument  éîevé  à 
Adolphe  Adam,  auteur  du  Postillon  de  Longjume^iu. 

—  A  Bourges,  M.  Boacher  préside  la  distribution  des 
réeoni|ieiises  du  ooncours  agricole. 

24.  —  rreniiere  audience  de  Taffaire  Grégoire, 
iiieuljH-  avec  sa  mère  et  la  femme  Desliayes  du  martyre 
et  lie  la  mort  du  petit  Pierre.  —  Arrivée  A  Paris  de 
l'ambassade  marocaine,  qui  s'y  arrête  avant  d'at- 
teindre Londres.  I^  sultîui  envoie  hnit  étalons  sui>erbes 
à  M.  Faure.  —  Le  prince  de  Sagan  est  frappé  d'une 
attaque  d'apoplexie  qui  met  s;»  vie  en  danger.  —  A  Ber- 
lin, commencement  des  débats  du  procès  que  le  ministère 
public  fait  au  chef  de  la  jKt'.ice  politique  de  Tausch 
arrêté  A  une  audience  du  procès  de  LUtzov.  —  Le  général 
Manos,  de  l'armée  d'Epîre,  rentré  h  Athènes  les  me- 
nottes aux  mains,  essaye  de  se  tuer  dans  sa  prison.  — 
Li  reine  Victoria  entre  <lans  sa  soixante -dix -neuvième 
année  de  vie  et  cinqimnte-ueuvième  de  règne. 

25.  —  Le  général  Tournier,  secrétaire  de  la  pré- 
sidence, est  nommé  divisionnaire  ;  il  est  remplacé  auprès 
(in  président  pjvr  le  général  Hagron,  commandant  à 
Constautîiie.  —  A  la  Chambre,  première  délibération  sur 
le  j>ri'i<t  de  loi  portant  prorogation  du  privilège  de  la 
Banque  de  France.  M.  Vivian!  parle  contre.  — 
L'ambassade  marocaine  e^t  reçue  au  ministère  des 

iiffiiires  étran^ens.  —  A  Athènes,  on  ouneentre  des 
troupes,  eu  prévision  d"un  m-aivement  antidynastique  ;  les 
irréguliers  italiens  sont  embarqués  pour  Brindisi.  Amil- 
care  Cipriani  a  été  blessé  à  la  jambe  grièvement. 

26-  —  Le  général  Porter,  ambassadeur  des  États- 
Unis,  présente  ses  lettres  de  créance  à,  M.  Faure.  — 
Fin  du  procès  Grégoire  :  lux  est  condamné  aux  travaux 
forcés  à  perpétuité  (la  peine  de  mort  ne  pouvant  être 
appliquée),  les  deux  femmes  à  cinq  ans  de  travaux. 

27.  —  Le  cabinet  hellénique  adresse  aux  puis- 
sances un  mémorandum  détaillé,  espèce  de  plaidoyer 
en  fiLveur  de  la  Grèce,  contenant  deà  indications  pour  les 
négociations. 

28.  —  Mort  du  paysagiste  Louis  Français,  mem- 
bre de  l'Institut,  doyen  de  nos  peintres,  à  quatre-vingt- 
deux  ans.  Né  à  Plombières.  Dernier  représentant  de 
l'école  de  1830.  Première  médaille  en  1848.  Tableaux 
célèbres  :  Duphnis  et  ChJoé.  Orphée,  Sois  s'.icré,  Uic  de 
yénii.  —  Fin  du  procès  de  la  catastrophe  de  Bouzey; 
les  ingénieurs  poursuivis  sont  tous  reconnus  innocents. 

—  A  Rome,  première  audience  du  procès  Acciarito, 
auteur  de  l'attentat   contre  le  roi   d'Italie. 

29.  —  Un  décret  crée  une  nouvel'e  médaille  dite  des 
Travaux  publics,  qui  récompense  les  agents  dépendant  de 
ce  ministère.  —  M.  Gabriel  Monod  est  élu  de  l'Aca- 


démie de*  sciencen  morales  et  politiqncit.  —  La  coniniis- 
Hion  do  rannée,  réunie  kouh  M.  Mtv.ièrcM,  termine  l'oxiimen 
de  la  question  iia  haut  commandement.  —  A  la 
Chambre,  M.  G.  Berry  interpelle  sur  \m  rcH{>onKabllitéH 
dans  l'incendie  du  Bazar  de  la  Charité,  a  I>e  préfet  de 
police  est  coupable  et  wa  thenrie  Inacceptiible.  »  M.  Vallé 
mêle  à  la  question  le  diKcnur**  du  f»ère  Olivier;  u  U 
aurait  dû  en  communiquer  le  texte  au  gouvcnicnient  ». 
Ensuite,  interpellation  de  M.  Dclca««é  sur  la  politique 


l'abbé    kneipp 


générale  du  gouvernement.  —  Acciarito  est  condamné 
à  la  détention  perpétuelle.  Il  quitte  la  salle  en  criant  : 
«  Vive  l'anarchie  I  » 

30.  —  A  Chantilly.  le  Derby  est  gagnée  par /^n/rnw^tf. 
à  M.  le  baron  de  Scbikler.  —  A  Bruxelles,  le  grand  prix 
vélocipédique  est  gagné  par  Bourillon,  coureur  fran- 
çiis.  —  Elections  sénatoriales  :  dans  i'Aube,  M.  Re- 
nandin,  républicain,  est  élu  au  deuxième  tour;  dans  le 
Doubs,  M.  le  D'  Saillard,  républicain,  est  élu.  —  Elec- 
tion dhin  député  dans  les  Côtes-du-Nord  (Lamiion), 
M.  Derrieu,  monarchiste,  élu  par  7.615  voix;  dans  la 
Haute-Garonne  (Saint-Gaudens),  M.  Ruau,  radical,  élu 
par  10,225  voix.  —  Mort,  à  soixante-dix -huit  ans,  de 
la  célèbre  comédienne  M"**  Amould-Plessis,  née 
à  Metz  en  1819,  ex -sociétaire  de  la  Comédie-Française  où 
l'on  ne  l'a  pas  remplacée  dans  les  rôles  de  grandes 
coquettes.  —  L'armée  grecque  continue  à  organiser 
la  défense  des  Thermopyles  ;  les  puissances  et  la  Porte 
n'aboutissent  pas  encore  dans  leurs  négociations. 

31.  —  Le  gouvernement  prend  des  mesures  contre 
certains  maires  qui  se  sniit  refuses  à  afficher  le  discours 
jirutiutirf  }p,,r  M.  Kri--nii  .i  li  mitrée  des  Chambres.  — 
M.  Faure  u--i^t'.  a  A  îiillimio^  a  la  course  pour  le  a  prix 
du  Président  i-.  —  Un  crédit  de  172,000  francs  est  demandé 
pour  travaux  contre  l'incendie  à  l'Opéra.  —  Le  Temps 
a  recueilli  37,000  francs  pour  les  familles  des  soixante- 
deux  marins  morts  d.ins  le  nau&age  du  Vaillant,  sans 
compter  ceux  de  la  Mésange  et  du  Saint-Pierre.  —  La 
Porte  consent  à  renouveler  l'armistice  de  quinze  jeurs, 
si,  à  sa  terminaison,  les  pourparlers  n'ont  pas  abouti. 


CARNET    FEMININ 


DENTELLI'S      ET      HIÎODERIES 


Un  carnet  féminin  sérail  incomplet  s'il  ne 
parlait  une  fois  des  dentelles  et  des  broderies 
crét5es  par  les  femmes,  pour  la  femme. 

La  dentelle  est  très  aristocrate.  On  la  ré- 
partit par  classes  et  par  degrés  comme  pour 
les  quartiers  de  noblesse. 

Il  y  a  la  dentelle  à  l'aiguille  et  la  dentelle 
aux  fuseaux.  Je  ne  parle  pas  des  dentelles 
faites  à  la  mécanique,  Vimitalihn  étant  une 
industrie,  mais  non  point  de  l'art. 

On  commença  par  tirer  des  fils  sur  de  la 
toile  blanche  et  à  broder  à  poinls  cuupàs  cette 
trame  légère;  puis  on  élargit  la  trame  qui 
devint  une  espèce  de  mousseline  appelée 
quintin:  ensuite  on  broda  sur  lacets,  ce  qui 
donna  le  lacis.  Les  carrés  brodés  sur  filet, 
dont  les  jeunes  filles  modernes  sont  si  juste- 
ment lîères,  datent  du  .wi"^  siècle.  Catherine 
de  Médicis  protégeait  beaucoup  ce  genre  de 
dentelles.  Ses  suivantes  y  étaient  occupées 
constamment  et  l'on  trouva  dans  l'inventaire 
de  ses  effets  et  de  ses  dentelles  plus  de  huit 
cents  carrés  brodés  qu'on  n'avait  pas  encore 
utilisés. 

Peu  à  peu  on  festonna,  on  dentela  un  des 
cotés  de  ces  broderies  aériennes,  d'où  vint  dé- 
finitivement le  nom  de  dentelle.  Ces  dentelles 
ornèrent  les  fraises  des  belles  dames,  et  des 
seigneurs,  leurs  manchettes... 

De  ces  manches  qu'à  table  on  voit  tâtcr  les  sauces... 

Le  fil  blanc  eut  bientôt  la  concurrence  de 
la  soie,  de  l'or  et  de  l'argent;  on  fit  des  den- 
telles polychromes;  mais  ces  dernières  n'eu- 
rent pas  le  succès  des  dentelles  de  lin  que 
l'on  pouvait  blanchir.  Les  belles  guipures  de 
Venise,  les  points  de  Sedan  et  d'Argentan 
garnirent  les  l'ochets  des  prélats. 

Les  siècles  s'écoulaient  et  la  vogue  des  den- 
telles cioissait  avec  eux.  Les  dames  portaient 
des  n  engageantes  "  à  leurs  manches  courtes, 
des  (.  pagodes  »  à  leurs  manches  longues.  Les 
jupes  avaient  des  dentelles  «  volantes  ><  et  des 
"  quilles  >..  On  appelait  ■■  tournantes  '■  les 
cascades  et  les  coquilles. 

Sous  Louis  XV  le  luxe  des  dentelles  était  i\ 
son  apogée.  On  garnissait  de  dentelles  i\  l'ai- 
guille <•  points  de  lîurano,  Colbert  ou  d'.lr- 
gentan  >.  les  dessus  de  lit,  les  draps,  les 
oreillers,  les  tables  de  toilette. 

Les  dentelles  aux  fuseaux,  inventées  dit-on 
par  les  sœurs  Sl'oiv.a  \'isconli,  de  Milan, 
furent  bientôt  imitées  par  d'habiles  ouvrières 
franvaises.  Chaque  pays  se  glorifia  d'un  point 
nouveau  et  le  baptisa.  C'est  ainsi  que  nous 
est  resté  le /)o//i;  tl'Alençon.  le  Cliantilh/,  le 
point  de  lirur/es,  la  la/enci'enue.v  et  la  .l/,i/i/ies. 

La  Malines,  la  guipure,  la  Valenciennes  vien- 
nent ensuite.  Le  point  de  Haycux  —  (Chan- 
tilly noir  —  est  ce  qu'on  fait  de  plus  beau  en 
dentelle  noire;  elle  surpasse  même  les  anciens 
modèles  de  ce  genre. 

La  dentelle  du  Puy  s'emploie  comme  la 
Valenciennes,  pour  la  lingerie  :  les  broderies 
Colbert.  à  même  la  toile,  se  reproduisent 
d'après  des  dessins  anciens  et  garnissent  les 
draps  et  les  taies  d'oreillers.  On  en  l'ait  aussi 
des  dessus  de  lits  fort  riches,  entourés  d'entre- 

VL  —  10. 


deux  brodés  sur  filet,  genre  Renaissance  ;  on 
les  pose  sur  un  transparent  de  satin  clair.  Les 
u  toilettes  marquise  »  en  satin,  recouvertes 
de  mousseline,  et  ornées  de  belles  dentelles, 
se  font  maintenant  dans  toutes  les  chambres 
à  coucher  un  peu  élégantes.  Ces  tables,  où 
s'appuie  une  glace  de  A'enise,  et  un  fronton- 
pelote  à  rideaux  de  msusseline  et  de  dentelle 
permettent  d'étaler  les  flacons  d'odeur  et  les 
accessoires  d'un  nécessaire  d'argent  ou  d'é- 
caiUe  à  chilTre  de  vermeil. 

On  a  trouvé  dans  les  tombeaux  Égyptiens 
des  tapisseries  assez  bien  rnnsepv.''('s  pour 
donner  une  idée  du  travail  J^s  1.  imiiws  à 
cette  époque  reculée.  Les  li\ /.ml  m-  m.  rus- 
tèrent  de  pierreries  leurs  broclfi us  supiThes. 
Le  moyen  Age  est  l'âge  d'or  de  la  broderie. 
Les  châtelaines  et  leurs  vassales  ont  laissé 
des  travaux  merveilleux.  Charlemagne  encou- 
rageait les  princesses  de  sa  cour  à  broder  des 
habits  ainsi  que  l'aiVirme  un  chroniqueur  du 
temps  : 

Les  fîUes«fist  bien  doctrincr 

Et  aijprendre  keudre  et  itler. 

Sainte  Gisèle,  sœur  du  grand  monarque, 
fonda  des  monastères  en  Aquitaine  et  en  Pro- 
vence où  elle  enseignait  aux  nonnes  tous  les 
travaux  d'aiguille. 

Judith,  mère  de  Charles  le  Chauve  et  mar- 
raine d'Harold,  roi  de  Danemark,  lui  donna, 
à  l'occasion  de  son  baptême,  une  robe  qu'elle 
avait  brodée  elle-même  et  enrichie  de  jjicr- 
reries. 

Bien  peu  de  marraines  peuvent  en  dire  au- 
tant, aujourd'hui. 

Adhéla'is,  femme  de  Hugues  Capct,  offrit 
à  l'église  Saint-Martin,  de  Tours,  une  cha|ie 
qu'elle  avait  brodée  en  or. 

Eniin  la  reine  Mathilde,  femme  de  Cuillaume 
le  Conquérant,  tirait  l'aiguille  tandis  que  son 
époux  faisait  la  conquête  de  l'Angleterre.  Le 
nmsée  de  Hayeux  possède  une  toile  brodée 
par  elle  que  jamais  personne  ne  parvint  à 
imiter.  Eh  bien  ce  travail  d'une  aiguille  fine 
existe  encore,  tandis  que  les  hauts  faits  de 
l'épée  de  Guillaume  demeurent  i'i  l'étal  de 
souvenirs!... 

La  broderie,  d'ailleurs,  esl  le  domaine  de  la 
femme.  Ne  voyons-nous  jias  la  reine  Gisclle 
de  Hongrie  établir  près  de  son  palais  des 
ateliers  de  tissage  où  fui  créé  le  fameux /joi'/i/ 
de  Honf/rie  ? 

Les  étoffes  sur  lesquelles  on  a  brodé  au 
moyen  âge  sont  des  toiles,  du  drap  d'or  ou 
d'argent,  du  baudequin,  du  samit,  du  cendal. 
ou  velours  etc.,  etc.  Les  têtes  des  pei'son- 
nages  étaient  parfois  peintes  sur  satin  ou 
brodées  au  petit  point  et  r.'ijoutées  ensuile. 
Ceux-ci  étaient  placés  en  relief  el  sorlaioni 
pour  ainsi  dire  du  fond  brodé  sur  lequel  ils 
reposaient.  On  faisait  ainsi  des  lable.uix 
brodés.  Marguerite  d'Aulriclie  en  possédait 
plusieurs  qu'elle  transportait  dans  ses  voyages. 
En  somme,  les  xvi'' el  xvir  siècles  ont  marqué 
la  splendeur  de  la  broderie.  On  l'a  depuis 
imitée  sans  jamais  la  surpasser. 

LiTioi.r. 


LA    MODE    DU    MOIS 


Juillet  donne  le  signal  des  départs.  La  mer,  les 
montagnes,  la  campagne  en  général,  sont  dans 
toute  leur  beauté;  les  citadins,  au  contraire,  com- 
mencent à  souffrir  de  la  chaleur,  de  l'étroitesse  de 
leur  demeure,  et  du  manque  d'air  respirable. 

C'est  donc  le  moment  de  songer  aux  costumes 


&  la  taille  par  une  ceintnrc.  Cette  jupe  est  ornée, 
comme  les  jupes  de  robes  modernes,  de  galons 
cousus  en  rond,  et  aVjaissant  sur  le  devant,  en 
tablier  de  lavandière.  Les  manches  sont  courtes; 
et  sur  le  bonnet  de  toile  cirée  est  gracieusement 
noué  le  foulard  &  la  paysanne  qu'avec  ce  costume 


de  bains  de  mer,  aux  toilettes  d'excursion,  et  aux 
robes  de  voyage. 

En  fait  de  costumes  de  bain,  on  est  moins 
simple  qu'autrefois  :  ou  crée  aujourd'hui  de  co- 
quettes et  charmantes  fant.iisies,  dont  mon  ami 
Félix  Fournerj-  est,  la  plupart  du  temps,  nn  des 
créateurs  les  plus  heureux,  tels,  par  exemple,  les 
deux  modèles  que  nous  oiïrons  aujourd'hui  aux 
lectrices  du  Monde  mothrne. 

Le  premier  est  en  serge  bleu  foncé,  avec  dra- 
])eries  découpées  en  serge  blanche.  Des  tresses, 
également  blanches,  eu  achèvent  l'ornement.  Ce 
costume  se  compose  d'un  pantalon  droit  s'arrêtant 
aux  genoux,  et  d'une  blouse  formant  jupe,  serrée 


on  peut  choisir  rouge  uni,  bleu  et  blanc,  ou  bleu 
uni. 

Le  second  costume  est  encore  en  serge,  mais 
d'un  bleu  plus  clair.  H  est  également  orné  de 
blanc;  mais  il  se  compose  d'un  pantalon  de 
zouave  serré  aux  genoux  par  des  jarretières  blanches 
desquelles  s'échappent  des  bas  noirs,  ce  qui  est,  en 
ce  moment,  le  dernier  cri  de  la  mode.  On  se  jette 
à  l'eau  presque  aussi  habillée  que  pour  aller  au  Bois. 
La  jupe  de  ce  costume  est  détachée  dix  corsage. 
Elle  est  plus  ample  que  celle  du  premier,  et  les 
galons  qui  l'ornent  sont  cousus  en  bordure  sur 
l'ourlet.  Le  corsage-blouse,  genre  Doucet,  est  éga- 
lement rayé  en  travers;   il  est  à  revers  et   légè- 


LA    MODE    DU    MOIS 


117 


rement  ouvert.  Les  mauches  sout  toutes  composées 
de  bouillons  courts,  avec  ou  sans  jockeys.  Un 
bonnet  en  toile  cirée,  très  joliment  orné  de  galons 
de  laine  blancs  et  bleus,  posés  en  ailes  de  moulin, 
achève  ce  costume  que  complètent,  comme  le  pré- 
cédent, des  espadrilles  de  toile  blanche. 

Le  petit  costume  d'excursion  (n"  3)  est  tout  à 
fait  Louis  XV.  Jupe  courte  en  mohair  gris  tour- 
terelle, ornée  de  galous  assortis  cousus  sur 
l'ourlet,  et  formant  quilles,  de  chaque  côté  du 
tablier,  boutonné  à  gauche  et  à  droite  par  des 
gros  boutons  en  passementerie.  La  veste  droite 
est  légèrement  fendue  sur  le  côté.  Elle  est  fermée 
devant  par  des  boutons  invisibles  sous  une  patte 


sanglier  noir,  avec  galons  de  laine  mate,  et  cravate 
de  crêpe.  Les  bottes  sout  moutantes  et  lacées 
dessus,  jusqu'à  mi-jambes. 

Quand  on  prend  du  galon,  on  n'en  saurait  trop 
prendre.  C'est  le  cas  de  la  mode  actuelle.  Elle  eu 
met  partout  et  sur  tout.  Témoin  la  robe  soleil,  en 
toile  de  soie  glacée  vert  et  bleu,  que  nous  don- 
nons comme  costume  de  lawn-tennis  ou  de  prome- 
nade. Entièrement  plissée,  jupe  et  blouse,  l'une  et 
l'autre  sont  coupées  par  trois  gros  galons  blancs, 
que  l'on  pourrait  au  besoin  remplacer  par  des 
entre-deux  de  broderie  ou  de  grosse  guipure. 
Manches  collantes,  boutonnées  aux  poignets,  légè- 
rement froncées  à  la  saignée  et  rayées  de  galous 


piquée.  Deux  iiochcs  et  une  i)ochette  A  mouchoirs 
en  composent  l'ornement  ainsi  qu'un  col  et  des 
revers  en  velours  blanc  quadrillé  par  des  raies 
grises.  Les  mêmes  revers,  mais  arrondis,  se  répè- 
tent aux  manches.  En  dessous  de  la  veste,  che- 
mi.sette  de  batiste  A,  col  droit  et  A  m.anchettes 
plates,  avec  grosse  cravate  de  soie  noire  ou  de 
couleur,  terminée  en  rabat  petit  abbé  par  un 
pU8.sé  de  dentelle.  Comme  chapeau,  tricorne  en 
crin,  OH  en  feutre  léger,  noir  ou  gris,  avec  petit 
panache  de  jil unies  posé  en  cache-peigne.  Bien 
entendu,  de  même  que  les  costumes  de  bain, 
celui-lA  peut  se  faire  en  tout  autre  nu.ance.  Pour 
une  personne  en   deuil,  il   pourrait  se   répéter  en 


sur  le  boulllcuiné  se  trouvant  A  l'emnianchure. 
Ceinture  ronde,  en  galon  d'argent,  fermée  par  uiu; 
boucle  armoriée  en  argent  ciselé  ou  en  strass. 
Grosse  cravate  de  tulle  ou  de  mo\isseline  de  soie 
blanche  et  chapeau  Marie-Antoinette,  sur  cheveux 
coiffés  également  A  la  reine  martyre,  moins  la 
poudre.  Le  chapeau  est  assez  ]ilat,  A  fond  mou,  ou 
gaze  de  soie  blanche,  cravaté  de  velours  noir  .avec 
boucle.  La  passe,  gondolée,  est  eu  paille  de  riz, 
ourlée  de  velours.  Pigeon  l>lauc  sur  le  côté  gauche, 
et  souliers  de  cuir  jaune  avec  gants  de  Suède 
blancs. 

liKUTHE    Dit    rnft.siLLT. 


LA   CUISINE   DU    MOIS 


Œufs  Jeannette.  —  (Vcsl  une  1res  agi'iable 
siirpiix-  il  laiiv  aux  convives  que  de  leur 
servir  à  ilùjouner  des  œufs  Jeannette.  Quoique 
ce  soit  la  même  préparation  que  les  œufs  en 
cocotte,  ils  ont  un  charme  d'autant  plus  im- 
prévu que  les  convives  se  croient  obligés  de 
manger  des  ])ommes  de  terre,  tandis  que  c'est 
un  icuf  exquis. 

Oi'RHATiON.  —  Brosser  et  laver  G  pommes  de 
lerre  de  Hollande,  oblongues  et  bien  choisies, 
pesant  ISO  grammes  chaque  environ.  Les  poser 
sur  une  plaque  de  tôle  un  peu  forte  et  les 
cuiri'  au  four  une  liciu'e. 

l'cndanl  celte  cuisson  on  prépare  la  bé- 
chamel liés  délicate  que  voici  :  fondre 
20  grammes  de  beurre,  y  mélanger  10  gi-ammes 
(le  farine,  mouiller  avec  un  décilitre  de  lait 
bouillant,  ajouter  sel,  poivre  et  un  soupçon 
de  muscade,  60  grammes  de  beurre  ou  i  cuil- 
lerées de  crème  un  peu  épaisse.  Cerner  les 
pommes  de  lerre  pour  obtenir  un  couvercle 
lie  ^  cculimctres  de  long  cl  2  centimètres  de 
large,  les  vider  complètement  avec  une  cuiller 
à  calé  sans  les  ])ercer;  mettre  dans  le  fond 
deux  cuillers  de  sauce,  un  peu  de  sel,  casser 
Iccuf.  recouvrir  de  sauce  cl  du  couvercle,  faire 
cuire  au  finu-:i  miuulcs  et  servir. 

Sole  frite  Colbert.  —  Couper  les  na- 
geoires et  un  tiers  de  queue  à  une  sole  de 
■100  grammes  environ,  enlever  la  peau  noire 
et  la  tète,  ratisser  la  peau  blanche,  la  vider 
entièrement  et  la  laver  :  faire  une  incision 
longitudinale  sur  l'aréle  du  côté  où  la  peau 
est  enlevée,  inciser  à  droite  et  à  gauche  sur 
toute  la  longueur,  en  biais  et  sous  le  filet, 
à  peu  près  1  centimètre.  Saler,  tremper  la  sole 
dans  un  peu  de  lait,  la  passer  dans  la  farine: 
la  tremper  dans  un  œuf  battu  et  la  couvrir 
complètement  de  mie  de  pain  rassis,  passée 
au  tamis  ou  dans  une  passoire  fine. 

La  cuire  dans  une  friture  abondante  et 
assez  chaude,  dix  minutes.  La  retirer,  l'essuyer, 
casser  l'arête  à  2  centimètres  de  la  queue  avec 
la  pointe  du  couteau,  enlever  larète  sans 
abîmer  la  sole.  Garnir  ce  vide  avec  60  grammes 
de  beurre  fin,  salé,  poivré,  allongé  d'une 
cuiller  à  café  de  persil  haché  et  de  quelques 
gouttes  de  citron.  La  servir  retournée  sur  un 
])lat  long  un  peu  chaud  avant  que  le  beurre 
soil  fondu. 

Paille  de  pigeons.  —  Délayer  250  gr.  de 
farine  avec  un  peu  de  sel.  un  décilitre  d'eau 
fraîche  et  120  grammes  de  beurre.  Laisser  re- 
poser au  frais  trente  minutes.  Donner  deux 
tours,  c'est-à-dire  étendre  la  pâte  en  long  et 
la  plier  en  trois;  recommencer  l'opération 
dans  le  sens  inverse  et  laisser  reposer  vingt 
minutes  avant  de  recommencer  les  deux  autres 
tours. 

Les  PIGEONS.  — Xettoyerdeux  ou  trois  pigeons 
tendres  et  gras,  les  découper  en  quatre  morceaux 
chaque;  les  sauter  avec  un  peu  de  beurre 
et  60  grammes  de  petits  lardons  taillés  dans 
le  maigre.  Saupoudrer  d'une  cuiller  à  café  de 
farine,  mouiller  avec  2  décilitres  de  très  bon 
jus  et  un  de  vin  blanc  sec;  assaisonner  un  peu 
relevé  et  laisser  cuire  30  minutes.  Couper  deux 
a'ufs  durs  en  quatre,  les  ajouter  aux  pigeons, 
quelques  têtes  de  champignons  crus  etvei-ser  le 
tout  dans  une  jolie  terrine  de  forme  ovale. 
Mouiller  le  bord  supérieur  de  la  terrine  et  la 


recouvrir  avec  de  la  pâte  tirée  un  peu  mince. 
Souder  autour  en  appuyant  avec  le  pouce  et 
l'index,  dorer  la  surface  avec  un  peu  d'œuf 
battu  et  cuire  au  four  doux  une  bonne  heure. 
Servir  tel  que,  dans  un  plal  ovale  garni  d'une 
serviette,  avec  des  assiettes  bien  chaudes. 

Côtes  de  pré-salé  grillées.  —  Choisir 
des  colcletles  de  luowloii  pas  trop  grasses  et 
bien  rosées  de  l.iO  grauimes  chaque,  les  ma- 
riner dans  de  l'huile  d'olives  une  heure.  Les 
poser  sur  le  gril  très  chaud,  sans  les  saler  ni 
les  poivrer;  que  la  braise  soil  amortie  et  le 
tirage  sous  le  gril  un  peu  actif.  .\près  6  mi- 
nutes on  les  retourne  avec  une  fourchette  en 
les  soulevant  sans  les  piquer;  après  6  autres 
minutes  elles  sont  cuites;  les  enlever  sur  une 
assiette  pour  les  assaisonner,  les  dresser  en 
couronne  sur  un  plat  rond  chaud  ;  garnir  le 
milieu  avec  du  cresson  et  orner  les  os  de 
manchelles  en  pa])ier  fiisé. 

Purée  de  pommes  de  terre.  —  300  gr. 
de  pommes  de  lerre  moyennes  entières,  mon- 
dées et  lavées.  120  "grammes  de  beurre, 
10  grammes  de  sel,  â  décilitres  d'eau  fraîche. 
2  décilitres  de  lait  bouillant,  une  pincée  de 
sucre  en  poudre,  un  peu  de  muscade. 

OpÉii.iTioN.  —  Mettre  les  pommes  dans  une 
casserole  un  peu  épaisse  avec  le  sel  et  l'eau, 
couvrir  et  faire  bouillir  25  minutes  :  si  l'eau 
n'est  pas  évaporée,  l'égoutter  et  sauter  un  peu 
les  pommes  sur  le  feu  pour  les  sécher,  ou  les 
mettre  3  minutes  au  four.  Étaler  un  torchon 
propre  sur  la  table  et  le  tamis  en  crin  dessus: 
poser  sur  le  tamis  une  pomme  et  avec  le  cham- 
pignon en  bois  ou  passe-purée  appuyer  en 
glissant  vers  soi,  la  pomme  doit  passer  à 
chaque  coup,  si  on  retourne  en  arrière  la 
purée  fait  une  corde  et  le  résultat  est  mau- 
vais. Les  pommes  étant  passées  rapidement, 
on  vei"se  la  purée  dans  la  casserole,  on  ajoute 
le  sucre,  la  muscade,  une  pincée  de  sel  et  le 
beurre:  il  faut  travailler  fortement  avec  une 
cuiller  de  bois  afin  de  la  rendre  blanche, 
légère  et  cotonneuse;  on  additionne  un  quart 
de  lait  dès  que  le  beurre  est  fondu  et  absorbé, 
puis  un  autre  quart  après  avoir  travaillé  la 
purée  et  successivement  les  deux  autres. 

La  purée  doit  être  fine,  légère  et  onctueuse. 
Verser  dans  un  légumier  chaud  et  servir  en 
même  temps  que  les  côtelettes. 

Tarte  à  la  rhubarbe.  —  Pelez  1  kil.  500 
de  rhubarbe  bien  mûre  et  grosse:  coupez  les 
côtes  en  travers  en  rondelles  de  2  centimètres 
d'épaisseur,  recueillez  ces  rondelles  dans  un 
saladier  et  saupoudrez  avec  250  grammes  de 
sucre  semoule,  arrosez  d'un  verre  à  madère 
de  vieux  rhum  ;  laissez  reposer  au  frais  et 
couvert  2  heures.  Beurrez  l'intérieur  d'un 
cercle  à  tarte  de  20  centimètres  de  diamètre 
et  garnissez-le  avec  la  pâle  qui  reste  des 
pailles  de  pigeons:  rangez  dans  l'intérieur,  en 
les  chevauchant  légèrement,  les  rondelles  de 
la  rhubarbe,  chaque  rangée  posée  en  sens 
contraire,  poussez  au  four  pas  trop  chaud  et 
laissez  cuire  environ  une  heure.  Réduisez  à 
moitié  le  jus  qu'a  rendu  la  rhubarbe  et,  aus- 
sitôt la  tarte  sortie  du  four,  arrosez-la  avec. 
Cette  tarte  est  très  hygiénique  et  peu  coû- 
teuse ;  il  faut  la  servir"  froide  et  du  sucre  en 
poudre  en  même  temps, 

A.  Colombie. 


Jeux   et  Récréations,  par  m.  g.  Beidin. 


N"  149.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


^        '^M        '<^3^  ' 


i^ 


i^     ^      &j^     mm 


Les  blancs  jouent  et  gagnent. 
N"150.  —  Haut  :  Noirs.  —  Bas  :  Blancs. 


N"   154. 


DOMINOS 


Lss  blancs  jouent  et  gagnent. 

N"  151.    -  NA/HIST 

l'.iurricz-vims   .l.mii.r   v,.tn-    avi-    sur    I.-    iru    suivant 
ùcliu  A  Est. 

4f     - 

»     3. 

4-     n.  T.  11.  •!  (ato\it). 

^     A.  R.  D.  V.  S.  7.  5.  -i. 

Le  trois  do  trèfle  a  ^ti"^  retourné  par  Nord.  Quelle  est 
la  meilleure  façon  ile  dtl'buter  avec  cette  main. 

N°  152.  —  Curiosités  arithmétiques 

1"  rriiuver  nue  19     -  1  —  •!». 

■s     IThuv.t  ipie   l:i   ITioitit'  de   li   est   7. 

N"  153.  —  DEVINETTE 

Cuinuient  peut-on,  d'an    seul  trait   .le  plume,    faire  dn 
vin  avec  le  eldn're  H. 

A'in'sser  Irn  cnmminticnlinna  pimr  cfHc  pnffe  <i.  M.  lit.' 


I>isposer  les  28  dominos  d'un  jeu  île  manière  â  cons- 
truire un  rectangle  {huit  ilemi-doniiuos  sur  sept)  sur  la 
gauche  duquel  il  y  aura  une  bamle  large  du  septième  de 
la  longueur  dudit  rectangle  (bande  qui  ne  comptera  pas  ). 
11  restera  donc  un  ca'rrè  dont  toutes  les  lignes  horizon- 
tales et  verticales  devront  donner  la  somme  21  pour  l'ad- 
dition des  points;  et  de  plus  la  diagonale  nord-ouest 
sud-est  ne  devra  contenir  que  des  4.  (Pour  faciliter  les 
recherches  de  nos  lecteurs,  nous  leur  donnons  la  rangée 
du  huit  du  rectangle.) 


N"  155.  —  CHARADE,  |i:ir  A.  li. 

lion  premier  envoyé  par  Rome 

Se  voit  dans  plus  d'une  cité, 

Et  par  l'ordre  du  maître  il  somme 

D'éviter  une  iniquité. 

Certain  jour  mon  tleur  sert  jY  battre. 

Ou  bien  c'e-st  encore  un  des  lieux 

où  certain  oiseau  vient  s'abattre 

Quand  il  a  plané  dans  les  eicux. 

Trop  souvent  l'aveugle  fortune 

Au  four  accorde  des  trésors. 

Kt  comme  résultat  la  rancune 

Peut  se  manifester  alors. 

Mais  une  chose  le  console 

Kt  vient  adoucir  son  malheur. 

Il  répète  cette  parole  : 

L'argent  ne  fait  pas  le  bi.nheur. 

N"  156.  —  Cryptographie  de  deux  en  deux. 

.  L.  .S.  X.  V.  r.  V.  o.  V.  II.  V.  1. 


SOLUTIONS 


2!l 


J.  —     l.  F  8  C  D 

2.  T  I  F  D 

3.  T  «  F  D  éclici' 

N»  144. 

311 34      2H 23      27_ 

îû     2â      2»     IN      2i> 


1.  H  pr.  C 
2.  Il  1  TD 


IH      41)        4U 

N"  145.  —  lluste  ;  Buse. 

N     146-         l<m  vrut  la/,i»;i,  veut  les  moyens. 

Hjo  147.  _  Me  trouvant  en  villégiature  dans  \aS:irllte 

il  quarante-quatre    kilomètres  du  Mims,  j'eus  le  plaisir 

d'admirer   Lu    Fliche    de    l'église    de  S,iin!-C«lai.<  oft    fut 


N'  148.  - 

-   i:     A     L    L 
A     M     n     U 
LAS     -1' 
V      1      C     II 
I      fl     N     1-: 
N     U     1      H 

V. 
H 
V. 

y 

i: 

Les  lieux  mots 

m  acrostiche   s., 

,t  1 

uth.T  c 

t  Calvin. 

lii,,'i  lilllinicuurl 

(Se:,„-).„r,;-l, 

mhi 

',*    pou 

n'pousc 

LE     MOIS     COMIQUE 

l'Ait      MO  LOCH 


—  Ilirr  un  ours  mi   l«.is  .!,■  Itmi-              —  •'^""  i;    ;  '  ■     ■  ' .;u'iiK;iite  —   l'an-.-  qur  j"jii   fïii   rinceiiilie 

logne;  avant-liicr  un  tigre  au  bois         ^^  î^  '*"''^  tt.-siuui.-  .i  i-miiruiiteurs  !  du  baz:ir.  je  ft-mis  taclie  à  la  fête 

de  Meudoii.                                                      —  ^"  tante,  j'ai  dit  partout  que  des  Fleurs  ? 

Les  jeunesses  sont  bien  expost-es  !         vous  ^-tiez  la  mystérieuse  donatrice  —  Sans  doute,  puisque  c'est  pour 

<!■■<  fi:ï7,iiu(ifmn<'«.  1*^  virtitru^  .lu  .iev-.ir. 


—  Y  T;i  tout  a'mêine  un  jieu 
loin,  le  révérend  père  Ollivier  : 
voilà  qu'il  avoue  avoir  un  fils  et 
renvoie  se  Ixittre  eu  duel  aTee 
Victor  Hugo  ! 


LE    PRINCE    OE    GALLKS 

—  Ma  mère,  c'est  avec  la  plus 
vive  impatience  que  j'attends  les 
fêtes  de  votre  prochain  jubilé. 


—  Gand  savant  anglais,  li  touvé 
moyeu  de  blanchi  bon  nègue.  Main- 
tenant, nous  tous  paeils  aux  blancs  î 


■Comment,  il  s'arrête? 
ez  doue,  c'est  le  grand  pri 
-  Aoh  !  no,  je  avé  le  sple 


r  rUiJ  K  T     DE     T  A  I'  I  s  s  E  U  1  E 
DES    GOBELIXS 

L'été  fait  son  entrée  dans  l'anm 
1897,  couduit  par  saint  Médard. 


—  Voila  ttue  je  derieus  ventri- 
potent, à  présent  I  Je  ne  vais  pins 
être  assez  léger  pour  pouvoir  at- 
traper Félix  à  sou  passage  ! 


BIBLIOGRAPHIE 


La  librairie  Cliailley  vient  d'éditer  Inno- 
cencia,  roman  brésilien  par  le  vicomte  de 
Taunay,  traduit  du  portugais  par  Olivier  du 
Chaste!.  C'est  un  ouvrage  célèbre  d'outre-mer, 
qui  a  été  traduit  dans  toutes  les  langues,  et 
sur  lequel  nous  désirons  attirer  particulière- 
ment l'attention  de  nos  lecteurs. 

Les  scènes,  d'une  simplicité  biblique,  se 
déroulent  dans  le  serlAo.  c'est-à-dire  dans  ces 
immensités  sans  limites  qui  forment  le  terri- 
toire du  Brésil.  On  pénètre  dans  une  habita- 
tion de  planteur,  non  point  une  luxueuse  ha- 
cienda du  Mexique,  mais  une  modeste  ferme. 
Les  mœurs  y  sont  d'une  incroyable  rusticité, 
d'une  naïveté  morale  et  jîhysique  saisissante. 
Une  mélancolique  histoire  d'amour  s'y  dé- 
roule, triste  épisode  de  l'état  de  servitude  où 
les  préjugés  et  l'ignorance  maintiennent  encore 
la  femme. 

Le  récit  doit  sa  saveur  à  son  extrême  so- 
briété et  à  l'absence  de  toute  déclamation. 
Il  y  a  telles  scènes  comme  celle  où  un  lépreux 
se  condamne  lui-même,  qui  sont  dune  beauté 
antique.  Un  grand  sentiment  d'humanité  con- 
tenue fermente  dans  ce  livre  d'une  belle  santé 
littéraire. 

Il  est  appelé  à  demeurer  classique  dans  la 
littérature  portugaise  contemporaine,  encore 
le  mot  portugais  n'est-il  ici  que  pour  exprimer 
l'idiome,  (^est  bien  une  œuvre  brésilienne 
qui  ne  pouvait  naître  qu'au  souffle  des  grands 
espaces. 

Elle  repose  de  notre  littérature  décadente 
et  il  en  nait  tout  d'abord  une  haute  commu- 
nion d'estime  avec  l'auteur. 

Un  jeune  d/ipcnsé,  qui  signe  Fér.i  Brugiére, 
vient  de  publier  chez  Delugrave  un  charmant 
volume.  Dans  le  Rang,  plein  d'entrain  et  de 
bonne  humeur.  Chez  lui  les  préventions  contre 
le  service,  même  celui  d'un  an,  se  sont  vite 
dissipées;  il  s'est  mis  à  aimer  la  caserne  et  il 
le  dit  franchement.  Il  a  été  empoigné  par  son 
capitaine,  un  chic  capitaine  comme  l'armée 
française  en  compte  en  nombre,  et  il  l'avoue 
sans  réticence,  ("est  un  ouvrage  A  classer,  non 
loin  du  Journal  d'un  volontaire  d'un  an, 
de  VAi.i.iiiiY  Hadot.  Il  repose  des  tristes  dia- 
tribes contre  l'état  militaire  où  il  n'y  a  pas 
servitude,  quand  on  le  comprend,  mais 
grandeur  et  patriotisme. 

Ce  volume  est  illustré  de  spirituels  croquis 
de  Draner,  qui  donnent  une  amusante  image 
de  la  vie  au  régiment. 

M.  Albert  Lîivignac.  j>rofessein'  d'harmonii? 
au  Conservatoire,  vient  de  publier  l'i  la  même 
librairie  un  Voyage  artistique  à  Bayreuthqui 
est  le  manuel  le  plus  [UMtiqiie  (|iu  puisse  être 
recommandé  aux  amateurs  de  Wagner,  aux 
adeptes  comme  aux  néophytes. 

Il  eût  été  facile  à  l'auteur  d'y  faire  étalage 
d'une  profonde  érudition  musicale;  il  a  préféré 
être  clair.  Il  lui  étjiit  permis  de  faire  retentir 
une  fois  de  plus  les  trompettes  d'un  lyrisme 
intransigeant;  il  a  trouvé  plus  convenable  de 
démontrer  les  raisons  de  l'admiration  wagné- 
lierme.  (^'cst  un  livre  de  conscience  et  de  pon- 
dération, substantiel  et  complet,  qui  mettra 
de  l'ordre  dans  les  idées,  parfois  toulTues,  des 
ijiitiés  et  qui  prend  par  la  main,  en  guide  sur 


et  sans  morgue,  ceux  qui  sont  encore  .'i  la  porte 
du  temple. 

La  vie  à  Bayreuth  pendant  les  représenta- 
tions et  les  moyens  pratiques  de  s'y  installer 
sont  décrits  dans  les  premiers  chapitres.  Une 
parfaite  biographie  de  Wagner  raconte  ce 
qu'il  convient  de  retenir  de  la  vie  du  maître. 
L'analyse  des  œuvres  se  divise  en  deux  parties, 
le  poème  et  la  musique,  et  cette  division  est 
des  plus  heureuses  pour  donner  la  clarté. 
L'analyse  musicale  s'appuie  sur  de  très  nom- 
breuses citations  qui,  bien  amenées,  en  disent 
plus  que  de  longues  phrases. 

Quelques  mots  sur  l'interprétation  des  œu- 
vres et  l'organisation  du  théâtre  complètent 
ce  volume  parfait.  Il  dit  tout  ce  qu'il  y  a  à 
dire,  cela  seulement  et  il  le  dit  bien. 

Edouard  Drumont  doit  sa  renommée  à  son 
redoutable  et  grand  talent  de  polémiste,  mais 
les  lettrés  connaissent  depuis  longtemps  son 
àme  d'artiste,  fine  et  avisée.  Son  Vieux  Paris, 
dont  la  librairie  Flammarion  vient  de  donner 
une  nouvelle  édition  avec  de  jolies  vignettes 
de  Gaston  Ceindre,  est  un  de  ces  volumes  qui 
prouvent  quels  charmants  aspects  peuvent  re- 
vêtir les  choses  quand  elles  sont  décrites  par 
un  délicat.  L'artiste  est  ici  doublé  de  l'historien 
qui  évoque  à  l'endroit  voulu  les  événements 
du  passé.  Les  pierres  elles-mêmes  ont  ainsi 
leur  langage.  Paris,  tant  de  fois  décrit,  laisse 
toujours  quelque  chose  de  nouveau  à  prendre 
à  ceux  qui,  l'aimant,  savent  le  faire  aimer. 

La  même  librairie  a  mis  en  vente  un 
volume  de  .Iules  Simon  intitulé  :  Derniers  Mé- 
moires des  Autres.  Cet  ouvrage  posthume  fait 
suite  aux  deux  volumes  qui  ont  paru  il  y  a 
quelques  années  sous  le  titre  de  :  Mémoires 
des  Autres  et  Nouveaux  Mémoires  des  Autres. 
Le  titre  n'est  pas  bien  exact,  car  ce  sont  des 
souvenirs  très  personnels. 

Les  admirateurs  de  .Iules  Simon  retrouve- 
ront dans  ce  livre  tout  le  charme  et  l'exquise 
délicatesse  qui  ont  valu  à  ses  deux  aînés  un 
si  grand  succès.  Ils  admireront  le  merveilleux 
talent  d'écrivain  et  de  conteur  de  l'homme  qui 
a  laissé  une  si  grande  place  dans  l'histoire 
contemporaine  comme  philosophe  et  comme 
homme  d'Ktat. 

Les  Derniers  Mémoires  des  Autres  sont 
illustrés  par  Lcrwitz,  encore  qu'une  illustra- 
tion ne  semble  pas  ici  bien  nécessaire. 

Pour  faire  suite  aux  albums  sur  In  liérohi- 
linn  et  l'Empire,  M.  Armand  Dayot  publie, 
également  chez  Flammarion,  une  série  sur  les 
Journées  révolutionnaires  ls;!0-l»lXi  qui 
est  aussi  intéressante  <pie  ses  devancières, 
(^es  feuillets  sont  suggestifs;  ils  donnent  l'il- 
lusion d'avoir  vécu  soi-même  ces  journées 
encore  peu  lointaines. 

M.  .Iules  Martin  poursuit,  chez  IMauMii.irion, 
ses  séries  de  biographies  illuslrêes.  Celte  fois 
le  volume,  qui  sera  suivi  d'un  seconil  tome, 
est  consacré  aux  artistes  peintres  et  sculp- 
teurs. C'est  toujours  la  même  niétliude  (pii 
est  suivie,  heureusement,  <ai  elle  est  bonne: 
le  portrait,  des  dale-^  biographi>iues  et  la 
nomenclatures  îles  (cuvres. 


1  :>•.> 


III  iii.iDcn.M'iiii': 


l'ii  liviv  pi-ul  (lirikiloiiu'iil  piii'aihc  iivuc 
plus  ir<ippoi'liiiiitt'  ipie  la  Jeune  Grèce,  de 
M'i'  M. -A.  .Il'  Hnvi-I,  puhlii-  à  la  lihiuiiie 
Mny.  Iticii  «luil  siik''""-  ilétmk'S  fiiitfs  sur 
pin'co  il  y  a  quoiques  mi)is,  elles  sont  dune 
acUialilé  volniiliers  propliéliquc. 

C'est  un  eliarnic  de  suivre  l'aulcur  dans 
ses  excursiiins.  ni'i  sim  (i-il  arlisle  pcr<,-i)il  les 
choses  présentes  en  les  enveloppant  de  l'at- 
mosjilière  du  passé.  Ses  descriptions  sont  des 
évocations,  et  ce|)cndanl  rien  ne  lui  éeluippe 
de  l'acluelle  niodernilé. 

La  jeune  Orèce  a  vu  ses  espérances  trahies. 
Ne  reclicrclions  poinl  ici  les  responsabilités. 
Mais  il  ne  lui  convient  pas  d'accuser  l'Europe 
qui  seule,  en  fin  de  compte,  a  arrêté  le  Turc 
victorieux.  Qu'elle  se  recueille,  qu'elle  se 
niélie  des  rhéteurs,  et  qu'elle  sache  qu'elle  a 
des  amis  en  France.  Le  succès  de  ce  livre  en 
est  une  preuve.  Les  livres  valent  les  fusils 
et  les  derniers  événements  sont  une  preuve 
de  la  vanité  de  la  poudre. 

La  même  librairie  vient  d'auj^menter  d'un 
nouveau  volume  la  bibliothèque  d'histoire 
illustrée  qui  forme  déjà  une  collection  impor- 
tante et  classée  dans  les  bonnes  bibliothèques. 
Cotte  l'ois  M.  IVou  trace  le  tableau  de  La 
Gaule  mérovingienne.  Après  avoir  e.xposé 
les  formes  multiples  de  l'Ktablissement  des 
barbares,  il  décrit  le  {.-ouvernement  des  Francs 
et  fait  ressortir  le  rôle  prépondérant  de  l'Église. 
La  vie  morale  lui  a  paru  digne  d'attention  et 
nous  V  retrouvons,  non  sans  émotion,  les 
croyances  de  nos  ancêtres.  C'est  un  livre 
d'érudition  agréable,  et  la  réunion  de  l'agré- 
ment et  de  la  science  est  un  mérite  assez  rare 
pour  que  nous  ayons  plaisir  à  le  signaler  ici. 

La  même  librairie  édite  La  Crète  en  images, 
choi.v  de  caricatures  étrangères  réunies  avec 
discernement  par  M.  John  (irand-Carteret  et 
précédées  d'une  curieuse  étude  rétrospective 
sur  les  images  inspirées  par  la  Grèce  depuis 
1S21.  Ce  n'est  pas  seulement  un  livre  oppor- 
tun, c'est  aussi  une  petite  école  de  philosophie, 
véritablement  et  assez  tristement  humaine. 

M.  Pierre  de  Coubertin  a  réuni  chez  Ha- 
chette ses  Souvenirs  d'Amérique  et  de  Grèce. 
Les  lecteurs  du  Monde  moderne,  qui  n'ont  pas 
oublié  son  récent  article  sur  Corfou.  connais- 
sent le  style  net  et  vibrant  de  pensées  conte- 
nues qui'  est  propre  à  l'auteur.  Les  notes 
athéniennes  publiées  dans  ce  volume,  pleines 
de  foi  dans  le  peuple  hellène,  paraîtront  d'une 
douloureuse  opportunité.  Mais  la  pensée  survit 
aux  batailles:  elle  est  immortelle  et  ne  réside 
point  dans  la  brutalité. 

C'est  aussi  la  pensée  américaine  que  M.  de 
Coubertin  a  dégagée  de  ses  excursions  dans  le 
nouveau  monde.  Il  ne  décrit  ni  ses  richesses 
ni  son  tumulte,  mais  il  découvre  la  formation 
déjà  perceptible  d'un  idéal  nouveau.  En  un 
siècle,  les  Américains  ont  étonné  le  monde 
par  leur  croissance  matérielle.  Un  siècle  ne 
s'écoulera  pas  qu'ils  le  rempliront  d'admiration 
par  l'expansion  d'une  humanité  meilleure. 

Les  Parisiens  qui  n'ont  point  encore  voyagé 


et  qui  désireiil  se  procurer  la  plus  violente 
impression  de  changement  dans  les  mn.-urs 
des  hommes,  si  ce  n'est  dans  les  formes  de  lu 
nature,  n'ont  besoin  que  d'un  trajet  de  sept 
heures  ])our  éprouver  cette  émotion.  A  Lon- 
dres, ils  se  sentiront  dans  une  atmosphère 
morale  où  tout  sera  nouveau  pour  eux.  Or,  le 
génie  de  Ruskin  est  essentiellement  anglais. 

ICn  Angleterre  sa  |)o|)ularité  fut  prodigieuse. 
Il  y  a  vécu  en  demi-dieu.  Il  est  à  peine  mort, 
après  une  vie  de  soixante-seize  ans,  que  ses 
doctrines  ont  pris  le  caractère  dune  religion. 
Il  est  radicalement  ignoré  en  France;  il  n'y 
sera  jamais  connu.  L'esprit  français  est  inca- 
pable de  supporter  pendant  deux  heures  la 
lecture  des  doctrines  de  Huskin. 

Quelles  sont-elles  donc'?  —  La  nature  et  la 
beauté. 

C'est  bien  simple  :  deux  mots.  Mais,  autant 
ces  deux  mots  sont  clairs,  autant  ils  devien- 
nent complexes  chez  le  philosophe. 

M.  Hobcit  de  la  Si/.Lianne  vient  de  lui  con- 
sacrer, cluv.  Ilachilte.un  livre  qui  est  l'œuvre 
d'un  apôtre  !  Le  jeune  et  brillant  écrivain  est 
un  pur  Français  qui  voit  net  et  clair;  il  en  a 
donné  maintes  fois  la  preuve.  Il  a  apporté  un 
extrême  elTort  et  comme  un  ardent  amour  ù 
démêler  les  écheveaux  d'une  intelligence  supé- 
rieure, mais  prétentieuse. 

La  simplicité  de  Huskin  n'est  qu'apparente, 
et  ses  découvertes  morales  ne  sont  des  nou- 
veautés que  par  le  tour  qu'il  s'elTorcc  de  leur 
donner.  Il  n'émeut  pas  le  cœur  français  parce 
qu'il  est  prodigieusement  personnel  et,  à  l'op- 
po.sé  de  la  grande  maxime,  toujours  présent 
dans  son  œuvre. 

Que  cela  soit  dit  sans  irrévérence.  On  peut 
être  un  grand  homme  en  Angleterre  sans  l'être 
pour  tous  les  pays.  Une  des  plus  fortes  objec- 
tions, malheureusement,  contre  les  États-Unis 
d'Europe,  est  cette  affirmation  volontiers 
croissante  du  génie  particulier  à  chaque  peuple. 
Par  ce  livre  de  foi,  M.  Robert  de  la  Sizeranne 
aura  travaillé  à  rapprocher  les  distances  ;  il 
I    faut  lui  en  savoir  grand  gré. 

Les  Villégiatures  d'artistes,  que  M.  Mau- 
rice Guillemot  a  léunies  en  un  volume  chez 
Flammarion,  seront  un  document  intéressant 
pour  ceux  qui  écriront  plus  tard  l'histoire 
de  la  littérature  contemporaine.  Daudet  à 
Champrosay,  Coppée  à  La  Fraisière,  Ludo- 
vic Halévy  à  Sucy-Bonneuil,  Victorien  Sar- 
dou  à  Marly,  et  beaucoup  d'autres,  sont 
surpris  chez  eux  dans  le  déshabillé  de  la 
campagne.  Si  l'habit  ne  fait  pas  le  moine, 
l'homme  se  trahit  tout  au  moins  dans  le 
choi.x  de  son  habitation.  Son  originalité 
propre  s'y  dévoile  mieux  que  dans  la  bana- 
lité obligatoire  des  logis  parisiens.  Des  pho- 
tographies exactes  documentent  ce  livre 
spirituel,  malgré  son  caractère  d'enquête. 

Signalons  enfin  le  nouvel  Annuaire  de  Paris, 
publié  par  la  maison  Hachette,  dans  le  type 
de  son  almanach.  C'est  le  même  tra\"ail  géant, 
la  même  intelligence  dans  le  groupement  des 
renseignements.  On  y  sent  la  main  de  l'homme 
si  complètement  documenté  qu'est  M.  Tissot. 


L' Editeur-Gérant  :  A.  Qr.vXTlx. 


13231.  —  Lib.-Imp. 


e>.  MOTTEROZ,  D''. 


Siiiiit-Beuoit,  Pa; 


LE    HOLLANDAIS    VOLANT   (Fliegende  Holliender) 


Le    Vaisseau -F  an  tome 

L'action  se  passe  au  xvii»  siècle,  en  Norvège. 
Poème    et    Misiqui:    de    RICHARD    WAGNER 

Né  II  Ltipzig  le  22  mai  1813,  mort  à  Veuise  le  13  février  l«a3. 

Opéra  en    3   actes    représente    pour    la    première    fois  : 
A  Dresde,  le  21  janvier  lsi3;   à  Bruxelles,  le  6  avril  ls-2;   à  Paris,  le  17  mai  ISOT. 

C'est  un  signal  iVcspoir  que  lo  génie  allemaml 
bientAt  d'être  éternellement  ballotté  sur  les  flots  de  la 
musique  étrangère  et  trouvera  définitivement  en  terre 
allemande  un  port  lio?pitalier. 

E.  ScHnMASN,  la  A'ouielle  Omette  de  Musique. 


La  genèse  du  Vais»eau-Fantôine  est  assez 
curieuse,  assez  édifiante  pour  être  racontée. 
En  1841,  Wagner,  incessamment  en  quête  des 
expédients  de  la  vie  d'artiste,  ce  calvaire  de 
l'illusion  !  luttait  à  Paris  contre  l'adversité. 
Econduit,  comme  auteur,  à  l'Opéra  où  il  avait 
été  présenté  par  Moyorbeer ,  il  était  refusé, 
comme  choriste,  moins  heureux  en  cela  que 
Berlioz,  dans  un  petit  théâtre  des  boulevards 
où,  las,  découragé,  la  misère  l'avait  conduit. 
Ayant  appris  que  Léon  PiUet,  le  diroclour  de 
l'Opéra,  à  qui  il  avait  lu  lo  scénario  du  Vais- 
seau-Fantôme et  qui,  le  trouvant  à  son  goût, 
voulait  bien  acheter  l'idée,  mais  non  recevoir 
l'ouvrage,  avait  divulgué  son  sujet,  Wagner, 
h  bout  de  ressources,  et  pour  ne  pas  tout 
perdre,  se  décida,  à  contrc-canir,  à  vendre, 
pour  la  France,  moyennanl  .'iOO  francs,  le  sujet 
du  Vaimeau-FantoMe . 

Avec  cotte  ])elite  somme  il  se  réfugia  à 
Mcudon,  dans  une  maison  isolée,  près  des  bois. 
S'étant  procuré  un  piano,  il  se  demandait 
anxieusement,  assis  devant  le  clavier  que 
depuis  de  longs  mois  il  n'avait  pu  [jarcourir,  si 
les  difficultés  do  la  lutte  pour  la  vie  n'avaient 
pas  tari  la  soui'ce  de  ses  inspirations  arlis- 
ti<pies.  Timidement ,  il  ébaucha  quelcpies 
accords,  s'enhardit  cl,  improvisant  tout  h  coup 
avec  joie,  avec  transport,  constata  <pie  la 
misère,  ayant  trempé  son  àmi^  n'avait,  au 
contraire,  qu'affiné  son  goùl  ailisliipic  ! 

En  (|ucl((ues  semaines  les  Irois  nc-lcs  du 
Va'mwau-Fantûme  élaienl,  poème  et  musique, 
achevés.  Celle  même  année,  lo  0  novembre  18'i-2, 
l'opéra  en  deux  actes  que  M.  l'aul  Koucher 
avait  écrit  d'a|)rès  le  livret  que  Wagner  avait 
vendu  au  directeurdc  l'Opéra,  et  dont  M.  Dieiscli 
avait  composé  la  niusii|iio,  rlail  jnui''  nn/.e  fois 
sans  aucun  succès. 

Wagner  connut  lo  sujet  du  Vdinxiiiii-Fniilnia)' 
il'une  façon  émouvante  :  en  IH.'i'.i,  vcu.uil  de 
liiga   où   il   était    alors    directeur   musical    du 


théâtre,  il  allait,  pour  la  première  fois,  en 
France.  Le  navire  sur  lequel  il  s'était  embarqué 
fut  assailli  au  cours  de  la  traversée  par  une 
effroyable  tempête  qui  dura  plusieurs  jours, 
forcé  de  chercher  un  refuge  sur  les  côtes  de 
la  Norvège.  Impressionné  par  le  merveilleux 
et  terrifiant  spectacle  dos  vagues  en  furie, 
Wagner  ne  quittait  pas  le  pont  du  navire,  et, 
entre  deux  manœuvres,  pendant  de  brèves 
accalmies,  se  faisait  conter  par  les  matelots  la 
légende  du  Vaissoau-P'antômo,  qu'il  connaissait 
d'ailleurs  d'après  l'article  qu'Henri  Heine  avait 
fait  sur  l'œuvre  de  Fitzball,  auteur  dramatique 
anglais  —  qui,  inspiré  par  le  roman  du  capitaine 
Marryat,  avait  écrit  un  mélodrame  sur  ce  sujet. 
Dans  son  Dictionnaire  infernal,  Collin  do  Plancy 
mentionne  et  décrit  cette  légende  qui  a  pris 
naissance  à  l'épocpie  dos  grands  voyages  mari- 
times du  xvi''  siècle.  Ruvant  des  yeux  et  de 
l'esprit  le  cnpIivajH  siioclaclo  dos  éléments  en 
courroux,  Wagner  ri'sohil  de  Iraduiro  par  une 
œuvre  d'art  ses  iin|uessii)n-^  île  passager.  Cette 
œuvre  d'arl,  (■'e^l  l'cnn crlure  ecUèbre  ol  gran- 
diose doni  l'oi-ehesh-Mlidn  es|  si  bien  0(]ui- 
libréo,  (pioi  qu'en  disenl  corlains.  l'^lle  fut 
e\éculée  pour  la  première  fois,  à  Paris,  sous  la 
direction  de  Wagner,  lo  2ii  janvier  18(i0,  aux 
concerts  du  théâtre  dos  Ilaliens. 

Fuyant  la  tempête,  le  navire  de  Haland 
(M.  iiolhommo)  jette  lanere  dans  un  fjord. 
Après  avoir  reconnu  lo  pays  où  il  s'abrite,  il 
v.i  se  reposer,  conli.int  dans  la  vigilance  de  son 
pilote  (M.  ("arbonnol,  (pii,  exténué  do  titigue, 
s'endort  en  rêvant  h  sa  belle.  Peu  apiès,  un 
immense  vaisseau  jolie  bruyammoni  son  ancre, 
amenant  avec  lui,  de  nouveau,  la  lonipolo. 

Les  agrès  se  nianaMivrenl,  les  voiles  se  car- 
gui'iil,  l'équipage  s'agilo  sans  bruit,  tandis  que 
lo  Hollandais  (M.  nouvel),  capitaine  do  ce  vais- 
seau,unissant  sa  voix  aux  ruini-urs  dos  Ilots,  se 
lanienle  el,  dans  un  superbe  monologue 
lyri(|MO,  d('peint  son  désespoir. 


VAISSEAU-FANTOMK 


s'écric-l-il  avec   ferveur.  Mais  le  doute  élrcinl 


son  âme.  L'iiicxoi'al)le  fatalité  pèse  sui'  lui  !  De 
son   supplice  rien  n'a  pu   le  délivrer  ! 

Daland  sort  de  sa  cabine,  raille  la  vigilance  de 
son  pilote,  et,  abordant  le  Hollandais,  engage  la 
conversation,  le  questionne  et  parvient  faci- 
lement Ji  connaître  le  plus  cher  de  ses  vœux. 
En  échange  des  richesses  que  le  Hollandais 
lui  offre,  Daland  donnera  la  main  de  sa  fille 
Senta.  Ce  marché  conclu,  ils  appareillent  cl  se 
remettent  en  roule. 


Chantent  au  deuxième  acte  les  jeunes  fdlcs 
(|ue  Marie  (M""  Delorn)  gourmande.  Senta 
(M""  Marcy),  qui  reste  des  heures  entières  à 
rêver,  les  yeux  fixés  avec  attendrissement  sur 
le  portrait  d'un  marin  dont  on  lui  a  conté  les 
infortunes,  est  raillée  pour  sa  paresse. 

Pressée  par  ses  compagnes,  Senta  chante  une 
ballade  qui  n'est   que   la   légende  du  Vaisseau- 


Fantôme.  Ayant  fait  serment,  un  jour  d'orage, 
do  dompter  les  Ilots,  dût-il  lutter  à  jamais,  le 
Hollandais  fut  condamné  par  Satan  à  errer 
éternellement.  Dieu  eut  pitié  de  lui  et  lui  fil 
espérer  la  fin  de  sa  peine  le  jour  où,  abordant 
la  terre  une  fois  tous  les  sept  ans,  il  trouverait 
un  cœur  fidèle.  S'exaltant,  Senta  se  suggestionne 
et  s'écrie,  toute  vibrante  d'amour  : 


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Los  jeunes  filles  s'effrayent  et  son  fiancé  Erik 
(M.  Jérôme)  lui  demande  désespérément  si  elle 
l'aime  toujours  et  si  au  retour  du  père  il  peut 
espérer  sa  main.  Senta  ne  désavoue  pas  ses 
promesses  passées,  mais  elle  lui  avoue  que  son 
amour  est  plus  faible  que  sa  pitié  pour  ce  Hol- 


landais. Hallucinée  par  ce  portrait,  elle  s'écrie  : 
Il  vient  à  moi!  je  dois  le  voir!  Erik  s'enfuit  épou- 
vanté tandis  que  Daland  et  le  Hollandais  en- 
trent :  saisie,  fascinée,  Senta  ne  songe  même 
pas  à  se  jeter  au  cou  de  son  père  à  qui  elle  de- 
mande instantanément  :  Que!  est  cet  étranger? 


LK    VAISSEAU-FANTOME 


133 


répond-il  ù  so  fille  :  cl,  à  mi-vnix,  il  (IciiKinde  avi 
Hollandais  ijui  conlemple  Srula  ;  L'ai-Je  dé- 
peinte trop  charmante?  de  tant  d'attraits  cs-ta 
contait? 

Les   laissant  seuls,  il  se  relire  discrètement, 
après  avoir  dit  à  sa  lille  ;  (Jti'il  soit,  si  ton  irrur 


(.'npoco  meno  soslenuto.        ^'s 


le  désire,  ton  Jiancé  ce  soir,  et  demain,  ton  époux. 

Émus,  doutant,  lui,  de  la  promesse  divine 
accomplie,  elle,  de  la  réalité  de  son  rêve,  ils  se 
causent  avec  un  mutuel  embarras. 

Peu  à  peu,  la  conversation  s'anime,  et  frai;- 
chemenl,  le  Hollandais  demande  à  Seula  ; 


PIAXO 


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L  !•;    \  A  I  s  s  IC  A  U  -  !■•  A  N  ï  O  M  E 


rc-pos  qiio    j'es  -  pè       -       rr,  Puis-je  comp.ter  sur       la  fî.di;     .     li 


re  Que    ton  des  .  tin  te        ton     .   damne        à  ^u 


LE    VAISSEAU-FANTOME 


coeur!  "^  De  f*^  lour.nniits    (pjVn    .     fin  j 


L  K    \'  A  I  S  S  !•:  A  L'  - 1"  A  N  T  O  M  K 
avec  émotion. 


LK  \"  A I S  S  i:  A  u  -  F  A  N  T  (  j  M  i;; 


Senla  est  certaine  de  son  incliranlaljle  fidé- 
lité, le  Hollandais  entrevoit  le  salut  prochain, 
et  Daland  revient  pour  savoir  ce  qu'ils  ont  dé- 
cidé. En  présence  de  son  père,  Senta  avec 
une  solennelle  résolution  jure,  jus([u"à  la  mort, 
fidélité  au  Hollandais  qui  s'écrie  triomphale- 
ment :  Ah!  Venfir  est  le  moins  fort  ! 

Le  troisième  acte  nous  montre  les  deux  na- 
vires mouillés  l'un  à  côté  de  l'autre  dans  un 
)ietit  port  norvégien.  D'un  côté,  la  maison  de 
l)aland;  de  l'autre,  des  rochers.  Cet  acte  débute 
])ar  un  choral-duo  entre  le  gai  équipage  norvégien 
et  les  sinistres  matelots  du  Vaisseau-Fantôme 
qui  raillent,  au  grand  elTroi  des  jeunes  filles, 
les  éphémères  amours  du  Hollandais. 

La  terreur,  l'épouvante  s'empare  des  Norvé- 
giens ;  partout  la  mer  est  calme,  excepté  le 
long  des  flancs  du  navire  maudit  où  elle  est  en 
furie.  Peu  à  peu,  les  uns  s'étant  enfuis,  les 
autres  s'étant  tus,  le  calme  revient,  les  flots 
s'apaisent. 

Senta  entre  eu  scène  poursuivie  par  Erik  ipii 
la  conjure  de  lui  dire  s'il  doit  ajouter  foi  à  la 
nouvelle  de  son  mariage  avec  le  Hollandais. 
Douloureusement  émue,  Senta  regrette  le  dés- 
espoir d'Erik;  mais  entre  le  bonheur  de  celui 
qu'elle  aime  et  la  rédemption  de  celui  auquel 
elle  se  dévoue  fatalement,  elle  n'hésite  pas. 
Ayant  tout  entendu,  le  Hollandais  désespéré 
siffle  son  équipage  qui  chantait  tout  à  l'heure  : 

Que  mugissent  vents  et  flots, 
Pour  nos  voiles  nul  repos! 
Satan  même  les  tissa. 
Nul  orase  n'y  mordra! 

11  veut,  renonçant   à  jamais  à  la  réalisation  de 
son  espoir,  quitter  la  terre.  Peiu--ta  douter  d'un 
cœiir   sincère!  s'écrie   désespéi'émcMl   Senta. 
Se  souvenant  de  l'arrêt  falal  du  (Irsliu  ; 


Seule  dt' me  ^.■ïu. Vit   ujir   ff-niniec^t  < 

murmure  le  Ilolland.iis  ;  puis  il  ajoute  :  Apprends 
quel  est  Vliorrihle  eliàtiiiient  ijue  le  destin  réserve  à 
l'infididc  !  Damnation  éternelle  ! 

Je  te  connais,  je  connaissais  tcm  -.m-l,  : 
Je  savais  tout  (piand  je  l'ai  vu  iralicinl; 

De  ti-i  lonrrnents  voiri  la  lin! 
Oui,  ma  liilrl]l(>  IV. 1.1  l.m  Naliil  cvrlaiii! 

lui  répond  Senla  avec  une  l'uni' siirrial  urcllc. 

Erik  aflolé  .apprllr  .111  sr.niiis  Dalaiiil,  Marie, 
tout  le  mondr!  MajrsInruN,  Ir  Huila  inia  is,  vou- 
lant relever  Senla  de  son  miii,  lui  ilil   : 

Non!  lu  ne  sais  i-ii-n,  iiicui  soit  l'i-sl  iiii-innui! 
Demande  aux  llols,  dun  p.Mi-  .'1  lanljc, 
Au  nialeliit  vieilli  qui  |iai|..iil   navigua  ,' 
Ils  le  dininl  quel  navire  est  le  iiùli-e; 


et  d'un  superbe  geste  de  défi  il  !,'écrie,  on 
montant  rapidement  sur  son  bord  qui  s'éloigne 
au  milieu  des  hurlemeids  de  joie  victorieuse 
de  ses  infernaux  nautonicrs: 


Le      Vaisseau    fan  .  tù    .    me 


d.fil 


Senta  veut  le  suivre.  Daland,  Erik,  Marie  la 
retiennent.  Mais,  se  dégageant,  elle  leur 
échappe;  et  gravissant  le  rocher  ([ui  s'avance 
dans  la  mer,  elle  lui  répond  avec  enthousiasme  : 
Gloire  à  ton  ange!  gloire  à  sa  loi! 


jus. qu'à  la       mort —   je 

et  se  précipite  follement  dans  les  flots. 

Comme  si  un  charme  magique  eût  été  rompu 
instantanément,  le  Vaisseau-Fantôme  s'abîme 
dans  les  flots  et,  montant  vers  l'infini,  Senla, 
dans  les  bras  du  Hollandais,  lui  montre  le  ciel 
clément  réserve  aux  bienheureux! 

Certains  disciples  wagnériens,  ridicules  par 
leurs  excès  de  zèle,  ont  trouvé  celle  repré- 
sentation inutile.  Estiinaid  que,  lorsqu'il  s'agit 
d'une  géniale  personnalilé  arlistiipu'  comme 
Wagner,  il  n'est  rien  (pi 'on  ne  doive  connaître, 
enlendre  et  approfondir,  tant  dans  la  vie  que 
dans  r(ouvre  du  M.aitre,  je  suis  loin  d'élre  de 
leur  avis. 

Le  Vaisseau-Funtôiue  esl,  dans  l'ieuvre  et  la 
vie  de  Wagner,  une  dalr  qu'il  esl  Ixin  de 
médiler,  le  commenecnieiil  ilHiir  évidulion 
(pi'il  serait  ridicule  de  nier;  cui  y  di-eouvrc  à 
ehaipic  iiislaiil  les  b(''i;ayeiuenls  d'um'  gigan- 
losipir  fiiiiiiule  arlislique  que  nous  retrou- 
verons, spleiiiliil.'ineid  iqiaiiouie,  dans  l'arsi/a!, 
dans   Tris/, m  ri  Ysni/t. 

J  y  (-(inslalc  1111  ]iiiissanl  riieuiiiMgemeiit  pour 
les  ji'uues  luusirieus  qui,  iic\isaul  pas  au  génie 
subit,  (l.iii;ni'raiciil  (liiiuu'r  eiuisrieucieusement 
et  progressi\ciui'ul,  cnuiine  Wagner,  ni  plus  ni 
moins,  la  iiicsiur  approximalive  de  leur  talent, 
(le  leiii-  génie,  ilaiis  le  cas  où  ils  seraieul  gra- 
liliés  de  ce  derniiT  ddii. 

De  son  vivaiil.  W.i^uer,  persuadé  que  M.  Car- 
valhn  élail  cl  ser.iil  le  direelcur  de  ses  lèves, 
lui  faisail  enlendre  ses  ,1  uvres,  M.  A.  de  (!as- 
periiii  mais  raeoiile  dans  un  de  ses  l'euillelons 
luusie.iux  ces  mémorables  audil ions  où  Wagner, 
de  sDii  uu''diocre  talent  de  pianiste,  du  chant 
de  sa   \i)i\    arehifausse,    éner\ail.   deeourageail , 


imp: 


sion     qu  il     (I. 


it    de 


ses  iiiivres,  M.  Carvalho.  Les  plus  graves  re- 
prcielies  que  l'dn  .lil  Iroiné  à  faire  à  cet  (cuvrc 
siml  ;  les  répi'dilinus  de  mots,  \cs  r/rujipelli,  les 
fins  de  phrases  eadeueees  à  l'ilalieune: 


I.  !•:    V  A  I  s  s  i:  AL'-  !••  A  N  T  0  M  V. 


de  son  se  .  le    elle  est 

et,  f;uit-il  l'avouer  aussi,  la  signature  ilo  l'au- 
Icur  de  la  tétralogie  au  bas  des  pages  d'une  par- 
tition romanticpio. 

Les  sévères  critiques  qui  ont  accueilli  la  pre- 
mière du  Vaisseau-Fantôme  sont  dues  à  la  dé- 
ception que  le  monde  artistique  a  éprouvée  en 
voyant  la  façon  dont  cet  ouvrage  a  été  monté, 
exécuté.  Qui  ne  se  souvenait  alors  des  belles 
interprétations  du  13  janvier  18G7  et  du  0  fé- 
vrier 1881  :  ^lles  comptent  parmi  les  plus  purs 
titres  de  gloire  du  regretté  Pasdeloup. 

Cotte  pièce  au  sujet  fantastique  n'a  rien  de 
fantastique  ni  dans  ses  décors,  ni  dans  ses  cos- 
tumes. L'art  tbéàtral,  cette  illusion  fictive  de 
l'irréalisable,  n'a  donné  à  l'Opéra-Comique 
qu'une  impressipn  mesipiine.  C'est  le  navire 
d'Haydée  cl  le  bateau  de  Si  jetais  roi,  retapés, 
rafistolés,  accouplés;  mais  c'est  loin,  bien  loin 
d'èlre  un  vaisseau  fantasti<[ue,  surnaturel! 

Les  artistes  qui  cbanlent  cette  œuvre  ont  l'air, 
en  exagérant  l'appui  vocal  des  rares  dissonances 
qui  s'y  trouvent,  de  criti<|uer  Wagner  de  n'en 
avoir  p.is  mis  plus.  Il  eût  été  désirable  que  le 
Vaisseau-Fantôme  (ùl  chanlé  tel  qu'il  a  été  écrit, 
et  que  les  passages  de  facture  italienne  fussent 
chantés,  franchement,  à  l'italienne.  A  l'orchestre, 
les  rythmes  n'en  sont  plus  :  ou  c'est  trop  lent, 
ou  c'est  trop  hàtif;  en  un  mot,  c'est  une  exé- 
cution   bâclée.    Heureusement    que  la    palette 


chromatique  des  sons  cl  des  rythmes  musicaux 
<|ui,  majestueusement,  se  déroule  dans  l'ouver- 
ture, a  été  suffisante  pour  nous  donner  l'illusion, 
la  vision  de  ce  navire,  œuvre  de  l'homme  et 
jouet  des  éléments!  Cette  magistrale  évocation 
précèdect  met  on  lumière  le  drame,  non,  l'épopée 
du  dévouement  rédempteur!  Car  il  ne  faut  pas 
l'oublier,  la  rédemi)tion  de  l'homme  coupable 
par  l'amour  dévoué  d'une  femme  pure  :  telle  est 
la  portée  philosophique  et  occulte  de  cet  opéra. 
Quand  je  pense  rpie  le  chœur  des  fileuses,  ce 
bijou,  est  tombé  à  plat,  lui  qui  est  et  a  été  bissé 
partout!  Cette  délicieuse  page  musicale  si  fine, 
si  spirituelle,  est  prise  dans  un  mouvement  si 
vif,  (pie  ce  n'est  plus  un  rouet  <iui  bourdonne, 
mais  une  machine  à  coudre  qui  travaille  aux 
pièces.  G  profane  négligence  artistique,  tu  nous 
prouves  que  le  plus  clair  des  soucis  de  la  direc- 
tion a  été  de  présenter  l'ouvrage  n'importe  com- 
ment, assurée  et  certaine  que  le  nom  de  Wagner 
serait,  sur  l'affiche,  un  pavillon  suffisant. 

Espérons  que  le  Vaisseau-Fantôme,  comme 
Roméo  et  Juliette,  reviendra  un  jour  à  l'Opéra 
où  dans  M°"  R.  Caron  il  eût  trouvé  une  Senta 
idéale.  Ce  n'est  pas  que  M""  Marcy  ne  soit  une 
bonne  artiste;  mais  je  la  vois  mieux  à  son  af- 
faire, à  tous  les  points  de  vue,  dans  le  rôle  de 
Nicolte  du  Pré-aux-Ckrcs.  M.  Jérôme,  qui  ne 
semble  pas  se  douter  que,  comme  Wagner  le 
dit  dans  ses  Notes  et  observations,  Erik  le  chas- 
sant ne  doit  pas  être  un  pleurard  sentimental, 
mais,  au  contraire,  un  impétueux,  véhément  et 
sombre,  tel  que  doit  l'être  un  solitaire,  chante 
avec  un  goût  beaucoup  trop  exquis  la  cavatine 
du  deuxième  acte  : 


r  lY  I'   r~r   \^  ^^  \-    Mf  ^ 


tou    .    jours 


dont  la  formule  italienne  est  plus  mélancolique 
que  désespérée  :  on  dirait  une  fleur  d'Italie 
éclose,  loin  du  soleil,  dans  une  serre,  en  un 
pays  brumeux. 

"  Celui  qui  chanterait  la  cavatine  du  troisième 
acte  d'une  façon  douceâtre,  dit  toujours  Wagner 
dans  ses  Notes  et  observations,  me  rendrait  un 
mauvais  service  »  ;  et  le  Maître  qu'on  a  tant 
accusé  d'intransigeance  pousse  la  condescen- 
dance si  loin  envers  l'artiste  interprète,  qu'il 
lui  permet  de  changer  ou  de  supprimer  à  sa 
guise,  et  selon  ses  moyens  vocaux,  les  traits  et 
cadences  qui  pourraient  le  gêner. 

Si  le  feu  purifie  tout,  l'amour  rénove  l'âme! 


Tel  est  le  dogme  enseigné  dans  les  collèges  sa- 
crés de  l'Inde  :  telle  est  l'épigraphe  que  Wagner 
eût  pu  écrire  sur  la  première  page  de  cette  belle 
et  symbolique  partition,  qu'il  écrivit,  comme 
on  a  pu  le  voir,  avec  une  rapidité  pour  ainsi 
dire  inimitable,  mais  bien  compréhensible,  si 
l'on  songe  que  pour  une  nature  aussi  ardente 
la  procréation  artistiaue  de  cette  œuvre  fut 
comme  un  délassement  béni  des  travaux  fasti- 
dieux auxquels  il  avait  dû  jusqu'alors,  pour  du 
pain,  sacrifier  son  temps. 

Guillaume    D.\nvebs. 


LE    MONDE    MODERNE 


Août   1897 


LE    DISPARU 


Peu  à  peu,  les  groupes  devinrenl 
compacts.  Un  b.ruit  de  voix  contenues 
s'élevait,  pareil  à  celui  qui  anime  les 
rues  aux  jours  de  grand  marché.  Bré- 
cliard,  qui  servait  un  client,  cria  : 

—  Hé  I  Silvain,  ne  vas-tu  point  goûter 
de  ce  vin?  Il  y  a  le  temps  encore  :  on 
ne  connaîtra  pas  les  résultats  avant  une 
demi-heure  ! 

Silvain,  sans  approcher,  examina  les 
tables  couvertes  de  verres.  L'ombre 
tombanl  des  tonnelles  tigrait  de  verts 
et  de  jaunes  les  visages  des  buveurs. 

—  Honne  journée,  n'est-ce  pas?  Tu 
voudrais  des  élections  chaque  dimanche. 

Indilléreul  en  ap|)arence,  le  caliarelieE- 
répondit  : 

—  Bah  !  je  ne  tiens  pas  au  ballottage  : 
pourvu  que  le  pays  marche,  que  la 
récolte  doinie.. . 

Il  parlil  ensuile  d'un  celai  de  rii'e 
sournois  ; 

—  Voilà  le  caridichil  qui  va  clierclier 
ses  bulletins  I... 

Tous  les  yen\  se  dirigri'eiil  d'un 
même  côté.  .M.  Bnisleni  arrlvail  imi 
cll'rl.  Il  marchail  à  pas  lenis,  eseorlé 
par  l'insliluleiir.  Il  scmlilall  a\  nir  omI>II(' 
ce  compagnon  de  hasard.  Seules,  des 
afliclies  ronges  el    pnrlanl   : 

liliOST  KM 

C.MiKliihil    (In   Cnn-L-il   tc.-Tiéi-^l 

ahsdi'h.iient  son  allenlion.  \',n  a\'anl 
d'elles,  1rs  blouses  bleues  des  pavsans 
mellaicnl  des  lâches  luisanles  sur  la 
poussière  de  la  place.  Le  soleil  cares- 
sait aussi  de  rellels  roses  les  loils  en 
luiles.  1,'inslitulenr,  qui  se  picpiail  d'art, 
montra  ce  spectacle. 

--  llein-eux  présagi\  monsieur  \ti  dé- 
|)ulé;    ce  soii-,  le  pays  e>l  tricolore. 


M.  lîrosten  haussa  légèrement  les 
épaules  ; 

—  Vous  êtes  poète,  monsieur  Dro- 
mol  ? 

—  A  mes  heures;    c'est  de  mon  étal. 
L  n    sourire    bonhomme   erra   sur   les 

lèvres  de  M.  Dromol,  qui  continua  : 

—  X'ous  ne  croyez  pas  aux  présages  : 
vous  avez  raison.  Mieux  vaut  compter 
sur  soi;  si  j'étais  de  vous,  je  me  défie- 
rais même  de  mes  amis.  Nous  vivons 
dans  une  époque  agitée.  Tel  qui  semble 
tenir  un  pays  dans  sa  main  et  com- 
mander à  l'opinion  disparait  tout  à 
coup.  On  se  trouve  compromis  avant 
de  l'avoir  seulement  soupçonné. 

M.  Brosleni  interrompit  sèchement  la 
tirade  : 

—  C'est  bien,  n'insistez  pas. 

El  comme  l'anxiélé  le  rendait  ner- 
veux, il  exhala  sa  mauvaise  humeur. 

—  \'ous  jouez,  mon  cher  Dromol,  un 
jeu  dangereux.  Loin  d'aider  les  pouvoirs 
publics,  vous  enireteiiez  ici  nu  état  de 
réaclion...  regrettable.  Hier  encore, 
M.  C.avaroc  me  coidiail  avoir  à  se 
plaindi-e  de  \ous.  C.'esl  un  lort.  Quelles 
que  siiienl  les  l'aisons,  l'hostilité  entre 
l'oiiclionnaii-cs  l't  mandataires  du  peuple 
n'csl   |)as  suppcii-lalile. 

M.   Dromol  s'était  arrêté. 

-M.  le  maire  désire,  je  le  sais,  mon 
changement,  lit-il  d'un  ton  ironique. 

Il  attendit  une  dén(''galion  (pii  ne  vint 
|)oinl.  Ses  lè\  res  lines  semblèrent  en- 
suile s'aunrulr  :  un  IVisson  courut  sur 
I  ('■|iidei-nu'  de  sou  visage  rasé.  Il  dé- 
tourna brns(pu'ment  la  tèle  et,  s'adi'CS- 
sanl  au  groupe  le  plus  \oisiu,  il  cria 
d'une  voix  sonore  : 

—  N'avez-vous  pas  \u  M.  C.avaroc? 
M.  le  député  réclame  M.  Cavaroc!... 

(Jiielipi  ini   répondit  aussitôt   : 


].i:  1)1  s  l'A  m 


—  Il  est  sans  doute  ii  la  mairie. 
Agacé,    AI.   Urosteni   dul   serrer   des 

mains,  répondre  à  des  saluts.  Ce  métier 
de  candidat  lui  semblait  absurde  :  il 
regrettait  d'être  venu. 

Cependant  la  phrase  de  M.  Dromol 
passait  de  bouche  en  bouche  : 

—  Où  est  Cavaroc?  Chi  réclame 
Cavaroc... 

L'annonce  que  l'instituteur  cherchait 
le  maire  amenait  des  clignements  d'yeux 
entendus.  IJréchard  murmura  : 

—  Pour  sûr,  l'instituteur  médite  un 
coup  ! 

Certains  esliniaient  ([uc  le  conllit  aigu 
qui,  depuis  un  an,  séparait  l'école  et  la 
mairie,  allait  enfin  se  liquider  :  on 
pariait  en  faveur  de  Dromol.  Une  bouf- 
fée d'air  balaya  la  place.  l>a  poussière, 
s'élevant,  couvrit  les  blouses  d'un  duvet 
fin;  les  deux  lauriers  qui  décoraient 
l'auberge  plièrent  comme  des  ressorts. 
L'impatience  d'attendre  avait  saisi  les 
choses  elles-mêmes,  lùilin  la  porte  de  la 
mairie  s'ouvrit  :  Cavaroc  apparut. 

Il  était  grand  et  maigre.  Des  yeux 
bleus  tirant  sur  le  gris  ef  des  moustaches 
très  blanches  éclairaient  son  visage.  Il 
était  vêtu  sans  recherche  ;  mais  on  de- 
vinait aisément  son  désir  d'être  pris 
pour  un  gentilhomme  campagnard.  Ses 
gestes  provoquaient  de  même  une  im- 
pression double  :  ils  étaient  à  la  fois 
pleins  de  bonhomie  et  géométriques. 
S'étant  arrêté  sur  le  perron  qui  précé- 
dait la  mairie,  il  enveloppa  la  place  d'un 
coup  d'œil  circulaire  et  dit  : 

—  Il  y  a  trois  cent  neuf  \oix  contre 
sept... 

Les  trois  cent  neuf  voix  appartenaient 
à  son  candidat  :  l'ajouter  lui  eût  semblé 
superflu. 

Des  murmures,  un  bruit  d'étonne- 
ment,  accueillirent  la  nouvelle.  Sans 
aucun  doute,  le  résultat  était  prévu  : 
cependant  une  pareille  majorité  dépas- 
sait les  attentes. 

Bréchard  déclara,  en  tapant  dans  ses 
mains  : 

- —  C'est  un  rude  homme  que  Cavaroc. 


Un  paysan  répliqua  : 

—  M.  Dromol  aura  le  dessous. 
Beaucoup     approuvèrent,     trouvant 

mauvais  celle  fois  le  cas  de  l'instituleur. 

M.  Brosleni,  avanvanl  à  la  rencontre 

de  Cavaroc,  le  salua  d'un  geste  rapide  : 

—  Mon  cher  Cavaroc,  combien  je 
suis  heureux  de  ce  succès  qui  est  le 
votre... 

Il  balbutia  ensuite  des  remerciements. 
Suivant  toute  probabilité,  l'énorme  ma- 
jorité obtenue  à  Bauilhac  assurait  l'élec- 
tion. Le  pays,  d'ailleurs,  n'aurait  pas  à 
s'en  repentir... 

Cavaroc  écoulait,  sans  interrompre. 
Les  phrases  du  député  le  caressaient 
délicieusement,  mais  il  demeurait  impas- 
sible. Puis,  cette  musique  de  gloire 
s' arrêtant  : 

—  Allons  diner,  dit-il,  le  télégraphe 
nous  renseignera  plus  tard. 

Il  traversa  la  foule,  traînant  à  son 
bras  le  député.  Tous  les  regards  étaient 
fixés  sur  lui.  C'était  bien  le  roi  de  Pauil- 
hac  qui  passait  là,  roi  dont  aucune  con- 
stitution n'atténuait  l'autocratie.  De 
temps  à  autre,  il  s'adressait  à  des  pas- 
sants privilégiés  : 

—  Ça  va  bien?...  Ah  !  le  sol  nian()ue 
de  pluie...  mauvaise  année... 

Apercevant  au  bout  de  la  place 
M.  Dromol  qui  l'examinait  mécham- 
ment, il  serra  plus  fort  le  bras  du  dé- 
puté et  eut  un  rire  muet. 

M.  Brosteni  murmura  : 

—  Je  lui  ai  fait  la  leçon  :  il  a  promis 
d'être  plus  sage. 

Cavaroc  répliqua  sèchement  : 

—  Je  sais  ce  que  valent  ses  promesses. 
Tous  deux  sortirent  du  village. 

Le  chemin  montait  doucement  entre 
des  lisières  de  bois,  escorté  par  la  ligne 
souple  des  ombres  mouvantes.  La 
marché  était  enveloppée  d'odeurs  tièdes 
que  répandaient  çà  et  là  les  grappes  des 
acacias.  M.  Brosteni  prit  son  chapeau  à 
la  main  et  avança  tête  nue.  Cavaroc, 
inattentif  en  apparence,  suivait  d'un  pas 
régulier.  Une  porte  aux  vantaux  dis- 
joints apparut.  Un  chien  aboya  derrière 
elle.  Cavaroc  cria  : 


LE    DISPARU 


—  Tais-toi,  Scijîion  I 
Et    s'eiraçant,  il  invita  M.   Brosteni 
pénétrer  dans  la  cour. 
Ils  étaient  arrivés. 


la  jeunesse  n'a  pas  lleurie,  dont  la  vieil- 
lesse même  ne  parvient  pas  à  elTacer  la 
disgrâce. 

Cavaroc  coupa  court  à  ses  révérences. 


.M Cavai'oc     accourut.    Sa     hiulcur 

était  singulière.  V.Uc  avait  dos  cheveux 
crépus  enfermés  dans  une  résille,  des 
lèvres  épaisses,  des  yeux  ipie  gnnll.iit  la 
myopie.  Rien  no  subsislail  en  elle  de  la 
grâci'   l'éuiuiiue.   l'allé  i-lail  ili'   celles  (pie 


iuer  est  il    ])rèt  ?   nous  avons 


Elle  rougit,  promil  (piavaul  un  rpiarl 
d'heure  toutes  chose-;  seraieni  prèles,  et 
s'éloigna  [leureusenieul. 

M.  Brosteni  la  suivit  des  yeii\. 
(Jnelles  raisons  avaient  guid.'  Cavaroc 
en  répoiisanl.'lls'élonnail  qu'un  homme 
de  celle  amhition  eùl  pu  s'accommoder 
d'un  tel   voisinage.  I^llc  était    trop  laide 


i.i;  iiisi'Aitr 


pour  avoir  jamais  rempli  le  rôle  de  scr- 
vanle  mailrcsso.  Ou  l'assurail  de  mince 
l'orluno.  11  (Tul  remarquer  aussi  (|uc  ses 
gestes  élaieul  trop  soumis;  leur  ellace- 
mcnl  semblait  dii  à  une  volonté  attentive. 
Il  dit  enfin  avec  un  sourire  de  conve- 
nance : 

—  M""'  Cavaroc  est  toujours  la  ména- 
gère excellente  que  j'ai  connue. 

Cavaroc  haussa  les  épaules. 

—  Il  faut  laisser  les  femmes  à  leur 
cuisine. 

l''t  il  proposa,  pour  tuer  le  temps,  un 
lour  de  jardin. 

De  celui-ci,  on  apercevait  l'ensemble 
de  la  colline  dévalant  vers  le  villaffc. 
Les  sillons  en  s'éloignant  dessinaient  les 
arêtes  d'un  éventail  lleuri  par  la  ver- 
dure des  blés  nouveaux.  ÇU  et  là,  les 
sainfoins  et  les  colzas  faisaient  des  taches 
rouges  ou  jaunes.  Une  haie  géante  de 
peupliers  fermait  l'horizon. 

M.  Brosteiii,  que  la  campagne  en- 
nuyait, demanda  pour  prendre  une  con- 
tenance : 

—  Ce  sont  là  vos  terres,  sans  doute? 
Cavaroc,  étendant  les  bras,  parut  ba- 
layer l'espace. 

—  Tout  est  à  moi.  J'ai  aussi  acheté 
une  vigne,  mais  vous  ne  pouvez  l'aper- 
cevoir d'ici.  Mauvaise  aifaire.  d'ailleui-s. 
Même  avec  de  bons  champs,  le  proprié- 
taire exploite  à  perte. 

—  Pourquoi,  dans  ce  cas,  agrandir 
votre  domaine?  interrompit  M.  Bros- 
teni. 

—  Eh  !  demandez-moi  aussi  pourquoi 
je  suis  maire,  pourquoi  je  m'occupe  de 
politique  et  de... 

Cavaroc  s'arrêta;  mais  le  député  com- 
prit ce  qu'il  taisait.  Il  éprouvait  un 
brusque  ennui  d'être  le  débiteur  de  ce 
rustre. 

—  Sept  heures,  dit-il  en  tirant  sa 
montre.  Je  m'étonne  de  n'avoir  pas  en- 
core de  nouvelles  :  il  n'est  pas  certain, 
après  tout,  que  Pauilhac  m'assure  le 
siège. 

Cavaroc  eut  un  sourire  de  mépris  : 
il  allait  répondre,  mais  il  fut  surpris  par 
la  voix  de  M'"*  Cavaroc. 


Celle-ci,  venue  sans  bruit,  disait  : 

—  La  table  est  servie... 

En  même  temps  elle  tendit  une  dépê- 
che à  son  mari  :  il  y  avait  quarante-deux 
voix  à  Saint-Î^ever. 

Ils  retournèrent  lentement  vers  la 
maison. 


Dîner  de  province.  Les  mets  étaient 
comme  les  hôtes,  solides  et  rustauds.  La 
liste  en  fut  interminable.  De  temps  à 
autre,  de  nouvelles  dépêches  arrivaient. 
L'élection  s'affirmait.  L'âme  légère, 
M.  Brosteni  fit  sonner  ses  amitiés  minis- 
térielles : 

—  Je  lui  ai  dit  :  «  Mon  cher  ministre, 
ce  que  vous  me  demandez  là  est  impos- 
sible. »  Il  m'a  répondu  :  «■  Cependant, 
mon  ami...   » 

Il  s'étendit  ensuite  sur  des  aventures 
de  couloirs.  Le  bruit  vain  des  papotages 
parlementaires  étourdissait  les  convives. 

Cavaroc  répliqua  par  des  histoires  de 
chasse.  Il  dénombrail  les  perdreau.x  qu'il 
avait  tués.  Le  lièvre,  hélas!  disparais- 
sait. Une  loi  nouvelle  sur  le  braconnage 
serait  seule  capable  d'arrêter  cette  dé- 
population d'un  nouveau  genre.  En  réa- 
lité, l'élection  du  jour  occupait  unique- 
ment leurs  deux  pensées. 

Assise  à  l'extrémité  de  la  table.  M™*  Ca- 
varoc demeurait  silencieuse.  Elle  sur- 
veillait le  service  fait  par  une  paysanne, 
ou,  la  tête  basse,  disparaissait  dans  son 
assiette.  A  une  ou  deux  reprises,  M.  Bros- 
teni surprit  son  regard  arrêté  sur  Cava- 
roc :  il  crut  y  lire  une  ironie.  L'éclair 
ensuite  s'évanouissait,  faisant  place  à 
une  expression  résignée  de  bête  de 
somme. 

—  Cette  ombre  aurait-elle  une  vo- 
lonté? songea  M.  Brosteni;  mais  il  sou- 
rit de  cette  idée  comme  d'un  enfantil- 
lage. Depuis  qu'il  venait  dans  la  maison, 
M'""  Cavaroc  était  semblable.  On  la  disait 
malheureuse  :  la  plupart,  cependant, 
assuraient  qu'elle  était  incapable  d'en 
soulTrir.  Aucun  ne  l'aurait  soupçonnée 
méchante. 


LE    DISPARU 


—  Où  diable  vais-je  mettre  des  ro- 
mans ?  (it  encore  le  député,  et  se  tour- 
nant vers  elle,  il  la  complimenta  sur  la 
crème. 

M""'  Cavaroc  rouyit.  La  servante  in- 
terrompit ses  remerciements.  Elle  ap- 
portait enfin  un  papier  bleu  résumant 
les  scrutins.  Cavaroc  l'ouvrit  : 

—  Vous  êtes  élu,  dit-il. 

M.  Brosteni  soupira  :  il  éprouvait  un 
plaisir  indicible. 

—  Un  paysbien  administré,  répondit- 
il,  vote  toujours  dans  l'intérêt  de  la  Ré- 
publique. Celle-ci  vous  sera  reconnais- 
sante, —  je  vous  1  assure. 

Un  silence  suivit,  comme  si  Cavaroc 
eût  voulu  donner  pi  us  de  solennité  à  cette 
promesse  banale. 

Cavaroc  reprit  ensuite  d'une  voix 
tranquille  ; 

—  Je  ne  vous  cacherai  pas,  mon  cher 
député,  que  je  compte  sur  cette  recon- 
naissance. 

M.  Brosteni  lit  un  geste  équivoc^ue  : 
réclamer  aussitôt  le  payement  des  ser- 
vices rendus  lui  semblait  de  mauvais 
goût. 

—  l'y  a  six  ans  déjà  que  je  suis  à  la 
tète  de  la  municipalité,  continua  Cava- 
roc, oui,  six  ans...  Si  je  ne  me  trompe, 
c'est  la  troisième  bataille  que  nous 
livrons  ensemble...  .le  me  sens  fatigué. 
D'ailleurs,  il  est  temps  de  renoncer  à 
des  prérogatives  dont  aucun  plaisir  ne 
compense  les  ennuis. 

M.  Brosteni  interrompil  avec  Inquié- 
tude : 

—  SongejMC/.-vous  à   (piilter  le  pays? 

—  Oui  et  non.  ,1e  ré\'e  une  silualion 
plus  stable... 

D'une  voix  calme  tpii  ne  supposait 
aucune  contradiction,  (Cavaroc  exposa 
sa  requête.  Il  désii'ait  être  nommé  juge 
de  paix  dans  l'arroEidisscmenl .  Il  |)(iMr- 
rail  auisi  re-lcr  ciicin-e  ,i  l'aiulliac  ri 
sin'vcillcr  ses  propriétés. 

Ce   que    vous    demanilez    esl    bien 
difficile...  commenta  M.  Brosteni. 

Cavaroc   l'arrêta   net  : 

—  Il  n'y  a  rien  de  difficile  ici-bas. 
--  Des  litres  sont  nécessaires... 


—  J'ai  fait  jadis  mon  droit  :  quant 
aux  titres  politiques,  vous  savez  mieux 
que  personne  ce  qu'il  en  est. 

La  phrase,  dite  rudement,  sonna  comme 
une  mise  en  demeure.  AL  Brosteni  baissa 
la  tête.  11  acquiesçait.  Un  éclair  de  triom- 
phe illumina  les  yeux  gris  de  Cavaroc. 

—  Ce  n'est  pas  tout  :  je  réclame  le 
déplacement  immédiat  de  Dromol. 

M.  Brosteni  sursauta  ; 

—  Cavaroc,  c'est  de  la  folie  ! 
Cavaroc  donna  un  coup  de  poing  sur 

la  table  : 

—  Je  vous  répète  que  j'exige  ce  dé- 
part 1 

—  Mais  enfin  quel  motif... 

—  Le  motif?... 

Subitement,  les  lèvres  de  Cavaroc 
s'étaient  décolorées;  une  fureur  le  se- 
coua : 

—  Il  y  en  a  mille.  N'a-t-il  j)as  osé 
prétendre  que  j'étais  ruiné!  .Ah!  ah! 
ai-je  donc  l'air  d'un  gars  ruiné?  Ave/.- 
vous  par  hasard  dîné  chez  un  homme 
sans  le  sou!  Pour  un  peu  plus,  on 
jurerait  que  je  vole  la  caisse  munici- 
pale ! 

AL  Brosteni  haussa  doucement  les 
épaules  : 

—  Des  niaiseries... 

Et  il  chercha  du  secours  au  hasard. 

—  \'ovons,  madame,  aidez-moi  donc 
à  le  persuader. 

.Mais  il  s'arrêta  nel.  M""'  Cavaroc  cou- 
vrail  (le  nou\f,iu  Sdu  mari  du  même  ro- 
gaiil  ii'<inl(pie  ili''|à  sui-pris.  TimiI  eiilière 
à  uiu'  joii'  eonlenue,  elle  n'avait  pas 
enlendii. 

f'inpiirh''  ])ar  sa  colère,  Cavai'oc  cnn- 
liinia  : 

Le  voleur,  c'est  lui!...  lui  qui  l'ail 
payer  ses  meubles  sur  les  fonds  de  la 
coninnine,  sous  prétexte  de  réparei- 
l'écdle.  l'',l  ces  jonrs-ci  encore... 

l'ai-eilles  au\  maillons  d'une  cliaiiie. 
il  dél.iilla  les  péripélics  de  celle  rivalilê 
(le  villa-e  :  (•(iinine  la  pluparl  (lc~  haines, 
celle-ci  reposail  moins  sur  des  faits  pré- 
cis (pie  sur  des  seul imeiils.  A  mesure 
(pie  Cavaroc  s'exallail,  ses  joues  s'em- 
pourpraienl    de   colère.  Parfois,  il   frap- 


I,K     DIS  l'A  HT 


pail  la  table   et   la  lampe  semblait  tres- 
sauter (le   frayeur.   Attentive,    M'""  Ca- 
varoc  marquait  son  assentiment. 
Soudain  la  (lomesli<|ue  entra  : 

—  M.  Droniol  ileinaïule  à  parler  ù 
M.  le  maire. 

Cavaroc  étouira  un  juron  et  se  rctour- 
nanl  vers  M.  lirosteni  : 

\()us  entendez  I  cria-t-il.  Je  ne  suis 
même  plus  chez  moi  :  il  vous  savait  ici 
et  il  vient...  à  dix  heures  du  soir... 

Son  corps  se  détendit  comme  un  arc; 
il  se  leva  cl  poursuivit  d'une  voix  ton- 
nante ; 

—  Je  vais  lui  dire  que  c'est  chose  faite, 
que  vous  l'avez  promis,  qu'il  partira!... 

—  Cavaroc,  vous  vous  excitez  inuti- 
lement, répliqua  M.  Brosteni,  cherchant 
à  l'arrêter;  mais  déjà  Cavaroc  avait 
quitté   la  salle.  On   l'entendit  descendre 

dans   la   cour.   M Cavaroc,  assise  à  sa 

place,  ciinliiuiail  de  sourii'e. 

Dehors,  il  faisait  une  nuit  sereine.  Le 
ciel  étincelail  comme  une  chasuble  de- 
vant les  cierges  du  chœur.  Cependant 
le  brusque  passage  de  la  lumière  à  l'ob- 
scurité aveugla  Cavaroc.  Il  s'arrêta  sur 
le  seuil  de  la  maison.  L'idée  que 
^L  Brosteni  ferait  droit  à  ses  demandes 
enchantait  son  orgueil.  11  aspira  à  pleins 
poumons  la  brise  fraîche,  et  songeant 
que  cet  air,  pour  arriver  jusqu'à  lui, 
avait  dû  balayer  ses  champs,  que  le  pays 
tout  entier  était  devenu  son  bien  non 
disputé,  il  eut  un  rire  silencieux.  Le 
monde  devait  être  heureux  puisque  lui- 
même  1  était...  Au  même  instant,  un 
corps  se  détacha  de  l'ombre.  Cavaroc 
reconnut  la  silhouette  mince  de  l'insti- 
tuteur; il  demanda  sèchement  : 

—  Est-ce  vous,  Dromol? 

—  Moi-même,  monsieur  le  maire. 
Leurs  voix  contrastaient  étrangement  : 

l'une  très  sonore,  gontlée  par  un  reste 
de  colère;  l'autre  mince,  d'une  légèreté 
afTectée  et  sournoise. 

—  On  ne  dérange  pas  les  gens  à  pa- 
reille heure,  vous  devriez  le  savoir. 

—  J'espère  bien  aussi  n'être  pas  venu 
inutilement. 


M.  Uromol  lit  mine  de  chercher  dans 
sa  poche  et  en  tira  des  papiers. 

—  Je  viens,  reprit-il,  pour  êlre  payé. 
J'ai  besoin  d'argent  :  non  pas  que  j'a- 
chète comme  vous  des  terres,  mais  les 
temps  sont  durs  el  j'ai  des  échéances. 

Cavaroc  avait  fait  un  haut-le-corps  : 

—  ■  Ah  va!  vous  êtes  fou!  je  ne  vous 
dois  rien. 

—  Je  vous  demande  pardon  :  j'ai  là 
trois  billets  à  votre  nom  ;  (i,(K)0  francs; 
une  misère  |)our  vous... 

M.  Di'omol  s'avança  vers  la  porte  : 

—  Nous  ferions  mieux  d'entrer,  mon- 
sieur le  maire,  vous  pourriez  vérifier. 

D'un  geste  violent,  Cavaroc  lui  saisit 
le  bras  pour  l'arrêter: 

—  Tu  mens,  balbulia-t-il,  ce  n'est  pas 
possible...   c'est  un   chantage... 

L'n  Ilot  de  sang  avait  incendié  ses 
joues  :  une  envie  brusque  d'écraser  cet 
homme  rétouHait.  .Merle,  et  sans  émo- 
tion apparente,  M.  Dromol  se  dégagea  : 

— •  Ah  !  monsieur  le  maire,  dit-il  avec 
un  rire  sardonique,  si  c'est  ainsi  que 
vous  parlez  all'aires!... 

11  lit  ensuite  craquer  une  allumette, 
l'approcha  de  ses  papiers  : 

—  Nous  disions  :  trois  billets,  1  un  de 
.'jOO  francs  que  m'a  cédé  Chaplou,  l'autre 
de  '2, .')((((  francs  que  m"a  cédé  Bréchard, 
et  un  dernier  de  3,000  francs  qui  me 
vient  de  l'adjoint.  Ils  sont  payables  de- 
puis déjà  quatre  mois. 

Il  soupira  : 

—  Dame,  on  a  confiance  en  vous.  J'ai 
pris  votre  nom  pour  de  l'argent  comp- 
tant. Tout  le  monde  jusqu'ici  a  fait 
comme  moi.  Quand  vous  achetiez  des 
terres  sans  même  donner  d'acompte,  on 
se  disait  :  «  M.  le  maire  est  solide; 
mieux  vaut  loucher  des  intérêts  régu- 
liers qu'une  somme  ronde,  c'est  plus 
commode  et  aussi  sûr.  «  Ah!  par  exem- 
ple, si  l'on  venait  à  apprendre  que  vous 
avez  failli  m'étrangler  tout  à  l'heure  et 
pour  quelle  raison... 

M.  Dromol  jeta  par  terre  l'allumette 
enllammée,  laissa  passer  une  seconde, 
puis  conclut  : 

—  Le  crédit,  vous  le  savez,   est   une 


LK    DISPARU 


Ix'te  qui  vil  longtemps;  mais  elle  meurt    j    porter  sa  fortune.  Un  souflle  d'air  Tétei- 
aii  premier  coup.  I    f^nit.  Il  se  lit  un  silence. 


l)MUcenient  1  allunic'llc  Cdiil  iiiiiail  de 
llaud)er,  uiell.inl  uni-  pehie  laelie  de  lu- 
mière sur  le  saille  de  la  cdur.  (',a\aroe, 
sans    ri'piindre.  la    regardait,    cnninie    si 


-     lié  l)ien.'  demanda   M.   I»rnni.>l. 
Cavaroc   sendila    sortir  <l  un    i-é\e  ;     il 
il  eiilin  d'une  \(ii\  saeeadee  : 

.le  ne  veu\  na>  vous  paver  .mjoiM-- 


eetle  linnir  vacillante  <m'iI  nu'naeé  dem-    '    d'Iuii...    non    pas   ipie    |e   sois   ou    pei 


I.K    DISl'Alll- 


d'ar^'enl ,  mais  parce  qu'il  s'agit  de 
vous.  J'aurais  l'air  de  céder  à  vos  me- 
naces... 

De  nouveau,  M.  Dronidl  |)artil  d'un 
éclat  de  rire  sonore  : 

—  Des  menaces!  Je  voudrais  bien 
savoir  quel  est  ici  le  plus  menacé?  Rien 
n'assure  au  contraire  qu'une  partie  de 
cet  argent  n'acquittera  pas  les  frais  d'un 
déménagement...  dont  je  vous  serai  re- 
devable. 

Les  yeux  de  Cavaroc  flambèrent; 
peut-être  l'instituteur  n'avait-il  eu  qu'un 
but  :  s'épargner  la  disgrâce  attendue. 

—  Vous  vous  trompez,  Dromol...  dit-il 
brusquement.  Je  voulais  même  vous 
l'aire  pari  d'un  projet  :  nous  devrions 
être  amis... 

M.  Dromol  haussa  les  épaules  : 

—  La  politique  n'est  pas  de  mon  goût  ; 
je  vous  ai  déjà  dit  que  nous  parlions 
aiïaires... 

—  Soit,  reprit  Cavaroc,  parlons  af- 
faires :  peut-être  pourrons-nous  encore 
nous  entendre.  Vous  connaissez  ma 
vigne.  Elle  vaut ,  je  n'exagère  pas, 
7,000  francs. 

Mais  Dromol  l'interrompit  : 

—  Non,  monsieur  le  maire,  pas  de 
vigne  en  payement.  Je  ne  suis  pas  un 
propriétaire,  moi,  je  ne  sais  pas  cultiver. 
Yous  avez  promis  de  l'argent  liquide  : 
c'est  de  l'argent  que  je  veux. 

Cavaroc  releva  sa  haute  taille  d'un 
mouvement  farouche  : 

—  Dans  ce  cas,  vous  avez  ma  réponse  : 
je  ne  paye  pas  aujourd'hui. 

—  Est-ce  votre  dernier  mot  ? 

—  Le  dernier. 

M.  Dromol  eut  un  sourire  méchant  : 

—  Je  regrette...  je  regrette...  Je  serai 
forcé  demain  matin  de  me  procurer  cet 
argent  comme  je  pourrai.  Il  y  a  des 
moyens,  mais  quand  on  saura... 

D'un  geste  large,  il  parut  évoquer  la 
légion  de  créanciers  qui  allait  surgir  à 
son  appel  :  puis,  s'étant  incliné  brusque- 
ment, il  partit. 

Cavaroc,  immobile,  regarda  s'éloigner 
l'ombre  mince  :  une  seconde,  elle  s'ef- 
fara dans  le  noir,  reparut  ensuite  briève- 


ment sur  le  fond  blanc  de  la  muraille: 
elle  s'évanouit  enfin.  Alors  seulement  il 
secoua  ses  épaules  furieusement,  comme 
pour  les  décharger  du  poids  de  la  cata- 
strophe qui  arrivait.  Il  rentra  ensuite, 
très  calme,  dans  la  salle  à  manger. 

—  Rien  de  nouveau?  demanda  M'"" Ca- 
varoc d'une  voix  éteinte. 

—  Rien,  répondit-il. 

Les  coudes  sur  la  table,  .M.  Mrosleni 
achevait  un  cifrare. 


Ayant  allumé  une  simple  bougie, 
M""'  Cavaroc  éteignit  la  lampe  qui  avait 
éclairé  le  repas.  Immobile  devant  la 
fenêtre,  Cavaroc  la  suivait  du  regard. 

L'une  après  l'autre,  les  boites  en  vieux 
maroquin  furent  remplies  par  les  cuil- 
lers et  les  fourchettes.  Au  moment  où 
l'on  tournait  la  clef,  la  serrure  cédait 
avec  un  bruit  sec  et  l'écrin  secoué  son- 
nait le  métal.  Ce  fut  ensuite  le  tour  des 
couteaux,  du  sucrier.  Méthodiquement 
M""  Cavaroc  faisait  disparaître  ces  us- 
tensiles somptueux,  décoration  des 
grands  jours. 

Elle  dit  enfin  : 

—  J'ai  fini. 

Puis,  se  tournant  vers  son  mari,  elle 
demanda  : 

—  Viens-tu  te  coucher? 

—  Non,  laisse  une  lumière... 
M""^  Cavaroc  reprit  : 

—  Tout  à  l'heure,  en  te  quittant, 
M.  Brosteni  n'a  plus  parlé  de  la  justice 
de  paix.  J'ai  peur  qu'il  ne  tienne  pas  sa 
promesse.  Quant  à  Dromol,  il  restera... 

On  n'aurait  pu  deviner  au  ton  ambigu 
dont  la  phrase  était  dite,  s'il  s'agissait 
d'une  simple  crainte  ou  d'une  certitude. 

—  Les  femmes  n'y  entendent  rien, 
mêle-toi  de  ce  qui  te  regarde. 

—  Bonsoir... 

—  Bonsoir... 

Elle  sortit  à  pas  lents.   Il  resta  seul... 

D'abord  il  épia  les  bruits  possibles, 
et  le  silence  que  la  nuit  mettait  sur  la 
maison.  Il  évitait  de  penser,  ne  s' occu- 
pant que  de  puérilités,   repoussant  une 


LE    DISPARU 


chaise,  ramenant  un  rideau  ou  portant 
la  bougie  sur  le  secrétaire  qui  ornait  un 
coin  de  la  salle.  Il  avait  conscience  d'un 
poids  énorme  pesant  sur  lui,  mais  n'es- 
sayait pas  de  se  dégay^er  :  l'heure  de 
la  chute  avait  sonné ,  il  s'y  résignait 
sans  révolte  apparente,  presque  sans 
colère... 

D'un  geste  rude,  il  ouvrit  le  secré- 
taire, saisit  au  milieu  des  papiers  un 
compte  griffonné,  puis  le  rejeta  :  à  quoi 
bon  lire?  Les  noms  de  ses  créanciers 
étaient.  Dieu  merci  !  dans  sa  mémoire  : 
également  le  montant  de  ses  dettes,  — 
chiffre  formidable  pour  lui,  70,000  fr. 
environ.  Quoi  qu'il  essayât,  l'aventure 
était  sans  issue.  Comme  l'avait  annoncé 
Uromol,  tous,  dès  le  lendemain,  allaient 
accourir  et  provoquer  la  faillite. 

—  La  faillite  I 

Il  eut  un  geste  elVaré  et  murmura  : 

—  Que  d'efforts  perdus!.,. 

Seul,  son  orgueil  souil'rait  à  eu  crier. 
Cet  orgueil  avait  été  sa  vie  même  :  par 
lui  et  pour  lui,  il  avait  agi,  lutté,  souf- 
fert. Dès  sa  venue  au  pays,  quand,  avocat 
envieu.x  et  pauvre,  il  avait  pris  posses- 
sion de  la  maison  palernelle,  il  rêvait 
déjà  de  devenir  le  maître  du  pays.  Tous 
ses  actes  avaient  depuis  lors  tendu  vers 
ce  but  :  autoritaire  et  égoïste,  il  avait 
masqué  sou  visage  de  bonhomie  scr- 
viable;  couvraul  le  |i,iysan  d'un  indi- 
cible mépris,  il  axait  jniu'  ,iu  paxsan, 
parlant,  vêtu  cnmnic  lui:  sachant  cntiii 
que  la  Içri'e  seule  appcii-ti-  du  icspi't-t,  il 
avait,  pour  coiu|uérir  cette  terre,  ('puisr' 
tous  les  arlilices  du  crédit... 

En  rêve,  il  parcourut  ce  domaine 
qu'une  heure  auparavant  il  cioyail  en- 
core sien.  ('Jia([ue  nouveau  t'hamp,  h3'p<)- 
lliéqiK'  avant  même  (pie  d  être,  \-  avait 
servi  à  L;a;;er  les  sui\-ants.  Ce|)endanl 
eonnni'  il  l'annait  !  I,a  ])(isses>iiiii  du  sul 
lui  iinpiirtail  |icu;  mais  par  elle,  rien 
que  par  elle,  il  avait  pu  graiulir  son  cré- 
dit, devenir  (îavaroc  —  Cavaroc  grand 
êlccleiir  du  ])ays  —  Cavaroc  ami  du  dê- 
[)iiti'  (-avaroc  maire...  Une  seule  l'ois, 
tant  (le  lortiine  a\ail  failli  s'évanouir. 
IJrêeliard,   dans    un    aee('s   de    ni(''liaiiec. 


était  venu,  comme  Dromol,  réclamer  un 
payementj)resqueimmédiat.  Pour  échap- 
per à  la  catastrophe,  Cavaroc  s'était 
marié.  Mari-ige  de  hasard,  opération 
commerciale  de  médiocre  bénélice,  et 
souvent  regrettée.  Mais  depuis  !  rien  qui 
eût  arrêté  son  essor  :  tout  à  l'heure, 
même,  l'élection  Brosteni  consacrait  sa 
puissance...  Soudain,  pour  une  somme 
infime,  une  misère  —  pouvoir,  grandeur, 
tout  s'écroulait  ! 

Lu  long  frisson  agita  Cavaroc.  Des 
injures  lui  vinrent  aux  lèvres.  Et  son- 
geant à  Dromol,  il  s'étonna  :  quelle  pres- 
cience éclairait  cet  homme?  Durant  leur 
longue  lutte,  il  avait  toujours  frappé 
juste.  Cette  fois  encore,  sa  demande  ar- 
rivait au  lendemain  d'échéances  lourdes, 
quand  il  n'y  avait  ni  argent  ni  rentrées 
prévues  dans  la  maison. 

Cavaroc  eut  tout  à  coup  l'inluition 
d'une  police  mystérieuse  faite  autour  de 
sa  personne.  Le  pays,  dont  il  s'était  cru 
maître,  lui  apparaissait  hostile.  Peut- 
être,  à  cette  heure  même,  des  yeux  sur- 
veillaient-ils sa  solitude.  Une  peur  irrai- 
sonnée l'eijvahit.  Il  éteignit  brusquement 
la  lumière,  descendit  à  tâtons  et  revint 
dans  la  cour. 

Quelle  nuit  claire!  On  entendait  un 
murmure  à  travers  les  branches  et  des 
chuchotements  lointains.  Les  feuilles 
d'un  platane  dressé  près  de  la  porte 
brillaient,  comme  des  vers  luisants,  sous 
les  rayons  de  lune.  In  repos  inliiil  avait 
absorbé  l(uites  les  force>  vivantes  et  les 
ber(;ait. 

I.ciitcmcnl  Cavaroc  se  dirigea  vers  le 
jardin.  La  (pieslion  (pi'il  s'était  ell'orcé 
jusque-là  d'éviter  se  posait  enlin  devant 
lui.  Que  faire?  Tieudrail-il  tête  à  l'orage? 
Kallail-il  escompter  un  impossible  salut 
on  céder  à  la  fatalité? 

Il  regarda  autour  de  lui  :  les  silbouedes 
des  fourrés,  les  pla.pics  violctt.-  des 
champs,  la  maison  ibuit  la  toiture  était 
arrondie  en  l'orme  de  meule,  toutes  ces 
choses  —  et  elles  seulement  '.  lui  te- 
naient au  eieui-.  Ce[ieii(laul  eond)ien 
maintenant  il  les  sentait  moins  à  lui  : 
(laiis(pi('l(pie>  jours,  des  iiieoii  il  us  choisis 


LK  1)1  S  l'A  au 


au  hasard  des  enclières  en  prendraient  i  lit  tout  de  suite  sa  résolution  fut  ar- 
à  leur  leur  possession.  Ne  semblait-il  pas  rêtée;  il  partirait.  Il  avait  ici  joué  et 
déjà  qu'elles  l'eussent  abandonné  ?  perdu   :    .lilletirs.    I;i   cIkiuci'   sei\iil   plus 


m" 


Il  selForça  d'imaginer  sa  vie,  s'il  res- 
tait. Quelle  revanche!  Tous  ceux-là  qui 
s'étaient  aplatis  devant  son  pouvoir 
viendraient  à  la  curée. 

Il  se  vit  haï,  vaincu,  traqué...  Son 
orgueil  eut  un  cri  : 

—  Mieux  vaut  disparaître I... 


clémente.  Il  n'éprouva  même  au- 
cune anxiété  à  la  pensée  de  l'ave- 
nir: il  se  sentait  assez  fort  pour  le  domi- 
ner, quel  qu'il  fut. 

D'un  pas  ferme,  Cavaroc  retourna 
vers  la  maison.  Point  de  bagages  à 
prendre —  ils  sont  un  embarras  —  mais 
de  l'argent.  Dans  la  salle,  il  ouvrit  de 
nouveau  le  secrétaire,  retira  d'un  tiroir 
un  billet  de  cent  francs  et  de  la  menue 
monnaie —  toute  l'encaisse.  Il  eut  ensuite 
un  rire  muet  : 

—  Quel  étonnement  demain! 
Et  il  songea  : 

—  Ce  sera  ma  femme,  sans  doute,  qui 
s'en  apercevra  la  première... 

Sa  femme!  Pas  une  seconde  il  n'avait 
pensé  à  elle.  Une  occasion  avait  été  né- 
cessaire pour  en  évoquer  le  souvenir. 
Mais  aussi,  à  dire  vrai,  avait-elle  jamais 
compté  dans  sa  vie?  Qu'il  regrettât 
l'existence  passée,   ses  champs,  sa  de- 


LE    DISPARU 


meure,  c'était  naturel  et  logique  ;  mais 
elle!  à  quoi  bon?  Elle  avait  été  une  façon 
de  servante  probe  et  inintelligente, 
propre  aux  achats  ou  à  la  surveillance 
de  la  basse-cour  :  rien  de  plus.  L'avait- 
elle  aimé,  qui  le  sait?... 

—  Bah!    elle  sera  bien  débarrassée... 
Il  saisit  une  plume  et  écrivit  sur  une 

feuille  de  papier  : 

«  Je  disparais.  Les  affaires  allaient 
mal.  Tu  n'es  pas  obligée  de  payer,  mais 
il  t'appartient  de  t'en  tirer,  comme  je  le 
fais  moi-même.  » 

Et  il  relut,  coûtent  du  style.  l»es 
adieux  compliqués  et  seulimenlaux  eus- 
sent été  ridicules?  Ce  billet  ne  laissait 
rien  ignorer,  pas  même  le  lourd  fardeau 
des  complications  linancières  laissées 
pour  compte.  11  suffisait.  Cavaroc  le 
mit  en  évidence  sur  une  table,  puis  len- 
tement cette  fois,  descendit... 

Aucun  émoi  n'agitait  son  cn-ur;  nul 
remords;  la  l'aillite,  l'abandon  de  sa 
fenmic  n  avaient  aucune  valeur  morale 
à  ses  yeux.  Dans  l'escalier,  il  huma 
l'odeur  singulière  de  blé  germé  qui  y  ré- 
gnait et  la  trouva  détestable.  l<]n  arrivant 
dans  la  cour,  d  cul  seulement  un  court 
regret  : 

—  Si  j'emmenais  Scipion  ?  songea-t-il. 
Mais    il   réiléchit  que  le   chien    serait 

une  dépense.  Il  approcha  de  la  niche, 
voulant  au  moins  donner  une  caresse  à 
la  bêle.  Scipion,  réveillé  en  sursaut,  se 
mit  à  aboyer. 

—  \'eux-lu  te  laire!  cria  (Cavaroc 
sin'pris,  cl  il  le  frappa  d'un  coup  de 
pied. 

Au  même  instant,  niic  Icncire  s  cui- 
vril;  iinpiiétée  sans  ddulc  par  le  bruit, 
M""'  Cavaroc  demanda  il  ; 

—  Qui  est  là? 

—  (Test  moi,  dit  Cavaroc.  .\e  te  tour- 
mcnle  |)as.  .le  me  |)romène... 

—  Oui,  promène-toi,  (u  as  raison... 
L'ironie,    certainement    involontaire, 

de  la  ré|)onse  lit  tressaillir  (lavaroc. 

.Après  une  dernière  hésitation,  il  se 
dirigea  vers  le  jardin.  Immobile,  M'""  Ca- 
varoc restait  ;'i  la  l'enélre  et  surveillait 
celle  fuite... 


11  mena  une  vie  errante  et  désolée. 

Tour  à  tour  répétiteur  de  baccalauréal, 
jardinier,  débardeur,  puis  mendiant,  il 
connut  les  incertitudes  du  lendemain, 
les  jours  sans  pain,  les  nuits  sans  gite. 
Ses  cheveux  blanchirent,  et  parfois  ses 
bras  étaient  si  alourdis  qu'il  craignait  de 
ne  les  pouvoir  soulever. 

Il  eut  des  colères  farouches  contre  la 
société,  sans  éprouver  pourtant  des  re- 
mords au  souvenir  des  gens  de  Pauilhac 
qu'il  avait  ruinés,  et  la  haine  de  la  vie, 
sans  jamais  désirer  le  suicide. 

Ses  joies  furent  rares  et  singulières. 
U  racontait  aux  gueux,  ses  pareils,  qu'il 
avait  été  jadis  riche  et  redouté.  Sa  voix 
montait  alors  comme  pour  un  récit  d'épo- 
pée. U  finissait  par  des  injures,  criant  à 
ces  misérables  qu'il  n'était  point  de  leur 
race  et  qu  il  les  méprisait. 

D'autres  fois,  il  errail  dans  la  cam- 
pagne. Les  jiaysans,  élonni'S  par  son 
regard  inquiet  et  ci'ait;nanl  les  incen- 
diaires, le  chassaienl.  Lui,  n  éprnuvait 
que  l'ivresse  de  rcNoii'  des  arbres,  des 
champs,  tout  ce  qu  il  ne  posséilerait  plus 
jamais...  Quelle  que  fût  sa  misère,  il  ne 
se  plaignit  pas.  Son  orgueil,  unique  sur- 
vivant du  naufrage,  l'avait   l'ail  sloïque. 

(^inci  années  passèrent. 

Tout  à  coup,  ses  volontés  furent  mo- 
dilii'cs.  Il  eul  des  icgrcis.  Le  passé  qu'il 
axail  cru  jeler  dans  l'oiilili  envahil  sa 
pensée.  Dès  ipi  il  l'erniail  li's  veux,  il 
aperce\ail  un  aulre  (Cavaroc,  le  (!avaicic 
de  jadis,  et  des  désirs  aigus  de  re\oir 
Pauilhac  l'agitaient  de  frissons. 

Un  soir,  comme  on  l'inlerrogeail,  il 
répondit  brusquemenl. 

—  J'ai  été  marié;  j  avais  uni'  bonne 
fenunc. 

I'"t  son  cu'ur  s  amollit,  .laniais  l'iicore 
il  n'avait  parh'  d'elle;  peut-être  même 
l'avail-il  tout  à  l'ail  oubliée;  mais  cette 
fois  des  souvenirs  l'inondaienl.  Comme 
il  était  heureux  avec  elle!  Les  repas 
claienl  réguliers,  .\ucune  domestique  ne 
l'aurait    soigné    ainsi.    Il    se  rappela    le 


I. !•;   DisrAiir 


calé  qu'elle  préparait.  Il  n'en  avait  plus 
revu,  avant  la  mêinc  couleur,  le  même 
arôme...  Son  éf;oïsme  identifiait  cette 
l'emnie  avec  les  bonheurs  perdus.  Il  la 
ref;  relia... 

Dès  lors,  une  curiosité  maladive  le 
prit  de  savoir  quels  événements  avaient 
suivi  son  départ.  Obstinément  il  imagi- 
nait une  scène  toujours  semblable.  Deux 
paysans  se  rcncontraienl  devant  la  mai- 
rie. 

—  Pas  de  nouvelles  de  Cavaroc?  de- 
mandait l'un. 

L'aulre  répondait  : 

—  Tout  de  même,  c'était  un  rude 
homme  ! 

Ces  mots  chantaient  en  Cavaroc.  Les 
pavsans  ajoutaient  : 

—  Mais  aussi  pourquoi  a-l-il  disparu? 
Il  a  eu  tort... 

Et  Cavaroc  répétait  : 

—  Pourquoi  ai-je  dis[)aru? 

Il  en  était  arrivé  à  oublier  la  raison. 
Cette  chose  —  une  faillite  —  était  si 
minime,  si  insignifiante  dans' la  marche 
du  monde,  ([uc  le  temps  avait  dû  en  ba- 
layer jusqu'il  la  mémoire.  En  revanche, 
le  mot  «  disparu  »  l'épouvantait.  Il  évo- 
quait l'image  d'une  chute  dans  un  trou 
de  mine.  Rapide,  une  benne  remonte  à 
la  surface  ;  les  ouvriers  qu'elle  emporte 
sont  tout  joyeux  de  l'air  plus  frais,  de 
la  lumière  qui  grandit.  Soudain,  un  bruit 
sec  de  c;\ble  qui  se  déchire,  puis  une 
course  vers  le  vide...  on  enfonce,  on  dis- 
paraît... 

Enfin,  une  irrésistible  force  l'entraîna. 
Il  résolut  de  retourner  —  ne  fût-ce  que 
durant  une  heure  —  dans  le  pays  qui 
i-ésumait  ses  désirs.  Quelle  raison  déci- 
sive le  poussait  à  cette  aventure?  Tout 
y  paraissait  dangereux  ou  inutile.  Cava- 
roc pouvait  être  reconnu  et  arrêté.  En 
cas  d'alerte,  oùdemanderasile?Safemme 
elle-même  avait  dû  vendre  la  maison 
et  quitter  le  pays... 

Il  fut  saisi  à  l'idée  de  sa  femme  errante 
comme  lui,  puis  revint  à  l'obsession, 
n'y  résista  plus.  Toute  prudence  était 
oubliée.  Il  partit. 

On  était  en   mai.    Parée   de   rameaux 


neufs,  la  nature  avait  des  sourires  de 
jeune  vierge.  Aux  coins  des  mares,  des 
iris  tournaient  leur  face  jaune  du  coté 
du  vovageur  et  le  regardaient  passer. 
Pour  plus  de  sécurité,  Cavaroc  marcha 
la  nuit;  le  jour,  il  dormait  dans  les 
fossés.  Marche  et  sommeil  enchantés.  II 
croyait  aller  vers  un  édcn.  A  mesure 
qu'il  approchait,  les  arbres  parlaient  au- 
dessus  de  sa  tête  une  langue  nouvelle  et 
familière.  Reconnaissant  un  chemin  qu'il 
avait  parcouru  jadis,  il  éprouva  une 
telle  allégresse  c(u'il  pensa  défaillir.  Et 
lorsqu'il  atteignit  enfin  la  route  qui  relie 
PauilhacàSaint-Sever,  ce  fut  une  ivresse. 
.Angoisses,  misères,  fatigues,  tout  s'éva- 
nouit; seul  le  passé  l'inonda  de  fraîcheur 
sereine.  Ce  malin-là,  le  soleil  se  levait 
radieux  comme  pour  un  triomphe.  Cava- 
roc se  jeta  dans  un  bois  pour  attendre 
la  nuit. 

—  Ce  soir,  songeail-il.  je  rentrerai 
chez  moi... 

Il  s'étendit,  trouvant  douces  les  feuilles 
mortes,  ferma  les  yeux.  Il  se  promettait 
une  félicité,  dormit  d'un  sommeil  pro- 
fond... 


Au  réveil,  leboisavaildisparu,  l'obscu- 
rité confondait  le  ciel  avec  les  branches, 
le  sol  lui-même  s'effaçait  mystérieuse- 
ment. Cavaroc  se  leva. 

—  Où  suis-je?  se   demanda-t-il.. 

Ensuite  un  mouvement  de  joie  presque 
enfantine  le  souleva  ;  il  courut  vers  la 
route. 

Par  un  singulier  phénomène,  il  n'é- 
prouvait aucune  crainte.  Le  pays  lui 
semblait  encore  sien.  Point  de  bruit 
d  ailleurs,  pour  le  troubler.  Seuls  des 
feux  isolés  et  lointains  animaient  l'ho- 
rizon. 

Tout  à  coup,  des  lignes  blanches  se 
dessinèrent  :  le  parapet  d'un  pont,  un 
clocher  en  forme  de  triangle  et  percé  de 
trous  dans  lesquels  descloches  pendaient, 
pareilles  à  des  grelots,  puis  des  meules, 
des  murailles  grises.  Le  village  apparais- 
sait. 


I.IO     DISl'AIîU 


175 


Cavaroc  se  hâta  :  il  allait  droit  à  la 
mairie.  Cette  mairie  avait  été  sa  vraie 
demeure,  résumait  ses  affections,  six 
années    de   pouvoir,   sa    ^-randeur   éva- 


Une  envie  désordonnée  de  s'enl'uir 
l'avait  saisi.  11  écouta  cependant,  immo- 
bile, cloué  au  sol. 

Les  voix  étaient  confuses,  nombreuses. 
Le  silence  d'a- 
lentour les  gran- 
dissait,  ^lainlc- 


nnuie.  Celait  elle  ([u'il 
voulait  revf)ir  la  première, 
comme  si  un  peu  du  bon- 
heur fl'antan  s'était  accro 
ché  à  ses  murailles;  vers 
elle  qu'il  se  dirigeait,  tel- 
lement enivié  qu'il  n'était 
plus  sur  vraiment  de  ne  point 
trouver  !<■  nom  île  Cavaroc  in- 
scrit en  Iclli-es  d'cii'sur  son  fronton. 
Il  iMiIra  (lan>ia  rue,  d'une  allure 
délibéri'e.  Mais  a  peine  engagé 
ci"lle-(i,  sa  joic  tomba.  Les  maisons, 
étrangement  rapprochées,  semblaient  K 
vouloir  étonifci'.  ('.<'nl  mèlies  à  p 
séparaient  de  la  place  ;  la  rue,  poinManl, 
s'alloiigeail,  dexenait  indélinie.  Le  si- 
lence même  ('lait  soni'nois.  (iavaroc 
(Mil  |iciir  cl  ralciilil   son  pas. 

Il  désirait  mainlenanl  des  passants, 
une  vie  a[)pai'eulo,  (|i[el(pie  chose  dill'é- 
ranl  de  l'innnobililé  menaçante  qui  l'en- 
lourait.  Des  voix  soudain  s'élevèrent  : 
elles  venaient  du  cabaret  de  J5récharil. 
Cavaroc  s'arrêta. 


nant  Cavaroc  élail  certain  qu'il  n'ose- 
rait plus  aller  jusqu'à  la  place.  Com- 
menl  passer  devant  les  fenélres  du  ca- 
baret? Son  cieur  se  serra  de  dés<^spoir. 
Il  avait  désiré  si  peu  de  chose,  en  somme! 
approcher  de   la    Miairic,  moins  (pic 


i.K  insi'Ani; 


cela,  pouvoir  la  regarder  à  distance!... 
Ce  rien  lui  élail  refusé.  Une  idée 
l'agi  la  : 

<(  Qui  est  maire?  .le  ne  saurai  même 
pas  ([ui  est  maire!  » 

D'un  coup  d'u'il  égaré  il  inspecta  les 
murailles  :  point  d'affiches  blanches, 
rien  qui  put  lui  livrer  lo  secret  de  la  vie 
nouvelle  animant  la  commune.  Et  tout 
à  cou[)  un  homme  apparut  au  coin  de  la 
place.  C'était  un  paysan  sortant  de  chez 
Hréchard.  II  aper(,"ut  Cavaroc. 

—  Ile!  là-bas,  cria-t-il,  qu'est-ce  que 
tu  fais?  Attends-moi  donc! 

Alors  ce  fui  une  panique.  Cavaroc 
prit  son  élan,  s'enfuil  comme  un  vo- 
leur; sur  la  route  seulement  il  retrouva 
l'espace,  l'horizon,  les  arbres  protec- 
teurs et,  s'élant  arrêté,  respira  comme 
s'il  avait  échappé  à  un  elFroyable  dan- 
ger. 

De  nouveau  le  silence  planait.  Des 
nuages  duvetés  et  lumineux  cachaient 
la  lune;  on  aurait  dit  des  écrans  de  pa- 
])icr  lin.  (-avaroc  murmura  : 

—  Je  suis  absurde...  Qui  songe  à  moi 
puisque  j'ai  disparu?... 

Il  passa  la  main  sur  son  front  pour 
en  écarter  la  sueur  et  dit  aussitôt  : 

—  Allons  plutôt  chez  moi  en  passant 
par  les  champs...  ce  sera  plus  facile. 

Il  aurait  suivi  le  chemin  les  yeux 
fermés  :  il  suffisait  de  tourner  à  droite, 
de  longer  des  luzernes  en  remontant  la 
colline.  On  atteignait  ensuite  le  jardin. 

Un  plaisir  nouveau  et  singulier  avait 
succédé  à  la  frayeur  de  Cavaroc.  Ici,  du 
moins,  les  choses  demeurées  pareilles 
semblaient  le  reconnaître. 

A  la  traversée  du  fossé  il  y  avait  au- 
trefois deux  pierres  facilitant  le  passage. 
L'une  d'elles  était  restée  en  place,  mais 
l'autre,  entraînée  par  une  pluie  d'orage, 
avait  roulé  plus  bas.  Cavaroc  la  chercha, 
puis  l'ayant  retrouvée,  sourit  de  bon- 
heur. 

En  marchant,  il  se  rappelait  certains 
arbres  ;  un  vieux  saule  étêté  dont  le 
trognon  noueux  semblait  une  face  de 
diable  ;  un  noyer,  dont  la  fourche  par- 
tait au  ras  du  sol;  il  était  surpris  de  re- 


trouver dans  sa  mémoire  des  formes  si 
précises.  Il  songeait  ensuite  : 

"  Peut-être  n'y  sont-ils  plus!  .. 

.Mais,  en  cherchant,  il  les  découvrait 
tout  de  suite,  et  son  plaisir  grandis- 
sait. 

Dans  un  champ  la  moisson  levait, 
maigrioteet  clairsemée.  Il  dit  : 

—  (.^a  ne  m'étonne  pas  :  je  n'ai  jamais 
eu  rien  de  bon  ici. 

liln  [)énétraiit  dans  le  jardin,  il  éprouva 
enfin  un  bien-être  délicieux.  Jamais,  au- 
trefois, il  n'avait  accordé  son  attention 
aux  parfums  s'exhalanl  des  géraniums 
ou  des  rosiers.  Mais,  celle  fois,  les 
odeurs  l'enveloppaient;  il  s'en  grisa. 
Celle  d'un  tilleul  dominail  toutes  les 
autres,  d'une  finesse  à  la  fois  légère 
et  savoureuse.  Des  pétales  blancs  tom- 
baient aussi  comme  dc-s  goulles,  lente- 
ment, sous  un  buisson  d'acacias. 

Cavaroc  murmura,  extasié  : 

—  I{ien  n'est  changé,  rien... 

Seuls  les  habitants  de  la  maison  ne 
devaient  plus  être  les  mêmes,  et  il  re- 
garda celle-ci.  Une  lumière  brillait  au 
rez-de-chaussée,  derrière  la  fenêtre  de 
la  cuisine.  Cavaroc  s'absorba  dans  la 
contemplation  de  cette  tache  claire, 
symbolisant  les  maîtres  nouveaux  du 
domaine.  Plus  il  la  regardait,  plus 
celle-ci  devenait  lumineuse  :  peu  à  peu 
elle  devenait  comme  un  phare,  semblait 
l'appeler,  dire  : 

"  \'iens,  tu  es  chez  loi.  Il  suffit  d'en- 
trer :  plus  de  nuits  sans  lit,  plus  de  repas 
de  hasard,  le  passé  va  ressusciter!  » 

Fasciné,  Cavaroc  approcha,  colla  son 
visage  contre  la  vitre;  puis,  blême, 
craignant  de  ne  vivre  qu'un  rêve,  il 
courut  à  la  porte.  La  lumière  n'avait 
pas  menti  :  dans  la  cuisine,  M"*  Cava- 
roc tricotait,  au  coin  de  l'âtrc. 

Il  entra  presque  paisible,  faisant  son- 
ner son  pas,  et  dit  : 

—  C'est  moi... 

Au  premier  bruit.  M'"'  Cavaroc  avait 
dressé  la  tête.  Une  tragique  épouvante 
éclaira  son  visage. 

Cavaroc  répéta  : 


Lli    DISPARU 


—  C'est  moi;  je  reviens... 

Les  lèvres  de  M""'  Cavaroc  s"aj;i- 
tèrent  ;  mais  elle  restait  muette,  frappée 
de  stupeur. 

—  Kh  bien  1  Xe  me  reconnais-tu 
pas  ? 

11  souriait  méchamment.  Leurs  re- 
j^-^ards  se  rencontrèrent  :  regards  d'une 
seconde,  mais  qui  suffirent  pour  mesu- 
rer les  changements  survenus  dans  leurs 
êtres. 

l*"lle,  presque  pareille,  ni  plus  laide 
ni  moins,  portant  encore  la  même  robe; 
seules,  les  boucles  raides  de  ses  cheveux 
avaient  grisonné.  Lui,  déguenillé,  vieilli, 
le  dos  courbé,  la  face  flétrie. 

Les  yeux  de  M""*  Cavaroc  trahirent 
une  hésitation;  une  flamme  ensuite  les 
éclaira  ;  elle  répondit  d'une  voix  sourde  ; 

—  Que  viens-tu  faire  ici? 

—  Ce  que  je  viens  faire?...  Je  rentre 
chez  moi...  Voilà. 

Chose  étrange,  la  veille  encore  il 
songeait  à  celte  femme  avec  attendris- 
sement; il  lui  avait  suffi  de  se  retrouver 
près  d'elle  pour  que  d'instinct  il  revint 
aux  intonations  rudes.  Il  avança  d'un 
pas  ; 

—  Tu  ne  m  embrasses  pas? 
lirusquement.  M""'  Cavaroc  recula. 

—  Tu  es  fou  ! 

lOlle  ajouta  d'un  ton  résolu  qu'il  ne  lui 
connaissait  pas  ; 

—  Tu  vas  partir. 

—  Partir  1 

Cavaroc  eut  un  geste  stupéfait. 

—  Quelle  plaisanterie  !  J'arrive  all'amé, 
fourbu,  la  bourse  vide  ;  je  te  croyais 
comme  moi,  errant  au  hasard;  j'arrive; 
la  maison  est  en  ordre,  on  y  trouve  la 
lumière,  le  pain,  tout  ce  qui,  depuis  cinq 
ans,  m'a  fait  di'-fauf,  et  lu  voudrais... 

Il  se  lui  ;  ses  yeux  venaient  de  ren- 
contrer encore  les  yeux  de  .M""'  Cavaroc; 
pour  la  j)rcmière  fois,  ceux-ci  décou- 
vraient leur  secret  et  disaient  tant  de 
haine  qu  un  frisson  le  secoua. 

Très  calme.  M""' Cavaroc  répliqua  ; 
Tu    le    trompes;    tu   u  es    plus  ici 
elle/  loi.  La  maison  m'apparlienl,  je  l'ai 
rachelée,  j'en  suis  la    maiircsse,   le  pos- 

VI,  —  l'J. 


sesseur  unique.  Aucune  volonté  au 
monde  ne  fera  que  lu  puisses  y  rester  si 
je  ne  veux  pas  de  toi,  et  je  n'en  veux 
pas... 

A  mesure  qu'elle  parlait,  sa  voix  de- 
venait encore  plus  sourde  et  plus  dé- 
cidée ;  elle  articula  enfin  pi-esque  bas  : 

—  Recommencer!  jamais!  jamais!... 
Cavaroc  répéta  : 

—  Recommencer?... 

II  hésitait,  ne  se  rendant  jikis  un 
compte  exact  des  mots  qu'il  venait  d'en- 
tendre, puis  éclata    d'un  rire  sonore   ; 

—  Ma  parole?  où  as-tu  l'esprit?  As-tu 
déjà  oublié  que  je  suis  ton  mari?  Ima- 
gines-tu que  je  ne  sache  plus  le  code? 
Le  mari  doit  être  où  se  trouve  sa  femme. 
Quant  aux  économies  que  tu  m'annonces, 
mes  compliments!  J'avoue  que  je  ne 
m'y  attendais  pas.  J'aurais  même  dû  te 
confier  plus  tôt  le  soin  de  mes  affaires; 
je  me  serais  évité  un  voyage  que  je  ne 
tiens  pas  à  poursuivre. 

Délibérément,  il  prit  une  chaise,  posa 
son  chapeau  sur  la  table;  il  semblait 
prendre  possession  de  son  nouveau  bien- 
être  et  conclut  : 

—  Quant  à  déloger,  non!  n'y  compte 
pas!... 

D'un  geste  brusque,  M Cavaroc  prit 

le  chapeau  et  le  jeta  sur  le  sol. 

—  Tu  vas  partir  cependant,  dit-elle 
les  lèvres  serrées,  partir  tout  de  suite, 
ou  sinon... 

Cavaroc  se  leva,  étouH'anl  un  juron. 

—  .\h  çà  !  quelle  comédie  joues-tu? 
Il  est  temps  d'en  finir... 

—  -  Il  n'y  a  pas  de  comédie.  Tu  par- 
tiras! 

—  VA  c'est  toi... 

—  Oui,  c'est  moi  :  je  le  chasse  !... 

Le  mol  cingla  Cavaroc  comme  un 
coup  de  fouet;  il  poussa  un  cri  de  rage. 

—  Pasde  bruit,  dit  froidement  .\I""t>a- 
varoc,  ou  j'a[)pelle. 

I"]lle  eul  ensuite  un  sourire  de  triom- 
phe. Montrant  la  porte  d'une  chambre 
voisine  : 

—  Le  maître  valet  courbe  là  ;  à  tout 
hasard  j'ai  pris  mes  pn^cautidus... 

|-",l    un   silence  sui\il.   (!a\aroc    passa 


LI-:    DISl'Alil' 


la  main  sur  ses  yeux  comme  pour  en 
écarler  une  vision.  Mcvail-ii?  I*-lail-ce 
l)ien  sa  femme  (|ui  parlait  de  le  chasser  ? 
Si  loin  ([u'il  remuntàt  dans  ses  souve- 
nirs, il  lavait  toujours  connue  muette, 
exécuteur  passif  de  ses  moindres  désirs. 
Soudain,  tclue,  menaçante,  elle  se 
dressait  entre  le  bonheur  et  lui!  Un  Ilot 
de  san;^  lui  monta  au\  joues.  II  reprit  : 

—  Il  se  passe  quelque  chose  que  je 
ne  comprends  pas,  ou  plutôt  c'est  toi 
qui  ne  comprends  pas!  Rci,'arde,  c'est 
moi,  moi  ton  mari  !  voilà  cinq  ans  que  je 
roule  comme  un  chcmineau.  Je  vais, 
j'erre,  j"ai  froid! —  la  nuit  dernière,  j'ai 
dû  encore  coucher  dans  un  taillis.  Kt 
j'ai  vieilli  !  Point  de  bras  pour  travail- 
ler; vois  mes  vêtements!  des  loques... 
et  puis... 

Il  balbutiait,  partafré  entre  le  désir  de 
l'allendrir  et  une  colère  le  serrant  à  la 
jiorge.  M""'  Cavaroc  écoutait  impassible. 

—  Va  puis,  tandis  que  tu  te  chaufTes, 
que  lu  jouis  de  la  maison,  que  lu  manges 
à  ton  aise,  tu  prétends  que  je  retourne 
à  celle  misère,  que  je... 

Il  s'interrompit.  L'idée  lui  était  venue 
tout  à  coup  que  celle  femme,  peut-être, 
avait  aidé  à  i)rovoquer  son  malheur. 

—  Misérable!  Tu  auras  beau  faire, 
j'ai  le  droit  de  rester,  je  veux  rester  !... 

D'un  bond,  M""'  Cavaroc  recula  jus- 
qu'à la  porte. 

• —  Jamais  ! 

Ses  lèvres  blêmirent.  La  haine  que 
tout  à  l'heure  Cavaroc  avait  lue  dans 
ses  veux  Iransligurait  son  visage.  Elle 
reprit  : 

—  Tu  n'as  pas  compris,  dis -lu. 
Ecoute  :  pendant  onzeans,j'ai  été  moins 
que  ta  domestique,  moins  que  ton  chien, 
ta  femme...  Pendant  onze  ans,  j'ai  subi 
ton  égo'i'sme,  tes  colères,  Ion  contact. 
Pas  un  acte  de  loi  qui  ne  m'ait  blessée, 
pas  un  mot  qui  n'ait  envenimé  la  bles- 
sure. Avais-je  seulement  le  droit  d'agir, 
de  désirer?  Bonne  pour  laisser  prendre 
mon  argent,  pour  soigner  la  basse-cour, 
mais  pour  être  la  femme,  allons  donc! 
Et  lorsque  lu  es  parti,  qi;and  tu  as  volé 
la   caisse   de   la    maison,   l"es-tu    même 


soucié  de  cequc  jedeviendrais  .'IJu'élais- 
je  auprès  d'un  (Cavaroc  ! 

A  mesure  qu'elle  repassait  le  martyre 
de  sa  vie  de  ménage,  elle  oubliait  toute 
prudence. 

—  Imbécile!  qui  n'a  rien  vu;  qui, 
parce  que  je  me  taisais,  me  croyait  ré- 
signée !  Les  bavards  comme  toi  font  du 
bruit,  sonnent  des  grelots.  Mais  moi, 
avec  quelle  patience  ai-je  guetté  l'heure, 
suscité  les  occasions,  préparé  celte  fuite 
par  la(|uelle  tu  [)ensais  me  surprendre  ! 
Enfin  lu  disparais;  ma  vie  recommence, 
tout  rentre  dans  l'ordre,  devient  uni, 
confortable,  calme.  Soudain,  te  voici,  et 
na'if,  tu  t'imagines  qu'après  ai'oir  recon- 
quis mon  bonheur,  je  vais  te  le  laisser 
détruire,  qu'après  l'avoir  chassé  une 
première  fois,  j'hésiterais  à  recommen- 
cer! 

—  .\insi,  interrompit  Cavaroc,  c'était 
toi!... 

Il  était  pris  de  vertige,  éprouvait  le 
besoin  de  s'assurer  encore  de  la  chose 
abominable  que  celte  femme  osait  dire. 
M""'  Cavaroc  ouvrit  les  bras:  elle  aurait 
maintenant  voulu  crier  sa  vengeance 
devant  une  foule.  La  détailler  ainsi  la 
rendait  encore  plus  complète.  Elle  eut 
un  rire  égaré  : 

—  Oui,  c'est  moi,  tu  l'as  dit!  moi 
seule!  j'ai  tout  fait!  Tu  croyais  à  une 
police  te  surveillant.  Ah  !  ah!  la  police, 
c'était  moi!  Les  billets  de  Dromol,  c'est 
moi,  toujours  moi  qui  les  avais  ra- 
chetés !... 

Elle  s'arrêla.  Pareil  à  un  halluciné, 
Cavaroc  approchait  d'elle,  disant  d'une 
voix  étranglée  : 

—  Tu  vas  payer...  payer... 

Elle  le  regarda  venir,  effarée,  certaine 
qu'il  la  tuerait,  résolue  malgré  tout  à 
ne  point  céder. 

Il  avait  serré  les  poings,  avançait  pe- 
samment comme  un  homme  alourdi  par 
l'ivresse.  Elle  sentit  son  haleine  effleurer 
ses  joues,  voila  son  visage,  et,  brusque- 
ment reprise  par  l'envie  folle  de  vivre, 
poussa  un  cri  terrible  : 

—  A  moi  !  au  secours  ! 

Un  bruit  de  lutte,  des  mots  inarticulés. 


LE    DISPARU 


une  chaise  renversée  el  qui  se  brise  sur   |        Elle  regarda  autour  d'elle,  éprouvant 
le  sol;  ensuite  un  calme  eirrayant,  deux    |    un  soulagement  immense,   puis  souril  : 


i7iiiiu(r>     (|ul     p;irui-(Mil     démesurées... 

.M (  !,i\',iripr  r.iu\i'il   les  \fux. 

IJucii  !  lieu  n'('l,iil  arrivé?  (Jel  événe- 
mriil  lra;;i(pie  ddul  elle  avait  senti  l'ap- 
|)r(icli('  Irrrilianic,  s'était  donc  éjoigui' .' 
l'ih'  vivait: 


(la\aror  mainlenanl  élail  .ii-cuK'  dans 
un  aii,:;le  <le  la  pièce  ;  devant  lui 
M.     hrnniol,     les    bras   croise-,     l'aisail 


Donne  lia  ri 


M.   Ilrouiol    partit    d'un    éclat    de 
ndciit  : 


I.K    1)1  S  l'A  HT 


—  Ah!  monsieur  Cavaroc,  c'est  donc 
chez  vous  une  iiabitude  que  de  vouloir 
6Lran{jler  les  gens! 

Le  sourire  de  M""'  Cavaroc  s'éclaira 
d'ironie. 

—  J'avais  ouJjlié  de  le  prévenir,  lil- 
ellc.  M.  Dromol  a  alTermé  la  terre  et 
c'était  lui  qui  couchait  là.  Il  n'est  plus 
à  l'école,  mais  on  l'a  nommé  maire.  Tu 
es  remplacé... 

Le  corps  de  Cavaroc  cul  une  délcnle 
brutale.  l)'un  geste  rapide,  ^L  Uromol 
arrêta  cet  élan. 

—  Allons,  cria-t-il,  du  calme!  vous 
n'êtes  plus  de  force. 

Il  prit  ensuite  les  mains  de  Cavaroc 
dans  les  siennes  ;  son  étreinte,  souple 
d'abord,  était  devenue  de  fer.  En  vain 
Cavaroc  tentait  d'y  échapper. 

—  Inutile,  n'est-ce  pas,  de  recourir  à 
de  nouveaux  arguments  pour  vous  in- 
viter à  partir?  \'enez,  c'est  moi  qui  vous 
reconduis. 

Il  l'entraîna  vers  la  porte. 

Alors,  au  milieu  de  la  pièce,  Cavaroc 
apparut  en  pleine  lumière.  On  n'aurait 
pu  savoir  s'il  était  un  être  vivant  ou  un 
cadavre  en  marche.  Un  mince  filet  de 
sang,  partant  du  coin  de  la  tempe,  avait 
glissé  sur  une  pommette,  accentuait  de 
son  trait  d'écarlale  la  rage  d'impuissance 
dont  ses  traits  étaient  convulsés. 

A  cette  vue  M""'  Cavaroc  eut  un  fris- 
son de  joie  : 

—  Oui,  dehors!  dehors  tout  de  suite! 
Jamais  peut-être  elle  n'avait  entrevu 

dans  ses  rêves  un  plaisir  de  vengeance 
si  aigu.  Elle  saisit  la  lumière,  suivit  les 


deu.x  hommes  comme  pour  les  éclairer. 
Toute  peur  était  évanouie  en  elle.  La 
lutte  cependant  recommençait  sur  le 
seuil,  lutte  silencieuse,  exaspérée;  on 
entendit  enfin  le  bruit  d'un  elfort  brus- 
que, il  sembla  qu'un  des  deux  corps 
était  jeté  dans  le  vide;  la  porte  se  ferma 
violemment,  les  verrous  grincèrent, 
Cavaroc  était  dehors. 

Il  resta  une  seconde  immobile  et  re- 
garda la  maison.  Celle-ci  élait  rede- 
venuc  paisible.  Comme  à  son  arrivée, 
la  lumière  avait  réapparu  derrière  la  fe- 
nêtre de  la  cuisine.  Mellant  sur  l'ombre 
de  la  muraille  une  tache  claire,  elle  sem- 
blait de  nouveau  sourire,  l'appeler.  Fas- 
ciné, Cavaroc  approcha... 

Soudain  il  rencontra  une  pierre  et 
trébucha.  La  conscience  des  faits  lui 
revint;  il  n'aurait  pu  crier  les  fureurs 
dont  son  cœur  éclatait,  mais  tremblait 
de  tout  son  corps.  Lentement  il  ra- 
massa la  pierre,  la  soupesa,  puis,  ajus- 
tant avec  soin,  la  lança:  un  cri  aigu 
traversa  l'air. 

Cavaroc  eut  un  rire  de  fou. 

—  Je  t'ai  touchée!  cria-t-il  d'une  voix 
éclatante,  et,  bondissant,  il  disparut  dans 
l'ombre... 

On  le  retrouva  mort,  le  lendemain, 
dans  un  fossé  de  la  roule  menant  à 
Saint-Sever.  M.  Dromol  le  fit  inscrire 
au  registre  des  décès  avec  la  mention  : 
V3f/<i/;o7i(/  inconnu. 

E.     EsT.\lMÉ. 


UNE 


SOIRÉE    CHEZ    LX    AMATEUR    D'AEFICIIES 


,1  M'iusieur  flcuc  Lohrun,  nnlaire, 
;i  Fonlenatj-aii.v-Iioses. 

Mon  cher  ami, 

Réglons  d'abord  le  passé.  Quand  vous 
êtes  venu  visiter  l'Exposition  d'Affiches 
à  laquelle  vous  avez  si  généreusement 
collaboré,  puis(|ue 
vous  m'avez  laissé 
puiser  dans  vos  car- 
tons pour  complé- 
ter la  monographie 
que  j'entreprenais 
de  présenter  au  pu- 
blic, vous  m'avez 
suggéré  de  conser- 
ver le  souvenir  de 
cet  elFort  par  la  pho- 
tographie. Le  con- 
seil m'a  paru  excel- 
lent, et  je  ne  ferai  qu'acquitter  une 
dette  en  vous  envoyant  les  épreuves  que 
j'ai  pu  obtenir.  Elles  sont  presque  toutes 


IM-.  1.  —  Lv  Tli. 


ce  fabricant  avait  vraiment  un  pres- 
sentiment de  ce  qu'on  demanderait 
plus  lard  à  l'industrie;  sa  hardiesse  l'a 
ruiné,  nous  raconte-t-on,  mais  c'est  bien 
lui  cependant  l'ancêtre  de  nos  impri- 
meurs modernes Chaix,  \'erne;ui,  (Cham- 
penois, Camis  et  autres,  et  il  est  utile 
d'en  fixer  le  souvenir,  ne  fût-ce  que  pour 
nous  apprendre  à 
savoir  être  modes- 
tes. Vous  retrouve- 
rez sans  doute  avec 
plaisH'  un  des  pan- 
neaux consacrés  à 
Chéret  où  j'avais 
réuni  comme  en  un 
éblouissemeul  les 
doiilisses  (le  l'Opc- 
r;i.  I;i  Terre,  les 
'J' ri  lis  .\/ous</iiel;ti- 
res,  etc.,  toutes  les 
belles  pages  faisant  la  gloire  de  nos 
collections. 

Passons    maintenant    au     présent     et 


1.1;. 


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Fil.'.  2.  —  Le  Théâtre.  I.i  fiice,  vue  île  hi  >Mlle 


l'ilJ.  3.  -  I.e  TlhVitl-e.  I.n  f'.v 


bien  venues,  mais  je  vous  reconnnande  1  parlons  un  peu  de  voire  absence  à  notre 

surtout  celle    du    |)aimeau    cpai    conte-  soirée     de    ces     jours     derniers.     \'ous 

uait    les  ;i /pelles  de   llouehon.  île    ISi5  |  m'avez   causé    là    un    fort   désonchante- 

//  \>>'ri .  p.ir  le  jinieé(l(''  ilii  pnpier  jietnl  :  \  meiil:    j'a\ais    espéré    que,    laissaul   de 


I,a  leUri!  ci  dessus,  iuli-css 
(loiinons  il  nos  lecteurs  iiveo 
Irnilc  d'une  l'a(;on  imprévue. 


A 


.le  11.. s    ,iiiii<,  n'.'hi 
isali.,11    de    r.mleur. 

(    pas  , 
le    suj 

lesliil,-.- 

■1     I1..US 

1  la  ,.i,l.l,e 
ivanl   p.u-i 

l.-;    M..MS    la 
nomeau  cl 

UNK    SOUtÉK     CIIKZ    UN     AMAÏKI'll     I)  A  l' l'IC  II  IJS 


Cûlé  les  graves 
occupai  ions 
professio  n- 
nclles,  vous 
pourriez  être 
des  nôtres,  cl 
je  me  faisais 
une  fêle  de 
vous  avoir 
comme  juge 
de  noire  ti- 
mide essai. 
Aujourd'hui 
que  la  perfor- 
mance a  eu 
lieu,  les  rej,'i"cts  que  me  causait  votre 
absence  ont  doublé  et  vous  pouvez  joindre, 
ajuste  raison,  les  vôtres  aux  miens,  car 
vous  avez  perdu  une  bonne  soirée.  \'os 
cliers  dossiers  ne  vous  consoleront  ja- 
mais de  nous  avoir  fait  faux  bond  ce 
jour-U^i,  surtout  quand  vous  saurez  tout 
ce  qui  a  été  fait  en  l'honneur  de  notre 
amie  coninuiiu".  1'  .(  .Affiche  moderne  ». 


Lf  Théâtre.  Vue  de  profil. 


fkv  Ctrou 


t  'RciC9S 


L'hiver  der- 
nier,  nous 
avions  réuni 
no.s  amis  et, 
tanl  bien  que 
mal,  nous  les 
avions  dis- 
traits avec 
une  Yvette 
Gnilbert  que 
nous  avait  si 
drôlement  mi- 
mée, avec  son 
accent  étran- 
ger, ce  grand 

jour  sans  fin  de  Suédois  qui  élail  de 
passage  ici;  —  de  jeunes  cochons 
mes  fils),  vêtus  de  satin  rose,  avaient 
été  présentés  en  liberté  par  leur  oncle, 
un  clown  superbe  d'allure  et  de  convic- 
tion, habillé  de  satin  blanc  décoré  de 
merveilleux  tournesols,  etc.  Celte  année, 
nous  voulions  l.nisser  à  nos  hôtes  un  sou- 
\^  _       ■    '     iifitre  réunion,  et  nous 


Fi?.  8. 
u]K  sur  M  N  (flg:.  1). 


F.  X  P  0  S  I  T  I  O  N     D    A  F  F  I  C  H  E  S     A  R  T  I  à  T  IV  ïï  E  S.    —    AFFICHE      l 


UNE    SOIRKK    CHEZ    UN    AMATEUK    I)' A  l' FI  C II  ES 


nous  clions  mis  en  quèle  d'une  idée.  Je 
.pensais  depuis  longtemps  qu'il  pourrait 
être  intéressant  de  chercher  à  inter- 
préter l'affiche  par  des  tahleaux  vivants, 
et  j'avais  le  pressentiment  qu'il  pouvait 
y  avoir  quelque  chose  à   faire  dans  ce 


voyais, 
e   pas  la 


Ce  touchant  accord  devait  nous  per- 
mettre d'exécuter  notre  prof;ramme  com- 
plet, cela  huit  jours  plus  lard,  mais  au 
prix  de  quels  ell'orts  et  de  quelle  per- 
plexité, grands  Dieux  !  mes  cheveux 
blanchissent  cpiand  j'y  pense. 


,  r,  I  i;  Il    [)  r  m  a  ; 


sens.  L'idée  était  donc  là.  Je 
je  la  tenais  et  j'étais  décidi'  à 
lâcher. 

)'".lle  fut  siMUnisr  au  cciiitrole  de  uia 
femme  et  de  ma  helle-sccur,  mes  com- 
plices habituelles  ])Ourla  mise  en  scène, 
et  je  dois  dire  qu'il  y  eut  apjjrobation 
sur  toute  la  ligne. 


Il  fut  décidé  que  nous  inslallericius  le 
théâtre  au  bout  de  la  bibliolhrtpu'.  Ou 
pi-eudrait  sur  la  longueur  "i"',,')!»  de  pro- 
fdudciM-;  ]l  niiiis  resterait  encori'  une 
salle  de  (i"',jO  nu  nous  poin-rioiis  asseoii' 
environ  quarante  dames  :  le  sexe  laid  se 
tiendrait  debout  et  eucondirerail  la  porte 
du    salon    (lui,    lieiireiiseinent ,   est    dans 


UNI':  soiuKK  (;iii:z   in   amatimmi   daki^mciiics 


le  prolonj^cmciit.  Non- 
avions  une  poutre  Iran- 
versale  qui  nous  permcl 
lail  d'appuyer  les  mon 
lanls  (le  droite  c[  <li 
gauche  de  la  scène,  'l'uni 
allait  bien  ainsi  :  il  n  v 
avait  plus  qu'à  l'aire  vil^ 
et  simple.  Suivez-moi  <  i 
vous  allez  voir  comment 
nous  avons  enlevé  cela 
en  un  tour  de  main. 

Deux  planches  perpen- 
diculaires de  '2'2  en  A  el  H 
à  1 '"  ,  80  d'écarlemenl 
{i\g.  1).  Deux  autres 
planches  C  et  D,  à  droite 
et  à  gauche  de  la  pièce, 
sur  la  même  ligne,  pour 
former  plus  tard  nos  cou- 
lisses. La  profondeur  de 
la  scène  ne  sera  que  de 
1"',50,  sans  quoi  nous 
risquons  que  nos  invités 
ne  voient  que  partie  du 
tableau.  Deux  planche> 
assemblées  à  angles  droite 
sont  posées  en  E  et  en  1 
à  2°',  20  d'écarlemenl. 
Nous  relions  par  des  tra- 
verses A  à  E,  B  à  F,  à 
une  hauteur  laissant  en- 
core un  passage  suflisant 
pour  que  l'acteur  entre  en  scène,  nous 
relions  de  même  E  à  F,  mais  nous  conso- 
lidons cette  ligne  par  deux  ou  trois  tra- 
verses parallèles.  Montons  un  peu  notre 
scène:  G"", 45  suffiront  fig.  2);  vite  un 
terre-plein  qui  nous  relève  d'autant  et 
une  bonne  traverse  H  reliant  les  pieds  des 
montants  A  et  B;  la  hauteur  de  l'ouver- 
ture de  la  scène  est  fixée  l'",80;  clouons 
donc  une  traverse  G,  c'est  sur  elle  ou 
sur  la  travei-se  parallèle  G  G  que  nous 
établirons  la  paire  de  rideaux  sombres 
qui  s'ouvriront  par  un  tirage,  lequel 
sera  facilement  commandé  de  la  cou- 
lisse. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  décorer  notre 
façade.  Arrivés  à  ce  point,  il  nous  a 
fallu  sacrifier  nos  tendances  à  une  orne- 


Fig.  S. 


OTHL'     ET     DORH.     —    AFFICHE    STEINLEN 
L'ori  pillai. 

mentation  artistique,  car  nous  avons 
compris  que  toute  tentative  de  couleur 
ou  de  dessin  nuirait  à  l'illusion  d'op- 
tique que  nous  avions  comme  but.  La 
simple  toile  vert  foncé,  avec  laquelle 
les  tapissiers  enveloppent  leurs  outils  et 
qu'ils  se  bouclent  si  élégamment  comme 
tablier,  fait  bien  notre  affaire.  Deux  lés 
tombant  à  droite,  deux  lés  tombant  à 
gauche,  un  bandeau  sur  les  traverses  G 
et  G  G,  un  autre  sur  la  traverse  H  ;  voilà 
pour  la  face.  Deux  lés  pour  le  fond, 
deux  lés  de  chaque  côté  de  la  scène,  le 
tout  non  assemblé,  mais  croisé  et  for- 
mant ainsi  une  boîte  noire  :  voilà  notre 
théâtre  garni  de  portants  qui  ne  ris- 
queront pas  d'égarer  l'œil. 

L'éclairage  maintenant  'fig.  3  el  5), 


u.Ni:   soiiîKK  cin;z  u.\  amatelh   d  afiichks 


MOTHU     ET     DOItlA.  —    AFFICHE    DE    STEINLEN 


oh  1  combien  simple.  Derrière  la  Irn- 
vcrse  (],  une  denii-[)lancho  l'ormant 
tabletle,  sur  laquelle  huit  (l('mi-houy:ies 
sont  fixées  chacune  entre  (rois  clous,  et 
dont  les  lumières  sont  renvoyées  vers  le 
fond  de  lu  scène  pai-  une  feuille  de  zinc 
légèrement  recourbée.  I^errière  chacun 
de  nos  montants  A  et  IJ,  sur  des  encoi- 
gnures, deux  lamjies  basses  à  pétrole 
avec  un  réflecteur  forme  d'une  feuille  de 
zinc  pliée  à  angles  droits,  l'un  des  cotés 
prolongé  recourbé  en  fumivore;  notre 
rampe  du  bas  est  coinnie  celle  du  haut, 
mais  posée  sur  le  sol  avec  un  réilecleur 
(|ui  mas(pic  la  llanime  aux  S[)ectaleurs 
cl  relève  la  lumière  vers  le  centre  du 
loiid  :  cnlin,  pour  garantir  nos  acteurs 
contre   le    l'eu,    un    joli   grillage   à   lapins 


de  0"',6(>  de  large  qui 
enferme  notre  ligne  de 
bougies  dans  un  tunnel 
protecteur. 

Me  suis-je  bien  expli- 
qué, mon  cher  ami  ?  et 
avez-vous  vu  combien  tout 
cela  est  dépourvu  de  com- 
plication. Oui,  n'est-ce 
pas  ?  et  vous  vous  propo- 
sez, le  cas  échéant,  de 
donner  de  bons  conseils  à 
vos  amis  qui  voudraient 
se  faire,  sans  grands  frais, 
un  petit  théâtre  répondant 
à  toutes  les  exigences  scé- 
niques  pour  tableaux  \i- 
vants. 

En  même  temps  que 
cette  construction  élémen- 
taire s'élevait,  nous  pous- 
sions les  autres  chapitres. 
Le  choix  des  affiches  à  re- 
présenter nous  a  fortement 
divisés.  Que  de  choses  à 
considérer  quand  il  faut 
arriver  à  concilier  les 
goûts  et  les  couleurs.  Nos 
acteurs  avaient  naturelle- 
ment leurs  préférences, 
nos  actrices  en  avaient  de 
très  arrêtées,  le  collection- 
neur avait  également  les 
siennes,  et  non  moins  vives;  la  scène 
nous  interdisait  certains  sujets,  nous  en 
conseillait  d'autres.  Enfin,  après  une 
bonne  soirée  de  discussions  très  mou- 
vementées, que  votre  expérience  peut 
aisément  reconstituer,  nous  nous  sommes 
arrêtés  à  se])t  d'entre  elles  pour  lesfiuelles 
nous  trouvions  des  exécutants  de  bonne 
volonté  et  qui  nous  paraissaient  consti- 
tuer un  programme  d'un  ensemble  sulli- 
samment  varié. 

Nous  nous  mimes  à  peindre  K>  tonds: 
cjuand  Je  dis  nous,  je  me  donne  des 
gants,  car  vous  le  savez,  bien  (|u'ania- 
leur  forcené  de  tout  ce  cpn  es!  art,  je 
n'ai  jamais  tenu  un  pinceau,  (.esl  ma 
bcllc-sieur  qui,  elle,  lait  ses  délices  de 
lacpiiiier  la  eouleui',  cpii  brossa  b'S  fonds 


UNK  soiiii':u  cm:/,  cn  amatkiii   dai  ricirns 


sur  les  ilimtiisions  que  je  lui  donnai; 
CCS  mesures  remettaient  les  arrière- 
plans  (les  aniches  aux  proportions  né- 
cessaires pour  que  les  personnes  qui  de- 
vaient se  placer  en  avant  donnassent  le 
même  elTel  que  sur  l'original.  Les  toiles 
avaient  de  r",HO  à  2  mètres  de  haut  et 
de  1"',-J(>  à  l'",80  de  large;  tout  ce  qui 
dépassait  ces  mesures  ù  droite  ou  à 
gauche,  en  haut  ou  en  bas,  fui  peint 
d'un  noir  pur.  Les  toiles  liinanl,  les 
plus  ordinaires,  qu'on  peut  peindre  des 
deux  côtés  pour  réaliser  une  petite  éco- 
nomie sul'lirenl  à  cet  clFet. 

Une  fois  ce  travail  de  28  mètres 
carrés  terminé  et  séché  grâce  à  un  abus 
judicieux  de  siccatif,  chaque  pièce  fut 
lixée  sur  une  tringle  L.  L.  L.  L.  qui 
dépassa  des  deux  côtés  d'environ  0"',20, 
et  nous  fîmes  nos  essais  sur  la  scène 
|)our  la  mana'u\  re  de  ces  décors  au 
montage  rudimenlaire.  La  tringle  de 
suspension  s'appuyait  à  droite  et  à 
gauche  sur  les  barres  de  liaison  A.  E. 
et  B.  F.  (lig.  4)  contre  les  points  E.  F. 
Un  petit  ponceau  établi  derrière  la 
scène  au  fond  de  la  pièce  à  1"',50  du  sol 
permit  à  notre  machiniste,  en  se  cour- 
bant, de  faire  les  changements  par  le 
haut  sans  difliculté,  comme  aussi  de 
manœuvrer  le  ciel  qui  était  composé 
d'une  toile  verte  clouée  à  deux  tringles, 
l'une  fixe  en  I  et  l'autre  mobile  en  J,  et 
qu'on  pouvait  ainsi  avancer  ou  reculer 
suivant  le  besoin. 

Tout  allait  bien  et  nous  poussions  les 
préparatifs.  Nos  acteurs  marchaient  à 
souhait.  Les  costumes  avançaient  et  un 
air  de  confiance  commençait  à  régner. 
Cependant  un  fond  d'hésitation  existait 
encore,  et  ce  n'est  pas  sans  appréhension 
que  les  convocations  furent  envoyées 
pour  la  répétition  générale.  Celle-ci  fut 
excellente;  un  point  seulement  sembla 
demander  une  légère  modification.  La 
lumière  trop  brutale  avait  d'abord  dû 
être  diminuée  de  quatre  bougies,  et 
malgré  cela  le  fond  ne  se  liait  pas  à  la 
figure  :  nos  personnages  ne  paraissaient 
pas  faire  corps  avec  l'affiche;  ils  avaient 
l'air  d'être  des  gens  quelconques  immo- 


bilisés,on  ne  savait  pourtiuoi, devant  un 
mur  idiolemenl  multicolore.  Cf)mment 
jeter  sur  tout  cela  un  glacis  enveloiJ- 
pant  ?  par  (|uel  artifice  de  luniiiTi'  rju 
autre  se  tirer  de  là  ? 

Fûl-ce  un  éclair  de  génie  ou  simple- 
ment une  vague  réminiscence?  toujours 
est-il  que  l'idée  d'interposer  entre  le  spec- 
tateur cl  le  tableau  une  gaze  bleuâtre 
surgit  à  mon  esprit,  et  (|ue  ce  Iruc 
aussitôt  essayé  fit  merveille.  Le  tableau 
s'assouplit,  se  fondit,  s'harmonisa,  et 
tout  fut  sauvé;  nous  pouvions  risquer  les 
plus  éblouissantes  affiches  sans  craindre 
un  cU'et  trop  cru  :  et,  tranquillisés,  nous 
attendîmes  le  grand  jour. 

Ah  !  mon  cher,  quel  battement  de 
cœur,  qu'allaient  dire  nos  amis?  Nous 
leur  avions  déjà,  avec  trop  de  désinvol- 
ture, imposé  une  Exposition  d'Affiches. 
Leur  esthétique  habituelle  avait  été  effa- 
rouchée par  cette  débauche  de  couleurs 
toute  pleine  d'harmonies  non  encore 
codifiées.  Beaucoup  avaient  résisté  à  la 
séduction  de  seize  cents  des  plus  belles 
affiches  produites  dans  ces  vingt  der- 
nières années.  (Ju'allaient-ils  penser  de 
notre  aplomb  de  les  déranger  pour  leur 
montrer  sept  d'entre  elles,  interprétées 
tant  bien  que  mal? 

L'heure  fatale  arriva  en  même  temps 
que  les  invités,  et  il  fallut  s'exécuter. 
Vous  voyez  d'ici  ce  parterre  d'amis,  dont 
la  plupart  vous  sont  connus,  garnissant 
les  banquettes,  et  vous  vous  rendez 
compte  do  son  état  d'âme  fait  d'indul- 
gente condescendance  et  de  scepticisme 
spirituel. 

Le  piano  prélude  par  un  morceau 
d'une  harmonie  subtile  et  enveloppante, 
du  Grieq  dans  lequel  le  Icitinotiv,  à 
peine  indiqué,  est  répété  avec  persévé- 
rance jusqu'à  amener  l'énervement;  puis 
il  chavire  dans  le  Fausl,  de  Gounod, 
pour  entamer  le  Laisse-moi  coitlempler 
ton  l'isnqe:  le  rideau  se  tire  et  dé- 
couvre (lig.  6  et  G  bis]  cette  affiche  ma- 
cabre et  cynique  tout  à  la  fois,  qui  ser- 
vit à  annoncer  l'Exposition  d'Affiches, 
en  novembre  dernier.  Le  voilà  bien, 
comme  l'ajoute   l'instrument   en    sour- 


UNii  soiiii':i;  ciiKZ  r\   amatkcu  d'aff iciiiis  ivt 

,UnoJcp.-i,rrcnu;rn,rnl,sc;u-J-luuuhlc  \  cIl.   peuple  I   Le   rideau   se  ferme   sur  le 

hcn,^  ihiiH-   /u'i/re,  victime  de  raHiche  i  vieil  air  comique  :  «  Ah  quel  ne/,!  (his', 

à  iet  continu,  le  prolétaire  abruti  par  le  I  tout  le  monde  en  est  étonné.  .,   De  fait, 

métier;     c'est     son     seau     rou^-e,     son  !  les  bouches  sont  muettes,  on  chuchote. 


fUNCH AL  iiEoF MADERE 


I!  h  A  X  1)  Y .     — 


A  F  K  If  II  E     IIK     MAURICE    11  fc  A  L  I  B  II  -  n  U  M  A  .- 
r/iiiterpri-tntinn. 


échelle  verle  el  sa  brosse  de  même  cou-  |  on  se  croil  devaiil   une   afliche  que  par 

leur;   il    ne  se   rase  ([irniie   lois   par  se-  |  un   savant  procédé  d"oplir[ue  on   a   ina- 

luaiiie,    ne     peigne     sa     rouf<e    crinière  1  j^nilié  et  on  craint  la  mystilication.  I  iii- 

(|u'iiiie   l'ois   [lar  mois,  ne  la  coupe  que  '  quiétude  est  manifeste, 

semestriellement  et  jamais  son  (cil,  à   la  i  Mais   voici    trois     nouveaux    coups   : 

paupière  bridée,  ne   s'ouvre   à  l'azur  du  ;  «    Ah  1   verse   cnctn-e  I  ><  .( ,;iliillici-    <iv^- 

cicl.   l'-l,   [)ourlant,    c'est    par  ses  mains  },'èrc   le   [)iano.  ■•    l.e   vin,  le  \in,   Iresor 

cpie  passent  tous  les  chefs-d'icuvro  qui,  |  d'\y\n'.  "i  Ralicrl  le  l>i;i  l'If  ,c(Mitiiiue-t-il, 

(le  nos  jours,  orneiil  à  prorusi.in  le  salon  '  et  c'est   ce  délicat  morceau  de   lU'Mlier- 


L'NK  soiHKi-;  cm;/,  un   amateuu  dakimciiks 


Dumas  pour  lo  (!/i;iiii/t;ii/iic  .Iule 
qui    nous    a|)pariiîl     lig.    7    et 
Qu'elle      esl      char- 
manie  dans  sa  sim- 
ple tunique  violelle 
sur    ce    fond     blou 
pâle,     celte     jeune 
blonde  qui,  les  yeux 
mi-clos,   d'un    ■,'este 
bien  équilibre^,   boil 
lentement  une  cou[)e 
du  jus  divin.   Hreu 
vage   exquis,   blon( 
poison      chéri      des 
femmes,  mélange  de 
fraîcheur  et  de  feu, 
irénérateur  de  sensa- 


(  M  II  III  m 
7    l,is  . 


vin  français  élég;i 
t'a  jamais  mieux 


ni  et   in 
incarné 


imilah 
aux  y 


le!  Qui 
eux  des 


LA      LIBRAIRIE      lî  0  M  A  N  T  IIJ  C  E 

iFFICHE      DE       E.      GKASSET 


lions 
toute; 


inanalysa 
;  nos  joie 


blés,  compagnon  mêlé  à 
à  tous  nos  succès,  cher 


hommes  que  cette  svelle 
fille  d'Eve,  comme  toi, 
pleine  de  mystère  et  de 
grâce  ? 

L'auditoire  reste  perplexe, 
mais  mollit  visiblement,  cé- 
dant à  la  séduction  prévue 
par  les  rédacteurs  du  pro- 
gramme. On  se  dit  qu'il  y  a 
quelque  chose  là.  Oh  femme  ! 
voilà  de  les  coups,  murmure 
un  acteur  philosophe  qui 
croit  distinguer  un  mouve- 
ment sympathique  par  devant  la  rampe. 
Mais  nous  retombons  dans  la  réalité  : 


UNE    SOIliKI-     GIIKZ    IW     AMATETI!     D'A  F  FI  G II  KS 


la  musique  nous 
en  avertit,  car  elle 
attaque  les  ritour- 
nelles des  Civili- 
sons de  hi  Hue.  de 
Bruant,  el  nous  eui- 
mène  à  Montpar- 
nasse ou  à  Mén 
montant.  C'est 
Steinlen  qui,  dans 
sa  belle  estampe  Je 
Molhii  et  Donn 
(fig.  8et8/jw),ale 
mieux  fixé  l'esprit  à 
la  fois  désabusé  et 
poseur  de  notre  lin 


Fiff.     I  1    /,/.<.    -    I.KS     CIXCKI;   I    -       , 

A  I  riiri  K    iJi;    Il  KNiii    M  K  r  N  1  i: 

l.intrr,„-..l,ti,m. 

(le  sièele.    A    la     lueur    des  pâles  rêver 


bères,  le  jiMiiie  V(.nuu,  i^ibier  dr 
eorrcclionnelle  ou  héros,  siiixaul 
occasion  qui  passe,  allume  d'un 
f,'esle  méthodi(|ue  son  bout  de  ci- 
.i^arolle,  ramassé  à  la  terrasse  du 
café  du  coin,  au  suave  «  Béi^alia  -> 
le  lui  tend  sans  liésilalion,  mais 
Il  nu  air  de  nir'pris  suprême,  ce 
beau  ;'.7,s7.7.  A-l-il  payé  son  élciur- 
dissanl  mackinlosli  et  sa  paire  de 
i^anls  lsif^n\,  sa  cravat<>  et  son 
iinpecealile  devant  de  chemise  oii 
irillcnt  deux  perles  j^'-rosses  comme 
des  pois?  Le  préfet  de  pd 
pourrait  le  dire;  m.ais  imus.  qui 
11  avons  plus  conliaiice  el  qui  sa- 
vons  que    11'    lailieui-    ne    l'.nl    pas 

riiomme.  nmis  i s  cleiiiandons  si 

ce  maigre  reliut  xu-ial  qui  l'accosle.  de- 


UNI-:    SOlliKK    ClIliZ    LN     AMATKL'K     I)   A  K  l"l  C  II  |;S 


main,  par  le  jeu  naturel  des  lorccs  vi- 
cieuses qui  l'ermonlenl  dans  la  jurande 
ville,  ne  deviendra  pas  ce  jeune  dieu,  cl 
si  ce  dernier,  déchu,  ne  sera  pas  obligé 
de  se  contenter  du  [Kinliilon  r;j|)(-.  de  l.i 
cravate  rouge  et  de  la 
casquette  écrasée  de 
son  crapuleux  sollici- 
teur. 

Notre  public  sent 
bien  celte  afiiclie  et 
son  haut  enseignement, 
il  commence  à  s'ccliauf- 
fer;  nous  sommes  sau- 
vés maintenant,  si  nous 
marchons  bon  train  et 
soutenons  bien  le  mou- 
vement. D'abord  repo- 
sons-le de  son  émotion 
un  peu  triste  par  un 
spectacle  plus  gai,  plus 
riant  :  c'est  notre  ami 
Réaiier-Dumas  qui  va 
s'en  charger  encore. 
Madères  Blandi/,  dit  le 
programme.  Sur  un 
haut  plateau  (tig.  y  et 
y  bis],  une  Madéroise 
à  la  peau  brune,  coill'ée 
d'un  bonnet  de  drap 
noir  à  la  corne  mena- 
çant le  ciel  —  une  sin- 
gulière coilTure  pour  un 
climat  où  la  tempéra- 
ture atteint  pendant  six 
mois  35  degrés  à  l'om- 
bre —  nous  apparaît. 
Sa  robe  rayée  rouge, 
vert  et  blanc,  son  cor- 
sage et  sa  pèlerine  d'un 
rouge-feu  se  détachent 
en  vigueur  sur  la  mer 
bleu  l'once  qui  baigne 
les  cotes  de  l'île  volcanique.  Le  soleil  a 
doré  la  beauté  implacablement  calme  de 
la  nature  et  de  la  femme,  en  même 
temps  qu'il  a  mûri  les  plantureuses 
grappes  qui  débordent  du  panier.  Ce 
n'est  plus  le  Champagne  discret  et  pâle 
du  Nord,  c'est  le  Madère  brûlant,  le  feu 
liquide,  la  douceur  dans  la  force,  le  vin 


ambré  des  tropiques.  Sa  chanson  sera 
endiablée  et  c'est  le  tambourin  et  les 
castagnettes  qui  en  scanderont  les  gais 
refrains,  lorsque,  à  l'ombre  des  véran- 
da-. ur,\vr  lirllr   1  iirli -c' lie  quittera   pour 


i1£RAU  DES  QSASEfcf BAW! 


RAGE    J.\CQrOÏ. 


—    AFFICHE    DE    LTCIEX 

L'oTÎgiual. 


son  galant  sa  souple  attitude  de  statue 
de  bronze  jaune. 

Vous  savez,  mon  cher,  le  prestige  de 
tout  cef  qui  dans  nos  froids  climats 
évoque  les  pays  du  soleil;  et  vous  jugez 
de  l'enthousiasme  qui  accueillit  cette 
affiche.  Mais  vous,  vous  êtes  de  ceux 
qui    résistent    à    ces    entraînements    de 


UNK    SOIREK    CIIi:Z    UX    AMATKUU    D'AFFICHES 


neurasthéniques;  un  peu  de  classicisme 
ferait  mieux  votre  airaire.  On  y  a  pensé  : 
voici  venir  ••  Mimi  Pinson  ><;  du  moins, 
c'est  ce  que  nous  dit  l'orchestre  et  en 
cela  il  a  Inrl;   ne  serait-ce  pas  plutôt  ht 


i'iu'.  li  /.i.ï, 

L  i;  eiiiArii;  .lACynciT.    —  ai'ficiik   de  r,  rcnoN  i, ekèvue 

LiiitiTjiivtatic.M. 

Feiiinic  ilr  Irciile  ;ui.s  (1(>   15al/.ac,   cette  ,    rouler.  C'est  I. 

hruiic   an    l'iiriie   prniil  de   la    Librairie       (îouiiod,  nous 

r(iiii:iiilii/iif    ilif;.    Kl  cl    1(1  his)   (|ui,   au 

dei'jiirr  (■iiii>,sanl    de    la   lune,   s'ahsnrhe  ,  ,','/",  '' 

......  ...  Dclii'iil  SI 

dans  le-   iii-lolios.   Que  j  aime  à  la  re-  |  j,.  ^„i,;  j. 

troiivci-  celte  ancienne  cliarmcrcsse  qui  l  I.e  cliar  i 

a  inspiré  vin^^t  ans  de  bonne  et  suhstau-  l  W-iuis  su 

ticlle  lilli'ratiire,   et  (Mii   nous  a  valu  les  .     .     .     . 


chefs-d'œuvre  du  livre  et  de  l'estampe. 
Celte  robe  de  soie  noire,  ce  col  brodé, 
ce  ridsan  de  velours  hardiment  déchi- 
queté sur  le  ciel,  et  cette  coilTure  dé- 
couvrant la  nuque  que  les  femmes  d'au- 
jourd'hui cachent  sous 
de  si  vilains  collets  :  c'est 
toute  l'époque  romanti- 
que synthétisée  par  un 
artiste  de  talent  sous  la 
direction  de  ce  iMonnier, 
l'éditeur  disparu  trop  lot 
de  la  librairie  parisienne, 
cl  à  qui  nous  devons, 
nous  autres  amateurs, 
tant  de  beaux  livres  ca- 
chés dans  les  coins  de 
nos  bibliothèques.  Kles- 
\ous  content  mainte- 
nant? Je  crois  bien  que 
vous  auriez  applaudi  à 
cette  reproduction  du 
chef-d'd'uvre  de  Grasset, 
comme  nu  simple  pro- 
\'incial  tpie  vous  êtes. 

\  ous  aimiez  bien  aussi 
celle  afiiche  de  l'artiste 
belge  Henri  Meunier, 
pour  les  Concerts  )'.saye 
tîg.  11  et  11  his].  «  Sans 
doute,  disiez-vous,  elle 
n'est  pas  exemjite  de  ré- 
miniscences :  mais  elle  a 
de  la  noblesse,  du  si  vie 
et  de  la  couleur.  •>  N'ous 
aviez  raison  et  l'expé- 
rience l'aile  //(  /icrsnn.i 
m'a  convaincu. 

l'.coule/  dans  les  cou- 
lisses ce  beau  chant  dont 
les  larj^es  périodes  vous 
font  pressentir  la  poésie 
du  spectacle  qui  va  se  de- 
amai'tinefpii,  par  la  vnix  de 
ditsur un  rythme  prnl'i.uil  : 


l'Ii.iri/.nii  : 


UNK    SOIUKK    CIIKZ    UN    AMATlHlt     1)  A  IFI C.  Il  KS 


I,c  rideau  Icnlcmenl  entrouvert  nous 
laisse  voir  sur  la  scène  une  femme  en 
tunique  jaune,  debout  sur  un  rocher 
dominant  la  mer  à  peine  frôlée  jiar  la 
brise  et  rellélanl  les  calmes  rayons  de 
l'astre  du  soir;  de  sa  double  llûte,  elle 
interprète  l'harmonie  de  la  nalure  par 
rharmonie  de  la  musique.  Que  dis-je? 
c'est  la  musique  elle-même  naissant  de 
l'harmonie  de  runi\crs  et  omettant  ses 
premiers  chants,  (]uo  la  voix  nous  tra- 
duit ainsi  : 

Doux  rcflcl  d'un  globe  de  flamme, 
Cliarmant  rayon  que  me  vcux-tu  ? 
\'iens-tu  dans  mon  sein  abattu 
Porter  la  lumière  à  mon  àme. 

Viens-tu  dévoiler  l'avenir 
Au  cœur  fatigué  qui  t'implore? 
Kayon  divin  es-tu  l'aurore 
Du  jour  qui  ne  doit  pas  finir'? 

Quand  sur  cette  dernière  note  le 
rideau  se  rejoignit,  nous  n'avons  pas  été 
étonnes  de  n'entendre  qu'un  murmure; 
la  parole  ou  les  applaudissements  eus- 
sent donné  une  fausse  note  après  ce 
parfait  accord  des  trois  plus  sublimes 
formes  que  la  pensée  peut  revêtir  :  la 
poésie,  la  peinture  et  la  musique;  mais 
nous  avons  senti  que  l'auditoire  était  à 
l'unisson  de  notre  émotion. 

Pour  nous  remettre  de  cette  capiteuse 
évocation,  voici  vivement  des  airs  de 
cirque,  éternelles  ritournelles  qu'un 
siècle  de  tradition  a  laissées  toujours 
les  mêmes.  C'est  le  Cirage  Jacquot  de 
Lucien  Lefèvre  (fig.  1:2  et  12  bis)  qui 
nous  sert  de  prétexte.  Vous  connaissez 
cette  entrée  de  clowns  spirituellement 
exécutée  par  cet  artiste  dont  l'ceuvre  a 
de  si  élégantes  pages.  Est-il  pas  gentil, 
ce  Pierrot  na'if  sur  le  point  de  partir 
avec  Arlequin  et  qui,  avant  la  mise  en 
route,  fait  compléter  sa  figure  par  le 
terrible  farceur'.'  L'immortel  dupé  est 
transformé  en  nègre  grâce  au  cirage  dont 
Arlequin  dissimule  la  boîte  derrière  son 
dos;  il  est  seul  dans  le  vaste  cirque  à 
ne  pas  comprendre  qu'il  est  berné, 
cependant  qu'un  rire  homérique  éclate 
dans  les  galeries  supérieures,  rire  qui 
dans  son  esprit  nargue  la  maladresse  de 


son  bourreau.  Qu'Arlequin  lin  de  siècle 
est  chatoyant  dans  son  vêtement  jaune, 
rouge  et  vert;  que  tout  cela  est  gai  et 
quel  joyeux  poème  de  verve  et  de  cou- 
leur! Le  maître  Chéret  eîil  pu  le  signer 
des  deux  mains,  et  cette  tête  de  clown 
narquois  qui  se  tord  au  fond  ne  pourrait 
être  désavouée  par  lui. 

Enfin,  le  rideau  tombe  et  nos  ap- 
préhensions disparaissent,  quand  nous 
entendons  les  applaudissements  joyeux 
soulevés  par  l'apothéose  :  Arlequin 
mange  les  raisins  de  Madère,  le  colleur 
d'affiches  brosse  les  vêtements  de  Mothu, 
Doria  demande  du  feu  au  Champagne 
Jules  Mumm,  Pierrot  fait  des  déclara- 
tions d'amour  à  la  Librairie  romantique 
qui  parait  tout  émue,  etc. 

Telle  a  été,  mon  cher  ami,  cette 
soirée  à  laquelle  vous  auriez  dû  venir 
contre  vents  et  marée,  si  vous  aviez  pu 
vous  détacher  des  sombres  grimoires. 
\'ous  savez  désormais  comment  on  peut 
interpréter  l'affiche,  et  vous  voyez  que 
les  bons  morceaux  ne  sont  pas  aussi 
conventionnels  qu'on  le  croirait,  puis- 
qu'ils supportent  si  bien  l'épreuve  de  la 
mise  au  point  par  la  réalité.  Comme 
vous  l'aviez  souhaité  pour  l'Exposition, 
j'en  ai  conservé  le  souvenir  par  la  pho- 
tographie et  je  puis  ainsi,  votre  imagi- 
nation aidant,  vous  faire  presque  sentir 
ce  que  ça  a  été,  heureux  de  vous  offrir 
cette  consolation,  bien  que  vous  ne  la 
méritiez  guère. 

Quand  vous  verrai-je  pour  mettre  à 
jour  nos  échanges  et  causer  des  derniers 
chefs-d'œuvre  qui  ont  surgi  de  toutes 
parts?  Sans  doute  en  mai  avec  les  hiron- 
delles et  les  feuilles  vertes  des  marron- 
niers. Laissez-moi  du  moins  l'espérer, 
affreux  paperassier  chez  lequel  l'amour 
de  l'acte  sur  timbre  finira,  si  vous  n'y 
prenez  garde,  par  étouffer  les  goijts 
artistiques.  Je  ne  vous  en  aime  pas 
moins  et,  tout  en  vous  plaignant  amè- 
rement, 

\'ous  serre  cordialement  la  main. 

Alkx.xmire   Henriot. 

Hfims,  le  10  janvier  18117. 


f;R  I  N'DEL  W  AL  11,     .-,  U  K      Ij  14  s      K  1  S  M  E  K  It 


L'ALPINISME 


Et  Vt)US,   montagnes,  pourquoi  y  a-t-il  en 
tant  (le  beauté  !... 


Kii  tk'|)i(  ilfs  eiiliMiiiciiUMits  ilii  cy- 
clisme, |iniii'  (|ui  ^^()lll  chères  :i\aiil  liiiit 
les   roules   |)lMiies   el   l'nciles,    iloiices  iiii 


c[ue,  (111  iiii  ressenti  cl  mis  en  aclioii, 
ccimme  dans  ce  su'cie,  la  passion  indixi- 
(liielle   ou    collective    îles   ascensions   de 


jeu  des  pédales  comme  des  chemins  de  monta;;nes.  (  ]h,ii|iie  aniii'c,  aussitôt  (|iie 
velours,  elle  n'est  pas  morte  au  cn'iir  le  |ierniet  le  icnonvean,  des  inillieis  iK- 
des  vrais  amants  de  la  nature,  la  |)assion       touristes  s'élancent  de  la   |)laine  \ers  les 

|)arlies  les  plus  célèhres  des  Aljiesel  des 
l'yrénées.  Pour  nue  foule  d'entre  eux, 
lescalade  des  points  ahrnpls  est  une 
véritable  volupté. 

.lailis  les  peuples  ailoi.iienl  les  luoii- 
taf;ues.  ()n  ne  sacritie  plus  sur  ces 
I.  liants  lieux  ■,  (Ui  ii  \  hn'ile  plus  des 
holociiisles.  Mais  ceux  ipii  on!  une  t'ois 
f^oi'iti'  I  al  inosphére  de  \  le  ipi  on  y  res- 
pire les  aiiucnl  d'un  amour  profond. 
l'A  n'en  sont-ils  |)as  assez  réciunpensés'.' 
Les  monts  n-suineiit,  dan-,  nu  (''troit 
espaci-,  tonti-s  les  nchcss.'s  de  la  terre. 
Ou     \     peut     einhrasser    d'un    seul   coup 


des  moiita},nies  !  Quand  revient  la 
l'avorahle.  luen  des  fervents  du  sport 
iioineaii  sont  li's  premiers  a  di'daisser 
nioiiientaiM'iueiil  leur  uiontiire  d'acier 
|iour  se  mettre  à  ;;ra\ir  les  sentiers 
rudes,  ipii  mènent  I  homme  au-dessus 
des  miaules,  |)onr  aller  en  haut,  1res 
haut  chercher  cet  ensemble  de  sensations 
éuer;,'i(pies  cl  pures,  où  se  |)erd  jusipran 
souvenir  des  vulgarités  de  la  \  le. 

Sans  doute,  la  fascination  ipi'exi'rce 
sur  notre  iiilelli:;ence  la  \  lie  des  som- 
mets l'sl   an^^i  piiniiti\  e  que  le  seiitiinenl 

même   de   la    nature.    Mais.    ; Ile  /•po- 

VI.  —    1,1. 


191  I.  Al  riMSMi-; 

d'u'il  les  cultures,  les  l'orèls,  les  pHiirics,  I  Ion  !  Kii  haut  esl  l'impressirm  la  pfus 
les  rocs  ardus,  les  cluiles  lorrenlueuses  '  coMiplète  de  force  el  de  liberté.  A  ses 
opposant  à  la  (ière  sérénité  des  cimes  i  pieds  est  l'abîme.  .Au-dessus  est  l'ava- 
leUr  fracas,  leur  mouvement,  leur  écume,  î  lanche.  I,a  poitrine  se  }fonfle.  L'esprit, 
cl  les  places,  les  neiges,  où,  chaque  soir,  !  lui  aussi,  s'exhau.sse.  I-a  pensée  ne  stafjne 
la  lueur  nunn-antedu  soleil  promène  ses  j  plus  dans  les  bas-fonds  de  noire  com- 
plus merveilleuses  culoralinns...  I  mune  existence  sociale.  Il  send)lc  alors 
L'action  seule  de  nuMiki- ol   iiu   acte  1  que  l'àme  veuille  se  nicllre  a    IuiiI^mim 


GLACIER      DE     TRIENT      ;TALAIS) 


qui  plaît  à  1  énergie  humaine.  Descen- 
dre, au  contraire,  a  dit  une  femme 
illustre,  c  est  obéir  aux  lois  qui  alour- 
dissent les  choses,  c'est  courir,  poussé, 
entraîné,  livré  aux  hasards  des  cailloux, 
c'est  être  inquiet  de  la  moindre  pierre 
qui  roule,  c'est  s'abandonner  aux  exi- 
gences pesantes  des  corps.  Lorsqu'on 
monte,  on  se  mène,  on  s'enlève,  on  se 
porte,  Il  on  se  gouverne,  on  se  veut  ». 
Et  cela  plaît  à  l'homme,  quand  le  mus- 
cle joue  bien,  quand  on  se  sent  du  cou- 
rage au  cœur  et  du  nerf  au  jarret.  Qu'il 
aille,  qu'il  gravisse  courageusement, 
qu'il    parvienne  jusqu  au   dernier  éche- 


des  grands  objets  qui  l'entourent.  Hélas! 
si  beau  qu'en  soit  le  spectacle,  l'homme 
n'est  pas  fait  pour  posséder  longtemps 
l'objet  de  sa  jouissance.  Les  heures  du 
retour  sont  comptées.  L'instant  vient 
trop  vite  où  il  faut  s'arracher  aux  con- 
templations sublimes  et  reprendre  la 
route  accidentée,  qui  rejettera  le  voya- 
geur aux  habitudes  et  aux  soucis  de  la 
terre.  A  peine  a-t-on  regagné  le  chemin 
de  la  plaine,  c'est  une  subite  réaction, 
un  sentiment  de  regret  et  de  mélancolie 
à  laisser  derrière  soi  ces  hauteurs  où  les 
organes  transmettent  si  vivement  à  l'in- 
tellect les  pures  émotions  des  sens.  Et 


I.AI.l'IMSME 


puis,  les  heures  du  jour  (iiil  cluinf^'é. 
Tantôt,  c'était  l'aurore,  c'était  le  soleil 
matinal  dorant  de  ses  premiers  feux  les 
roches  aiguës  ou  les  croupes  gazonnées. 
Maintenant,  ce  sont  les  ombres  blafardes 
descendant  des  cimes  comme  de  gigan- 
tesques coups  de  pinceau  et  faisant 
succéder   presque    sans    transition    aux 


sereine,  industrieuse,  harmonisée  par  le 
travail,  alternant  avec  grâce  les  ondula- 
tions des  coteaux,  les  champs,  les  prai- 
ries, les  blés,  les  frais  bouquets  d'arbres 
et  les  riantes  maisons  blanches.  Nul 
écrivain  avant  ,lean-Jacf|ues  Rousseau 
ne  leur  avait  poétiquement  r('V('li'  les 
beautés    majeslueuses  des    ;;raiicls    hics. 


ULACIKI!      DUS      mus 


s|ili'nilcMrs  a\'lv('Ts  du  coiu'haiil  ces 
Iciiilc^  froides  et  li\  idi'S,  oii  l'àine  s'ahi- 
niei'ail  de  Irislessc,  si  la  |icns('i'  des 
biens  el  des  bcaulc's  du  Iciidrniaiii  ne 
venait  point  la  xisilcr  coinnir  un  puis- 
sant réconfort . 

l>es  l'"ran(,'ais,  en  géni'Tal,  l'Iaicnl  de- 
meurés justpi'au  Wlll''  siècle  a^^iv  l.irdlis 
à  comprendre  l'invincible  alliaciion  qui 
enh-aiiic  laiil  de  loiiri^les  ani^lais  vers 
les  ccirniclii'v  des  rochers  on  les  couloirs 
des  avalanches.  Leur  idc'.d  ne  planait 
pas  sur  ces  plateaux  vdrnrirux  ipj  all'ec- 
linrnienl  les  aigles;  il  s('-garail  de  pivIV- 
icnrc    dans    li's    conloui'-     dune     n.iliiiT 


des  forêts  libres,  des  perspectives 
allières.  Kniin  s'est  déchiri'  le  rideau 
(pu  leur  voilai!  les  vastes  horizons.  Ils 
n'uni  plu--  \oulu  laisser  à  l'étranger  le 
monopole  des  excursions  éniouvanles. 
Désormais,  nous  axons  nos  (-{UH'eurs  île 
montagnes,  dont  l'ardeur  el  l'endurance 
ne  le  cèdent  en  rien  à  l'enlraineineiil 
ries  gravisseurs  anglais  ou  germain'-. 

C'est  aux  .\uglais  que  n'vienl  llion- 
neur  d'avoir  doniM'  rini|iiilMiiii  .1  loiil  le 
mouvement  d'expl.iiMlion  d.'^  sommets, 
coin|)lètemeMl  eiilie  d.-oiniais  dans  les 
lois  et  le-  haluludi-  Am  prdrstrianisme. 
Col   parla  foiidalh.n  du  pieinicr  M/iinc 


I.   A  l.rIMSM  K 


Cliili  <|iie  les  .\ii^;lais  oui  t:iit  surt,'ir,  i\ 
leur  exemple,  un  f^iMinl  iKiiiihre  tie 
sociétés  du  même  };eiiie  d.iiis  les'dill'é- 
rcntcs  coiilrécs  de  riùironc. 


R  E  F  U  C;  E     SUR     LE     S  O  X  X  E  X  B  1.  I  I  '  K  ,     l'  Il  K  S 

(Dessin  original  commnniquè  pir  le  Cenfral-Ausscht 

Les  Allemands,  sans  égaler  en  fougue 
et  en  témérité  leurs  rivaux  de  la  race 
anglo-saxonne,  ont  toujours  eu  le  sens 
bien  prononcé  de  la  poésie  des  monta- 
gnes. Us  ascendent  aussi  très  volontiers, 
sinon  pour  le  plaisir  physique  de  l'esca- 
lade, du  moins  pour  apprendre  et  voir, 


pour  étudier,  pour  surprendre  au  point 
de  leur  formation  les  mystères  de  la 
nature.  On  sait  combien  sont  nom- 
breuses les  sociétés  de  gymnastique, 
(•liai-g(''cs  de  l'édu- 
calioii  de  leurs 
niuscli's  ;  on 
n'ignore  pas 
(|uel les  précieuses 
c  o  M  l  r  i  b  u  t  i  o  n  s 
leurs  géologues, 
leurs  naturalistes, 
les  Teodebald  ou 
les  V'ogt,  ont 
ajoutées  ù  la 
science  des  Alpes, 
(^esl  cnlin  le 
club  allemand- 
aulrichicn  qui 
comprend,  avec 
ses  cent  cinquante 
sections,  la  plus 
forte  armée  de 
volontaires.  Ils 
sont  au  nombre 
de  vingt  mille, 
pour  témoigner 
de  la  force  expan- 
^ive  de  leur  asso- 
'  iation. 

\'enus  après  les 
Vnglais,  les  Alle- 
mands, les  Suis- 
ses, les  Italiens, 
nos  alpinistes  ont 
lait  du  chemin, 
depuis  le  "2  avril 
1874,  date  de  la 
fondation  du  Club 
français.  Quatre 
années  seulement 
avaient  suivi  que 
déjà  près  de  deux 
mille  cinq  cents 
recrues  s'étaient  ralliées  sous  saj  ban- 
nière. Le  chiffre  bientôt  doubla.  U  a  dé- 
passé six  mille  à  présent,  sans  compter 
l'appoint  des  troupes  de  montagnes  ou 
bataillons  alpins,  qui  s'adjoignent,  à  titre 
de  membres  honoraires,  aux  [latrio- 
tiques  sections  du  sud-est. 


)  E     S  A  L  /,  li  I  i  r  1!  ( 
f  lies  Alpefuereins ) 


I/AIPINISMK 


Do  prime  abord,  1  objet  el  le  pro- 
gramme complet  de  cette  importante 
association  avaient  été  nettement  mar- 
qués. On  devait  procurer  aux  excur- 
sionnistes, par  la  voie  des  journaux  et 
par  un  annuaire  spécial,  la  publicité  et 
les  moyens  d'émulation  que  les  sociétés 
étrangères  ne  ménagent  point  à  leurs 
nationaux.    On    se    donnerait    à     tâche 


les  marques  de  son  initiative  féconde, 
au  moyen  dune  forte  organisation  rece- 
vant de  Paris  l'impulsion  centrale  et  se 
ramifiant,  au  dehors,  en  plus  de  cin- 
quante sections,  indépendantes  el  unies, 
pareilles  aux  canaux  d'un  lleuve  puissant, 
qui  en  partagent  le  cours  sans  le  rompre 
ni  l'affaiblir.  Il  a  provoqué  et  rendu 
possililes     des    excursions     mémorables. 


MlUillKN.     —     VVK    DU     .M  O  N  C  H     ET     1)  K     I,  '  K  [  (!  R  11     (  ()  R  E  I!  ],  A  N  D  ) 


d'exercer,  à  l'instar  des  .Anglais,  un  mi- 
nutieux contrôle  sur  les  guides,  les 
refuges  de  montagnes,  pour  |)révenir  les 
accidents  et  [)rotéger  les  persoinies. 
Avec  les  ressources  croissantes  de  l'en- 
trepri.sc,  on  ferait  (cuvrc  d  niililc  publi- 
que en  facilitant  aux  tmiiislcs  !  accès 
des  plus  belles  cimes  [)ar  des  créations 
de  routes,  d'abris  el  d'hôtels,  l'aitin, 
nul  elfort  ne  serait  épargné  alin  d'aider 
aux  recherches  scientiliipjcs  cl  de  vul- 
gariser la  connaissance  de  nos  belles 
montagnes  françaises. 

Le  (]lub  alpin  a  rempli  ,  au  delà 
même  de  ce  ([u'elles  anudiicaicnl ,  les 
promesses  de  la  première  liiiirc.  Il  a 
disliibué  sin-  les  points  les   plus   variés 


fourni  aux  populations  des  montagnes 
le  conc<iurs  le  plus  effectif,  grâce  à  des 
subventions  locales  sagement  réparties; 
frayé  des  chemins,  établi  de  nombreux 
refuges,  des  chalets-hotels,  des  observa- 
toires, des  tables  d'orientation  sur  les 
sommets;  coo])éré  très  activement  au  dé- 
velo[)|)eineiit  |)hysique  et  à  1  instruction 
de  la  jeunesse  par  I  licurcusc  conduile 
des  caravanes  scolaires;  gi-oupé,  dans 
des  expositions  particulières,  coiniiu' 
celle  qu'avait  imaginée,  en  IS'.tJ.  la  m'C- 
lion  de  l'Isère,  tout  ce  (|ui  inlciesse 
ral[)inisnie,  et  réuni,  |)(>ur  smi  propre 
avantage,  d'admirables  éh'inenis  délu- 
(les.  I,a  bibliollièciue  (lu  (ilub  j<nirnelle- 
niciil    s'i'iirirhil    d'ouvraiies  écrits    dans 


I.  Al.lMNISMi: 


])i'cs(|iic  Inulus  k's  l;m;j:iies  cl  i<e  r;ip|)oi- 
liiiil  à  la  •;raji(lf  j-ciciiif  de  la  iiadire. 
Eiifm,  il  s'oiiorj;iifillit  à  bon  droit  du 
ses  belles  colleelioiis  carlographiques  et 
de  tant  de  vues  saisies  à  la  plume,  au 
crayon  ou  par  rohjectif,  les  unes  sépa- 
rées, les  autres  rassemblées  en  albums,  et 
qui  sont  d'une  aide  fort  précieuse  pour 
les  conférences  de  ses  orateurs.  Qui  ne 
ne  connaît,  en  ellel,  ces  altravanles 
conférences?  (Combien  d'entre  nous, 
auditeurs  impressionnés,  mais  tran- 
quilles, la  pensée  ouverte  à  tous  les 
périls,  à  toutes  les  menaces  des  éléments 
conjurés,  mais  n'ayant  aucune  peine  à 
les  vaincre,  ne  se  sont-ils  pas  vus  tour 
à  tour  allant  au  mont  Blanc  sur  les  pas 
de  M.  Durier  ou  de  M.  \'allot,  au  Ca- 
nada a\ec  MM.  Darnault  et  Gailly  deTou- 
rines,  franchissant  l'Oural  avec  M.  Ra- 
bot, plonjîeant  avec  M.  Martel  dans  les 
{fOulTres  des  Cévennes,  ou,  sans  quitter 
le  fauteuil  confortable,  s'élançant  en 
imag^ination  par-dessus  les  abîmes  à  la 
conquête  tles  plus  tiers  sommets  ! 

Le  Club  alpin,  par  ses  ascensions 
seules  comme  i)ar  les  travaux  qui  en 
résultent,  ne  cesse  d'accroître,  chaque 
année,  la  somme  des  connaissances 
humaines  dans  le  champ  de  Torographie. 

En  dehors  des  ascensions  isolées  et 
d'objet  purement  individuel,  l'alpinisme 
français  a  rassemblé  sur  une  foule  de 
points  des  résultats  pleins  d'importance 
pour  le  progrès  scientitîque.  On  sait  la 
valeurdes  observations  spectroscopiques 
de  M.  Janssen  au  plus  haut  étage  du 
mont  Blanc,  le  mérite  des  rapports  du 
prince  Roland  sur  les  variations  pério- 
diques des  glaciers  des  Alpes,  et  le  prix 
de  tant  de  documents  spéciaux  ajoutés 
à  la  physique  du  globe. 

Il  nous  serait  bien  difficile  de  résumer 
ici,  dans  un  espace  forcément  restreint, 
toutes  les  excursions  d'importance  ac- 
complies, depuis  1874,  par  les  vaillants 
du  Club  alpin,  ou  seulement  de  relater 
quelques-uns  des  épisodes  pathétiques 
de  ces  continuelles  batailles  livrées  à 
des  géants  de  pierre  et  de  glace.  A 
peine    si    nous    pourrions    signaler,    au 


hasard  de  nu-,  souvenirs,  sans  juvoccu- 
|)atii)n  très  grande  de  l'exactitude  des 
dates  ni  de  l'ordre  géographique,  quel- 
ques-unes de  ces  belles  aventures  ayant 
un  caractère  spécial  de  hardiesse.  Je 
rappellerais,  ])ar  exemple,  M.  Hoileau 
de  Casieinau  surmontant  pour  la  pre- 
mière fois,  le  10  août  1877,  l'orgueil  de 
la  Meije,  la  terrible,  l'inexpugnable 
iMeije,  à  la  fois  l'attrait  et  la  terreur  des 
alpinistes,  et  (|u'oii  ne  saurait  comparer, 
pour  ses  dangers  multi])les,  à  aucune 
autre  cime,  ni  au  Rolh-horn,  ni  à  la 
Dent-Blanche,  ni  même  au  Bielsch- 
horn  ;  M.  Sirven  escaladant  à  nouveau, 
en  188G,  ses  murailles  à  pic  et  maints 
autres  encore  iCoolidge,  miss  Brevoorl, 
M""'  Richardson  et  Paillon,  MM.  Duha- 
mel et  Regaudj  assaillant  tour  à  tour  les 
trois  sommets  principaux  de  ce  sévère 
massif:  le  pic  occidental,  puis  l'étrange, 
le  sans  pareil  pic  central,  grandio-sement 
soulevé  au-dessus  de  la  vallée  des  Etan- 
çons,  comme  s'il  allait  lécraser,  et  le  pic 
oriental  aux  larges  vues  panoramiques; 

—  MM.  Beaumont  et  \\'agnon,  de  la  sec- 
tion de  Paris,  gravissant  la  dernière 
pointe  vierge  de  la  Dent  du  Midi  et  lui 
donnant,  par  un  juste  hommage,  le  nom 
de  pointe  Durier;  — M.  Maître,  en  1887, 
renouvelant  les  exploits  de  l'ascension 
du  Cervin,  qui  fut  longtemps,  comme 
la  superbe  pyramide  de  l'Eiger,  réputé 
inaccessible,  tant  ses  parois,  des  diffé- 
rents points  d'où  on  l'examine,  parais- 
sent abruptes  et  escarpées  ;  attaquant 
le  colosse  par  le  côté  italien  où  il  faut 
s'attendre  à  rencontrer  deux  des  chemi- 
nées les  plus  hautes  et  les  plus  complè- 
tement verticales  qui  existent  dans  les 
Alpes  entières,  et  réalisant,  en  combi- 
nant son  ascension  avec  la  descente  par 
le  versant  de  Zermatt,  l'une  des  courses 
les  plus  grandioses  qu'on  puisse  rêver; 

—  et,  si  nous  avions  à  parler  des  étran- 
gers, la  presque  légendaire  miss  Richard- 
son  franchissant  en  col  des  pics  tels  que 
l'aiguille  du  Chardonnet,  la  Jungfrau  et 
le  Lyskamm,  et  assaillant  avec  le  même 
succès  l'Aiguille  noire  de  Peuteret,  cet 
obélisque  à  juste  raison  faut  redouté.  Je 


I,  AL  IMMSMK 


voiulniis  encore,  avec  AJM.  (Jh;imbreleiil 
cl  Puiseux,  suivre  en  dclnil  le  parcours 
de  leurs  belles  expédilions  valaisanues 
et  oberlandaises.  ,1  en  dirais  d'autres,  des 
Français  surtoul.   all'ninlaul   les  aspects 


les  roches  mal  équilibrées,  jiar-dessus  les 
crevasses  noires  et  les  séracs  fjif^antes- 
ques,  jusqu'au  cujnien  du  Grand-Bec  de 
Fralof,''nan,  mi  d  abnrder  de  face  la  for- 
midable cliaiiie  lie  la  \auoise  se  dressant 


1)  i:  s  c  K  N  T  !■:    IM 


11.     ll'ArVlVK      (MASSII-     1)1-      l'K.I.  VII  r  X  ) 


farouches  el   sauvages  de  l'Oisuns,  l'im-  haute  et  droite  de  la  terre  juscpi'au  ciel, 

niensité  de  ses  chaos  rocheux   et   l'imi-  I)e|)uis   (|uel(pies   années,    les    asccii- 

pleur    de    ses    formes,     qui    conlraslenl  sionnisles  ont   parliculièrcmeul    l'echer- 

d'une  maiilrir  s.ii^is^.mlr  a\ci-  l'audace  clié  les  .Mpcs  dauphinoises,  qui  l.ii>sen( 

de   ses   mille   aij;iiille-  siiuri'illru>es  ;  ou  '.    à     l'âme    l'impression     d'un    irn'-si^tible 

révélant    .aux  visiteurs   de    la     Tareiilai^e  allr.nl,    et  surloiil   1rs  inq>ii>anls  massifs 

(|uelsspeclaclesfécriqueslesallrudiaieiil  de  la  ii'';;ion  laiiiir,  la  partie  pittoresque 

s'ils   a\aieiil    le  coui-a^'c  d'aller  a  tr.ixers  !    par    excellence     de    la    Sa\oie,    le   \-éri- 


I.   Al.l'IMSMi; 


lal)lc'  ()l)c'rl,iii(l  IVanfai».  Il  y  :i  moins 
<run  sicc'le,  on  ne  snv.iil  rien  nu  peu 
«le  i-liosL'  (li's  n|)[)ositions  infinies  de 
celte  :i(lniiiiil)le  réf^ion,  dont  les  monts 
escarpés  portent  à  leurs  lianes  tant  de 
vi},'nobles,  de  carrières,  de  mines  opu- 
lentes ou  de  forteresses  ruinées.  Une 
inconcevable    obscurité    lloltait    autour 


calmes  et  reposants  forment  un  déli- 
cieux coin  de  terre  pour  la  villéf;iature 
estivale,  justprau  cirtpie  de  monla};nes 
cpii  enveloppe  Pralo^'nan,  on  ne  saurait 
concevoir  un  j)lus  majestueux  décor.  Ce 
sont  en  première  ligne  les  f;laciers  su- 
perbes de  la  Vanoise  et  la  blanche 
silhouette  de  la  (îrande-Casse  se  dres- 


GLACIER     D    ALETSCH. 

des  délicieux  vallonnements  de  Brides 
et  voilait  au  reste  de  la  terre  les  cimes 
éblouissantes,  qui  en  ferment  l'horizon. 
Les  temps  ont  bien  changé.  Quel  excur- 
sionniste, aujourd'hui,  ne  se  laisserait 
tenter  par  la  classique  et  facile  ascension 
du  Petit-Saint-Bernard  ?  Quel  alpiniste 
digne  de  ce  nom  voudrait  oublier  désor- 
mais les  cols  si  beaux  de  la  \'anoise  et 
de  Chavière,  ou  le  superbe  dôme  de 
Chasseforêt,  d'où  l'œil  peut  embrasser 
les  plaines  de  l'Italie  et  les  Apennins,  la 
boursouflure  gigantesque  du  mont  Blanc, 
le  lointain  des  Alpes  suisses,  les  massifs 
du  Dauphiné  et,  au  nord,  à  l'est,  au 
sud,  de  toutes  parts,  une  infinité  de  val- 
lées et  de  montagnes  secondaires?  De  la 
riante  vallée  de  Brides,  dont  les  paysages 


I.  i:     M    \  T  T  K  l;  H  M  1; 


sant  entre  les  Aiguilles  de  la  Glière; 
plus  loin,  les  glaciers  de  la  Grande- 
Motte,  tandis  que,  dans  le  prolongement 
du  panorama  vu  de  haut,  s  élève  au 
nord,  à  une  extrémité  de  la  Thiaupe, 
l'Aiguille  du  Midi  et,  derrière  elle,  le 
mont  Pourri,  dominé  à  son  tour  par  le 
mont  Blanc  et  le  mont  Rose. 

Le  meilleur  de  leur  culte  se  partage 
entre  les  beautés  pyrénéennes  et  les 
alpestres.  Que  ces  dernières  soient  l'objet 
essentiel  de  la  faveur  des  alpinistes,  la 
chose  s'indique  d'elle-même.  Encore 
leurs  prédilections  sont-elles  loin  de  s'y 
limiter.  Tout  ce  qui  se  rattache  à  la 
montagne  est  de  leur  ressort,  que  ce  soit 
l'Etna  ou  le  Pic  du  Midi,  F.Atlas  ou  la 
Junsl'rau,    le   Faulhorn    ou   IHinialava. 


LAI.PIMSMK 


Ils  vont  et  rayonnent  en  mille  direc- 
tions, |)artout  où  reste  une  cime  à 
vaincre,  un  obélisque  à  surmonter,  une 
pointe  inconnue  encore  à  conquérir,  et 
—  ce  qui  vaut  davantage  —  une  obser- 
vation scientifique  à  recueillir  dans  les 
hautes  altitudes.  Tel  d'enlre  eux  fran- 
chira rAll,iiili(nir   poiu- 'a\oi[-  la   noiidn 


aérien  très  redoutable,  voilà  le  désir  de 
tous,  et  presque  l'unique  objet  de  leur 
émulation  ardente.  Il  me  semble  les  voir 
pendant  les  longues  soirées  d'hiver,  ces 
l'ervcnts  clubistes  de  France,  de  Suisse, 
d'Allemagne,  d'Angleterre,  cherchant, 
parmi  l'immense  enchevêtrement  des 
llrches  de  granil  et  des  créles  (h'cluque- 


T.  1!      Il  A  TU  Al'.      —     VITK     1' H  I  S  K      III 


exacte  du  Niagara  ou  des  moiilagncs 
Hoclieuses.  D'autres  se  laisseront  sé- 
diiiic  [lar  le  charme  projjre  du  Nordland, 
interrogeront  les  mystères  de  l'Oural  cl 
du  (Caucase,  alterneront  entre  des  tem- 
pératures sahariennes  et  I  iinnieiisilc 
glacée  des  paysages  norvr'giciis,  (i(in\i'- 
ront  enlin  jus(pie  sous  1<>  bii'ilaiil  soleil 
de  Madaga.scar  mi  des  Aiilillcs  l'énergie 
nécessaire  pour  loul  \oir,  tout  relever 
et  nous  l'aire  profiler  de  leur  expérience. 
Découvrir  (piehpie  .huiglrau  nouvelle 
et  niéritanl  sa  r(''pu(alion  d'immaculée, 
ce  serait  rambilion  su])rém('.  .\l  Iciiidre, 
loucher    a\aiil    les    aulres   (|uehpii'    l'aile 


lées,  (piehjue  dernière  pyramide  laissée 
en  oubli.  Malheureusement,  les  cimes 
inviolées  se  l'ont  de  plus  en  plus  rares. 
I)ej)uis  la  première  ascension  des  frères 
Meyer  en  ISI  I,  celle  fameuse  .lungfraii, 
ddiil  nous  \cii(ins  de  ra|i|ieler  le  virginal 
siiiiveiiir,  semble  s'i'-lre  i\'iidiic>  d'une 
huiiieiir  bien  aeenniincKlaiile,  l'ai  alleil- 
daiil  le  eheiniii  de  l'er  à  crans,  ipii  ralial- 
Ira  pour  jamais  sa  lierlé,  les  |irogrès  de 
lalpinismc  aumnl  slngulii-renu'iil  mis  à 
mal  sa  reiiumnii'e  d'iiiaeeessible.  De 
même,  li's  priiieipaiix  belv  i''(lères  de 
l'Oberland  el  ilii  \alais  aiir.uil  elédécrils 
sons    (dus  les  aspeels  de   li'iir    imposante 


1.   AI.I'IMSMh: 


el  (fiTili;iiitf  miijcsU'.  I,c  nioiil  lilanc, 
iii;ilf;i('-  It's  <iur;if^:ans  Icrrihles  qu'il  (!('- 
chaiiiL'  e(  les  ai-cideiils  l'uncsk's  qui  s  v 
rt'|)clenl,  esl  ck'vcnu,  pour  les  autlaciuux, 
toinniL'  un  [)aysa^'e  l'amilier.  On  pourrait 
(lire  (|ue  la  valli'c  de  Cliaiiiounix  esl 
vraiment  aujourd'liui  la  capitale  de 
l'alpinisme.  Ni  les  ahimcs  sans  lin,  ni  les 
crevasses  perlides  (jui  défendent  le  géant 
de  granit,  ni  la  rareté  de  1  air  au  sommet, 
ni  la  crainte  des  a\alanches  n'arrêtent 
plus  le  courage  des  ascensionnistes,  pas 
même  les  glaciales  tem])ératures.  Car, 
dc])uis  quelques  années,  les  rigueurs  de 
l'hiver  ne  sauraient  refroidir  1  élan  des 
gi-impeurs  convaincus.  On  dirait,  selon 
le  mol  de  M.  .Iules  Forni,  que  ces  der- 
niers metlenl  je  ne  sais  quelle  coquet- 
terie à  poudrer  à  frimas  les  ascensions. 

En  ces  dernières  années,  on  trou- 
vait encore  dans  les  Alpes  dolomitiques, 
dont  l'exploration  fui  inaugurée  en  1799 
par  le  j)rince-évèquc  de  Salms,  lors  de 
la  première  ascension  du  Gross-Glokner, 
oiiy  trouvait  encore  quelques  dents  «assez 
respectables  ■>  et  que  n'avait  pas  foulées  le 
pied  de  l'homme.  Aujourd'hui,  aucune 
cime  notable  de  l'.Autriche  ne  reste  à  dé- 
couvrir; et  l'on  a  pu  raconter,  massif 
par  massif,  l'histoire  détaillée  de  la  con- 
quête des  Alpes  orientales.  Sans  reparler 
des  altitudes  souveraines  de  l'Himalaya, 
—  le  paradis  des  alpinistes,  nous  dit 
Conway,  et  dont  la  possession  définitive 
n'est  plus  qu'une  alFaire  de  temps...  et 
d'argent,  —  on  n'ignore  pas  que  Frehs- 
lield  et  Maurice  de  Déchy  ont  escaladé, 
au  Caucase,  des  pics  de  5,000  mètres. 
M.  Luco,  du  A'al  d'Aoste,  et  membre  du 
Club  italien,  a  gravi,  pareillement  au  Cau- 
case, 1  Elbrouz  qui  culmine  à  5,640  mè- 
tres. En  Australie,  on  a  surmonté  les 
deux  pics  dominateurs  de  la  Nouvelle- 
Guinée.  Et,  dans  l'Afrique  orientale,  hier 
encore  inconnue,  il  s'en  est  fallu  de  peu 
(une  misère  seulement,  250  mètres !i 
pour  que  le  docteur  Hans  Meyer,  venu 
après  van  der  Dekken,  New,  Johnston, 
Ehlers,  ait  maté  définitivement  l'énorme 
Kilimandjaro. 

Que  la  période  des  grandes  conquêtes 


alpines  soit  close,  il  faut  bien  le  recoii- 
nailre.  Mais,  pour  des  amoureux  de  la 
montagne,  les  .Alpes  ne  cessent  point 
d  êli-e  nouvelles.  l,a  Dent  du  .Midi,  que 
Javelle  appelait  pour  sa  beauté  simple, 
harmonieuse,  classique,  le  Farlhénondes 
Alpes;  les  Graies  méi-idionales,  avec 
l'étendue  el  les  splendeurs  de  leurs  pa- 
noramas, les  chaînes  glaronnaises,  gri- 
sonnes, tyroliennes,  moins  connues  de 
nos  ascensionnistes  franvais,  sont  loin 
d'avoir  épuisé  leurs  révélations.  La 
montagne  se  renouvelle  perpétuelle- 
ment. Chaque  saison  offre  à  ses  ama- 
teurs des  émotions  dilférenles.  Au  prin- 
temps, quand  les  avalanches  labourent 
les  pentes  blanches  et  rapides,  que  les 
entassements  de  la  glace  s'écroulent  et 
tombent  en  poussière  humide  dans  les 
couloirs  el  les  ravines,  c  est  le  moment 
des  excursions  charmantes  dans  la  zone 
des  préalpes.  En  été,  c'est  la  grande 
circulation  de  l'alpinisme.  La  vie  pénètre 
jusque  dans  ces  hautes  vallées  reculées, 
où  tout  semble  n'être  qu'image  de  chaos, 
de  désolation  et  de  mort.  L'automne, 
c'est  le  temps  des  ciels  purs,  des  hori- 
zons limpides  et  des  vues  illimitées. 
Jamais  le  crépuscule  du  soir  ne  fait  se 
succéder  avec  une  variété  plus  impres- 
sionnante qu'aux  mois  de  septembre  ou 
d'octobre,  sur  le  couchant  en  feu,  la 
gamme  de  ses  tons  attendris  et  ses  pâ- 
lissantes agonies  de  couleurs.  L'hiver 
enfin,  c'est  le  monde  polaire,  plus  massif 
et  plus  lumineux.  La  montagne  alors  a 
revêtu  toute  l'ampleur,  toute  la  majesté 
de  son  décor  silencieux  et  grandiose. 

Comme  nous  le  disions  tout  à  1  heure, 
de  chances  il  n'en  reste  plus  guère,  pour 
nos  ascensionnistes,  de  découvrir,  en 
pleines  Alpes  surtout,  parmi  tant  de 
hauteurs  déflorées,  ce  qu'ils  appelleraient 
des  cimes  quasi  rosières.  Mais  ils  savent 
chercher  d'autre  manière  et  trouver  la 
sensation  originale.  Quelques-uns  pen- 
sent l'éprouver  en  pratiquant,  après  une 
période  suffisante  d  entraînement,  les 
courses  sans  guides.  Ils  trouvent  là  le 
charme  et  l'imprévu  de  l'exploration 
vierge  ;  pour  eux,  c'est  vraiment  l'intérêt 


I.  ALPIMSMK 


dune  première,  avec  des  molils  d  éinn-  |  \oloiilé  propre,  ils  apprcnnenl  à  discer- 
tion  plus  puissaiils.  (Test  aller  à  la  ren-  ner  les  objets  eu  détail,  à  acquérir  le 
coutre     [d'une      jiMiissance     souveraine,    i    llair,  à  jireudre  d'instinct  le  hou  ]iassane, 


M'') 


TllAl.     1>K      I.  A     MKI.IK,     A  1' 1' K  I.  fc     IIANS     1,  H     rAYS     I,  F,      DiilKT 


conipai  aille  a  ci'lli'  du  sa\aiil  i|ui  ri'alisc  a  ihcii^n-  coinnu'  p,ir  <li\  iu.il  mu  l,i  lionne 

une  di'con\crlc. l'ciil  linuMaMuc  du  rnnlc.     Ils    v    j^oùlcnl     de-    iiupre-Mnns 

^;(-uie  (•ri'alcui-,  (|ui  se  ic\éleà  lui-uuMue  d'aulanl    jiliis  \  i\c-s  (|u  elles  ru'  snul    pas 

après    nulle    l'aliynes    el    nillle     làlnune-  !    sans   uic-lani;i'  de  crainle  ;  cai-,  dès  (pi'ou 

nienis.  Sans  en  eiri' re<le\aliles  (pj'a  leur  a   d('passi''   l'Mlldiule   de  trois   niille   nu''- 


1.   A  1,1'IMSMi: 


1res,  alors  commencent  les  sérieuses 
diflicullés.  Que  dis-jc!  C'est  l'attrait 
mystérieux,  (|ui  justeiiienl  les  slinuile 
et  les  pousse  en  av;iiil. 

Il  y  a  là  (lu  piquant,  en  ell'el.  Seule- 
ment, il  faut  savoir  d'avance  qu'on  se 
risque    à    en   iiayer  cher    les  émolions. 


de  ne  pas  s'abuser.  Le  Hotliorn,  dont 
la  face  orientale  est  une  ellrayante  paroi 
j)encliée  sur  le  vide,  [jrojetle  encore 
en  ses  mauvaises  heures  de  certaines 
avalanches  de  pierres.  Le  (k'rvin,  mal{jré 
les  crampons  et  les  chaînes  de  fer  dont 
on  l'a  muni,  et  le  monl  Pourri  ne  sont 


(MONT     BLANC, 


Sans  doute,  depuis  un  certain  nombre 
d'années,  la  découverte  de  nouveaux 
itinéraires,  l'augmentation  des  refuges 
et  des  ressources  d'ascension,  les  cordes, 
les  chaînes  et  les  échelles,  que  l'on  a 
placées  dans  les  pas  les  plus  exposés, 
en  Suisse  principalement,  ont  rendu 
praticables  des  sites  très  farouches, 
cuirassés  de  glaces,  bordés  de  préci- 
pices et  d'abîmes,  mais  offrant,  au  terme 
de  l'escalade,  des  panoramas  célèbres 
par  leur  magnificence.  Encore  est-il  bon 


pas  plus  commodes  lorsqu'ils  font  gron- 
der leur  artillerie.  La  Dent  du  Géant, 
dont  les  parois  ont  souvent  90°  de  pente, 
c'est-à-dire  la  perpendicularité  absolue, 
est  bien  cataloguée  dans  le  nombre  de 
ces  montagnes  drapées  de  cordes,  selon 
l'expression  des  Climber's  Guides,  oii 
n'importe  quel  "  gymnaste  »  peut  mon- 
ter. Toutefois,  est-il  au  moins  nécessaire 
là  de  n'être  pas  sensible  au  vertige,  ni 
affligé  d'un  commencement  d'obésité. 
Enfin,  le  Weisshorn,  le  Schreckhorn,  la 


I.   AMMMSME 


Deiil-Blaiiche,  ^Aij,'uille-^'erte,  le  Coin- 
biii,  le  Dom  des  Mischnbels,  le  Trient 
cl  sa  i<  sinistre  géhenne  «,  toutes  ces 
gloires  des  Alpes,  bien  que  plusieurs 
l'ois  vaincues,  réservent  encore  de  péni- 
bles surprises  aux  assaillants  du  présent 
et  de  l'avenir.  On  n'en  peut  sortir 
(lu'avec  beaucoup  de  courage,  d'adresse 
et   de   santr-froid.   Ne  l'oublions    ])as,  la 


ne  les  sauverait  pas  —  au  hasard  de 
certaines  catastrophes  et  aux  brusques 
elFels  de  certaines  perturbations  atmo- 
sphéi'iques.  Les  amateurs  de  courses 
ardues,  sans  guide,  n'ignorent  rien  de 
cela;  mais,  sans  provoquer  inutilement 
le  danger,  ils  ressentent  une  volupté 
âpre,  et  qui  les  entraîne,  à  voir,  à  juger 
dans  la  pleine  liberté  de  leurs  actes  et  à 


MdNT    iir,  ^^• 


T  I!  A  V  Kits  f:n    D'INK    CUK 


montagne  est  âpre  à  la  délense.  Souvent 
elle  prend  de  terribles  revanches  sur 
l'homme  assez  audacieux  pour  violer 
ses  sommets,  scruter  ses  entrailles,  son- 
der ses  abîmes,  interroger  de  trop  près 
le  mystère  de  ses  gl.iciiTs.  lùdin,  il  n'y 
a  pas  à  se  dissinnili'r  qu'en  des  ('pi-i'uvcs 
f)ù  li'ii|)  souvent  succond)ent  les  guides 
les  plus  e\|iciiinentés,  les  |)rofessif>nnels 
les  plus  r('sislanl,s  et  les  |)lus  sûrs  d'eux- 
mêmes,  r.ivenlurc  est  aulremenl  péril- 
leuse pour  des  touristes  s'ex[)os:nil  seuls, 
avec  une  dose  de  courage  moral,      -  qui 


engager    celli^    lutte    hasardeuse   contre 
les  forces  de  la  nature. 

Certes,  l'amour-jn'opre  a  sa  large  ré- 
tribution dans  les  jouissances  de  l'alpi- 
nisme. Kacilement,  l'homme  s'exalle  et 
se  sent  grandir  à  liilée  qu'il  sera  lecoii- 
i|uéran(  d  iiii  pic  redoutable  ou  d'une 
cime  iii\  aiiicue.  Il  espère,  sans  loii|i>urs 
se  raxciiici-  a  liii-iiirme,  cxciIitI  adiiui'a- 
I  ion  jalouse,  sinon  I  en\ieiles  as<'eiision- 
iiisles  moins  favorisés,  qui  ne  \iendront 
(in'aprèsel  sur  ses  traces.  (v)iiel  |>iédes(al 
a  (■(•Ile  gloire  d  un   moinenl  I   .Vinsi,  il  y 


I.AI.I'IMSMi: 


il  iiiu'  ciiH|iiiicil;iine  il'annécs,  un  des 
plus  illuslrcs  piomiiors  de  l'alpinisme, 
le  jirofesseur  'IVndall,  jKirveiiait  seul 
au  soinniel  du  nionl  Hose.  Oublianl 
soudain  à  la  vue  des  splendeurs  dérou- 
lées devant  lui  les  peines  et  les  faliffues 
([u'il  venait  d'endurer,  il  s'étonnait  de 
n'avoir  plus  à  s'elForcer,  à  vaincre;  il 
regretlail  que  la  main  de  quelque  Titan 
n'eût  pas  échal'audé  un  second  pie  sur 
le  premier. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  mobiles  inté- 
rieurs qui  les  fjouvernent,  excitation 
particulière  de  l'amour-propre,  recher- 
che aiguë  de  l'originalité,  amour  sincère 
de  la  science,  les  alpinistes,  certaine- 
ment, cultivent  une  noble  et  salutaire 
passion.  Ne  travaillent-ils  pas  tous,  à 
leur  manière,  à  la  renaissance  plastique 
de  nos  générations  alFaiblies  ?  La  force 
de  volonté,  la  persévérance  qu'ils  appor- 
tent à  leur  éducation  corporelle,  le  ré- 
gime d'abstinence  et  de  fatigues  auquel 
ils  se  condamnent  en  maintes  circon- 
stances, l'habitude  qu'ils  prennent  né- 
cessairement de  n'avoir  guère  à  compter 
que  sur  eux-mêmes  quand  il  s'agit  de 
braver  le  danger,  le  besoin,  la  lassitude, 
sont,  en  vérité,  le  meilleur  exemple 
d'entraînement  pour  les  jeunes  gens  et 
les  hommes  faits,  afin  de  se  développer 
en  vigueur,  en  adresse,  en  courage.  L'a- 
mour de  la  nature  pousse  beaucoup 
d'entre  eux  à  des  explorations  non  moins 
difficiles  que  périlleuses.  Il  nous  semble 
les  voir,  arrivant  d'un  pas  pressé,  les 
vaillants  du  Club  alpin.  Ils  sont  impa- 
tients d'entrer  en  campagne,  de  pointer 
le  fer  de  leur  hergstock  contre  la  rude 
écorce  de  granit,  de  franchir  les  abîmes 
et  de  s'avancer  en  troupe  à  la  conquête 
des  Alpes  —  nos  Alpes  françaises  !  Ils 
ne  voudront  laisser  inconnue  aucune 
aiguille,  aucune  dentelure,  aucune  cre- 
vasse de  nos  glaciers  ! 

En  dépit  des  tartarinades  d'un  roman- 
cier frileux,  il  n'est  pas  toujours  aussi 
simple  qu'on  voudrait  le  croire  de  choi- 
sir pour  plate-forme  de  ses  contempla- 
tions l'arête  sommitale  d'un  pic  aux 
pentes  verglassées.   S'il  vous  plait  d'en 


juger,  M  vous  n  avez  connu  p.ii  m.u-— 
même  le  rude  elfort  et  la  pénible  lâche, 
lisez  seulement  le  récit  p.ithélique  tpie 
nous  a  laissé  ^^'llymper,  de  la  funeste 
victoire  (|u  il  rein])orla, le  1  (juillet  IHti.'i, 
sur  l'orgueil  du  Cervin,  et  <pie  paya  si 
chcrenient  la  perte  de  ses  trois  compa- 
gnons et  du  guide.  Lisez  dans  les  Sou- 
venirs, de  Javelle,  I  histoire  d'une 
certaine  glissade  le  long  des  glaces  noires 
du  Galenstock;  celle  d'une  marche  de 
nuit,  dans  l'angoisse  et  les  ténèbres,  à 
la  descente  de  la  Tour-Salière,  sur  l'alpe 
d'Emmaney;  ou  de  lénorme  avalanche 
qui  le  surprit,  aux  flancs  de  la  l)ent-du- 
Midi,  l'entraîna  dans  son  tourbillon  et 
lui  lit  faire,  en  peu  de  secondes,  le 
voyage  du  Plan-Névé  aux  pâturages  de 
Salanfe,  c  est-à-dire  près  de  cinq  cents 
mètres  en  chute  verticale.  Et,  plus  près 
de  nous,  revoyez  en  vos  souvenirs  les 
détails  de  la  terrible  aventure  du  lieu- 
tenant Messimyà  la  Grande-Casse;  par- 
courez l'émouvante  description  par 
M.  Th.  Camus  d'une  ascension  fort 
accidentée  de  l'Aiguille  de  Charmoz; 
interrogez  enfin  les  annales  de  tant 
d'excursions  sensationnelles  que  nous 
pourrions  signaler  encore,  et  vous  aurez 
là-dessus  les  éléments  d'une  opinion 
complète.  Gravir  sans  fin  à  travers  les 
éboulis  et  les  horribles  déchirures,  se 
glisser  entre  les  enrochements  plaqués 
de  neige,  sillonnés  de  vires  et  de  cou- 
loirs: alTronterle  hérissement  redoutable 
des  séracs  ou  la  glissade  mortelle  au  fond 
de  quelque  hergschriind  voûtée,  dissi- 
mulée sous  vos  pas  comme  une  perfide 
caverne  ;  marcher  de  ce  pas  monotone 
dont  les  coups  de  piolet  taillant  les 
marches  en  zigzag  donnent  la  lente  ca- 
dence; se  cramponner  à  ces  parois  verti- 
cales presque  sans  saillies  apparentes  où 
quelquefois  on  n'a  pour  tout  support 
qu'un  clou  sous  la  pointe  du  soulier  et 
le  bout  des  doigts  crispés  sur  un  frag- 
ment de  pierre  ;  est-ce  un  si  délectable 
plaisir,  n'est-ce  pas  assez  payer  une 
satisfaction  particulière  de  l'âme,  une 
jouissance  spéciale  du  regard,  lorsque, 
dans  la  transparence  parfaite  de  l'atmo- 


1.  ■  A  I.  P I  \  I S  M  E 


sphère,  au-dessus  de  l'élinccllemenl  des 
flèches  immaculées,  il  pénètre,  ébloui, 
jusqu'au  plus  prolniid  des  dernières 
vallc'es.  et  domine,  emhi'asse  l'espace 
comme  dans  une  apothéose  de  l'éerie  ? 
A  moins  que  "  la  fée  des  glaciers  » 
ne  \ous  ail  comme  eux  louches  de  sa 
baguette,  on  a  peine  à  comprendre  celte 
sorte  d'obstination  aventureuse,  qui  ne 
lais-^e  pa*  de  ivpn<  ;iii\   ri(lor:i(i'ur>;   de  la 


vaincre.  C'était,  chez  lui,  l'entrainenient 
d  une  irrésistible  passion.  Quand  le  mois 
d'aoùl  s'avançait  et  que  le  point  dange- 
reux dexenait  praticable,  d  n'v  pouvail 
plus  lenii-;  il  re\enait  à  la  montagne,  il 
gravissait  une  l'ois  de  plus  les  gigantes- 
ques gradins,  et,  lorsqu'il  en  avait  cou- 
ronné l'éminence  suprême,  au  prix  d  un 
labeur  inlini,  par  delà  les  vires  tor- 
tiieu^e^.    par  delà  les  ravines  en  partie 


1  K  l;      Il  r      K  H  UN  K. 


V  r  E    rii  isK    1]  i',    1, 


montagne,    jnsciuà     ce    qu'ils    aient    ar-        couvertes  de  verglas  cl  coii|)ées  i 

rachi'    à     la    nature    insensible    la    loule       durs,  alors,  les  jarrets  encore  Irc 

l'ngili\e    po^xssicin    d'une    aiguille  1res       de  fatigue  cl  les  poumons  épnis 

ellilée,  d  une  arête  bien  Iranchaiile.  d'un       disait  lieiireuv  d'un  honheiir  ind 

à-pic  vertigineux,  vi  (|iii    iiisteiueiit   leur       ble.lle  tel-,  alpllll^les  ih'  nhhI  | 

l'ail     prél'i''l'er,     pour     v    parvenir,    le  clie- 

iiiiii    le  plii^  àpi'c  et    le    plii'^    |ii''i'llli'ii  \ .  () 

Iciiiv  rante  et  iiicimiparalile  ;;\  niiia'-lKpie 

(le    se    prendre    corps    à   corps    a\i'c    des 

granits  liei's  cl  hérissés.  —  d'un  liérisse- 

nienl     presque     ver'lical!    ()     l'indicible 

plaisir  de  chevaucher  cpiehpie  arcle  bien 

leri-ible  avec,  des  deux  cotés,  desabimes 

à  doniier  le  l'i'isson  !  Demandez-le  plutôt 

à     .lavelle.    a     cet     enlhonsiasle    amant 

d'nne  nature  li'i'S  sauvage,  li-cs  dil'licile  à 


le  neves 
uiblanls 
es,   il  se 
l'sci-ipti- 
iiit  piiiir 
ciller     dexaiil     la     peine     ,t     l'ob-Licle. 
lîien    au    (■iiiitiaii-e.     \\-    oui    d'élraiiges 
idoles,    (pi'ils    appellent    des    ehemilK'CS, 
des  casse-ciiu,   des   licsr/iriiiK/ .  îles  cor- 
niches,   et    (pii,     pour    eii\.    reeéleiil    des 
attraits    dont     nous     a\dn>     à     peine     le 
soupçon.    Ils    aiment     la  dittieulle    pour 
la    dil'licnlté.     Les     évnliit  icin~    -yinu.is- 
liipies   au-dessus   ou   tout    près  du    vide 
sont    en    niènie    tenip^    leur    ('■uiotion    et 
leur    iilaisir.  (le    n'est    |i.i>    seuleineul    le 


1.   AI.l'IMSMK 


vaste  espace  qu'ils  réclament,  le>  luui- 
zoiis  sans  l)()riics,  rini|)i'essii)ii  d'inlini 
qu'on  trouve  au  soiunicl  d'un  j;lacier 
facile,  sur  un  IJreilliorn  ou  --ur  ui\  inonl 
lilanc,  mais  encore  les  ilillkullneuses 
escalades, oùilaulres  sentiraient  se  briser 
bientôt  leurs  forces  et  leur  courage. 
Us  peinent  horriblement.  Qu'importe! 
Leur  joie  est  sans  seconde,  si  la  victoire 
décisive,  si  le  hourra  triomphal  est  au 
bout  de  la  peine...  tout  là-haut. 

Ceux-là  sont  les  élus   de  l'alpinisme. 

Fort  heureusement,  le  Club  alpin 
n'exi(;e  point  pour  tous  celte  émulation 
d'héroïsme.  Qu'il  suffise  à  la  majeure 
partie  de  ses  membres  de  laisser  se  ré- 
veiller, à  de  certaines  dates  réf^ulières, 
l'amour  des  montaj^iies  endormi  au  fond 
de  leur  co'ur  et  d'en  exi)rimer  le  senti- 
ment, connue  ilsl'cnlendeut,  à  la  mesure 
de  leur  haleine!  Notre  ])ays  de  France  a 
du  pittoresque  pour  tous  les  goûts  et  des 
chemins  pour  tous  les  marcheurs.  En  tête 
vont  les  grimpeurs  résolus,  que  nul  obsta- 
cle n'intimide,  les  alpinistes  d'avant- 
garde.  Puis  viennent,  très  espacés,  la 
masse  des  touristes  moins  ambitieux, 
pour  qui  l'assaut  donné  aux  cimes 
moyennes  satisfait  assez  une  ambition 
mesurée  et  de  prudentes  ardeurs.  A 
ceux-ci  les  préceptes  généraux  de  l'alpi- 
nisme prodiguent  les  indications  des 
chemins  aplanis,  des  routes  sages  et  ne 
s'avisant  nulle  part  de  côtoyer  l'abîme, 
des  voies  de  communication  normales 
où  l'on  peut  circuler  sans  cordes  ni 
piolets.  Ils  en  usent  et  leurs  désirs  sont 
remplis.  Les  grands  elFets  pittoresques 
V  sont  rares,  j'en  conviens.  L'hiver  n'y 
dresse  point  ses  échafaudages  fantasti- 
ques aux  combinaisons  infinies.  Le  re- 
gard y  chercherait  sans  les  découvrir  de 
ces  gorges  précipitueuses,  hérissées  de 
pointes  qui  donnent  le  vertige.  Mais,  en 
regard  des  rocs  aigus  et  des  moraines 
inquiétantes,  les  monticules  verdoyants, 
les  délicieux  jardins  alpestres  ont  bien 
aussi  leur  prix,  leur  séduisante  origina- 
lité. Puis,  les  Vosges,  le  Jura,  les  Pyré- 
nées et  leurs  lacs  minuscules  n'offrent-ils 


|»as  à  leui's  visiteurs  les  plus  cliai-inantes 
com|)cnsati(Uis'.'  .Mille  détails  heureux 
s'y  rencontrent,  ]jhiisant  aux  l'cganls 
sans  agiter  l'âme.  Aux  grandes  Alpes 
l'immensité  qui  impose.  Aux  Pyrénées, 
la  grâce  et  la  beauté  simple  qui  capti- 
vent. Celles-ci,  d'ailleurs,  ont  aussi  leurs 
|)uissanls  contreforts.  Et  l'Auvergne 
encore  olFre  de  majestueux  paysages. 
Tel,  le  cirque  de  Kalgoux  oii  se  super- 
posent toutes  les  nuances  du  vert  .sans 
exclure,  néaninfiins,  les  accidents  ro- 
cheux. 

Le  but  du  Club  alpin  fraisais  n'est 
pas  seulement  d'associer  les  alpinistes 
émérites,  que  leur  habitude  des  ascen- 
sions a  familiarisés  de  longue  date  avec 
les  plus  rudes  fatigues.  Il  n'a  |)oint  les 
rigueurs  du  Club  anglais,  où  il  faut  avoir 
fait  ses  preuves  à  [)lus  de  .'J,00()  mètres  de 
hauteur  pour  être  jugé  digne  d'y  (igurer. 
Ce  qu'il  veut,  c'est  attirer  à  la  mon- 
tagne le  plus  grand  nombre  possible  de 
visiteurs,  c'est  développer  entre  tous  ses 
membres  et  tous  les  divers  groupes  dont 
il  se  compose,  qu'ils  viennent  des  sec- 
tions de  Paris,  d'.Auvergne,  des  Vosges, 
des  hautes  Vosges,  du  Forez,  de  la 
Drôme,  de  la  Tarenlaise,  de  la  Mau- 
rienne,  du  mont  Blanc  ou  des  Alpes- 
Maritimes,  ce  sentiment  de  solidarité  qui 
resserre  les  esprits  et  les  cœurs  dans  le 
culte  d'une  même  passion.  A  chacun 
ensuite  de  travailler,  selon  ses  forces  et 
ses  ressources,  pour  le  meilleur  bien  de 
celle  œuvre  profondément  utile,  dont 
nous  avons  exposé  tout  à  l'heure  les 
manifestations  et  la  portée.  Honneur 
donc,  et  sans  distinction,  à  tous  les  alpi- 
nistes !  Car  ils  ont  singulièrement  pro- 
pagé l'amour  des  voyages,  depuis  le 
jour  où  ils  appliquèrent  le  principe  de 
l'association  à  la  connaissance  des  grands 
massifs.  Par  leurs  explorations,  parleurs 
mémoires,  par  leurs  réunions  nom- 
breuses, parleur  exemple,  ils  contribuent 
puissamment  à  étendre  le  goût  des  excur- 
sions salubres  et  des  nobles  curiosités. 

Frédéric    Loliée. 


LA    VIKILLKSSK    \)K    (JI.\TI-:AU151U AM) 


.\il\  |JI'Cilli<-r-  |(iiir~  (le  >c|i|c'ni|jic  l"(iS. 
les  vifilli/s  iniir.iillc-  de  S^mil  M.iln  -iiIh- 
iTiil  r:is~aul  d'iiiif  .•llr.iviiulr  Icnipclc 
l'('ll(l;illl  liiiilc  liiir  ^i-llIMllic,  le-  \,i,l;iic> 
se  iMIri-riil  Mir  l.i  \  illr  :  li>  iMliilr^  |-,i--;iiriil 
les  t., Ils.  ,il):ill.iiil  !<■>  (licnniH-rs,  niisiinl 
InMi-liilloiincr  Ir-  anlniM'S.  -  (■n-oiillV;iiil 
(liiiis  ]>■<  nir-  i-h-oilc-.  I.j  iIkhi^mt  <Iii 
Sillon  lui  |,n-i|iic  dcliiiilr  ;  l.i  |jn|iiil:i- 
lic.ii.    Icnilirr.     -!•     |M,ihi    Innl     .■iiliciv    ;i 

1m  calIlcdlMlL-  oil  ('•hlICIll   l-\|)OMM-.  c. ic 

:iii\  Iriiips  de  j;r;iiidcs  cilaiiiili's  ,  li's 
|-cli(|iics  de  >;iiiil  Miild.  lùiliii,  l.i  Imir- 
lliciilc    >',i|i,ii-:i,   cl.   le   diiiiiinclii'    |S  m|i- 

ll'llllirc.      Illl      |,(lllil       |.IUCCSM 'lll'IlK'Ill 

les  l'csics    dii  siiiiil   ;iiil(Hi|-di'  la   ville.  SUI- 
VI. -  11. 


1rs  anliini(~  iciii|iails  .  laiulis  (|iic  le 
|iriijilc,  iiia--c  ~iir  les  j;rr\('s.  ciiliiii liai! 
<lc-  chaiiK   dall.\i;iv--,>. 

Crsl  an  plii-  li.il  de  (-.■Ile  Imiiirli- 
(|iic'  iiai{iiil.  d.iiis  mil'  Mi,ii-(in   MPisilic  du 

cliàlrail  cl   de   I; T.  Iciilaiil   (|iii  devail 

cire  (llialcauliriaiid.  ••  l.c  iiiiij;iss<'iiiciil 
des  vayiics.  l'criv  ail-il  plus  lard,  ciii- 
|iccli,i  d  ciilciidre  mon  |iremici'  iri... 
on  m'a  soiixciil  coule  ces  laiK;  leur 
Inslessc  ne  s'esl  jamais  ell'acce  de  ma 
memoii<'  :  k'  ciel  scmiil.i  i-<''imli'  ces  di- 
\ciscs  ciicoiislancfs  |ioui'  |il,iccr  dans 
mon  lici'ceaii  une  ima^e  île  mes  dcsli- 
m'-es.    ■' 

I    II    ra|i|ioil     m.iiin^cnl    de|iose.    d   \    a 


I.  KMANCK  i:r   i.A   \iKi  i.i.i:ssi-;  di:  ciiatdaihiiiami 


plus  d'iin  tlcini-sii'cle,  aux  arcliives  de 
Saiiil-Malo,  cf>rrol)ore  la  véracilé  de  ces 
souvenirs.  Il  IViurtiil,  sur  les  premières 
années  de  (-lialeauhriand  ,  des  détails 
précieux,  coinplélanl  de  l'aven  ])récise 
les  souvenirs  que  l'auleur  des  Marli/r.i 
a,  dans  /e,s-  Mémoires  d' nuire  -  lomhc  , 
consignés  eu  un  si  poétique  langa{,'e 
que  bien  des  fj;ens  ont  pu  les  croire  em- 
bellis par  sou   iniaf,'inatioii. 

La  maison  oii  il  \  inl  au  monde  était 
située  rue  aux  Juil's  et  portait,  en  17GS, 
le  nom  dhotel  de  la  (;ic(|uelais;  il  ap- 
partenait à  la  l'amille  Mafçon-Hoisf^a- 
rein;  c'est  aujourd'liui  une  dépendance 
de  l'hôlel  de  Fnince.  L'immeuble  com- 
portait trois  étafîcs  :  on  y  pénétrait  par 
un  corridor  à  l'exlrémilé  duquel  était  la 
cuisine;  au  jjremier  élaj,'c  se  trouvaient 
la  salle  à  nian{;er  et  le  salon  de  compa- 
{jnie,  dont  les  croisées  ou\raient  sur  la 
rue;  la  chambre  à  coucher  de  M""'  de 
(chateaubriand  était  au  second,  voisine 
de  la  grande  pièce  où  couchaient  M""  de 
("diateaubriand ,  sous  la  surveillance 
d'une  femme  de  lonliance,  nommée 
M"^  Masson.  Au  rez-de-chaussée  de  la 
maison  se  trouvaient  les  bureaux  et  la 
caisse  de  M.  de  Chateaubriand. 

Celui-ci,  iixé  à  Sainl-Malo  depuis  1758, 
avait,  en  elTet,  entrepris,  dans  le  but  de 
relever  sa  fortune,  quelques  opérations 
commerciales.  Quoique  le  poète  ail  plus 
lard  traité  de  puérilités  les  prétentions 
nobiliaires  —  d'ailleurs  très  justifiées  — 
de  sa  famille,  il  passe  néanmoins  sous  un 
silence  dédaip;neux,  en  gentilhomme  que 
ces  détails  n'intéressent  point,  les  spé- 
culations de  son  père.  Les  archives  ma- 
ritimes de  Saint-Malo  sont  moins  dis- 
crètes. M.  de  Chateaubriand,  de  retour 
en  France  après  un  voyage  d'alTaires 
aux  îles  d'Amérique,  ])ril  une  part  dans 
le  navire  la  Villegenie  que  commandait 
son  frère,  Pierre-Anne  de  Chateaubriand 
du  Plessis  :  l'opération  donna  des  résul- 
tats avantageux;  les  bénéfices  obtenus 
engagèrent  M.  de  Chateaubriand  à  armer 
le  même  na\ire  pour  son  compte  ;  la  paix 
de   17fi.H   lui  permettant  de  donner  plus 


de  (lévelf)p[)ement  à  son  connnerce,  il 
mit  en  mer  le  Je;in-J};iplisle ,  corsaire 
de  '{00  tonneaux,  qui  partit  pour  Saint- 
Domingue;  il  arma  pfiur  Terre-Neuve 
la  l'rovidence,  VApidline  et  VAiuuranle. 
Le  dernier  navire  c|u'il  ex])édia  fut  , 
en  1775,  le  Suinl-Jiené,  destiné  aux 
îles  de  l'rance  et  Hourbon. 

L'extension  qu'avaient  prise  .ses  spé- 
culations avaient  obligé  M.  de  Chateau- 
briand à  quillei-  la  l'uo  aux  .luirs  pour 
installer  son  agence  tout  pi'ès  de  I;é,  au 
pi-emicr  étage  de  la  belle  maison  qui  fait 
presque  face  à  la  porte  Saint -\'incenl , 
celle  qu'on  voit,  à  droite,  en  entrant  en 
ville.  La  partie  du  rez-de-chaussée  don- 
nant sur  la  rue  était  occu|)ée  par  une 
marchande  épicière;  les  bureaux  et  la 
caisse  de  l'agence  s'ouvraient  sur  la 
place,  en  face  du  château.  C'est  là  que 
Hené,  après  trois  années  passées  chez 
une  nourrice  à  Plancoët ,  retrouva  sa 
famille.  Sa  première  enfance  eut  pour 
théâtre  celte  jilace  ombragée  de  pla- 
tanes, où  avait  été  dressé  l'inutile  écha- 
faud  de  La  Chalotais.  Il  croissait  sans 
études,  confié  à  une  brave  femme  nom- 
mée la  \'illeneuve  et  remplissant  de  po- 
lis.sons,  ses  plus  chers  anw'.s,  la  cour  et 
l'escalier  de  la  maison  paternelle.  La 
calle  de  la  porte  Saint -Thomas,  faite 
en  forme  d'éventail,  au  pied  de  laquelle 
Fanchin  —  ainsi  la  \'illeneuve  le  sur- 
nommait —  allait  patauger  sur  la  grève, 
existe  toujours;  les  dalles  de  granit  n'ont 
point  changé.  Le  parapet  étroit,  glissant 
et  incliné,  au  bas  de  la  Tour-des-Dames 
et  où  l'audacieux  gamin  s'aventurait  à 
passer  dans  l'intervalle  de  deux  vagues, 
est  encore  debout  et  les  marmots  s'y 
ébattent  comme  il  y  a  cent  ans. 

La  pérennité  des  choses  apporte  à 
l'esprit  une  tristesse  qui  n'est  pas  sans 
charme.  Sur  cette  grève,  au  pied  de  ces 
vieux  murs,  on  retrouve  avec  émotion 
la  trace  intacte  des  pas  de  l'illustre  enfant 
qui  les  a  immortalisés;  et  les  yeux,  in- 
vinciblement, se  tournent  vers  l'îlot  d'où 
son  tombeau,  battu  par  les  flots,  domine 
cette  plage  pittoresque,  ces  noirs  récifs, 
cetleenceinle  crénelée,  toutes  ces  choses, 


i.KNTANc.i':   i:t    la    xii'.ii.i.KSSi':   i>i';   c.ii  ATKAiiiu  i  and 


rt'|iilli'es    Miii-    \K',  (|iii    lui    i>nl    Mii-vrcu        m    IV u  ;    CiilliriM     |iiil    il;in~     >c>    hra-    le 
|),.ui-l,iiil.  I    [R'til    F.iiichiii,  n\iii\\    iiMN.iil    |i,is    vu   le 

temps  (le   \elii-.  ICin  elii|)|).i    île   --a    \esli 


Dans  la  niiil  du  1  (i  au   17  levriei-  \l'(l 
le  l'eu  |)ril  dan--  le  niaf^asiii  de  l'épicière, 


cl  l'emp'irla    dau>    la  laie.   i.a    lanidlf   de 
Clliiteaulii-iand    li-i>u\.i    uu    asile   d,nis   la 
uni-    u    k    M        Mi^  ,n      I   c    I 
h    t    1       I         II      (.Kl|U    I  11^         u 
I  \   iil     \  u     I       I 

ul  1  I  I   s  I   I  iiii  I  s  III    I    i|u  d 
\  I       u  \  ni    [I  1^^  1     I    '^  m  l   M  i  ' 


I.  K     r  II  \TK  \  I      II  i:     en  m  lin  i   i: 


au  re/-de-cliaus>i-e  de  la  iiiaisuii  (|iriia-  i  (|ue  lui  nilli;;eail  la  s('m'tHi'  de  mui 
liilail  la  laïuille  de  Chaleaiilii  laïui.  'l'oul  !  père:  «'élail  I|||.>  pelile  pièce,  au  ipia- 
dciiiiiail  au  ciirp-  de  farcie  du  elialeaii  :  Iriéuie  (■■la;;e.  eclain'c  par  une  ^r\\\r  Iu- 
le CI  II  lier  du  carrosse  pul)llc,  ipii   parlait  cariie  ;  mais  de  celle  liicariu'  le  prisMuiiiei' 


•Ile  iiuil   piiiir  Hennés,  rloiiua  1  alarnu 
I   n    pnulieiir,    imnimé    Picard,    liii;é    sur 
le>    l'emparls    \iiisiii>,    accdiiriil    un    des 
premiers   asce   s,,ii    Mis  (iillierl  ;  déjà  les 
|)laiicliei~d.-.rliaii]liie-.ae,,uclierélaieiil 


décnu\  rail  l'Océan,  la  pcuiile  ahriipledii 
(ii-aiid-lîev,  iesn'H-il's  du  i''.irl  n.val  cl  il 
prenail  sa  peine  en  palience.  Il  allail 
hieidc'il  C(iniiaîli'e,  d'ailleurs,  une  prisnii 
ini lins  "aie  cl  <les  In iri/un^  plus  rcsl  remis. 


I.KNI'ANC.K     1:T     I.A     \  I  K  I  II.  liSS  K     Dl-i    C,  Il  A  T  K  A  1    li  H  I  A  M  > 


M.  lie  CliMlciiiiliiiiincI  vciKiil.  vn  fll'cl, 
(le  lM|iU(lri-  su  nuMMiii  de  coniilU'l'C'f  l't 
<k'  iTiiliscr  sdii  \r\r.  Du  prnfil  de  ses 
spoculalioiis,  il  :i\Mil  i:k-1icI(''  l'un  des 
;moioiis  licls  de  sii  rainille.  hi  leri-f  de 
Coinhiiiii'^',  jissez  rielie  en  di'oils  lef>- 
d;iii\  :  il  V  vnuhui  vivre  en  j;eiililhoiiimo. 


iliiéi-c  l'nis  les  niiri-^  de  ( iiiiid)iiiirf,'.  Il 
él;Ml  |)iii-li,  le  iri;ilin.  de  S.iijit-.Mido, 
;ivec  s.i  mère  el  s;i  sieiii'diiiis  nue  ('iior-iiu' 
l)erliiic  il  r;inli(|iie,  j);iiirie;nix  surdfii'és, 
niiirclie|)ie(ls  en  delior-s.  ^;i;iiids  de  ]K)ur- 
])i'e  aux  (|u.ilre  coins  de  I  impériidc,  el 
Irahu'u  |iar  huit  elievaux,  parés  comme 


en  AMBJiK 
1!  A  T  F.  A  r  B  B  I  A  N  n 
CclMBIir  liCr 


Le  lils  aine  était  au  réfjiment,  l'une  des 
tilles  au  couvent.  M"""  de  Chateaubriand 
se  résigna  ;  on  ferma  Taf^ence  maritime 
après  avoir  fait  comprendre  à  René 
qu'une  existence  nouvelle  commençait. 
Ffinchin  devint  Monsieur  le  (^hef;iliei\ 
et,  tout  pleurant,  il  fit  ses  adieux  aux 
ffalopins  de  la  plaf;e  malouine. 

C'est    par   un   soir  de    mai    1777   cpie 
(".halcauliriauil     IVancliit     pour    la     pre- 


des  mules  d'Espanne.  sonnettes  au  cou. 
grelots  aux  brides.  Le  voyage  dura  tout 
le  jour  à  travers  les  marais  du  pays  de 
Dol,  les  bruyères  guirlandées  de  bois, 
lessemailles  de  blé  noir  :  vers  le  soir  on  ap- 
prochait du  château...  Quarante  ans  plus 
lard.  Chateaubriand  conservait  encore 
vive  l'éniolinn  éprouvée  lorsqu'il  avait 
aperçu,  au-dessus  de  la  l'ulaie,  les  toursdu 
manoir  éclairées  iiar  le  soleil  eonchant. 


i.i:\F.\xi:i:   i:t   la   \'i  kim.kssk   ni:   cii  atka  rnui  ano  :;i3 


I.  !■;     <11AT1:,M        11  K      1(1  M  uni- 1 


Le  C'îirrossc  traversa  un  hois,  pni^  une    ;    de    lii-iiil  >  d  ailo. 


■J 


avanl-coiir|)lMiil('-cMh' iiMMT- ri  ili'liiPUi'lKi  >c    d  rc --^a  1 1     la 

sur  la  ('.(lur  X'ciMc  :  ilaii^  Ic^  vii'U\  murs.  I    I  ri-lcri -i''\  ri'c  l'a-                                         "~ 

dans  1rs  arlirc^iliaiilairiil  IrNcini]  ni--rail\  radr  du  cliàlrau, 

(lui.    en    lîi'rla^iir.    aiiinncrnl    Ir    |)i-lii-  |ir('>sr  ii  I  a  ii  I    ini 

Iciiip^  :  I  liiiiindrlir.   Ir  laihil,  Ir  ciiiiciiii,  ,    liaiil  iiiiir  nu.  rrliaid  drn\  l.uirs  lii(\i;ali" 

laradlrrl    je  i<  .^-i- m  il  ;  rii  I  rc- dru  \   liou  a  criMirau  \  -urui.  inir--  dr    luil-.  p.iluhls 

(piols  dr  luaiiiHiiiins  ru  llrurs  ri   plrius  I    un    lar^r    prrniu.     i-uidr    ri    droil.    sau 


I.   l'.M'ANC.i:     II'     I.A     \  11:11.1. I.^M;     1)K    (.II.\I1,.\I    UlilAM) 


r;mi|U'  ni  niink'-l'iui,  :illcif,'ii:iil  l;i  |ioi(c 
du  clu'iloiiu,  pcrci'c  ;ui  milieu  de  la  cour- 
lini'.  .\u-<lc'ssus  (le  celle  porle,  011  voyail 
les  iinnes  des  seifîiieiirs  de  Conil)ourf,'  el 
les  liiilliides  ;ui  travers  desquelles  sor- 
taient jadis  les  liras  et  les  chaînes  du 
])niU-lcvis. 

On  sou|)a,  ce  soir-là,  ilans  la  fjrande 
salle  des  (lardes,  immense  |)ièce  qui 
occupait  tout  le  corps  de  bâtiment  pre- 
iKiiil  \  lie  au  midi,  sur  rétaii},^  puis  on 
cn\o\,i  le  cheralier  se  coucher  sous  les 
toits,  tout  en  haut  de  la  tourelle  de  l'es- 
calier, dans  une  petite  chambre  qu'on 
lui  avait  préparée. 

Qui  oserait,  après  les  brûlantes  confi- 
dences A  Outre-Tombe  refaire  le  récit 
de  l'adolescence  de  René,  l'histoire  de 
ce  cieur  passionné  que,  sous  le  ciel  né- 
buleux de  t^ombourg  traverse  par  des 
volées  d'oiseaux  voyagreurs,  Jes  rêves 
en  valussent  trop  impétueusement'?  De 
mystérieuses  harmonies  s'établirent  entre 
l'enlant  et  le  manoir  féodal  où  il  vécut 
ses  jeunes  années  :  ces  vieilles  pierres 
lui  enseignèrent  le  respect  de  l'ancienne 
France;  l'aspect  des  landes  druidiques 
où  passe  le  vent  de  la  mer  épanouit  en 
lui  les  fjermes  poétiques  d'où,  plus  tard, 
naquirent  \'elléda,  Cymodocée,  Aben- 
céraj;e,  Atala.  Le  génie  se  formait,  à  son 
insu,  au  fond  de  son  âme,  comme  se 
forment  les  perles  au  fond  des  goullres 
marins. 

I^'énorme  niasse  du  château,  avec  ses 
quatre  tours,  ses  galeries,  ses  hautes 
salles,  n'était  habitée  que  par  quatre 
personnes  :  M.  el  M'""  de  Chateaubriand, 
Vlené  et  sa  sœur  Lucile.  Une  cuisinière, 
une  femme  de  chambre,  deux  laquais  et 
un  cocher  composaient  tout  le  domes- 
tique ;  un  chien  de  chasse  et  deux  vieilles 
juments  étaient  retranchés  dans  un 
coin  de  l'écurie.  Ces  douze  êtres  vivants 
disparaissaient  dans  un  manoir  où  l'on 
aurait  à  peine  aperçu  cent  chevaliers, 
leurs  dames,  leurs  écuyers.  leurs  vai'- 
lels,  les  destriers  et  la  meule  du  roi 
Dagobert. 

M.  de  Chaleauhriaiul  était  un  homme 


sond)re  ;  son  état  habituel  était  niicti-is- 
tesse  profoiule  (|ue  I  âge  augmenta  : 
hautain  avec  lesgentilshoninu's,duravec 
ses  vassaux  de  Condiourg,  taciturne, 
despoli(|ue  et  meinu/anl  dans  son  inté- 
rieur, 4'e  (pion  sentait  en  le  voyant, 
celait  la  crainte.  Il  se  levait  à  cpialrc 
heures  du  matin,  hiver  comme  été:  il 
venait  dans  la  cour  ajipeler  son  valet  de 
chambre,  à  l'enlrée  de  l'escalier  de  la 
tourelle.  On  lui  apportait  un  prii  de 
café  il  cin(|  heures,  il  travaillai!  ciiMiile 
dans  son  cabinet  juscpi'à  midi.  .M""'  de 
Chateaubriand  el  sa  lille  ne  paraissaient 
pas  de  la  matinée;  le  rheralier,  lui, 
n'avait  aucune  heure  lixc  ni  pour  se 
lever,  ni  pour  déjeuner  :  il  était  censé 
étudier  jusqu'à  midi  ;  la  plujiarl  du 
temps,  il  ne  faisait  rien. 

A  onze  heures  et  demie  on  sonnait  le 
dîner.  La  grande  salle  était  à  la  fois 
salle  à  manger  et  salon  :  on  dînait  el 
l'on  soupail  à  l'une  de  ses  extrémilés; 
après  les  repas  on  venait  se  placer  à 
1  autre  bout,  devant  une  énoi-me  chemi- 
née. Le  dîner  fait,  on  restait  ensemble 
jusqu  à  deux  heures.  .Alors  le  père  par- 
tait pour  la  pêche  ou  pour  la  chasse, 
visitait  ses  potagers  ou  sa  chapfinnière  ; 
la  mère  s'enfermait  dans  la  chapelle, 
Lucile  dans  s;i  chambre;  le  chevalier 
regagnait  sa  cellule  ou  allait  courir  les 
champs.  .A  huit  heures,  la  cloche  annon- 
çait le  souper;  puis,  flans  les  beaux  jours, 
on  s'asseyait  sur  le  perron  :  M.  de  Cha- 
teaubriand, armé  de  son  fusil,  lirait  les 
chouettes  qui  sortaient  des  créneaux  à 
l'entrée  de  la  nuit;  M'""  de  Chateau- 
briand, Lucile  et  René  regardaient  le 
ciel,  les  bois,  les  derniers  rayons  du 
soleil,  les  premières  étoiles.  A  dix  heures 
on  rentrait  et  1  on  se  couchait. 

Les  soirées  d'automne  et  d'hiver  étaient 
dune  autre  nature  :  le  souper  fini  et  les 
quatre  convives  revenus  de  la  table  à  la 
cheminée...  Mais  n'est-ce  point  une  pro- 
fanation que  résumer  de  si  belles  pages  ? 
«...  Ma  mère  se  jetait,  en  soupirant,  sur 
un  vieux  lit  de  jour  de  siamoise  flambée; 
on  mettait  devant  elle  un  guéridon  avec 
une  bougie.  Je  m'asseyais  auprès  du  feu 


I.   l'.NKANC.K    1:T    I,A    V  I  K  I  LI.ESSK    DH    (".  II  AT  K  A  T  lî  K  I  A  M) 


avec  J>iRik';  les  (l(inu'>li(|ui>  chIcymii'iiI 
le  emivci'l  el  se  i'eliiMirri(.  Mcm  [lère 
eonmieneMil  alors  une  [irnineiiade  (|iu 
ne  cessail  qu  à  I  lieure  de  son  emicher. 
11  était  vètucriiiie  rcil)e<le  raliiie  lilaneiie, 
ou  [ilutôl  (l'une  espèce  de  manteau  que 
je  n'ai  vu  qu'à  lui.  Sa  tète,  demi-chauve, 
était  couverte  d'un  j;rand  bonnet  (|ui  se 
tenait  tout  droit.  Lorsqu'eri  se  prome- 
nant il  s'èloif^nait  du  l'oyer,  la  vaste 
salle  était  si  peu  éclairée  [)ar  nue  seule 
bougie  qu'on  ne  le  \oyait  plus;  on  l'en- 
tendait seulement  encore  marcher  dans 
les  ténèbres;  puis  il  revenait  lentement 
vers  la  lumière  et  émergeait  peu  à  peu 
de  l'obscurité,  comme  un  spectre,  avec 
sa  robe  blanche,  son  bonnet  blanc,  sa 
ligure  longue  et  pâle.  Lncile  et  moi 
nous  échangions  quelques  mois  à  voix 
basse  quand  d  ('tait  à  laidre  bout  de  la 
salle;    nous    nous     taisions    <|nand    il    se 


■H  ATKA  II  Illil  AND      KS      1810 


rapprochait  de  nous.  Il  nous  dirait  en 
jiassaiit  :  "  I  )i'  quoi  parlie/.-\<>us  ?  ■•  Sai- 
sis de  (erreur,  nous  ne  répondions  rien; 
il  continuait  sa  marche.  Le  reste  <le  la 
soirée,  l'oreille  n'était  plus  rra|)pée  que 
du  bruit  mesuré  de  ses  pas,  des  soujjirs 
de  ma  mère  et  du  murmure  du  vent. 

«  Dix  heures  sonnaient  à  riiorloge  du 
château  ;  mon  père  s'arrêtait  ;  le  même 
l'cssort,  ipii  avait  soulevé  le  marteau  de 
1  horloge,  semblait  avoir  sus|iendii  -^es 
jias.  Il  tirait  sa  montre,  la  montait,  pre- 
nait un  grand  llandieau  d'argent  sur- 
monté tl'une  grande  bougie,  entrait  un 
moment  dans  la  petite  tour  de  l'ouesl, 
puis  revenait,  son  llambeau  à  la  main, 
et  s'avançait  vei's  sa  chandjre  à  coucher, 
dépendante  de  la  petite  tour  de  lest. 
Lucile  et  moi,  nous  nous  tenions  sur  son 
jiassage;  nous  l'enibrassions  en  lui  sou- 
haitant une  bonne  niiil.  Il  |)enchait  \ers 
nous  sa  joue  sèche  el  creuse  sans  nous 
i('-poiidre,  conlinuail  sa  roule  el  se  reli- 
rail  an  fond  de  la  tour  dont  nous  enlen- 
s  les  |iorles  se  rerernier  sur  lui. 
"  l.e  lalisman  el.iil  brise;  ma  mère, 
ma  sceiir  et  [moi.  I  ra nsfonires  en  slalnes 
parla  pn'-sence  de  mon  père,  nous  re- 
ciiii\  lions  les  l'oiielioiis  de  la  \  le.  l.e 
preniiei-  l'Il'el  de  noire  deseiiclianl  enien  I 
se  manileslail  par  un  ilcb.irdemenl  de 
l's  :  SI  le  silciici-  noilsaxail  oppri- 
il  nous  le  pa\ail  cher. 

"  Ce  loii-eiil  ,!,.  pa- 
n.leseconle,.|appelais 
1,1  l'enime  de  chambre 
el  je  reconduisais  ma 
nièreel  ma  sieiir  a  leur 
apparlemenl.  Avaiil 
de  me  retirer,  elles  me 
l.iisaieni  reg.'irdersons 
les  lils,  .biiis  les  che- 
minées, derrière  les 
pcu'les.  \isilci-  les  es- 
ealiers,  |..s  passages 
cl  1,'s  eorndoi-s  v,.i- 
siiis.  'roules  les  Ira- 
dilions  du  eli.il.MU, 
voleurs  el  specires, 
leur  ie\  eii.iienl  en  im''- 
ninuv,l.,'si;,.||selaieiil 


I,  KM.wci:   i;r   i..\    \  i  i:i  i,i.i:ssio   i>k  cm  atkai'hii  i  and 


|)t'l'Sii:i(lcs  iiNiiii  I  ril.Liii  cninli'  (Ir  Cciin- 
hoiii'^',  à  jaiiihi-  lie  liiii-,  ]U(<\t  (li'|)iii~ 
li'ois  siècles,  M|)|]Mr;ns~^iil  ;i  (■crhiiiics 
époques  el  (|ii'(iM  l'iniiil  rciicdiiliv  <l:iiis 
le  yraïul  esciili  rr  de  l;i  liMiiclli' :  >.ii  iainlie 
de  bois  se  iiromciiiiit  aussi  (|U('l(|ue- 
l'ois  seule  avec  un  ciial  noir. 

u  Ces  récits  occupaient  loul  le  tcni|)s 
du  coucher  de  ma  mère  et  de  ma  sieur  ; 
elles  se  niellaient  au  lit  mourantes  de 
peur;  je  me  retirais  au  haut  de  ma  tou- 
relle; la  cuisinière  rentrait  dans  la  f^rosse 
tour,  et  les  (ionu'sli(|ues  descendaieni 
dans  leur  sonicnain.  " 

(Jiiii(iii(|iir  a  lu  les  Mrninircs  tl'niilrc- 
lomhc  se  troux  e  à  (-ondxmrj;  conuiie  en 
un  lieu  déjà  visité  :  au  bout  des  jielouses 
de  la  (îour  ^'crle  a|)paraîl  le  château, 
solennel  el  sévère  ;  on  croit  ra\oir  \u 
jadis  dans  un  beau  rè\e.  Le  haut  per- 
ron, aujourd'hui  bordé  «l'un  parapet  de 
pierre,  monte  droit  jusqu'au  centre  de 
la  façade,  presque  sans  baies  autres  que 
les  taillades  de  1  ancien  ponl-levis.  L'ex- 
térieur de  la  l'orteresse  n'a  pas  subi  de 
modifications.  On  entre  :  de  récentes 
réparations  ont  changé  l'aspect  de  la 
petite  cour  ;  la  construction  d'un  grand 
et  noble  escalier  l'a  réduite  de  moitié. 
Les  salles  ont  été  restaurées  avec  luxe; 
dans  le  salon  de  l'Hermine,  une  grande 
fresque  de  Gaillard,  montre  saint  Louis 
récompensant  Geoll'roy  de  Chateau- 
briand après  la  bataille  de  Massoi-a  et 
lui  concédant  l'écu  aux  tlenrs  de  lis  sans 
nombre  et  la  devise 

Mon  saii;;  teint  les  lianniéres  de  France. 

L'ancienne  salle  des  Cardes  —  qui  oc- 
cupait autrefois  toute  la  façade  méridio- 
nale, entre  la  tour  Sibylle  (du  nom  de 
M""  de  Chateaubriand)  el  la  tour  du 
Chat,  —  la  salle  des  Gardes,  partagée  par 
un  mur,  forme  le  salon  et  la  salle  à  man- 
ger et  celte  division  a  nécessité  le  dépla- 
cement de  la  vieille  cheminée  devant 
laquelle  s'assoupissait  jadis,  dans  son 
rêve,  liené  de  Chateaubriand,  silencieux 
et  teri'ilii'  de  la  monotone  [iromenadc  de 
son  père. 


l.c  icsic  <lu  château  (•^l  a  pi'u  pics  tel 
cpi  a  la  lin  du  sicrli'  di-riiicr  :  c'est  le 
nicini'  (li-ilale  d'escaliers,  de  couloirs 
jiercés  dans  d'i-normes  murailles,  de 
galeries,  de  plaies-formes  crénelées,  de 
hautes  el  \asles  salles.  Le  veiil  souffle 
dans  celle  vieille  demeure  comme  nulle 
part  ailleurs;  il  a  des  notes  sinistres 
rcssemblanl  à  des  cris  d'oiseaux  de  nuil, 
des  gémissements  lugubres,  des  sonorités 
prolongées  d'ocarinas  fanlasliques. 

Xn  premier  étage  de  la  tour  du  Croisé 
se  voit  une  relique  étrange  :  il  y  a  vingt 
ans,  lors  des  dernières  réparations,  les 
ouvriers,  pervanl  une  porte  au  rez-dc- 
cliaussée  de  la  tour  du  Sud.  découvrirent 
un  squelette  de  chat  ;  l'animal  avait  été 
muré  \ivanl,  car  la  position  de  .ses  pattes 
étendues  el  réunies  indiquait  qu'on 
l'avait  solidement  lié...  C'était  le  spectre 
de  celte  bête  qui,  depuis  des  siècles, 
hantait  le  château  et  causait  de  si  grandes 
terreurs  à  M""'  de  Chateaubriand.  Quel 
l'ait  donna  naissance  à  celle  légende?  On 
l'ignore.  Les  os  blanchis  de  l'animal  mys- 
térieux sont  déjjosés  sur  un  coussin  dans 
une  vitrine  au  milieu  de  la  bibliothèque. 

Tout  au  haut  de  la  tourelle  du  vieil 
escalier  on  a  conservé  intacte  la  chambre 
qu'habita  Chateaubriand  :  c'est  une 
étroite  pièce,  à  peine  éclairée,  où  sont 
réunis  quelques  souvenirs  de  l'auteur 
A' Alala,  entre  autres  le  lil  où  il  mourut. 
Des  galeries  crénelées  toutes  voisines,  le 
regard  plonge  sur  la  pittoresque  rue  du 
\illage  de  Combourg,  sur  le  lac  tran- 
quille que  longe  le  pavé  de  Rennes. 

C'est  de  cette  chaussée  de  l'étang  que 
Chateaubriand  vit,  pour  la  dernière  fois, 
disparaître,  derrière  les  arbres,  les  som- 
bres tours  du  manoir  où  s'était  écoulée 
son  enfance  ;  c'est  de  là  que  se  fixa  dans 
ses  yeux  cette  vision  qui,  aux  heures 
d'exil,  lui  battait  dans  le  cœur,  les  toils 
aigus,  les  deux  mails,  les  vieux  noyers 
du  portail, 

El  celte  tant  vieille  lunr 
Du  Maure... 

An  liinrnant  du  cliciniii,  Iciul  dispa- 
rut... Il  allait  rejoindre  à  (>anibrai,  avec 


i.i:ni-a\i:i.;   kt   la   \iki  i.i.kssk   dk  cii  ATKArnu  i  and 


un  brevet  de  heiileiuiiil,  le  réj;uiienl  (le  .Xaxai're: 
pendant  son  tcni])^  de  ,  nni--ciii  --cui  |i(  u    nniniiil 


'S?^  ^  {■%"« 


.^>~~. 


1      I  \  I    I  1    M  I    I    1  I        M    \  I     1  I       1   U  1    I    1 


cl  M""' de  Olialcauhrlaiid    l'exinl   ^e  lixer 
à    Sainl-Malo.  CondiourL;    re>la    dcVrrl. 


(.]liateanl)riaiid  \il  I  ancK'iinr  .n-niiH'. 
la  cour  de  Louis  W'I,  s'endiar(|iiii  |i(iiir 
le  nouveau    monde,    assisia    au\   d(''l)Ml> 


ail('e  <le  |icu|iliL-i>  ;  la  di^nii.lil  ion  d'un 
mur  ]ni(  son  terrain  en  cuMnnnniial  mn 
avec  le  jardin  de  l'inlinneiie  ;  le  malin 
il  s'éveillait  au  sou  de  ÏAnf/cliis:  il  en- 
tendait de  son  lit  le  eliani  des  |)i-elre> 
<lans  la  eliapelle;  il  voyait,  ,1c  la  t'.'nrtiv 
(le  sa  elnnnbi-e,    nn  eaUanc   ('■Icm'   entre 


delà  I{(>voliilion,    lit    les   canipai^ncs   i\r    ;    nn  noyer  et    nn  sureau,   des   \; 
l'c^miffration,  visita  rAn-letcri-e,  la  Terre        poules,  des  pi-eons  et    des   abeilles,    (K 


Sainte,  lAllema^Mie,  SL'journa  à  Uonie. 
à  Berlin,  à  Prafjue,  à  (îent'vc,  eounul 
les  ri"ueurs  de  la  puissance  imix-riale  et 


s(eurs  de  charilc-  en  robe  détamine 
noire,  des  femmes  eonv  alcscente-,  de 
\ieu\    eccl(!'siasliques    errant     |)armi    les 


-s  |)risons  de   la   lilx-rale   monarchie   de    '    lilaset  les  l(''';umes  du  po(a,i,'er.  La  p 


Juillet...    entin,    "lorieuse  ('-pave    d( 


lii   il  travaillait  (''lait   enti('r(Mnenl  lapis- 


sièclo    de    tein|)éles,     il     vint,     vieilli     et        siH'    de    bibliotlunpies    et    oceup('e    dan- 


d('sabus('',    tou|onrN   iid(''k 
li>te   et    lonjoiii--    p 


toute  sa  lon^iieiir  par  une  (•norme  labb 
■honer   dans    '    de  eliene   a-se/   semblable  a    un    billard 


une  |jetite  inai>oii  d'ini  l'anbour^  de  Paris 
on  il  s'arrangea  |)our  linir  ses  jours. 

Il  avait  ai'(|nis,  api-('s  I  H.'iO,  un  pavillon 
situ(''  rue  d'Ivil'er,  derri('>re  l't  )bservaloire 
et  voisin  de  rintlrmerie  .\Lirie-'riu'r('se 
qu'avait  ron(l(''e  .M""'  de  (^lialeaubriand. 


il  >e  tenait  là.  ton!  le  jour,  en  p.intoii 
Iles,  l(Me  nue  et  viMiie  d'une  longue  re 
din(;ole  bleu  l'onei'',  croix'H' et  bonlfinm'-e 
justpi'au  menton.  Il  avait  pour  eonipa- 
j;non  un  f;ros  clial  j;ri>  roii\  a  b.iiido 
noires  transversales,  ne  .m  \al  m  .m  daii- 


I>e  lieu  ('tail   e\t  rem.  nient  Militaire;    (les        la  lo-e  de  lîapbai'^l.  L(''on  \ll  a\ail.''lev. 
crois(''es  de  -on    salon    reerivain    .iiieree-    ,    ce  chat  dan-  un  pan  de  -a  robe  (iU  Cha 


vait  un  bouiiiiet  de  b'  a 


•an  et  leanbiiand   l.ivail    \  n 


ixie  lors(|Ui 


I.  i:m'.\  Nc.i:  i;t   i,.\    \i  i:i  i.i.kssm  di-:  ciiatkai  uni  wd 


II'  |)<iiitilc'  <l(iiiii;iil  iiiidii'iK'c  ^iii\  Mnil)iissii- 
(IcMirs.  Le  p;i|)<'  éhiiil  miirl,  r;iiilfui-  ilii 
Cicitii-  (In  c/irisli.iiii.snic  liriilii  du  cliiil 
siilis  niililrc  (|M  1)11  ;i|ij)i'l;ill  MlCClti)  t'I 
i|iii,  cil  sii  (|iMlil(''  (le  cluil  (lu  |>:i|R', 
jouissait,  à  Mnric-Tlivrvsv,  d'une  ex- 
trême considération  au|)rès  des  Ames 
pieuses. 

Aux  jours  (liriicilcs  de  l:i  roiidalion 
de  1  iiilirnieiie,  uiie  personne  eliai'ilalile 
qui  ne  se  lit  point  connaître  avait  adressé 
aux  sœurs  une  iialle  de  cacao.  Que  l'aire 
<le  cette  richesse  inattendue,  sinon  du 
chocolat?  On  tenta  l'essai  qui  réussit; 
comme  l'iiospice  était  alors  sous  le  patro- 
iiaf^e  de  M""'  la  duchesse  d'Angfoulême, 
les  nobles  dames  du  l'aubourf;  Saint- 
(icrmain  se  disputèrent  ce  chocolat  elle 
lrou\èrent  délectable  ;  la  mode  s'en 
établit  et  bientôt  la  l'abricalioii  prit 
de  l'importance.  Après  la  révolution 
de  1830,  pour  activer  le  débit  qui  lan- 
guissait un  peu,  on  exploita  discrète- 
ment —  la  charité  a  de  ces  trouvailles 
de  f,'énie  —  la  gloire  de  l'auteur  des 
.\l;irli/rs.  On  lit  savoir  aux  clientes  que 
tout  acheteur  cii  (jro.s  jouirait  du  privi- 
lège de  voir  M.  de  (-haleaubriand.  La 
sieur  tourière  avait,  sur  une  petite  table, 
ses  paquets  de  chocolat  et  une  sébile  à 
côté.  Vous  donniez,  vos  3  francs  et  elle 
vous  remettait  une  livre.  Si  vous  don- 
niez 3(}  francs,  elle  vous  remettait  douze 
livres,  ce  qui  faisait  un  paquet  volumi- 
neux, et  en  même  temps  elle  tirait  un 
cordon.  Ou  entendait  le  son  de  la  cloche 
et  Chateaubriand,  qui  était  quelque  part 
dans  le  jardin,  traversait  une  allée  cou- 
verte d'arbres  en  lisant  un  journal.  On 
ne  lui  parlait  pas,  on  le  voyait  ou  plutôt 
on  l'entrevoyait.  On  n'avait,  en  elFet, 
promis  et  acheté  que  cela. 

On  sourit  un  peu  de  linveiilion; 
(|uelques-uns  s'indignèrent,  le  bruit  se 
réjiandit  que  le  chocolat  était  vendu  au 
hcnéfice  du  grand  écrivain  tombé  dans 
la  misère  et  que  son  nom  illustre  ser- 
\ail  d  enseigne  à  une  épicerie.  Rien 
n'était  moins  exact;  il  se  prêtait  à  un 
petit  stratagème  charitable  des  reli- 
gieuses et  ne  s'en  cachait  pas.  .c  La  sicur 


su|)érieiiie,  écrivait-il,  piélend  (|ue  de 
belles  dames  viennent  à  la  messe  dans 
l'espérance  de  me  voir;  é<onome  indus- 
trieuse, elle  met  à  conl  i  ihiil  ion  Iriir 
curiosité,  en  leur  promellanl  cir  me  iiioii- 
Irer,  elle  les  attire  dans  le  laboratoire; 
une  fois  prises  au  Irébuchet,  elle  leur 
cède  l)on  gré  mal  gré,  |)our  de  largent, 
des  drogues  en  sucre.  I"]lle  me  fait  servir 
â  la  vente  du  chocolat  fabriqué  au  pro- 
lît  de  ses  malades...  La  sainte  femme  dé- 
robe aussi  des  trognons  de  plume  dans 
l'encrier  de  M'""  de  Chateaubriand;  elle 
les  négocie  parmi  les  royalistes  de  pure 
race,  affirmant  que  ces  trognons  pré- 
cieux ont  écrit  le  su|K'rbe  Mciiitiire  sur 
la  tapliritr  ilc  .)/""'  /.•;  tliichcssc  de 
Dcrrij.'...  .. 

En  183(1,  (^hateaubiiaiiil  quitta  l'in- 
firmerie Marie-Thérèse  et  vint  se  loger 
rue  du  Hac,  afin  d'être  plus  près  de 
M'""  Récamier.  I>e  pèlerin  qui  avait  tant 
couru  le  monde  ne  faisait  plus  qu'un 
voyage  quotidien,  vers  trois  heures,  de 
son  hôtel  à  l'Abbaye-aux-Bois.  La  mort 
[leu  à  peu  l'envahissait  par  le  bas  ;  ses 
jambes  étaient  paralysées. 

—  Je  suis  dans  la  tondse  justpi'au 
buste,  disait-il. 

IlorsrAbba\e-aiix-I5()is,11  ne  se  faisait 
guère  porter  qu  à  la  cha[)elie  des  Missions 
Etrangères,  toute  voisine  de  sa  maison, 
et  à  l'Académie  où  il  alla,  une  dernière 
fois,  pour  assurer  l'élection  d'Ampère. 
Ses  journées  se  passaient  à  parcourir 
les  journaux,  à  dicter  la  dernière  partie 
des  Mémoires  d'outre-lomhe  ou  à  son- 
ger devant  les  hautes  fenêtres  ouvrant 
sur  les  charmilles  et  les  parterres  du 
jardin  des  Missions.  .Après  le  déjeuner, 
les  visiteurs  étaient  reçus  ;  il  les  accueil- 
lait avec  cette  alfabililé  un  peu  hautaine 
qui  lui  était  habituelle  et  où  se  recon- 
naissait l'homme  de  cour.  Aux  Bretons 
qui  venaient  le  voir  il  posait  avec  un 
sourire  triste  cette  question  invariable  : 

—  Vous  venez  de  là-bas?  Etes-vous 
allé  à  Saint-Malo? 

Cela  signiliait  :  avez-vous  vu  ma 
tombe  ?  Depuis  près  de  vingt  ans,  en 
elfet,  il  avait  sollicité  de  In  municipalité 


I/KM  ANC.K     KT     LA     \' 1  K  1  L  L  KSS  K     DK    Cil  A  T  K  A  T  HH  1  A  N  1) 


lUiilounic  (|u  il  lui  fi'il  riiiici'(l('.  ii  hi 
peinte  (icculciilale  ilc  I  ilol  du  (iiMiid- 
Hey,  iiM  [U'iil   coin    (II-    terre    (mil    ju^le 


Ah  !   jiiii^se    le   niiinuiiieiil    ^e^(e^    Imij;- 
temps  vide  !... 

La  coiicessidii.  copeiid.iiit,  niixail  pas 


':>^I  'h'^ 


Il       111  1        M    1  I    1    1     1  H    V  1        V  I    1    I    I    l  \  I 

111      11      ni        \       1 2(1 

»   1      m       1   \  1    1)1  N     1    1   s     M  I^xl  ON  -.    TtII   \  M    l'^U  I 


h^l 


"a* 


MllTisaiil    pniir  (■(iiilcilir   -cm  ceiTiieil.    I,e  :    elé     ..Menue    >aiis     ceiiaines     diflieilllés 

maire  il.'  Sailli -Mal..  a\ail    r.'p..ii.lii  .pie  ailiniii  i>l  ralives  :    le     (Iraiid-I'.'N-    ii|ip.ir- 

la  sepiilliiiv  >.Tail    pr.'par.'.-  par   la   pi.'l.'  Ii.'nl     au     ^eiii.'    iiuiilair.'     el     le     d.'par- 

liliale    lies    liiel..n-,    el     il     aj.Hilail     livs  I    (.■iiieiil      i\r      la      -iielMV     siii.pi  i.'lail     <le 

<li^;iieiiieiil  :  (•,■11,.     luaiiimi-,'    -iir     se>    lerr.'s    par    la 

-     (  'ne  lien  >-,■■,•  liivle  -i'  niidi'  à  ce  >;,.in  I  miinieipalili'.*  !i|>.'n.lanl  li>  maire.  M.  lin- 


I,- KM- AN  (■.!■:   i:t   i.a   \ii:i  i.i.kssi:   dk  en  \Ti:Atniii  am> 


\iiis,  <>l)liiil  f;:iMi  (le  cmusc,  —  les  pinir- 
purlors  avaient  duiv  six  ans!  —  el  une 
souscri|)lioii  hala  la  construction  du 
tombeau  que,  de  Paris,  Chateaubriand 
«lirigeail  lui-iiiêmo.  Kien  n'est  plus  tou- 
chant ni  plus  sinii)le  que  les  lettres  qu'il 
écrivait  à  ce  sujet  el  qui  sont  consci'- 
vées,  comme  de  précieuses  reliques,  par 
la  famille  de  la  Morvonnais. 

«  \'i  111,11  is.'{(i.  —  iMilin,  monsieur, 
i'auiai  un  (nnilxim  cl  je  vous  le  devrai 
ainsi  ipi  à  mes  bienveillants  compa- 
triotes 1  Nous  savez,  monsieur,  que  je 
ne  veux  que  quelques  pieds  de  sable, 
une  pierre  du  rivage  sans  ornement  et 
sans  inscription,  une  simple  croix  de 
fer  et  une  petite  };rille  pour  empêcher 
les  animaux  de  me  déterrer...  J'espère 
(|ue  vous  \oudrez  bien  quelquefois  me 
donner  de  vos  nouvelles  et  m'apprentlre 
aussi  un  peu  le  profères  du  monument  ; 
le  tem|)s  me  presse  et  j'aimerais  à  ap- 
])rendre  bientôt  que  mon  lit  est  préparé. 
Ma  route  a  été  lonjfue  et  je  commence 
à  avoir  sommeil.  ■> 

«  15  eioiî/  183(>.  —   La  chose  est 

donc  finie  I  Tout  est  bien,  pourvu  que  je 
sois  sur  un  point  solitaire  de  l'île,  au 
soleil  couchant  et  aussi  avancé  vers  la 
pleine  mer  que  le  {^énie  militaire  le  per- 
mettra. Quand  ma  tombe  recevrait,  avec 
le  sable  dont  elle  sera  chargée,  quelques 
boulets,  il  n'y  aurait  pas  de  mal,  je  suis 
un  vieux  soldat. 

«  Pour  ce  qui  est  de  la  pierre  qui  doit 
me  recouvrir,  j'avais  pensé  qu  elle  pour- 
rait être  prise  dans  le  rivage  ;  mais  s'il 
y  a  quelques  objections,  on  peut  la 
prendre  partout  où  l'on  voudra  ;  je 
cherche  surtout  le  bon  marché  afin  d'é- 
viter à  ma  ville  natale  les  frais  dont 
elle  se  veut  bien  charger. 

«  Je  ne  connais  personne,  monsieur, 
qui  mieux  que  vous  puisse  prendre  la 
peine  d'inaugurer  ma  tombe.  Le  cippe 
posé  et  l'enceinte  fermée,  je  désire  que 
M.  le  curé  de  Saint-Malo  bénisse  le  lieu 
de  mon  futur  repos  ;  car,  avant  tout,  je 
veux  être  enterré  en  terre  sainte  ;  un 
jour,  monsieur,  comme  vous  me  survi- 
vrez longues  années,  vous  viendrez  quel- 


(lueldi.-.  Mius  i-epf)sei-  .sur  ma  lnmbc  au 
bord  des  vagues,  et  le  soli'il  cnnclianl 
vous  fera  mes  adieux. 

"  Wiilà,  monsiein-.  les  dei-uiércs  ex- 
plications <pie  Vous  désiriez.  Si  vous 
avez  l'extrême  bonté  de  me  tenir  au  cou- 
rant du  travail  et  de  m'en  annoncer  la 
lin,  je  vous  en  aurai  beaucoup  d'obliga- 
tion. La  nuit  me  presse,  comme  dit 
Horace,  et  je  n'ai  guère  le  temps  d'at- 
tendre. " 


C  est  un  modeste  comparse  qui  \a 
nous  introduire  dans  l'intimité  des  der- 
niers jours  de  (Chateaubriand. 

Le  !'■'■  janvier  I8i0,  rancieii  perru- 
quier lin  duc  de  Brunswick,  .Adolphe 
Pâques,  était  en  i)ourparlers  |)nur  l'achat 
du  fonds  de  .VL  lù-ard.  coiffeur,  rue  de 
Grenelle-Saint-dermain. 

—  Nommcz-nioi  vos  clients,  lui  dit-il. 
lïrard  cita  les  noms  de  deux  ou  trois 

comtes  et  d  autant  de  marquis,  puis, 
solennellement,  il  ajouta,  en  homme  qui 
sent  la  valeur  de  Viirticle  : 

—  M.   le  vicomte  de  (Chateaubriand! 
Pâques  l'arrêta  court. 

—  Je  vous  l'achète!...  fit-il. 

—  Mon  fonds?... 

—  Non,  monsieur  le  vicomte;  el  je 
vous  le  paye  ce  que  vous  voudrez. 

On  fit  prix  à  trente  francs  que  Pâques 
ne  devait  payer  qu  au  bout  d'un  mois, 
après  avoir  été  définitivement  agréé  par 
l'illustre  client.  L'affaire  était  bonne, 
d'ailleurs  ;  Chateaubriand  donnant  trente 
francs  par  mois  à  son  coiffeur,  dix  francs 
d'élrennes  et  dix  francs  au  jour  de  sa 
fête;  moyennant  quoi  il  était  très  expli- 
citement stipulé  que  Pâques  ne  pouvait 
se  faire  remplacer  qu  en  cas  d'empêche- 
ment absolu. 

Son  admission  à  l'hôtel  de  la  rue  du 
Bac  causa  une  telle  émotion  au  coiffeur, 
que,  de  ce  jour-là,  il  résolut  d'écrire  ses 
mémoires.  Et  il  se  tint  parole  :  si  vous 
rencontrez,  dans  quelque  boite  de  bou- 
quiniste, ce  petit  livre  inconnu,  ne  le 
laissez  pas  échapper  ;  il  est  d'une  insi- 
gne rareté  et  —  ce  qui    vaut    mieux  — 


I.KXFAXCK     1;T     I.A     \   I  I;  I  I,  I.  KSS  K     DK     C.II  ATKA  r  lili  I  ANli  L-JI 


il  ol  iiniu'^iiiil.  (]'f>{  un  chniiilrr  (\c  hi  j  cliiâiiihpf  c'l;iil  iiniiiililr;  si'>  irvei'^  iiiili- 
\  le  inluiie  lie  (  Ihaleaulii  i;nicl.  eiuilé  |Kir  ,  quaieiil  Miialiiiii(laiiinu'iil  a  eeu\  i|in 
le  plus  iiail'    el    le    ]ilns    passiniiné   île  ses        rif^lioraieill  que    le    |iieuiie|-  ilr'ji 


uiier  ilu 


ilniiraleuis 


rieur  était  le  ehuei.lal. 


M.  Pâques  trouva  lauteiir  de  Ilenc  I  CliaLeaubriauil  iliclail  ali.rs  les  ilei- 
(lans  un  j;ran(l  salou  qui  lui  servait  de  [  uiers  volumes  des  Mciiinircs  irmi/rc- 
ealiiuel  de  travail.  —  ■•  M.  le  \iconite  '  /()«(/«■,  eoniuieneés  eu  ISII.  à  la  \  ,y//ec 
était  de  |ietile  (aille,  ehélif:  sou  IVoul  ;ili.r  l.mijis.  Il  luellad  iiaifois  ,ni  niler- 
luiul,  très  (lé\elo|i|ié. 
réxélait  k\i;i-uie.(  louuue 
sout  eu  f^éiii'i'al  les  neiis 
uiaif^res  el  uerveu\.  il 
(•lait  d'une  sensibilité 
evtrème:  \\\i  rien  le  fai- 
sait pleurer;  j  ai  éli'> 
souvent  téuioiu  de  ses 
aeeés  de  seusihdde;  le 
eolll'eur  elaul  de  la 
maison,  d  ne  eliereliail 
nullement  a  di^^imulei- 
ses  mi])ressiiins  eu  ma 
|)résence. 

..  I.e  personnel  de  sa 
maison  se  eonqiosail 
iVwM  euisniier .  il  un 
valet  de  ehauihre  el  de 
la  l'emiue  de  ee  deinier 
ipii  ser\ad  de  Im^ere; 
d  avad  une  vodnre  el 
liiuail   deu\  ehevaux  an  "^''IS^*^-^^^^^ 

M.  le  vieomli'assisdans 
un  ^raïul  lauleujl.  a\anl 
à  sa  ^auehe  la  iliemini'e 
où  pi'l  diail  uu  leii  elair 
en  loiile  saison,  ear  d 
elad  Ires  IVdi-u\  A  sa 
di-olle  se  li'on\ail  une 
table  elun-ee  de  pa- 
piers, de  II  \re-.  de  |ouriiaii\ ...   l'iul  cela        \alle    d  nu     quart     d  heure     entre    ili 


H    1  T  H   \  I'  BU  I  .V  N  I),       Ij'AI'IliïS      11  K  V  fc  1!  I 


)éle-méle     el      dan-     un    adinirable 


l.e     seerelaire     se     reposail     ou 


ordre.  J'étais  anlMii-e  a  piendic,  dans  Iraeail  des  dessins  siii-  une  reiiille  de  pa- 
le las,  les  |ournaii\  qui  me  eou\  enaieii  I  ;  pier.  I  •  aul  l'es  l'ois,  le  \  lei  I  (''crn  aiu  rele- 
eliaqiie  |our  j  en  empiirlai-  Irnis  nu  \ail  du  Liesie  le  rasoir  de  M.  l'àques.  el 
qiialre,  puiirla  plu-  ^  raiiile  sal  i-l'ael  ion  i''i'lail  la  besiinne  de  eelui-<  i  qui  se 
des  elielils  de  ma  liniilique.  I  ,a  ImiiiiI-  Irninail  intinrompue.  Aussi,  eerlailies 
loire,  eiinicnani  l'eau  qui  de\ail  ser\  ir  -i''aiiees  eolIVenrel  seerelaire  réunis 
pour  la  barbe.  ela|iolail  devaiil  l'aire.  '  -  diiraieul-i'lles  une  lieiire  mi  deux. 
,1e  ra-.ii-  sur  pl.iee.  .l'ai  déjà  |)arlé  de  la  |  Souveul,  M""'  de  (  ;iialeaiibriand  était  là 
-iinpbeili'  de-   ^iiùls  du  i;raiid  ('■eri\aii 


i\ee  une    pelile 


lile    perrnebe   ipielle    all'i 


dlli;;ol,.    qui    lui    -ervail    de    rnlirile    \     li.mn.iil.    Celle     periuelie    en, ni     a     l'a] 


I.  KN  l'ANCK    i;t    l.A    \  I  i:i  1.1. i; 


;k  1)1-:  (;ii.\Ti:.\ iiuii .\ .n d 


proi'lic  (lu  coitlciir;  iiiio  lois  i-llf  ;-:iiil;i 
sur  lui;  il  son  (It-haiTiissii  en  lui  savoii- 
iKUil  le  Ik'c;  lie  là,  grande  laiHiiiic:  elle 
se  peiulail  à  son  lial)il  :  ■  cela  lai-ail 
sourire  M.  le  \  iionile  ». 

Pendant  douze  ans,  le  eoillcur  ne 
manqua  pas  un  seul  Jour  de  venir  :i 
l'heure  dite  chez  l'écrivain;  aussi  l'Iia- 
l)ilude  engendra-l-elle  l'inliniité.  Cha- 
leauhriand  se  sentait  aimé;  il  pcusail 
tout  haut  de\iuil  M.  Pâques.  M.  PA- 
([ues,  de  son  coté,  jouissait  de  son 
client.  Il  était  heureux  de  le  servir, 
lier  de  recueillir  ses  moindres  paroles. 
[1  détachait  avec  soin  du  crémèloir  les 
ehe\eux  du  grand  homme,  _el  il  les  con- 
servait pieusement.  ,' 

—  Donnez-moi  quchpie  chose,  mon- 
sieur le  vicomte,  lui  dit-il  un  jour. 

—  \'olontiers,  que  désirc/.-vous? 

—  Monsieur,  mon  rêve  serait  de  pos- 
séder cette  caïuie. 

Il  s'agissait  d  un  \ieu\  jonc  sur  lequel 
Chateaubriand  s'était  ap])uyé  autrefois 
pour  gravir  les  pentes  du  Sinaï.  I..e  jonc 
était  tordu,  usé,  éraillé  ;  il  ne  servait  plus 
qu'au  valet  de  chambre  pour  battre  le 
lit;  mais  c'était  un  souvenir  et  quel  sou- 
venir! 

—  Soit,  (lit  (^hatcaubriaud,  et  je  vous 
donnerai  autre  chose  encore;  une  attes- 
tation écrite  que  c'est  bien  monjonc  du 
Siiia'i. 

Chateaubriand  était  malade  ce  jour-là. 
Il  remit  au  lendemain  pour  écrire  le  cer- 
titîcat  d'authenticité  de  sa  canne.  Le 
lendemain,  il  s'alita  et  il  ne  se  releva 
plus.  Pâques  l'ut  témoin  de  ses  derniers 
moments.  Il  y  eut,  à  l'instant  suprême, 
une  scène  déchirante  ;  M""  Récamier  se 
précipita  sur  le  corps  de  1  homme  illus- 
tre qui  venait  de  mourir,  et,  d'une  voix 
que  brisait  la  douleur,  elle  l'appela  plu- 
sieurs foisparson  nom. ..Elle  pria  Pâques 
de  couper  pour  elle  une  boucle  des  che- 
veux du  défunt  ;  il  en  prit  plusieurs  qu'il 
distribua  aux  amis  de  la  dernière  heure, 
agenouillés  dans  la  chambre.  Ampère  et 
Béranger  étaient  du  nombre,  ainsi  que 
l'abbé  Deguerry,  depuis  curé  de  la  Ma- 
deleine et  martM'  de  la  guerre  civile. 


Ce  soii'-là,  Pâipies  i-enlra  chez  lui  en 
sanglotant  pour  y  serrer,  comme  un  tré- 
sor, les  ustensiles  de  bariie  de  son  gi'and 
homme;  i-icn  ne  fut  oublié,  ni  la  vicilh- 
sébile  en  bois,  ni  le  pinceau,  ni  le  savon 
il  demi  usé...  Le  lendemain,  il  revint 
encore.  i,e  corps  de  (Chateaubriand  était 
éteiulu  sur  son  petit  lit  blanc,  bien  sim- 
ple, dont  quatre  montants  en  fer  soute- 
naient le  balda(|uin,  vêtu  d'un  surplis 
blanc,  les  mains  c'ouverles  de  gants 
blancs  et  la  télé  coiirée.  (Quatre  cierges 
brûlaient  dans  la  chambre;  un  voile 
noir  couvi'ait  la  table  de  travail;  les 
papiers  et  les  livres,  dont  elle  était  en- 
core chargée  la  veille,  avaient  disparu. 
A  leur  place  s'étalaient  la  plaque  de 
l'ordre  du  Sainl-l'Csprit,  toutes  les  croix 
et  tous  les  rubans  dont  l'auteur  d'Alain 
avait  été  honoré.  Le  service  religieux 
eut  lieu  à  l'église  des  Missions  lîtran- 
gères;  Pâcjues  y  prit  place  au  milieu  des 
amis  les  jilns  intimes;  après  l'absoute, 
il  reçut  le  goupillon,  pour  jeter  l'eau 
bénite,  de  la  main  d'Alexandre  Dumas, 
et  le  passa,  à  .son  tour,  à  Béranger.  qui  le 
suivait  en  pleurant... 


(Quinze  jours  |)lus  tard,  le  17  juil- 
let 1848,  la  dépouille  de  Chateaubriand, 
accompagnée  des  membres  de  la  famille 
de  Chateaubriand  et  du  curé  des  Mis- 
sions Etrangères,  arrivait  à  Dol  de  Bre- 
tagne, où  une  députation  de  la  munici- 
palité de  Saint-Malo  vint  la  recevoir  ; 
une  garde  d'honneur  veilla  pendant  la 
nuit  près  du  corps.  Le  18  au  matin,  par 
un  ciel  sans  nuage,  le  cortège  prit  la 
route  de  Saint-Malo.  Tous  les  habitants 
de  la  ville  étaient  massés  sur  le  Sillon  et 
accompagnèrent  les  restes  de  l'illustre 
Breton  jusqu'à  la  cathédrale.  Pendant 
vingt-quatre  heures,  une  foule  immense 
délila  respectueusement  devant  le  cata- 
falque. L'absoute  fut  donnée,  le  19,  à  dix 
heures  et  demie  du  matin  et  la  messe  dite 
parle  curé  de  Combourg  ;  puis  le  cercueil 
fut  porté  processionnellement  dans  les 
rues  de  la  ville;  le    canon   tonnait,    les 


I.  KXFANc,  !•:   i;t    I.A    \' ikii.i.k 


;K     DK    CIlATKAriUil  AM) 


\n  populaire  niiiiiiiifc  : 

l'ciillliinl  ,i'ai  cl. uni.'  M'U\  OÈiaiicc 
Du  J..I1  li^ii  ,lf  nui  naissHiu-.-... 

l,iiuli>  i|UL'  le  tciii\i)i  |ias>:ul  ile\;iii( 
ces  niaisDiis  de  la  |)lace  du  rhàteaii  (lù 
Clialeaubriand  avait  vu  le  jiuir  et  iiù  il 
avait  vécu  ses  premières  années.  On 
j^ayna  la  plafje  par  la  pmie  Saint-\  in- 
cent  et  la  chaussée  du  Sillon.  Des  ori- 
llamnies  de  deuil  indicpiaient,  comme 
autant  de  jalons  sur  le  roc  et  à  travers 
les  ruines  du  \'ieux  Tort,  la  roule  abou- 
tissant au  sé|iulcre.  ('ne  mnltituile  in- 
nombrable se  pi-essait  dans  les  rues,  an\ 
fenêtres,  jusque  sur  les  toits,  sur  les 
remparts,  dans  les  f;rè\es  et  sur  les  ro- 
chers qui  les  bordent. 

I^e  cortèf;e  s'enf,Mf;ea  sous  les  rem- 
parts Saint-Thomas  par-  la  j;rè\e  du 
rocher  Malo.  sur  un  chemin  improvisé 
])ar  les  soins  <le  1  adminislr.il  ion  muni- 
cipale,    el     parvint     à     lile    iln     (îraiid- 


Hey.  .\  deux  heures  dix  minutes,  le 
cercueil,  descendu  le  long  d'un  plan  in- 
cliné, par  une  brèche  pratiquée  dans  le 
[larapet  du  vieux  fort,  l'ut  doucement 
déposé  dans  la  tombe  qui  l'attendait 
depuis  douze  ans. 

"  Quand,  vers  le  .soir,  notait  un  témoin 
de  la  cérémonie,  la  mer  eut  repris  pos- 
session de  ces  grèves,  laissées  libres  un 
instant  à  la  piété  des  hommes,  quand 
lile  du  tombeau  reparut,  de  loin,  dans 
sa  beauté  solitaire,  entre  la  ceinture  de 
ses  vagues  el  le  couronnement  de  ses 
étoiles,  une  brise  mystérieuse  souleva 
tout  à  cou[)ces  mêmes  flots  qui  saluèrent 
jadis  par  une  tourmente  de  six  semaines 
la  naissance  de  Chateaubriand;  l'ombre 
de  René  put  reconnaître  les  caresses  de 
la  rude  et  vieille  maîtresse  qui  l'avait 
bercé,  el  jouir  en  paix  de  la  solennité 
d'une  tempête  pendant  sa  [)remière  nuit 
de  l'Océan.  - 

(i.    Lenotiîi;. 


PLAGES   NORMANDES 


VUES   D'ETRETAT 

(Pliott'graphie?    île    M.    A.    da    ClUilia). 


PLAGES  ^'or^MA^'DES 


IM.ACKS    Non  MA  M)  i; 


DIVES.  -  H0ULGATE 


IM.AT.ES    NOHMANDKS 


TROUVILLE 


BELFORT 


Quand  on  arrive  près  de  la  frontière 
de  son  pays,  on  ne  peut  se  défendre 
d'une  certaine  émotion  grave  :  ici  finit 
la  région  qui  est  comme  votre  milieu 
naturel,  dont  les  êtres  sont  liés  à  vous 
par  l'habitude  de  la  même  langue,  le 
culte  des  mêmes  souvenirs,  les  mysté- 
rieuses affinités  de  la  même  race  :  au 
delà  vous  serez  pour  ainsi  dire  hors  de 
votre  élément,  vous  ne  vous  sentirez 
plus  de  contact  avec  les  êtres  qui  vous 
environneront,  l'inconnu  s'ouvrira  de- 
vant vous. 

A  Belfort,  cette  impression  est  solen- 
nisée  par  l'aspect  même  de  la  nature, 
car  notre  pays  s'ouvre  là  par  un  seuil 
grandiose,  dont  les  jambages  sont  des 
montagnes  boisées  de  sapins  et  souvent 
neigeuses. 

El  combien  la  mélancolie,  dont  on  se 


sent  envahir  en  ces  lieux,  redouble  en- 
core quand  les  formidables  travau.\  de 
défense  qui  couronnent  ici  toutes  les 
crêtes,  qui  coupent  tous  les  terrains, 
vous  rappellent  la  menace  qui  toujours 
assombrit  l'horizon;  menace  à  laquelle 
votre  générosité  humaine  voudrait  ne 
pas  croire,  car,  nécessairement,  vous 
trouvez  monstrueux  ces  chocs  éventuels 
de  races,  dont  les  individus  n'ont  au- 
cune raison  de  s'en  vouloir  et  en 
auraient  peut-être  de  s'estimer! 


11  se  peut  qu'au  saut  du  train  qui 
vous  amène  à  Belfort,  un  cocher  vous 
demande  si  vous  avez  besoin  de  sa 
<'  foidure  »,  car  nombre  de  Belfortains 
ont  l'accent  germanique  ;  à  d'autres 
signes,  vous  reconnaîtrez    le  voisinage 


de  l'Allemagne;  ainsi,  les  cafés,  au  lieu 
de  s'ouvrir  largement  sur  la  voie  pu- 
blique, comme  clans  le  centre  et  le  sud 
de  la  France,  n'ont  la  plupart  qu'une 
petite  porte  discrète,  ce  qui  s'explique 
sans  doute  par  l'amour  de  la  vie  close 
si  développé  chez  toutes  les  races  sep- 
tentrionales; vous  verrez  des  couples  de 
bœufs  attelés  à  de  longs  chariots  montés 
sur  quatre  roues  et  chargés  de  choux 
blancs  :  c'est  la  choucroute  en  perspec- 
tive. 

Cependant  la  population   n'a  point   le 


on  ne  mange  que  dans  des  assiettes  por- 
tant sa  silhouette  représentée  en  leur  mi- 
lieu. Nauriez-vous  qu'une  demi-heure  à 
passer  dans  leurs  murs,  tous  les  Belfor- 
tains  vous  conseilleront  de  l'aller  voir. 
D'ailleurs,  vous  l'apercevez  de  loin,  se 
détachant  en  bas-relief  à  mi-hauteur  de 
la  paroi  rocheuse  de  soixante  mètres  que 
couronne  le  château.  Si  vous  voulez  le 
contempler  de  plus  près,  vous  payerez 
cinquante  centimes  à  un  gardien  qui 
vous  ouvrira  l'accès  d'une  terrasse  mé- 
nagée à  sa  base.  Sa  pose  est  assurément 


type  germani(]uc'.  La  lailK?  est  générale- 
ment haute,  comme  de  l'autre  côté  du 
Hhin,  mais  les  bruns  dominent,  non  les 
blonds,  et,  spécialement  chez  les  femmes, 
vous  remarquerez  souvent  ici  un  ty[)C 
de  brune  nerveuse  ([ui  semble  méri- 
dional. 

Au  reste,  l'attachement  exalté  des 
Bclfortains  [)t)ur  la  France  vous  est 
prouvé  par  le  culte  qu'ils  vouent  à  leur 
Lion.  Ce  lion,  monument  commémo- 
ratif  de  la  défense  de  1870,  se  trouve 
reproduit  sous  toutes  les  formes  imagi- 
nables aux  vitrines  des  marchands;  il  a 
les  honneurs  du  presse-[)apiers,  du  dessus 
de  pendule  et  des  manches  de  ])orte- 
plume  à  vues  microscopiques:  à  l'hôtel. 


saisissante  et  donne  une  belle  ulée  du 
talent  de  l'auteur,  M.  Hartholdi,  enfant 
de  l'Alsace  :  l'animal  se  dresse  sur  ses 
pieds  d(!  devant  qui,  sortant  leurs  grilfes, 
semblent  peu  dis[)osés  à  céder  le  terrain 
qu'ils  occupent.  Il  est  exécuté  en  assises 
de  grès  rouge,  pierre  très  commune  dans 
la  contrée  et  qui  offre  le  chaud  aspect 
de  la  terre  cuite. 

(Jnant  au  château,  il  [irésente  à  la 
ville  un  corps  de  bâtiment  en  bordure 
sur  le  faite  du  roc  et  qui,  recouvert  par 
des  tertres  gazonnés,  découpe  mmi  prolil 
austère  sur  le  ciel. 

Si  vous  contournez  le  mas.~it  imposant 
de  cette  citadelle,  vous  pénétrez  dans  ce 
<|u'on  a|)pelle  le  camp  retranché  perma- 


neiit  parl:i  |Hirleclo  lirisucli,  uncpolernc 
fin  xvn"  siècle  avec  la  devise  du  Hoi 
Soleil  :  Xec  plurihus  impur,  orgueilleu- 
sement inscrite  sur  son  fronton.  L'es- 
pace où  l'on  se  trouve  alors  est  un  rec- 
tangle fortifié,  long  d'un  kilomètre,  et 
dont  les  deux  angles  les  plus  éloignés 
du  cliAlcau  sont  occupés  par  les  forts 
de  la  .luslice  et  de  la  Miolte. 

La  MioUe  est   une  tour  que   l'on  dé- 
couvre (le  tous  les  environs,  un  vrai  nid 


nison,  cl  des  points  élevés  vos  regards 
lombenl  toujours  sur  l'inluricur  de  plu- 
si«uri>  d'snlre  elles  où  des  hommes  de 
corvée  sont  en  train  de  manier  le  halai, 
«  le  pinceau  »  avec  ardeur. 

La  ville  est  entourée  d'un  mur  percé 
de  meurtrières  pour  le  pointage  des 
fusils,  défense  qui  semble  un  peu  super- 
llue  quand  on  songe  à  sa  faiblesse  par 
rapport  ù  tous  les  puissants  moyens  de 
protection,  forts  de  ceinture  et  feux  de 


LE    LION      DE    UAUTHOLDI 


d'aigle  juché  sur  une  hauteur  qui  do- 
mine un  bel  étang  bleu,  l'étang  des 
Forges.  Il  fallait  la  voir  à  l'issue  du 
siège  :  elle  ne  tenait  plus  que  par  mi- 
racle, tellement  elle  avait  été  déchiquetée 
par  les  boulets  prussiens;  elle  a  été  res- 
taurée depuis,  ce  qui  était  fort  néces- 
saire, quoique  regrettable  au  point  de 
vue  pittoresque. 

Des  soldats,  encore  des  soldats  :  vous 
ne  pouvez  faire  un  pas  dans  toute  la 
place  de  Belfort  sans  voir  défiler  des 
troupes  et  sans  entendre  les  sonneries  de 
clairon  qui  appellent  :  «  Tout  le  monde 
en  bas  !  »,  pour  l'exercice;  d'innom- 
brables casernes  servent  à  loger  la  gar- 


citadelle,   dont    l'ennemi   devrait    avoir 
raison  pour  approcher  du  rempart. 

La  campagne  est  très  belle  :  elle  est 
arrosée  par  la  Savoureuse,  au  si  joli 
nom ,  descendue  par  des  cascatelles 
écumantes  du  Ballon  d'Alsace,  dont  la 
crête  arrondie  dépasse  les  autres  cimes 
bleues  des  Vosges  qui  ferment  l'hori- 
zon. La  rivière,  claire  et  étincelante'sur 
son  lit  de  cailloux  roulés,  serpente  au 
pied  de  dilTérentes  croupes  boisées  : 
lArsot,  le  Salbert,  le  Mont,  et  s'en  va 
se  jeter  au  sud  dans  un  aflluent  du 
Doubs. 

De  quelle  époque  date  Belfort? 


Les  Bellorlains  vous  montreront  dans 
leur  musée  les  preuxes  d'une  ascendance 
préhistoricjue  :  ce  sont  des  ossements 
humains  des  temps  quaternaires;  ils  ont 
été  retrouvés  dans  une  grotte,  à  Cra- 
vanche,  un  village  voisin;  à  côté  d'eux 
gisaient  des  vases  d'argile  et  des  os 
taillés  pour  servir  d'armes,  premiers 
témoignages  de  l'industrie  de  notre 
espèce;  considérez  les  orbites  creuses 
de  ces  crânes;  les  yeux  qui  les  occu- 
paient ont  vu  les  mammouths  et  les 
rennes  jjrendre  leurs  l'bats  dans  nos 
contrées. 

Mais  la  ville  même  de  Bell'ort  est 
incomparablement  plus  jeune  ;  elle  con- 
sista en  quelques  huttes  de  manants  qui 
vinrent  s'abriter  au  pied  du  château, 
bâti  vraisemblablement  au  xi"  siècle, 
par  le  comte  de  Monlbéliard,  aux  des- 
cendants duquel  il  continua  d'apjiar- 
tenir. 

L'un  d'eux,  lienaud  de  liourgogne, 
ainsi  que  sa  femme  Guillemelte  et  leur 
fils  Othein  octroyèrent,  en  1307,  aux 
bourgeoisde  Bellorl  leurs  lettres  de  fran- 
chise, par  lesquelles  ils  étaient  exemptés 
des  corvées,  de  la  taille  et  acquéraient 
même,  moyennant  une  modique  somme, 
le  privilège  insigne  de  faire  paître  leurs 
cochons  dans  les  bois  du  seigneur. 

Au  surplus,  la  ville  relevait  de  l'em- 
pire d'Allemagne,  dont  les  comtes  de 
Montbéliard  étaient  vassaux. 

Ce  fut  en  liVM'i  que  le  comle  de  la 
Suzc  ayant,  ])endanl  la  nuil,  l'ait  sauter 
la  porte  de  la  place,  s'en  empara  au  nom 
de  Louis  XIII,  et  celle  ncenpaticin  l'ut 
consacrée,  en  l('>iS.  par  les  lrai((''s  de 
Weslphalie. 

Louis  \1\'  v  envova  sou  i^rand  dessi- 
nateur tic  l'iprlilicalioiis,  N'aidiaii,  ipii  lil 
jaillir  de  son  icrvc.ni  ImijI  un  >\->lc'ine 
de  glacis,  de  contrescarpes,  de  cour- 
lines,  (le  bastions,  capable  de  Iciiii-  à 
bonne  distance  rpiicon<pie  aurail  l'idée 
de  nous  repri'iuli-r  ISi'H'inl.  (If^  i-eli-an- 
chenients  exisleul  iiu-m'c  aujoui'd  hui, 
bien  que  la  pliipail  soient  rendus  iini- 
tiles  parles  lra\au\  (|ui  oui  l'-lé  exécutés 
depuis  lors. 


En  1813,  puis  en  1H1.J,  la  place  eut  à 
soutenir  deux  sièges,  et  dans  le  second, 
elle  fut  défendue  par  le  général  Le- 
courbe  qui,  après  avoir  longtemps  boudé 
Napoléon,  s'étailrallié  à  lui  sans  réser\e 
pendant  les  Cent-Jours. 

De  cette  époque  à  1S70,  Bclfort  ne 
fut  pas  attaqué. 


Le  -1  novembre  1870,  les  Prussiens 
parurent  au  nord-est  et,  après  deux 
combats,  dont  l'un  leur  fut  très  préjudi- 
ciable, ils  se  divisèrent  en  deux  colonnes 
qui,  tournant  à  l'est  et  à  l'ouest,  se  retrou- 
vèrent au  sud  à  Sévenans. 

Le  colonel  Denfert-Rochereau,  qui 
commandait  la  place,  avait  à  sa  disposi- 
tion un  matériel  fort  imparfait,  très  peu 
de  canons  rayés  et  surtout  des  canons 
lisses,  ainsi  que  de  vieux  mortiers  utiles 
seulement  pour  la  défense  rapprochée. 
Les  provisions  de  projectiles  étaient 
modestes,  si  bien  qu'on  dut  se  décider  à 
ne  pas  dédaigner  un  grand  stock  de 
boulets  pleins  qui  dataient  du  temps  de 
Louis  XIV  et  qui,  d'ailleurs,  supportant 
mal  les  grosses  charges  de  poudre, 
s'émiettèrent  presque  tous  à  la  gueule 
des  canons.  Quant  aux  ressources  ali- 
mentaires de  la  garnison,  elles  étaient, 
au  contraire,  largement  suflisantes  pour 
cent  cinquante  jours  de  siège,  et  la 
population  civile  avait  été  avertie  île  se 
pourvoir  de  vivres  pour  cpiatre-vingt- 
onze  jours,  le  lem[)s  maximum  pendant 
le(piel  Helfort  (■tait  consiiléré  pouvoir 
leiiii-  lonlre  les  assaillants. 

.\  l'.iuesl  et  au  sud-esl  ,1e  la  vdle,  les 
i-ednules  de  Hellevue  et  des  l'erches  qui 
venaient  d'élre  créées  furent  mises  tant 
bien  (pie  mal  en  élal  de  soutenir  la 
bille. 

Le  i  novembre,  le  gén(''ral  allemand 
de  Treslvow  envoyait  au  colonel  Denlert 
la  lettre  suivante  ; 

«  Très  honoré  ,■!  honorable 
commaiid.iiil , 

..  ,!<■  n'ai  pas  riiileiilioii  de  vous  prii'r 
de  me   rendre  la  pLiee  de    lii^U'orl,   mais 


Il  ICI. F O HT 


je  vous  laisse  le  soin  de  juger  s'il  ne 
convieiulrail  pas  tlY-viter  ù  la  ville  loulcs 
les  horreurs  d'un  sièfje. 

«  Je  n'ai  d'autre  intention,  en  vous 
envoyant  cet  écrit,  que  de  préserver 
autant  que  possible  la  population  civile 
des  horreurs  de  la  (,'uerre.  » 

A  quoi  le  militaire  français  répondit 
sur-le-champ  : 

<i  (iénéral,  j'ai  lu  avec  l'attention 
qu'elle  mérite  la  lettre  que  vous  m'avez 
fait  l'honneur  de  m'écrire  avant  de 
commencer  les  hostilités.  En  pesant 
dans  ma  conscience  les  raisons  que  vous 
me  développez,  je  ne  puis  m'empccher 
de  trouver  que  la  retraite  de  l'armée 
prussienne  est  le  seul  moven  que  con- 
seillent à  la  fois  l'honneur  et  l'humanité 
pour  éviter  à  la  population  de  Belfort 
les  horreurs  d'un  siège.  » 

On  conçoit  bien  que  le  général  de 
Treskow  n'obtempéra  pas  à  celte  invi- 
tation légèrement  gouailleuse. 

Des  compagnies  d'éclaireurs  se  mirent 
alors  h  harceler  l'ennemi  sur  tous  les 
points,  à  lui  tuer  ses  sentinelles,  à  sur- 
prendre ses  petits  postes  :  elles  étaient 
composées  d'hommes  connaissant  très 
bien  le  pays  et  causèrent  tant  de  dom- 
mage aux  Allemands  qu'au  23  no- 
vembre ils  n'avaient  encore  pu  qu'as- 
surer leurs  positions  sans  avoir  rien 
entrepris  contre  la  place. 

Enfin,    le    "24   novembre,    ils 
attaquèrent  le  Mont,  une  hau- 
teur qui  se  trouve  à  l'ouest  de 
la   ville,   et  l'enlevèrent  en  se 
servant,    d'ailleurs,    de     ruses 
auxquelles  nos  soldats  jurèrent 
bien  de  ne  plus  se  laisserpren- 
dre  :   ainsi  ils  faisaient  enton- 
ner   par     leurs     clairons     la     sonnerie 
française  de  la  retraite  ou  bien  encore, 
approchant  de  nos  lignes,  ils  criaient  : 
«  Ne  tirez  pas,  ce  sont  des  mobiles  dé- 
guisés !  » 

Le  colonel  Denfert,  comprenant  que 
le  bombardement  était  proche,  fît  part 
de  ses  pressentiments  à  la  population  et, 


par  les  soins  dévoués  du  maire,  M.  Mény, 
des  abris  furent  construits  dans  les  rues, 
devant  les  portes  des  maisons.  On  y 
,  employa  des  traverses  de  chemin  de 
fer.  Au  reste,  les  Helfortains  venaient 
de  prouver  leur  courageuse  résignation 


liililiiiilii«iliil]iiiiiiii*iii.'»'"iB«i;iiaiiiii'"""''wiibl'E«iiinNii"»*'iiiiiiiiii|^ 

Qn.\ND     même!    de    IIERCIÉ 

en  protestant  contre  un  article  qui  avait 
paru  dans  le  journal  de  la  ville  et  qui 
conseillait  la  capitulation  pour  éviter  le 
bombardement. 

Le  3  décembre  commença  la  pluie 
d'obus  qui  devait  aller  rinforzando  pen- 
dant soixante-treize  jours  ;  le  bilan  delà 
première  journée  fut  de  quatre  mille  à 


B  E  L  F  O  n  T 


cinq  mille  projectiles  reçus,  chillre  qui 
prometlait  pour  la  suite.  Les  Allemands 
tiraient  d'Essert,  au  sud-ouest,  où  ils 
avaient  établi  une  batterie  de  huit  ca- 
nons hurlant  sans  relâche  comme  dans 
la  fureur  d'une  bataille.  Les  habitants 
de  la  ville  se  précipitèrent  dans  leurs 
caves  où  ils  se  calfeutrèrent  de  leur 
mieux;  dans  les  escaliers  des  maisons 
avaient  été  placés,  sur  le  conseil  du 
commandant  de  la  place,  des  baquets 
pleins  deau  pour  éteindre  les  incendies 
allumés  par  les  bombes,  et  cette  précau- 
tion fut  bientôt  jujj;ée  excellente.  Au 
château  et  aux  redoutes,  des  guetteurs 
avertissaient,  à  son  de  trompe,  de  l'ar- 
rivée des  obus,  et  les  personnes  qui  se 
trouvaient  alors  dans  les  rues  gagnaient 
un  abri  aussi  vite  qu'elles  le  pouvaient. 

Les  batteries  du  château  rendirent, 
d'ailleurs,  aux  pièces  ennemies  leur 
politesse  et  firent  beaucoup  de  mal  à 
leurs  servants. 

Au  bout  de  quinze  jours  de  bombar- 
dement, un  parlementaire  prussien  re- 
mit au  colonel  Denfert  une  lettre  du 
président  de  la  République  helvétique, 
qui  s'olfrait  généreusement  à  faire  trans- 
porter et  à  entretenir  à  Porrentruy  les 
femmes,  les  enfants  et  les  vieillards  de 
Belfort.  Le  commandant  de  la  place  ré- 
pondit en  exprimant  aux  Suisses  com- 
bien il  était  touché  de  leur  proposition, 
mais  en  indiquant  une  condition  à  dé- 
faut de  laquelle  il  ne  pourrait  en  pi'O- 
filcr  :  la  suspension  absolue  des  travaux 
d'approche  des  Allemands  durant  le  dé- 
part de  la  population  civile.  Copie  de 
cette  réponse  était  adressée  au  général 
de  Trcskow  (]iii  n'en  aci'usa  p:is  récep- 
(ioM. 

Les  Helfortauis,  que  cet  espoir  de  dé- 
livrance |)our  les  plus  faibles  d'entre 
eux  a\nit  [■(■(•oiil'(ii-((''s,  ni'  [)i'ireiit  pas 
aiséniciil  leur  paiii  du  sdc-iice  de  l'ad- 
versaire. Li'  f)  jau\icr,  par  l'intermé- 
diaire du  maire  et  du  préfet,  ils  deman- 
dèrent au  chef  de  la  défense  de  faire  une 
déniarclie  auprès  du  général  de  'l'rrs- 
Ivow,  cl   viiici  ce  cpie  Deid'ert  ii-pondil  : 

<<  Les   faits  de  celle   iruerre  cl   l,i   ma- 


nière dont  les  Allemands  la  poursuivent 
sous  la  conduite  de  leur  roi  démon- 
trent avec  la  plus  grande  évidence  qu'ils 
sont  décidés  à  procéder  à  toutes  les  vio- 
lences, de  quelque  nature  qu'elles  soient, 
contre  les  populations  françaises.  La 
guerre  qu'ils  nous  font  est  une  guerre 
de  race  sans  aucun  ménagement. 

Cl  En  présence  d'une  telle  situation, 
quelle  doit  être  notre  conduite?  l^'tre 
implacables  vis-à-vis  de  l'ennemi  tant 
qu'il  est  debout  et  en  armes  sur  notre 
territoire,  ne  lui  demander  aucune  grâce 
quelconque  et  n'en  accepter  aucune  de 
lui.  .. 

Celte  attitude  du  colonel,  qu'on  devait 
cependant  jjrévoir  d'après  le  caractère 
qu'il  avait  toujours  montré,  déplut  aux 
Belfortains  ;  ils  trouvèrent  que  le  com- 
mandant de  la  place  faisait  de  l'héroïsme 
à  leurs  frais  et  lui  en  conservèrent  tou- 
jours une  certaine  rancune. 

Dans  la  nuit  du  7  au  S  janvier,  le 
village  de  Danjoutin,  au  sud  de  Belfort, 
nous  fut  enlevé  par  surprise  et  dès  lors 
la  redoute  des  Perches,  qui  était  pro- 
tégée parcetle  position,  se  Inmva  tlirec- 
tement  menacée. 

Comme  consolation,  le  9,  les  assiégés 
entendirent  le  canon  de  \  illersexel  : 
l'armée  de  Bourbaki  allait  sans  doute 
débloquer  la  place;  ces  décharges  loin- 
laines  d'artillerie  furent  saluées  avec 
enthousiasme  :  u  Jamais  plus  douce 
harmonie,  dit  le  rapport  du  lendemain, 
ne  lit  tinter  des  oreilles  humaines  1  ■> 
Le  1;-),  le  IG  et  le  17,  le  bruil  de  la  lulto 
se  rajjprocha  ;  c'était  la  halaille  d'Ih-ri- 
court,  au  sud-ouest  de  lîelfDrt  :  la  gar- 
nison se  croyail  di'|à  lilirr:  pourtant 
|)enferl,  alleiidiinl  l(iuji>ui-s  (piclque  iu- 
diealiou  plus  précise  sur  les  mouvenienis 
de  Tarinc'!'  di'  l'E^I,  n'osa  risquer  nue 
SDrlie  générale,  el  le  IS,  hélas',  linur- 
Ijaki  s'éloigna. 

Le  '20  janvier,  reniirnu,  .qirès  a\i>ir 
essuyé  de  grandes  ])erles,  occupa  Pé- 
rous'e,  à  l'est  de  la  ville;  le  -JC,  il  lenla 
ciinti-e  h'S  Perches  ini  ass.iut  <pii  lui 
réussit  mal,  car  il  nous  pi-rmil  de  faire 
prisonniers  deux  cent  viiigt-t'inq  hommes 


231 


ItKI.l-OIiT 


qui,  s'étanl  jflés  iiicoiisidcTémonl  clans 
le  fossé  de  la  redoute,  n'en  purent  esca- 
lader rcscar])e  et,  menacés  d'une  (usil- 
lade,  durent  se  rendre.  On  trouva,  d'ail- 
leurs, dans  les  [)oclies  de  ces  soldats 
allemands  (les  lettres  où  ils  se  plaignaient 


il  y  avait  maintenant  un  accord  tacite 
de  ne  plus  se  tirer  de  coups  de  fusil. 
A  la  redoute  de  Hellevne,  un  officier 
Iraneais  dut  forcer  ses  faclionnaires  à 
faire  feu,  en  sa  présence,  sur  les  enne- 
mis qui  se  montraient. 


LES    FOIlTIFICtTIlINS     DE     BELFOUT     EN    1870- 


Au-dessous  da  bastion  du  premier  pla 
le  camp  retranché  ;  à  ganche. 


i  est    la  porte  de  Brisacb,  où 
m  fond,  le  fort  de  la  Miette  ; 


;e  trouvait  la  casemate  de  Denfert  ;  à  gauche, 
i  droite,  au  fond,  le  fort  de  la  Justice. 


amèrement  des  cruelles  difficultés  qu'ils 
rencontraient  devant  Belfort. 

Mais  la  garnison  aussi  commençait  à 
se  démoraliser.  Paris  avait  capitulé  le 
"29  janvier  et  l'ennemi  en  avait  répandu 
la  nouvelle  écrite  au  crayon  sur  de 
petits  bouts  de  papier  qu'il  avait  fait 
parvenir,  on  ne  sait  trop  comment,  à 
nos  soldats. 

Français  et  Allemands  étaient  si  las 
qu'entre  les  sentinelles  des  avant-postes. 


Le  8  février,  les  Perches  furent  prises, 
et  comme  de  ce  point  les  assaillants  do- 
minaient deux  des  enceintes  de  la  cita- 
delle, la  situation  devenait  extrêmement 
précaire. 

Cependant  Denfert  adressa  à  ses 
troupes  et  à  la  population  civile  une 
proclamation  où  il  leur  démontrait  que 
le  sort  de  Belfort  dépendait  de  la  conti- 
nuation de  la  résistance  jusqu'à  la  si- 
gnature de  la  paix  et  leur  vantait  l'Iion- 


lî  K  L  F  O  li  T 


neur  insigne  d'être  restés  debout  quand 
tous  les  autres  avaient  été  obliy:és  de 
céder  à  l'ennenH. 

Ces  mâles  paroles  ranimèrent  les  cou- 
rages. Il  y  eut  un  réveil  extraordinaire 
d'énergie.  Les  Bellortains,  n'espérant 
plus  voir  linir  ce  bombardement,  s'y 
étaient  habitués  :  c'est  du  moins  le  mot 
que  m'a  dit,  d'après  ses  propres  souve- 
nirs, M.  Bœck,  le  bibliothécaire  de  la 
ville.  Au  château,  le  maréchal  des  logis 
Lherrou  fut  blessé  trois  fois  en  une  nuit 
j)rès  d'un  mortier  sans  vouloir  aban- 
donner son  poste  1 

Treskow  essaya  d'une  suprême  inti- 
midation sur  ses  adversaires  indomp- 
tables; il  écrivit  à  Denl'erl  qu'il  allait 
redoubler  son  attaque. 

Certain  que  le  feu  des  Allemands  ne 
pouvait  augmenter,  car  il  se  chiifrait 
alors  quotidiennement  par  douze  mille 
obus,  le  colonel  français  avait  l'intention 
de  ne  répondre  à  l'ennemi  qu'en  lui  en- 
voyant le  reste  de  ses  projectiles  tout 
d'une  volée  en  deux  ou  trois  jours, 
quand  il  reçut  une  nouvelle  communi- 
cation. Une  dépêche  de  Bismarck  venait 
d'arriver  à  de  Treskow;  elle  portait: 
«  Le  gouvernement  français  m'envoie 
pour  le  commandant  de  Belfort  le  télé- 
gramme suivant  ;  «  Le  commandant  de 
«  Belfort  est  autorisé,  vu  les  circon- 
«  stances,  à  consentir  à  la  reddition  de 
<i  la  place.  Elle  ralliera  le  poste  fran- 
c(    çais  le  plus  voisin.  » 

Cela  ne  suflit  pas  â  Driiferl  :  il  allcn- 
dit  un  ordre  direct  du  gouvernement 
français;  mais,  dans  l'intervalle,  un 
armistice  fut  conclu,  et  les  habitants  de 
Belfort  éprouvèrent  une  sorte  d'i\resse 
à  ne  plus  entendre  le  bruit  infernal  des 
canons  et  à  resjjirer  l'air  pur,  dont  la 
vie  dans  les  caves  les  avait  privés  [)en- 
dant  si  longtemps. 

I'"iiliii,  le  17  el  le  1 S  février,  la  garni- 
son française  en  armes  el  drapeaux  au 
ventquiltait  i'>elfort.  Le  maire,  M.  Mény, 
ne  sachant  si  la  ville  resterait  à  la 
France,  pleurait  en  serrant  la  main  aux 
soldats.  ,\u  reste,  la  sympathie  des 
Belforlaiiis  nesuivil  p,i~  le  ccilDni'l  I)en- 


fert,  qui  cependant  la  méritait.  Un  nou- 
veau g'rief  venait  de  s'ajouter  à  ceux 
que  l'on  crovait  avoir  contre  lui;  car, 
pour  ne  point  rebuter  les  vainqueurs 
par  trop  d'exigences,  il  n'avait  pas  sti- 
pulé que  la  population  civile  serait  dis- 
pensée de  loger  les  envahisseurs,  et  elle 
dut  subir  cette  humiliation. 

.\  Thiers  va  toute  la  reconnaissance 
de  la  ville,  et  il  est  très  vrai  qu'elle  lui 
doit  beaucoup,  puisque  c'est,  en  somme, 
grâce  à  ses  patriotiques  instances  au- 
près de  Bismarck  qu'elle  est  restée 
française. 

Comme  il  voyait  que  ses  négociations 
avec  le  chancelier  de  fer,  en  vue  de 
garder  Belfort,  n'aboutissaient  pas,  il 
s'écria  que  l'Allemagne,  par  sa  préten- 
tion de  mettre  la  main  sur  une  cité  qui 
venait  de  prouver  si  hautement  ses  sen- 
timents nationaux,  montrait  d'une  façon 
éclatante  son  mépris  pour  les  vœux  des 
peuples  et  qu'un  suprême  désespoir 
allait  de  nouveau  armer  toute  la  France. 

Alors  Bismarck,  après  avoir  pris  les 
ordres  de  son  empereur,  laissa  à  Thiers 
le  choix  d'éviter  à  Paris  l'affront  de 
voir  entrer  les  Allemands  dans  ses  murs 
ou  de  conserver  Belfort. 

Le  représentant  de  la  nation  française 
n'hésita  pas;  il  trouva  que  la  honte  de 
Paris  serait  sanctifiée  par  le  rachat  de  la 
\aillante  sœur  de  l'Est.  Et  c'est  ainsi  que 
Belfort  nous  est  resté  :  l'on  \oit  quelle 
pieuse  obligalinn  l'altachc  désormais  à 
la  capilale  du  pays. 


Aujourd'hui  la  gardienne  de  la  trouée 
des  \'osges  esl  (h'^fendue  d'inie  façnn 
formidable. 

Dès  1«7.')  (■taieiil  cduslruils  (piatre 
forts  d'une  iinpurlancrcapilale  :  ceux  di's 
Pei"clies,de  Rop|)e,du  Salberl.  du  Monl- 
Vaudois.  JMi  1877,  on  établit  celui  du 
Bosmont;  en  I  SS.'{,  ceux  de  Bessoncoui-I, 
de  \'e/,elois  el  de  Boisdoye.  Un  ISSS. 
on  acheva  les  ouvrages  fm-liliés  de  (]lie- 
vreniont,  de  Fougerais,  du  ilaut-Bois,  de 
Manccaux,  de  l.i  Cote;  eu  ISS'.»,  ceux  du 
Pilon-La-aee.  ,1e  ri'',l,ni:;-Neur,  .h-  Dell- 


ney,  de  Rondot,  de  Grand- Bois,  do 
Moval,  d'iù-pillières,  des  Esscrls,  d'IIé- 
ricourt,  du  Bas-du-Mont,  de  la  Forèl, 
d'Kvclte,  du  nord  du  Salhcrt,  de  l'ouesl 
du  Salherl  ;  la  môme  année  voyait  naître 
les  batteries  du  Brosniont,  du  Bois-sous- 
Morveaux,  de  l'érouse,  du  Haut-Taillis, 
du  Bosmont,  de  Meroux,  de  Sévenans, 
d"Urcerev,de  Dorans  et  de  Bolans. 


dômes  peints  en  vert  pour  se  confondre 
avec  la  verdure  des  terrains,  sont  prêts 
à  recevoir  les  défenseurs:  des  magasins 
il  [)oudre,  pratiqués  dans  le  liane  des 
hauteurs,  attendent  d'être  approvision- 
nés. Un  petit  chemin  de  fer  à  voie  étroite 
réunit  tous  les  travaux  et,  selon  les 
besoins  du  service,  le  convoi  dirigé  par 
des  soldats  du  génie  va,  vient,  monte, 


LES    ALLEMANDS    A     LA    5II0TTE 


Pas  un  lieu  élevé  dont  le  sommet  ne 
montre  des  talus  sablonneux  que  l'herbe 
n'a  pas  encore  eu  le  temps  de  recouvrir 
et  derrière  lesquels  s'abritent  des  canons, 
tandis  que  les  pentes  sont  revêtues  de 
buissons  de  fil  de  fer  à  pointes  ;  pas  un 
pli  du  sol  au  revers  duquel  on  ne  dé- 
couvre des  batteries  de  quatre  pièces 
dont  la  gueule  actuellement  close  d'un 
chapeau  de  cuir  noir  se  trouve  au- 
dessous  des  terrains  qu'elles  ont  à  sur- 
veiller, mais  qu'un  léger  exhaussement 
sur  leur  affût  mettrait  à  même  de  tout 
faucher  devant  elles.  Des  abris  bétonnés, 


dégringole  le  long  des  rampes  les  plus 
raides  avec  la  vélocité  d'un  farfadet. 

On  compte  que  Belfort  pourrait  ré- 
sister pendant  six  mois  aux  elForts  de 
l'envahisseur.  Des  vivres  y  sont  renfer- 
més pour  un  an.  La  place  exigerait  une 
garnison  de  quarante-cinq  mille  hommes. 
Les  munitions  y  sont  accumulées  à  rai- 
son de  trois  cents  coups  par  pièce,  le 
nombre  des  pièces  étant  d'environ  douze 
à  quinze  cents. 

Ah!  certes,  sur  ce  point,  du  moins,  la 
patrie  est  bien  défendue  et  cependant 
quand  on  songe  aux  elTroyables  sommes 


BELFORT 


englouties  pour  la  création  et  l'entretien 
de  tous  ces  moyens  de  protection,  on 
éprouve  un  serrement  de  cœur.  Quand 
donc  viendra  l'époque  bénie  où  les  sté- 
riles haines  de  race  seront  à  jamais 
apaisées  et  où  les  nations  emploieront 
les  ruineuses  ressoiu'ces  qu'elles  gaspil- 
lent en  armem(>nts  à  mieux  exploiter 
leur  territoire. 

Au  point  de  vue  civil,  aussi  bien 
qu'au  point  de  vue  militaire,  Belfort, 
pour  quiconque  ne  l'aurait  pas  revu  de- 
puis la  guerre,  est  de\enu  méconnais- 
sable. 

La  ville  s'est  étendue  très  loin  sur  la 
rive  droite  de  la  Savoureuse  et  ces  nou- 
veaux quartiers  se  bâtissent  sans  cesse. 

La  population  a  triplé  et  elle  est 
maintenant  d'environ  vingt-huit  mille 
habitants  ;  elle  s  est,  en  elîet,  grossie 
d'un  grand  nombre  d'Alsaciens  qui  se 
sont  refusés  à  l'annexion.  Le  manque 
d'ouvrage  n'est  pas  à  craindre  à  Helfort, 
car  de  très  grandes  maisons  de  Mul- 
house, soucieuses  de  ne  point  perdre 
contact  avec  la  France,  y  ont  établi  des 
succursales  et  l'industrie  s'v  est  subite- 
ment développée  d'une  façon  extraordi- 
naire. 

Nous  voici  au  milieu  des  usines  en 
dehors  de  la  ville  et  contre  le  chemin 
de  fer.  D'un  côté  de  la  voie  sont  les 
cités  ouvrières,  amas  de  maisons  sem- 
blables, avec  de  petits  jardinets  enfumés 
où  sèche  le  linge  des  familles  ;  de  l'autre, 
les  longs  ateliers  aux  toits  en  tuiles  sous 
lesquels  les  machines  mugnssenl  el  que 
dominent  les  hautes  cheminées  ligiih^s. 
aux  panaches  noirs. 

lînlrons  dans  les  ateliers  de  la  Socic'lc 
alsacienne  de  eonslructious  mécaniques. 
Quinze  cenls  Mii\rii'i-s  v  IravailIrnI  :  (in 
y  l'iiliriqur  de^  locnnidlixcs. 

.\  la  |i>ii(lri-if,  lin  ciii\i-irr  ;i  liunrc 
niiii-e,  un  frulrc  niou  r;ili;il  In  siii-sc>  veux 
blancs,  gra\econnnr  s'il  nll  ici  a  II,  s'avance 
avec  une  iierchc  vers  un  d.'s  cubilots  ou 
chaudières  de  qii.ihr  u  ciiK]  nièlrrs  de 
hauteur  ])leiii('s  de  fniili^  en  fii>i<in.  Il 
dégage  roincrtiirc  iiilÏTiciirc  de  la  Inrc 
qui    la   lii.iiclir.  l'i.iir-oiiiK'  dedans    pour 


ménager  un  suffisant  passage  au  métal 
et  le  voilà  qui  sort,  éblouissant,  tout 
rose,  se  met  à  couler  dans  une  rigole 
de  terre  réfractaire  et  se  dégorge  en 
gerbe  dans  des  chaudrons  qu'on  lui 
tend;  à  l'orifice  du  cubilot,  un  bouillon- 
nement se  produit  d'où  partent  des 
gouttes  de  feu  dans  toutes  les  directions 
jusqu'à  des  sept,  huit  mètres.  Deux  ou- 
vriers emportent  chacun  des  chaudrons 
pleins  et  vont  en  verser  le  contenu  dans 
les  moules  dont  l'embouchure  parait  au 
niveau  du  sol.  Les  gaz  qui  se  forment  à 
l'intérieur  s'échappent  en  jets  de  fumée 
par  des  trous  pratiqués  à  cet  efTet  el 
bientôt  des  gouttes  rouges  surgissent  de 
toutes  les  ouvertures  ;  le  moule  est  plein. 
Pendant  ce  temps  le  chauffeur  a  de  nou- 
veau emprisonné  la  fonte  avec  un  bou- 
chon de  terre  fixé  au  bout  de  sa  longue 
lance. 

A  la  forge,  de  beaux  gaillards  solides, 
le  torse  nu,  retournent  avec  de  grandes 
pinces  des  roues  incandescentes  sous 
le  marteau  pilon.  A  l'ajustage,  des  ra- 
cloirs  rabotent  mécaniquement  le  fer 
et  l'acier  pour  achever  les  pièces.  .-Vu 
montage  se  voient  des  locomotives  en 
chantier  :  ici,  il  n'y  a  encore  que  six 
grandes  roues  monstrueuses  avec  un 
simple  cadre  posé  dessus;  là,  seulement, 
une  chaudière  énorme  ;  tout  à  côté,  au 
contraire,  une  machine  presque  achevée  ; 
des  ouvriers  sont  en  train  d'y  visser  le 
nianomètre,  le  niveau  d'eau,  le  sif- 
flet, etc.  iMllin  au  hall  de  peinlure.  les 
locomotives  sont  peintes  cl  vernies;  il 
lie  reste  plus  ipi'à  leur  faire  prendre  la 
\()ie  qui  se  relie  à  la  ligne  de  Paris  à 
Dclleel  elles  s'iMi  inmt  loiilcs  pinqiaiiles 
à  leur  deslinalidii. 

Si  celle  \  isile  \  nus  a  mis  en  goi'it, 
\-eiie/  à  l'usine  la  jiliis  ju-dclu'  el  \ciiis 
aiircv.  une  idi'e  coniplele  de  la  nomelle 
aelixili'  iudiislrieile  de  Helf.irl.  C'est  la 
lilalure  Kiechlin.  La  poussière  noire  des 
ateliers  \oisins  est  ici  remplacée  jiar  les 
blancs  lilamenls  du  colon.  11  arrive  en 
balles  serrées  el  après  avoir  iHé  rompu 
mécani<pienienl,il  esl  li\  ré  aux  machines, 
a|ipelées  batleiirs.  où  un    hallage  préci- 


n KL TOUT 


pilé,  combiné  avec  une  puissante  vcnti- 
lalion,  le  débarrasse  de  ses  graines  el  de 
ses  impuretés.  Il  en  sort  en  une  nappe 
blanclic  qui  est  portée  aux  cardes.  Ce 
sont  des  séries  de  rouleaux  hérissés  d'ai- 
guilles entre  lesquels  les  fibres  du  colon 
sont  démêlées;  Ji  l'issue,  on  obtient  des 
rul):ins  sur  lesquels  vont  agir  mainlon.inl 


vcrtis  en   un    lil   d'un    à  six  cents  kilo- 
mètres :  cela  tient  du  prodige. 

Les  ouvrières,  en  tablier,  le  cou  très 
dégagé,  car  il  fait  chaud,  portent  les 
longs  pois  cylindriques  en  zinc  remplis 
de  colon  cardé  ou  bien  entassent  les 
bobines  faites  dans  des  corbeilles.  Les 
ouvriers,  devant  les  métiers  à  filer,  sur- 
M'illonl  les  lils  et  s'ils  se  rom- 
pent, vite  ils  les  rattachent,  en 
suivant  les  longues  travées  qui 
^  ■ml  el  viennent  en  roulant. 
L'usine  Kœchlin  compte 
.  irante-cinq  mille  broches. 
MO  autre,  celle  de  M.  Daniel 
i>llfus,  en  compte  vingt-cinq 
le. 

l'infin  l'établissement  Doll- 
lus-Mieg  fait  le  retordage, 
opération  qui  consiste  à  croi- 


les  bancs  d'étirage  cl  les 
peigneuses  ;  notre  guide 
prononce  baigneuses,  ce 
qui  est  peut-être  plus  idyl- 
lique, après  tout. 

Dans  ces  nouvelles  ma- 
chines les  rubans  de  colon 
acquièrent  une  longueur  et 
une  égalité  plus  grandes  ; 
puis  les  bancs  à  broches  font  leur  œuvre 
qui  consiste  à  tordre  les  fils  en  les  allon- 
geant encore;  enfin  les  métiers  à  filer, 
transformations  ullra-perfectionnées  des 
«  Jenny  »  inventées  en  .Angleterre, 
entrent  en  scène  et,  après  avoir  tordu  de 
nou\eau  les  fils,  les  enroulent  sur  des 
bobines.  C'est  plaisir  de  suivre  ainsi  les 
modifications  successives  du  colon  :  de 
le  voir  ici  neige  légère,  et  là  fil  mince 
et  solide.  Songez  quelle  métamorphose  ! 
Cinq  cents  grammes  de  filaments  qui 
font  une  longueur  de  trois  à  quatre  cen- 
timètres à  l'origine   peuvent  être  con- 


LES    DBIKES    KT    LES    CITÉS    OUVRIÈRES 


scr  plusieurs  fils  simples  en  un  seul 
d  une  très  grande  résistance. 

D'après  cet  aperçu,  on  juge  de  l'ac- 
croissement d'importance  acquis  par 
Belfort  depuis  la  guerre. 

Il  nous  reste  maintenant  à  souhaiter 
qu'une  telle  prospérité  ne  s'arrête  pas 
en  si  belle  voie.  La  brave  cité  a  beau- 
coup souffert  :  il  est  bien  juste  qu'elle 
soit  largement  dédommagée  de  l'ef- 
frayante épreuve  subie  il  y  a  vingt-six 
ans. 

Paul    Gsell. 


1M)LISS1':UR    DE    PIERRES 


Le  petit  polisseur  de  pierres  marchait 
très  vite,  ce  jour-là,  pour  se  rendre  au 
grand  devoir.  Il  s'agissait  de  placer  en 
son  lieu  définitif  la  sixième  des  caria- 
tides qui  portent  le  prostasis  dcl'Krech- 
théion. 

C'était  lui,  Cébès,  qui  avait,  d'une 
main  lente,  sous  la  maisonnette  de  plan- 
ches, au  milieu  de  la  blanche  poussière 
et  du  soleil,  amoureusenient  poli  la  haute 
statue. 

Chaque  matin,  il  venait  du  dème  de 
Phalère,  où  était  située  sa  maison  pa- 
ternelle, et  il  se  rendait  ainsi,  d'un  bon 
pas,  vers  le  temple  en  construction.  Et, 
chaque  matin,  durant  toute  sa  route,  il 
se  donnait  une  fête  perpétuelle. 

En  vérité,  cet  enfant,  à  la  taille  menue 
et  svelte,  aux  yeux  bruns  clignant  dans 
un  doux  regard  de  curiosité,  au  hardi 
profil  de  camée,  aux  nobles  songes,  était 
un  artiste  ! 

Dès  le  seuil  de  sa  maison,  il  commen- 
çait à  imaginer  mille  chimères  gracieuses 
et  suivies.  La  pureté  du  ciel,  la  transpa- 
rence élastique  de  l'air,  la  grâce  des  co- 
teaux de  nuance  violette  ondoyant  à 
l'horizon,  les  parfums  et  les  bruits  légers 
qui  sont  comme  la  respiration  naturelle 
des  choses,  faisaient  le  l'oiid  où  se  dessi- 
nait sa  rêverie. 

D'un  mot,  qu'il  fonnulail  tout  bas,  il 
en  fixait  le  thème. 

Ahl  sa  rêverie  incessanlc  cl  diverse  I 
.Aujoui-d'luii,  il  se  signale  dans  (piehpie 
bal.iille;  il  décide  du  salul  de  la  ])a(rie; 
])uis,  au  milieu  des  belles  tilles  aux 
claires  tuniques,  dont  les  bras  nus  agi- 
tent des  palmes,  il  revient,  la  lêlcuri  [leu 
renversée,  avec  du  sang  sur  la  poitrine. 
Demain,  il  s'im|)rovise  acteur  sur  le 
théâtre,  au  jour  de  fête  solennelle  :  sous 
la  robe  longue,  immobile  et  fri'missant, 
il  dit  (les  vers,  dniil  il  eiileiid  la  iV'Sd- 
naïu-c  dans  tout  scui  cieiir;  !,■  public 
l'écoute    avec    exallalioii  :    les    épiièbes, 


réunis  en  un  groupe  exquis,  dirigent 
vers  leur  jeune  ami  des  yeux  pleins  d'or- 
gueil !  Après-demain,  son  invention  est 
plus  compliquée  encore  et  plus  savou- 
reuse! Il  imagine  une  captive,  aux  poi- 
gnets chargés  d'anneaux  précieux,  aux 
prunelles  bleues  comme  la  mer,  aux 
tresses  parfaitement  blondes  :  un  vais- 
seau merveilleux  l'apportait  au  Pirée  ; 
d'où  vient-elle?  On  ignore  également 
quelle  langue  elle  parle;  aussi,  seule 
jiarmi  tout  ce  peuple,  a-t-elle  de  la  pâleur 
sur  les  joues  et  une  larme  au  bout  des 
cils;  or,  voici  qu'il  arrive,  lui,  Cébès;  il 
comprend  le  langage  de  l'étrangère; 
chacun  s'étonne  et  admire  ;  l'étrangère 
est  reconnaissante... 

Mais,  dans  cette  diversité  de  fantaisies 
incessamment  renouvelées,  il  y  avait  au 
moins  une  unité  certaine.  Les  femmes 
qui  s'y  trouvaient  mêlées  se  ressem- 
blaient essentiellement,  ou  plutôt  elles 
ressemblaient  à  un  idéal  supérieur; 
mieux  encore,  elles  élaienl  cet  idéal 
même. 

Or  cet  iiléal  vivait  réellement  à 
Athènes,  sur  le  passage  du  jeune  artiste. 

Très  souvent,  avant  de  s'engager  dans 
le  petit  sentier  qui  coupe  droit  vers 
l'Acropolis,  Cébès  apercevait  au  seuil 
de  sa  porte  ou  à  sa  terrasse  l'élrangère 
Phoïdissa. 

De  très  loin,  l'eiilaiit  s'i'lail  répcMé 
((u'elle  sérail  absenle  on  endormie, 
que  toiiles  les  |iiirles  seraient  closes 
<-oinme  de  liisles  paupières,  ((ne  ce 
n'élail  pas  la  peine  de  lever  la  lèle  !  Seul 
Cd'ur  badail  cependant.  Lt  (piand  il 
apercevait  Phoïdissa,  il  ressentait  une 
sorte  de  blessure  suaxe,  par  où  enlrail  à 
Ilots  du  bonheur  [)niir  la  journée  el  jiour 
la  niiil. 

Lui  parler?  Non  1  l'iiui'(piiii  .'  Il  sulli- 
sai(  (le  l'aimer.  Dans  le  ]n-einier  amour 
d'un  arlisie  vraiment  grand,  se  révèle 
une    alinégalion    qui    est    la     ciiose     du 


I.K    POLISSEUR    DE    PIERRES 


monde  la  plus  lùcondc  cl  la  plus  chaste. 

Dès  que  Ccljès  élait  arrivé  à  la  cabane 
où  il  devait  polir  sa  statue,  il  enlevait  sa 
tunique  et,  joyeux  de  mettre  à  l'air  ses 
fins  bras  nerveux,  il  demeurait  un  ins- 
tant occupé  à  jouir  des  choses.  Puis, 
jelant  un  regard  sur  le  modèle  d'argile, 
pétri  par  la  main  savante  de  son  maître, 
le  sculpteur  llégésias,  il  saisissait  r;"i[)c 
ou  ciseau  et  il  se  mettait  à  l'œuvre. 

Autour  de  lui,  les  autres  ouvriers  d'art 
allaient  et  venaient.  11  y  avait  deschants, 
des  rires,  des  querelles  subtiles.  Presque 
jamais  il  n'y  prenait  part.  Il  continuait 
à  exécuter  sa  tâche.  Souple  et  sereine  en 
sa  forme  vaillante,  la  cariatide  sortait 
de  la  pierre  comme  une  printanière  vi- 
sion. 

Au  commencement,  le  sculpteur  Hé- 
gésias  était  venu  voir  comment  son 
élève  conduisait  le  travail.  Il  avait  ap- 
prouvé le  zèle  de  l'enfant. 

On  assure  même  que,  dans  le  profond 
de  son  intelligence,  lui,  le  maître  ac- 
clamé dont  les  moindres  entreprises  sou- 
levaient l'admiration,  il  avait  pensé  que 
ce  polisseur  de  pierres  pourrait  bien  de- 
venir un  maître  à  son  tour. 

Tout  en  marchant,  les  doigts  enfoncés 
dans  sa  barbe  grisonnante,  Hégésias 
avait  essayé  le  mot  :  «  Cébès,  Cébès  le 
sculpteur  »,  et  il  l'avait  comparé  aux 
mots  :  <c  le  sculpteur  Hégésias  »,  afin  de 
voir  ce  qu'en  dirait  la  gloire  immortelle. 

En  pesant  ces  syllabes,  Hégésias  était 
arrivé  chez  sa  maîtresse  Phoïdissa. 

Ce  qu'il  goûtait  en  l'étrangère,  c'était 
la  ciselure  des  traits  et  l'harmonie  du 
corps,  par  où  elle  réalisait  exactement  le 
canon  des  plus  expérimentés  statuaires. 

A  cause  de  ce  goût  exclusivement  ma- 
tériel, il  demeurait  inférieur  à  son  élève, 
lequel,  sans  connaître  à  fond  Phoïdissa, 
voyait  cependant  et  admirait  son  âme  de 
poétique  aventurière,  de   grande  sœur. 

Un  soir  d'été,  Phoïdissa  fit  remarquer 
à  Hégésias  le  petit  polisseur  de  pierres 
qui  passait  : 

—  N'est-il  pas  charmant?  dit-elle. 

—  Je  n'ai  pas  remarqué,  fit  Hégésias 
en  reerardant  Cébès. 


Mais,  en  ce  moment,  Cébès  ne  regar- 
dait personne.  Il  était  tout  entier  â  trois 
petits  poissons  cuits  qu'il  venait  d'acheter, 
et  dont  il  se  promettait  quelques  délices. 
Ces  poissons  avaient,  en  elFct,  beaucoup 
de  mérite.  Un  peu  gras,  rosés  ici  et 
bruns  là,  couverts  d'une  très  fine  pous- 
sière de  sol,  friands  depuis  la  queue  frite 
jusqu'il  la  tête  rôtie,  ils  exhalaient  un 
alléciiant  parfum. 

Ce  que  voyant,  Hégésias  éclata  de  rire, 
guéri  de  la  jalousie. 

Cébès  qui,  de  son  côté,  avait  appris 
que  le  savant  Hégésias  fréquentait  chez 
Phoïdissa,  ne  ressentit  non  plus  aucun 
dépit.  Son  maître  élait  le  maître!  D'ail- 
leurs, la  jalousie  ne  naît  que  dans  des 
âmes  basses  ou  du  moins  abaissées.  Il 
faut,  pour  être  jaloux,  avoir  été  griève- 
ment blessé  parla  vie.  Ceux  qui  viennent 
parmi  les  hommes,  tout  neufs  et  tout 
droits,  ont  peut-être  mille  tourments, 
mille  angoisses  de  mille  espèces  ;  mais  ils 
n'éprouvent  pas  de  jalousie  véritable, 
c'est-à-dire  de  soupçons,  d'inquiétudes 
et  de  défiances  immondes.  Ils  ont  mieux 
à  faire  que  de  s'attacher  aux  pas  d'une 
femme  pour  épier  ses  démarches  et  ses 
gestes,  mieux  à  penser  que  d'imaginer 
cette  malheureuse  dans  les  bras  d'un 
autre,  à  demi  morte  d'amour!  Ce  n'est 
pas  au  début  de  la  carrière  qu'il  y  a  tant 
de  crainte  et  de  haine.  Patience  donc! 

De  plus,  Cébès  était  un  enfant.  Il  ne 
haïssait  pas  les  petits  poissons  cuits  à 
point. 

Enfin  et  toujours,  c'était  un  artiste. 

En  mangeant  son  précieux  régal,  il 
faisait,  par  exemple,  réflexion  qu'une 
des  plus  mystérieuses  beautés  de  l'archi- 
tecture athénienne,  c'est  la  courbe,  la 
caressante  inclinaison  des  grandes  lignes, 
que  le  vulgaire  se  figure  rigides.  Oui, 
dans  les  degrés  des  temples,  dans  les 
frises,  dans  les  frontons,  il  y  a  comme 
une  trace  de  l'ondulation  où  l'horizon, 
les  flots,  les  montagnes,  tout,  sous  le 
ciel,  s'harmonise  célestement  I... 

Cébès  possède  dans  l'esprit,  comme 
un  enchantement,  les  ornements  nou- 
veaux,  de    l'ordre   ionique,    d'une    élé- 


LE    l'O  LISSE  CI!    DE    IMEKliES 


gance,  d'une  noblesse  absolues,  ajoutés  1   j^ieuse  efficacilocle  l'arl,  les  convertir  en 
au  modeste  style  primitif.  I  beautés  flatteuses!  Des  entraves,  jadis  : 


Les  diriicultés   sont    vaincues.  l<",nciire 
une    des    vicloircs   du   j;énie   d'.Vtlièncs. 
Pai.-ir    les    dilllcnllrs    ri,    par   l.i    |)resti- 
VI.  -   m. 


désormais,  des  ornements,  .\insi,  autre- 
fois esclaves  el  cliarf;ées  de  cliaincs,  les 
femmes    ont    consci-vc    ces     cliaincs    en 


LK     l'OI,  ISS  Kilt     KK     l'll:llltK^ 


devenanlniciîtrcs.eesdescd'urs.  Mais  elles 
en  oui  l'ail,  à  leurs  bras,  à  leurs  cloij;ls, 
à  leurs  oreilles,  à  leurs  épaules,  une  pa- 
rure de  pierreries  el  d'or. 

Celle  réllcxioii  évo(pa' l'Iioïiliss.i  dans 


l'âme  de  Cébès.  A  dire  le  vrai,  jamais 
Phoïdissa  ne  le  quitte.  Elle  est  là,  chez 
lui,  en  sublime  place.  A  peine  le  travail 
ou  la  rêverie  la  voilent.  Au  plus  vague 
signal,  brusquement,  un  rayon  l'illu- 
mine, elle,  la  souveraine. 

C'était  donc  bien  en  vain,  ô  mon 
pauvre  Cébès,  que,  chaque  matin,  '  à 
côté  de  la  sainte  statue  en  bois  de  la 
Déesse,  vestige  du  passé  héroïque  gardé 
dans  sa  première  na'ïveté,  à  côté  de 
la  lampe  dorée  qui  éclaire  la  cella  dli 
Palladion,  à  côté  du  buste  de  Mercure 
au  sourire  énigmatiqae,  à  côté  des  por- 


traits des  Hutades,  de  la  chaire  pliante 
de  Dii-dalos  et  des  brillantes  dépouilles 
arrachées  aux  l'crses,  celait  en  vain  que 
lu  saluais  l'autel  de  l'Oubli.' 

Kn  vain!  Mais  lu  le  sentais  heureux 
d'appartenir  au 
charitable  peuple, 
capable,  au  milieu 
des  insignes  de  ses 
triomphes  ou  des 
statues  de  ses 
(lieux,  d'élever  un 
autel  à  V  Oubli,  à 
ce  baume  qui  coule 
dans  leau  vapo- 
reuse du  Lélhé,  et 
(|uc  le  lotos  distille 
(le  sa  Heur  meur- 
trie! 

Cébès  avait  si 
peu  oublié  Pho'ï- 
dissa,  même  en  son 
travail,  que  peu  à 
[)eu,  à  la  ligure  de 
femme  qu'il  avait 
mission  de  re- 
porter dans  la 
pierre,  il  avait 
donné  les  traits, 
I  expression,  la  res- 
semblance, l'âme 
de  Pho'idissa. 

C'est  pourquoi 
Ilégésias,  venu 
pour  la  mise  en 
place  de  son  œu- 
vre, eut,  en  aper- 
cevant celte  transliguralion,  un  cri  de 
surprise,  de  colère. 

—  Pho'idissa!  dit-il. 
Cébès  baissait  la  tête. 

—  ^'oilà,  continua  le  maître,  une  rare 
infidélité.  Depuis  quand  un  polisseur  de 
pierres  se  permet-il  pareille  trahison?  Je 
devrais... 

Il  avait  pris  un  lourd  marteau  et  il  le 
brandissait  sur  la  statue. 

Cébès  s'était  penché.  Sa  tête  pâle 
d'adolescent  touchait  la  pâle  figure  de 
pierre,  et  sa  bouche  semblait  murmurer  : 

—  Tous  deux  ensemble  ! 


LE    POLISSEUR    DE    PI  EH  U  ES 


Mais,  en  bon  sculpteur,  Ilégcsias  avait  j   des     innocents     passioniu-s.     Ajoutons 

'esprit  avisé  cl  le  co'ur  généreux.  (|u'il    aimait    Céhès    ol    qu'il    l'cstimail 

Au  fond,  il   lui    déplaisait  de  l'aire  le  pour  sa  ])assion   d'art. 'l'.uil  cela  aboutit 

vieux    jaloux,    cpri   s'apprête    à    rrap|)er  I    à    un   soiu-ii-e,    clu'l'-d'duvre.   lui  aussi. 


2ii 


i.i;   l'oi.issKL'it   i)K  imkhhks 


(l'indiilf^once    cl    de    liiicsse     cordiales. 

-  -  \  oici  l'heure! 

Sur  un  lit  d'herbes  sèches  où  reslaienl 
des  parfums,  la  cariatide  est  transportée 
au  pied  du  portique.  On  l'attache  à 
l'aide  de  cables  :  un  treuil  la  met  en 
mouvement. 

Quelques  curieux  privilégiés  assis- 
taient à  l'opération.  On  entend  des 
propos  divers  : 

—  Les  plis  des  draperies  ont  une  sé- 
duction indicible.  —  C'est  un  panier  de 
fruits  qui  repose  sur  la  tête.  —  Que 
son  attitude  parait  décente  et  vive  !  — 
Elle  rap])elle  les  lîUes  métœques  qui 
tiennent,  aux  processions,  des  cruches 
d'eau  ou  des  parasols.  —  Oui,  les  filles 
métœques  !  Croyez-vous  que  la  Répu- 
blique eût  enduré  que  l'on  représentât 
des  .Athéniennes  en  cariatides,  por- 
teuses de  toitures?  —  Que  parlez- vous 
de  filles  métœques?  Ne  voyez-vous  pas 
à  qui  ressemble  cette  statue?  —  A  qui 
elle  ressemble?  Vous  voulez  dire  que 
c'est  Phoïdissa  elle-même,  éternisée  dans 
la  pierre.  —  La  voici!  —  Qui  donc?  — 
Phoïdissa,  Phoïdissa! 

Phoïdissa  en  personne,  la  maîtresse 
d'Ilégésias,  arrivait  lentement.  Elle  avait 
une  tunique  d'une  sinfjulière  richesse. 
Une  ceinture  serrait  sa  taille.  Partagée 
en  six  tresses,  sa  chevelure,  relevée  sur 
la  nuque,  était  traversée  d'un  léger  ja- 
velot et  piquée  de  marjolaines.  Son  pied, 
qui  s'avançait  furtivement,  se  mou- 
lait dans  une  chaussure  couleur  de 
safran. 

Les  yeux  des  hommes  lui  faisaient  un 
lumineux  cortège. 

Dans  sa  démarche  rythmique,  il  y 
avait  un  mélange  de  nonchalance,  d'or- 
gueil et  de  tendresse.  On  sentait  qu'à 
chaque  mouvement  elle  goûtait  la  joie 
édifiante  d'être  belle 


Afin  de  lui  livrer  passage,  la  foule 
s'écarta. 

Phoïdissa  put  s'approcher  du  temple  et 
se  mirer,  [)our  ainsi  diie,  dajis  r<ruvrc 
éternelle  où  Ilégésiasavait  mis  sa  science 
et  Gébès  son  ins|)iration. 

La  rencontre  avait  tant  d'éclat  que 
tous  retinrent  leur  haleine. 

Les  artisans  interrompirent  leur  ou- 
vrage :  la  statue  demeurait  suspendue, 
presque  au   niveau   de   son   socle. 

Tout  à  coup,  Cébès  poussa  un  grand 
cri.  Le  treuil,  à  la  nianiruvi-e  duquel  on 
ne  veillait  |)lus,  avait  cédé.  \'acillante, 
abandonnée,  la  cariatide  descendait  au 
hasard.  Elle  allait  se  briser  sur  la  pierre. 
Déjà  un  grincement  sinistre  annonçait  la 
catastrophe... 

D'un  bond,  l'enfant  avait  atteint  sa 
statue.  Il  l'étreignail  contre  sa  poitrine, 
en  amant  éperdu.  Hélas!  sauvée  par  cet 
effort  surhumain,  elle  écrasa  son  sauveur 
sur  le  sol. 

Muet,  cette  fois,  Cébès  se  laissa  glisser 
à  terre,  mourant. 

Hégésias  l'appela  par  son  nom.  Il  ré- 
pondit en  tâchant  de  sourire,  lui  aussi, 
et  il  ferma  les  yeux. 

Mais,  ses  yeux,  il  allait  bientôt  les  rou- 
vrir! 

Phoïdissa,  qui  avait  tout  compris,  se 
précipita  vers  son  artiste,  s'agenouilla, 
posa  sa  main  sur  le  cceur  qui  battit  dans 
un  élan  suprême,  plaça  ses  lèvres  sur  les 
lèvres  déjà  décolorées,  qui  donnèrent 
leur  premier  baiser  avec  leur  dernier 
souffle. 

Comme  de  bonnes  âmes  pleuraient. 
Hégésias  essuya  ses  paupières  et  dit,  en 
regardant  les  deux  Phoïdissa  : 

—  Il  n'est  pas  tout  à  l'ait  à  plaindre, 
celui  qui  meurt  entre  son  rêve  d'amour 
et  son  rêve  de  gloire,  ensemble  réalisés. 

Emile   H  i  n  z  e  i.  i  n  . 


LES 

Revues    d'Architecture 


L   ETRA  NCER 


t.-^'^ 


™lf 


^. 


INSTITUT     TECHNKjrE    ET    B  1  B  L  I  OT  H  È  Q  T  E    P  T  B  L  I  g  C  E    A     WEST-HAM 

MM.  Essex,  Nicol  et  Goodmau,  architectes. 


I/MiTlnl.Tlnn-  c-l  inic  <lf-  maïuIVsl;:-  rludr  ,-oni|Kn-all \v  ,!.•>  styles  (1rs  divers 
lions  <Im  ;;r„ir  n;,l,n„;.l  ,,,„  [M-rmcl  le  l.M.vs.  <b,n-  le  l-^^---'  ''l  '!an>  l-'  |.n-,;nl  : 
mieux  .le  |n^:er  un  peuple.  I.es  UUHU,-  .le  ^m-  v.Imuu-.  senueni  ueee-s,-,nv> 
nieuN  publie-  ,■!  le-  hal.it  M  i.  .u.  prlvé,.s  pour  epui-er  \c  Mijel.  Il  u,'  -a;u.l  pa- 
sont  le  (.■■uini^n.iKe  (l<-  -a  iKilure.'l  l'ex-  non  plu-  dune  lii-loire  il,-  IIkiIuUiIioi, 
pres^l,,,,   uial.Mlelle  .le  -e-  111. .'urs.  huiiuiiue. 

s.-    a-pu:ili.>u-    -e    Ir.Hliu-.^ul    par    la  N.ui-  -  e.M.I.'uler.uiMl.' I'^'-'''' '""■ 

,lisp.,s,li.,n   .1.-    lo.aux   ,l,-liii.-   a    ,■.■<■.•-        rapi.l.'    r.'vu..    .1.-  IS.'viu-    .■..usa.-ive-    a 
voirs,.sivuni..u-puM,.p„-.uiaal.nl,.r    '    laivliil,.,!  ur...    .laus    le-    pavs    ou     ,1    eu 
II-    arhsli.pi.-^        .'M-l.-    .pu    iiieril.-ul    .l.'Ir.'    eit.-es.    l'.lies 
irinlér.-ssiuil     pa>    .pi.'     I.'-    h.iuiiii.--    .le 
ni.Mier,    .■(    ii">    l.-.'l.'ur-    v    epr..uver.iul 


sa  vi.'  pri\-.-.\  .-1  -.-  ,i:.'ul 
se  ri'v.'-l.uil  par  I.--  Inrui.-  .pi'il  .Luin.'  a 
la  niali.'i-.'.  il  .-I  <iipi'rllii  .ra|..uler  .pi.' 
I.-  eliiual  J..U.'  iiii  r.'.l.'  prepiiu.l.'raul  ;  ou 
u'iiiiai^iui'  p.iiul.  siMi-  le  cliiuat  .1.' 
I..,uilivs,   les  l.:-ers  alirl-  .!.•  Tn.ili. 

.\ussi  la  vari.'-le  .1,-  Iim-iu.-  .■>!-. 'II.' 
Kraii.l.v  I\ll.'  I.Mi.la  -■aiii;iiieiil.'r  loii>  les 
jours  par  .1.--  luriuul.'S  uoiiv.'lles  oii  la 
r.'elii'reh.-  .Ii'  la  luiui.'r.'  parail  .'■Ire.  (r.^s 
lieiir.-u-.'iii.-ul  .laill.'ur-.  la  pr.-.ie.-upa- 
li.iii  .l.iuuiiaiili'. 

Non-  lie  x.iul.ius   pas  e\posi'r   u-i   i 


un.'   seiisaliou  ilWrl  .pu  !.■-  s.'.luira. 

I':iles  s.'  iHiriiiMil.  .laill.'iirs.  à  .piaire 
pavs.  la  liel-upi.-  \  o.-.-upaul  un.'  pla.'.' 
(les  plus  li.iuorahles.S'il  lallail  iu.li<|iier 
un  elass.'iiieul  .1.'  ui.'ril.'.  u.'u-  n  li.-ile- 
ri.uis  pas  à  m. -tir.'  IWuieri.pie  ,-ii  pro- 
ini.M-.'  Ii.i;n.'.  laiil  il  .■..um.miI  .I.'  recn- 
nailr.-  .pi'.ui  la  r,'U.-..iil  r.-  ru  lele  île 
pre-.pii'  lou-  le-  eoiie..ui-. 

|)eu\  li.'vu.-  -miilair,-.   The  lUiihIcr 


I.  AKC.IIITKCÏinK    A     I,  KT  »  A  N  C  Kll 


cl  Thv  Arcliilccl  -l'A  X  Xi.  '-'i;  ri;mcs:,pa- 
l'îiissuiil  cliiKiiii'  sciiiiiirir  à  l.diidi'CS.  l'^llcs 
cciiiliciniriil  i\r~.  |iliin<lii's  Ikm's  t(!xle, 
Iri's  Moinbi-fusc's  cl  d'iiiic  cxccution  l'ii- 
cilc  ,  l'cprddtiisniil  i);ii'l'ois  <riiiiciciis 
cdilicciS,  llKiis  le  ])llis  soiivciil  des  cnii- 
sli'uctioiis  iiKidcnics. 

I,c  sol  de  rAii^lelorrc,  nulaiil  (|uc 
celui  de  la  l'"i'aiicc,  est  couvert  de  vieux 
iiiiimiincnls  du    passe.  I.a   maison   Dou- 


et  il  ne  s'en  coiisti-uil  plus  aujourdliui 
(le  semlilables.  Ceux  qui  cxisleul  sul'li- 
sent,  d'aillein-s,  aux  possesseurs  en  ikhii- 
l)re  liiuilc  du  Icrriloirc. 

Ils  soni  j;ciiéralenieul  eiilreleuus  avec 
j^rand  soin;  même  les  ruines,  f|ni  ne 
doivent  point  cire  relevées,  sont  arrêtées 
clans  leur  écroulenienl. 

Les  constructions  modernes  consistent 
surloul  dans  ces  petits  cottages  qui,  à 


LE   PALAIS  i)E   JUSTICE   LIE   Ji A K c u BiT E u.  —  il.  Wiieihoun,  architecte. 
(R<;-iluctiuii  d'UîiL'  pbnche  du  jounml  The  Bitilder.) 


f;las  a  édile,  il  y  a  quelques  années,  cinq 
{;tos  volumes  qui  sont  remplis  de  cro- 
quis consacrés  exclusivement  aux  an- 
ciens manoirs  d"Ecosse.  Ces  gentilhom- 
mières si  fn'quentes  et  d'une  allure  très 
originale  ont  été  d"al)ord  édifiées  pour 
le  souci  exclusif  de  la  défense.  Avec  la 
sécurité,  les  fenêtres  ont  été  ouvertes 
])lus  largement,  et  le  style  anglais  est 
arrivé  à  ces  vastes  baies  qui  répan- 
dent la  lumière  à  llols  el  qui  sont  si  ca- 
raclérisliques. 

Les  cliàleaux  des  lords,  conservés  et 
restaurés  avec  soin  à  travers  les  âges, 
sont  des  palais  de  dimensions  colossales 


la  campagne  comme  dans  les  faubourgs 
toujours  prolongés  des  villes,  servent 
de  home  à  la  famille  anglaise. 

Ils  alTectent  des  formes  variées  où 
dominent  toujours  cependant  ces  grandes 
baies  par  où  la  lumière  entre  avec  lair 
respirable.  Avec  l'emploi  de  verres  de 
couleurs  on  obtient  des  effets  d'une 
chaleur  de  ton  réjouissante.  Les  appar- 
tements intérieurs  sont  disposés  avec 
une  parfaite  entente  des  besoins  de  la 
vie.  Construites  à  la  lîle,  sur  le  même 
modèle,  des  maisons  très  confortables 
sont  livrées  à  des  prix  de  loyer  excessi- 
vement modestes. 


I.AaCHlTKCTriiK     A     1/ KT  I!  AX  (  1  i:i! 


SÉRIE    DE    PETITS    coTTAciES.  —    N.  Jav,   architecte,   tne  Archit,ct. 


Les  ciiiislniclidus  iiio(1l'1'iics  c-oiisislcnl  î    ou    sV-lèxciil     ces     ri>ns(ruclinns     ini|)(i- 

iiussi  i!;iiis  ces  massil's  édiliees    |)ulihcs,  ,    sniiles,     r:ilin(»|>liiTi'    esl     coiislainmcnt 

iusliluls.   hibliolhèques.   ln'ipilniix,   liaii-  I    cliar^i'c  de  cliai-liini  cl  !<■>  plus  luxui'uses 

qiies,  clulis  oii  la  puissance   l)rilainii(|uc  laçailcs     siinl      \ile     recmnerles     d'une' 

s'afln'Ule    avec    loulc    la    sulidili'-    de    sa  cmu-lie    é]iaisse     de    ruiui''e    jurasse.     Les 

richesse.  0)mnie  il   l'anl    lui  1er  a\-ec    les  l'ei-iuel  lire-  seuil   aussi    licrnic'-l  i(|uei    c|ue 

i'nlenipéries,    les    nialeriaux    v    siuil    de  pussiMe     cl      rien     u'esl     éparuu('-    |iour 

]U'emier   ordre.    L'aii     \    reelierclie    peu  ,    olileuir  un  i;rand  courm-l  iulérieur.  .\u- 

rélé};aiice     <ui     loul     au     moins     ne     la  lan(  les  léj;ers   coU;ii;es   sont   conslmiils 

Irouve-l-il  pa~  loujouis.    Il   s  af;il  ici  <le  '    a\-ec    une    injiénieuse   économie,    aulant 

svuilioli-ei-  la  force  plulol   (|ue   la    yràce.  pour   ces    monumenl-  pnlilics   ou   (de\cs 

.\   Londi'cs  cl  dans   les   grandes   villes,  j,,-u-      des     sousci'ipl  ions       pari  iculieres, 

les    sommes   les    |)ln-    iniporlanle^    -mil 
|irodimiées  sans  compler.  (  »n  \eul  al'lir- 


coTTACiK.  —   ^I.  Louis  AmMer,  aicliilecti;.  c //,.  i)'ni,l,i 


I.  Aiic.ii  rriocTriiK   a    i.  ktk  a  \(;i:ii 


Il  y  il  eu  it('l;4i(|tii'  un  iiiouv  itiii'jil 
li'i'S  vir  (le  I  ;ii'flii(i.'c-lui'c,  um-  irclicrcl]!' 
très  ac'livt"  du  courort  cl  une  Irr-  IcpikiIjIc' 
l)réoccu|):ilioii  de  l'iiirc  bien  l'I  ii  hmi 
marché. 

(".('  n'i'sl  pas  (|iio  I  arl  y  soil  né^lifjt-, 
au  tiinlraiic,  mais  nos  voisins  ont  pensé 
(pic  de  jolis  ellels  pf)uvaieiit  s'ol)lenir 
sans  grands  irais. 

Ils  monirciil  iiiie  i(''cllc  lialiilelé'  à 
ulilisLM-  les  lij^nes  m(}nu's  de  la  conslruc- 
lion  el  une  inf;'éniosilé  très  varitV'  |)our 
ruiilisaliou  de  I; 


S  '^ 


i^*"t^'ft!3^--'î 


PETIT    HÔTEL,    A     BRUXELLES 

M.  Paul  Hankar,  architecte. 
(Eéductioii  d'iuie  pla)icho  île  VÉmiildlion.) 


(Rcductioil  il'uiic  phinche  de  VÉmuhilion.) 

Les  hôtels  particuliers  abondent,  et 
i^iiez  beaucoup  le  problème  cherché  et 
résolu  consiste  à  obtenir  du  logement 
et  de  la  lumière  avec  une  très  petite 
l'açade  et  de  minuscules  cours  inté- 
rieures. 

L' Emulation,  éditée  à  Bruxelles  j)ar 
I.yon-Claesen  (in-folio,  30  francs),  est 
l'organe  de  la  Société  centrale  d'Archi- 
tecture. Nous  réduisons  fortement  deu.x 
de  ses  planches  :  une  maison  moderne, 
par  M.  Paul  Hankar,  et  une  partie  de 
la  restauration,  par  M.  de  A\'uelf.  de  la 
Gllde  des  ^létiers  de  Bruges. 


1      t 

^!  fi 


f/- 


BROUTE   DE   MAISONS   D  '  H  A  B I T  A  T I  o.v ,   A    D  R  E  S  D  E.  -  il.  Ernst  Becker,  architecte. 

i^Archiliktunischt'  Jimnlscliini.  l 


des  niMiiuim-nl^  pulilios  el  privés,  types 
,1e  |,iu~  les  slyles.  I.M  variélé  de  leurs 
r,,nnese>l  exlréine,  et  si  leur  oruemeii- 
liilidii  e-l  siiuveiil  Inip  ehiir-ée.  l'ima- 
i;iiiali(in  <les  anciens  eoiislrueleiirs  ~'v 
e^l  donné  liljre  earnère. 

Telle  petite  ville  i^sl  nn  musée  d'ar- 
ehiteelure,  et  il  lanl  rendre  celte  pisliee 
aux  i;<iu\ei-neinenl-  cl  aux  nHnnci]ia- 
lilé>  (pi  il-  oui  re-laiiri'  et  (pids  enlre- 
lieimenl  avec  soin  ces  res|.ecliil)les 
léiiKiins  du  pa-sé.  Les  uKciirs  des  an- 
celres  v  revivent  plus  clairement  ipu' 
dans  les  livre-. 

j.ev  .irchil.'cle-    de    nos   jour-.  Inul  en 
\  rcpreiiani      snuveni      le-      anluph'-      l'or- 

miilc-,  s. ml  an-si  à  la  reelicrclie  d'un 
-Ivic  cmilempiirain.  Leur  |iréiiecupaln>u 
-cnilile  cire  surl..ul  de  laire  -rand.  Les 
i.nmcnMe-  dimporlanee  le-  allirenl 
plu-  Nnlonticrsipielespeliles  pn.prielés 
^i  parlicidieres.  (In  e-l  IVaiipé,  1<'  lon.u  (les 
nniivcanx  Ixmlevards  (pii  s'ouvrent  dau-^^ 


=_^ 


MAISON    D'aNOLE,    A     V■IE^•^•E 

M.  Ernst  von  Gotlhilf,  architecte. 
t  ArMldloiilschr  HiiihIk/i'iii.) 


prc-ipic  loules  le-  villes  allemandes,  de 
celle  per-iieelive  de  maisons  -randioses 
,,„,  -..  developpeni  a  la  -iule  le-  unes 
d,-aillres.  l'ilcs  -oui  Ire-  d,ver-e-  dans 
leurs  l'acades,  el   l'ell'cl   n'c-l   poml    cher- 


l.'Allemauue  possède  en  ^rand  nondu-e    ]    eh.'  dans  la  -implicite  de-  lit;nes. 


I.  AiiciiiTi-crnii-:    a    i,  1:111. \.\(;i;ii 


(jMi'li|iii's-iincs  xiiil  ron>lniilc>  cm 
ni,il('i-i^iii\  ilr  pi-i'iiiiri-  ni'iliv.  iiinrhrc  i-l 
;:rinnl.  1»  MUioiip  n'oni  cininiu  ;i|i|);i- 
ifiu'u,  cl  If  stuc  qui  recouvre  leurs 
|)l:Ures  méuaf,'c  pour  liivenir.  si  elles  ne 
soni  pas  soif;i)euseinciil  eiilreleiiues,  des 
(li''cré|)ilu(les(|ui  maii(|ucroiil  (leinajeslé. 

J.a  lil)i-airie  alleiiiaii(lc  a  puMié  de 
nonihi-eiix  albums  donl  les  |)lauclies  en 
|)liolo(yj)ie,  pai-lailenicMl  exéculées, 
donnenl  une  lidèle  iniaj;e  des  monu- 
nienls  classés. 

Les     Hevu'"'  ■ 


repividiiire,  el  elles  s'en  llennenl  le  plu: 
souvenl  aux  constructions  nou\-elles. 

Parmi    elles    n<His   citons   V Arc/iilelt- 

lonii^he  Jitindschuu   in-IVjJif),  21  francs] 

publiée     pai-     iMi^jelboru .    à    Stutlffarl 

<!esl    de   celte    Hevue  tpie  nous  lirons 

en  leur  faisant  subir  une  très 

foi'le   léduclion,  les  plancbe 


lA's     ne  vu  es  ■, 

nt   doni     moins         ^ 
1   KL  l'-ionsdeks  "^ 


MAISON   d'habitation,   A    c  H  A  R  L  n  T  T  E  N' B  0  u  R  G.  —  M.  F.  Gottlob,  architecte. 
{.Irdiitillo.-.isehr  /!unlseli'iu.) 


I.  AliC.IIITKC.TriiK     A     I.  '  KT  li  A  X  C  KH 


The  American  s\rchilecl  >  3,')  x  -3, 
Cili  Irancsi  est  un  très  important  recueil 
qui  parait  toutes  les  semaines  à  lîoston. 
11    donne    un    iiomlii'e    eonsidérahle   de 


finale  qu'appropric-e  aux  idées  t\\\  culte? 
Sa  solidité  sendde  d.dier  le  I.Mnp<.  et 
rensemLde  esl  dune  partaile  harmonie. 
I.'inspn-alicni    de    l'arl    i-oman  y  esl   r\\- 


planelies  l'ejirodnisanl  des  con^li-uclimis  !    dente,  mai-  ce  n'est  ]ias  une  copie, 

noinelles     américaines,     mais     sonveiil  (  (ii    Nondra     liieii     re<-oiinailre    que    !<■ 

aussi  des  monuments  (•(•lidires  du  eonli-  ;    i^enlleman    cpii    a   demande  à  MM.  (lar- 

lient.  rére    et     iiastinj;s    de    lui  éle\  er,  ilan-  1.- 

Il    n'est    ]ias    spécialement    teclini(pie  (.loniieclicul,  cette   maison  de    plai-ance 

et  couxient  aussi  aux  };eiisdn  monde.  où    il  pat  abriter  ses  u'oiits  de  yaihlini;, 

Les   fameuses   maisons  à  viiii;!   étaf;es  était  inspiré   d'un    joli    sentiment    aiiis- 

soiit  loin  d'v  occuper  la  |)remiére  place,  tique.  Sans   doute    il    était    passi'  |iar  la 

et  le  siniei  de  l'art  \   |irédomine.  '    (iréee.  l'n  antre    raiiportera  le  souxcnir 

I.'arcliileclnre,  aux    l^tals-rnis,  cher-  \    d'un  palais  ruiin-  sur  les    bords   du    Nil. 

che  sa  \oie.  'l'rès  éprise  des  lielles  tradi-  Mais  toules  ces  r('miniscences.  louables 

tions   (lu    passé,    elle    \eut    rajennir   les  et  permises,  re\élent    une    l'orme    jrune 

antiques    l'oi-mnles    par  des    li^iie-    non-  |    el  originale. 

velles    el     créer    un     l\pr    qui     lui     soll  11  ii\aipi'an\   MiaU-l  iiis  on  de  iiran- 

]iropre.    Il    n'e-l    pas    douteux    (pi'elle   y  ^    dioses  dotations   permelleiil  d'ediher  de 


nioiiumenlale-  iii-l  iliilions.  <.-oinme  celli 
Université  Ar  Prini-elou.  d,,nl  non-  d.ni- 


parAienne.  à    en    ]nj;('r    [)ar  ci-    qn  elle  a 
déjà     ])roduil.     l.e    style    du     xx''    siéch 

pourra    bien    s'appeler   je    sl\le    améri-  nous  aussi  iiiu'  \  iii',  dapré-   un   croipiis 

cain.  de    rarchiteele    \\  .-.\.    I'..tler.    Ici    c  est 

(Jletle  é-li-i'  paroi--iale,(''l.'\  l'e  dans  le  le  i;olhi(|ue  aii-lais  qui  est   l'iiispiralenr, 

Massachusell-    par    MM.    Shepley.    lin-  encore  ipir  de  Iri's    lieiirenx    didaiU  ini- 

tan  et  (.loolidL;e,  ii C-t-elle  pas  aiis-i  on-  |irlmeiil  a  1  leiivre   un  ca(diel  personnel. 


Èui.rsE   l'Aimiasi  ALE   dan.s   i,k  .m  as.s  ac  ii  r  «ktts 
WM.  Slicplcy,  liiilMii  it  Cijuli.lK"',  archilrrl-., 


.-■I!?!^-*! 


t^ 


LAHCIHÏKCTUHI-;    A    LK'lIl  ANGKU 


M 


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3f^ 


rXIVERSITÉ    DE    PIIINCETOK 
JI.  W.-A.  Potter,  architecte. 


La  c-olk'cli.iii  dv  colle  belle  Revue  esl 
comme  un  musée  de  ce  que  produit  lous 
les  jours  un  clforl  ininterrompu. 

Le  champ  esl  vaste  aux  Elats-L'nis  cl 
le  Fa^-^^'esl  n'est  pas  prêt  d'être  peuplé 


de  maisons.  On  demeure  cependant  saisi 
d'élonnemcnl  quand  on  se  rend  coniple 
de  ce  qui  a  été  fait  en  un  siècle. 

■  \.      (Jl  ANTIN. 


lISON     DE     PLAISANCE    DANS    LE    CONNECTICUT 

Mit.  Cancre  et  Hastings,  architectes. 


LA    FRANCE    COLOMSATKICK 


La  France  d'hier,  coloniale  parce 
qu  elle  avait  des  colonies,  devient  colo- 
nisatrice pour  démontrer  qu'elle  peut 
être  coloniale. 

Pour  si  subtile,  en  ell'et,  que  soit  la 
nuance,  il  ne  suffit  pas  qu'un  peuple  ait 
des  colonies  pour  qu'il  soit  nécessaire- 
ment colonisateur.  Il  peut  le  devenir,  il 
ne  l'est  pas  toujours  proprio  molu. 

La  France  avait  donc  des  colonies  qui, 
si  elles  ajoutaient  à  sa  richesse,  n'avaient 
pas  pour  cela  développé  en  elle  le  '^oùl 
de  la  colonisation.  Autrement  dit,  elle 
ne  manifestait  pas  cette  exubérance  que 
témoignaient  déjà  d'autres  pays  pour 
l'expansion  coloniale  et  les  bénéfices 
commerciaux  et  industriels  à  en  retirer. 
La  psycholof^ie  de  son  expansion,  à  elle, 
n'a  été  que  l'effet  d'une  impulsion  am- 
biante, résultant  elle-même  d'une  stra- 
tégie économique  dont  la  nécessité 
s'imposait. 

Or,  le  monde  frani,'ais  n'était  pas  pré- 
paré à  cette  nouvelle  orientation.  Tout 
en  nous  défendant  de  vouloir  êlre  cruel, 
il  nous  faut  bien  rappeler  que  la  plupart 
d'entre  nous  savaient  tout  juste  à  quoi 
s'en  tenir  sur  le  domaine  colonial  de 
leur  pays.  Les  colonies  comptaient  pour 
si  peu,  à  une  certaine  époque,  dans  l'en- 
seignement de  la  géographie! 

Mais  le  gouvernement  dit  un  jour  à 
ses  gouvernés  :  u  Nous  allons  nous 
épandre  »;  el  le  momie  franc/ais  s<'  prrla 
au  mouvement. 

V,n  Afri(pi(',  en  .Asie,  en  Ûcéanie  et 
même  en  Amérique,  des  com[)étitions 
ardentes  et  d'âpres  rivalités  le  mirent 
dans  l'obligalion  de  réca[)iluler  son  bien, 
d'en  examiner  la  stq)erficie,  de  le  déli- 
miter ici,  d'en  exiger  plus  loin  la  recon- 
naissance, de  faire  appel  à  d'anciens 
traités,  d'en  souscrire  d'autres,  de  com- 
biner, d'éludier,  d'apprendre,  en  un 
mol,  ce  qu'il  ne  savait  [)as  on  ce  (pi'il 
savait  mal. 

Fnire    temps,   el    ainsi    (pic    Ir   eiiceur 


antique,  des  improvisés  lui  remémoraient 
les  âges  disparus  où  des  héros  normands 
ou  gascons,  cadets  aventureux,  précur- 
seurs de  génie,  s'en  allaient,  dans 
l'éblouissemenl  de  l'inconnu,  fonder  des 
établissements  sur  des  terres  barbares, 
pour  la  gloire  de  la  France  et  la  fortune 
des  grandes  compagnies. 

Ce  fut  le  cas  de  répéter  :  autres  temps, 
autres  mœurs. 

On  essayait,  on  tente  encore  de  renouer 
la  tradition.  ALais  celle-ci  n'a  qu'une 
valeur  très  relative  en  matière  écono- 
mique, et  c'est  moins  elle  qu'il  faut  in- 
voquer à  propos  du  présent  que  certaines 
nécessités  nouvelles  et  imprévues. 

Il  est  certain  qu'avec  ou  sans  tradi- 
tions la  France  est  obligée  d'être  colo- 
niale. Il  faut  qu'elle  s'y  habitue,  sauf  à 
y  mettre  plus  ou  moins  de  conviction. 
C'est  un  aspect  de  son  existence  avec 
le(|uel  elle  doit  se  familiariser,  mais  à  la 
condition  de  n'y  point  paraître  impuis- 
sante el  peut-être  ridicule. 

Le  devoir  de  coloniser,  qui  résulte  de 
la  possession  coloniale,  n'est  point,  en 
somme,  contradictoire  avec  les  prévi- 
sions de  la  vie  moderne.  L'extension  des 
peuples  est  un  phénomène  naturel  el  de 
tous  les  temps,  avec  cette  particularité 
qu'il  est  aujourd'hui  scieuliliquemenl 
dirigé.  Chacun  veut  sa  part  de  ce  qui  est 
prenable,  sans  bataille  avec  le  voisin;  el, 
[)lus  encore,  celui  qui  [)ossédait  déjà 
quelque  chose  veul  le  mettre  eu  harmonie 
avec  le  reste. 

La  France  ne  pouvait  [)as  plus  se 
soustraire  à  celte  com|)licilé  «pi'à  celle 
|)récautioM.  C'est  parce  qu'elle  possédait 
qu'elle  a  amplifié  son  rôle  colonial  ptuir 
garanti)-  ce  qu'elle  avait,  el  elle  va  colo- 
niser ])0ur  assurer  la  dcsIiiK'i'  de  ses 
|)Ossessions. 

Mais  commenl  s'y  prciulra-l-elle  pour 
r<'niplir  cette  nouvelle  lâche? 

La  eiilonisalion  de  jadis,  alors  même 
iin'clle   procédail   d'une   insnii-aliou  iil'li- 


i.A    l'UANCK  (:()i.omsatiii<;k 


cielle,  avait  pour  [)i'inci|ial  <''lénicnl  l'iiii- 
liiilive  privc'c.  A  ccllc-i'i  toiile  latitude 
était  laissée  de  s'exercer  comme  elle 
renlendail.  Les  pouvoirs  de  la  métro- 
pole basaient  leur  action  sur  la  sienne. 
C'est  exactement  l'image  de  la  colonisa- 
lion  anglaise  moderne,  et  on  peut  dire 
qu'à  cet  égard  l'Angleterre  observe  des 
traditions  qui  furent  les  nôtres. 

La  colonisation  franvaisc  moderne, 
au  contraire,  du  moins  celle  qui  est  née 
après  l'épopée  impériale,  a  été  essentiel- 
lement oflicielle.  C'est  l'Etat  qui  a  été  le 
colon;  il  l'est  encore,  malgré  lui. 

La  colonisation  actuelle,  en  ell'et,  est 
encore  oflicielle  parce  qu'elle  est  née  de 
combinaisons  et  d'arrangements  diplo- 
matiques, précédés  ou  accompagnés 
d'intérêts  privés  plus  fictifs  et  intention- 
nels que  réels. 

>i  Je  voudrais  ne  pas  insister  comme 
je  le  fais,  disait  en  1890  lord  Salisburv 
à  ^L  Ribol,  en  stipulant  les  limites  de 
l'inlluence  française  au  Soudan  central  ; 
mais,  j'ai  derrière  moi  lord  Aberdare  et 
la  compagnie  du  Niger.  »  M.  Ribol,  lui, 
n'avait  guère  que  des  rêves  coloniaux  à 
opposer  à  son  adversaire. 

Notre  extension  coloniale  élanl  donc 
une  œuvre  diplomatique,  c'est  le  repré- 
sentant du  gouvernement  qui  apparaît 
d'abord  dans  la  colonie  et  y  incarne  la 
colonisation  avant  l'initiative  privée.  Il 
y  figure  un  élément  de  prudence  et  de 
retenue,  tel  que  le  peut  concevoir  la 
diplomatie  étrangère,  c'est-à-dire  la  riva- 
lité voisine. 

Ainsi ,  on  laisse  ailleurs  l'individu 
s'emparer  de  la  colonie  avant  le  fonc- 
tionnaire ou  en  même  temps  que  lui. 
Là,  on  parle  au  nom  d'intérêts  acquis  : 
chez  nous,  on  parle  au  nom  d'intérêts  à 
venir.  C'est  là  une  infériorité  rédhibi- 
loire. 

^lais  peut-on  ne  vivre  toujours  que 
de  traditions  ou  se  figurer  qu'il  est  in- 
terdit de  puiser  à  d'autres  sources"? 
N'esl-il  pas  permis,  au  contraire,  de 
concevoir  des  formules  nouvelles  devant 
des  devoirs  nouveaux?  Les  uns  disent  à 
l'opinion  :  <c  Les  colonies  nonl  de  raison 


d'être  que  [jour  y  laire  «les  allaircs,  au 
ti'ement  dit  pour  être  explr)itées.  »  Les 
autres  ajoutent  :  >•  Il  faut  que  les  colo- 
nies soient  des  exuloires  pour  les  labo- 
rieux à  qui  la  terre  de  la  métropole  est 
ingrate,  autrement  dit  qu'elles  soient 
des  refuges  de  peuplement,  autant  du 
moins  que  le  climat  le  permettra.  »  l'exa- 
minons ces  deux  points  de  vue,  par 
comparaison  avec  l'étranger. 

Alois  que  l'Angleterre  se  crée  des  in- 
térêts sur  un  point  détermine,  en  vertu 
d'un  calcul  d'extension  que  justifie  son 
régime  économique,  el  revendique  ce 
point  comme  sa  propriété  au  nom  des 
intérêts  susdits,  la  France,  nous  venons 
de  le  dire,  sollicite  une  consultation 
préalable  avant  d'entrer  en  possession 
d'un  territoire  quelconque  et  fait  appel 
aux  intérêts  quand  celui-ci  lui  échoit. 

Or,  c  est  à  ce  moment  qu'elle  éprouve 
plus  que  jamais  combien  elle  est  impuis- 
sante en  dehors  des  moyens  officiels. 
C'est  à  cet  instant  qu'elle  se  retrouve  ce 
qu'elle  était  avant  l'impulsion  qui  a  fait 
d'elle,  puissance  coloniale,  un  pays 
obligé  de  devenir  colonisateur. 

Elle  n'a  évidemment  pas  les  mêmes 
raisons  que  l'.Angleterre  d'escompter 
comme  un  bienfait  le  dérivatif  colonial. 
Sans  renouveler  des  considérations 
maintes  fois  exposées  sur  le  tempéra- 
ment casanier  du  Français,  admettons 
que  cela  suffit  pour  expliquer  son  peu 
d'empressement  à  sortir  de  son  pays.  La 
conclusion  est  malheureusement  péremp- 
toire,  elle  défaut  de  circulation,  ailleurs 
même  que  dans  les  colonies,  permet  de 
supposer  que  ces  dernières  ne  seront  pas 
l'objet  d'une  préférence  de  la  part  de 
gens  qui  aiment  à  rester  chez  eux. 

Comment  veut-on  que,  dans  de  pa- 
reilles conditions,  le  Français  oppose 
des  forces  équivalentes  à  celles  de  ses 
concurrents  sur  le  terrain  colonial? 

Les  Anglais,  les  Allemands,  les  Hol- 
landais, sans  parler  des  autres  peuples, 
n'essaiment  pas  seulement  des  intérêts 
dans  un  but  colonial,  mais  parce  qu'ils 
quittent  volontiers  leurs  pays  pour  aller 
dans  d'autres.    Ce    sont   des   coloniaux 


LA     FUANCli    C.OLOMSATHICE 


avanl  letlro;  el  il  va  de  soi  que  cette 
disposition  les  pi-épare  admirablement  à 
|)eiipler  leurs  colonies. 

Si  les  Allemands,  qui  sont  déji'i  plus 
de  trois  cent  mille  au  Brésil,  s'avisaient 
de  détourner  quelques-uns  de  leurs  émi- 
j,'-rants  vers  l'Est  africain,  leurs  posses- 
sions seraient  bien  vite  peuplées. 

Xous  ne  peuplerons  point  les  nôtres, 
parce  que  nos  nationaux  ne  vont  en 
pays  étrangers  qu'à  l'état  d'exceptions 
lorsqu'ils  y  vont  dans  un  but  commer- 
cial, et  parce  que  l'émigration  française 
est  trop  canalisée,  trop  subordonnée  à 
des  routines,  et  surtout  trop  restreinte 
pour  proliter  à  un  but  colonial.  A  plus 
forte  raison,  n'avons-nous  point  d'excé- 
dent sur  lequel  nous  puissions  asseoir 
des  espérances. 

Dans  l'espace  d'un  an,  c'est  à  peine  si 
deux  cents  de  nos  paysans  ont  quitté  la 
France  pour  la  Nouvelle-Calédonie,  pays 
essentiellement  favorable  et  où  on  trans- 
porte gratuitement  les  émigranls. 

C'est  tout  ce  que  nous  avons  à  oppo- 
ser au  peuplement  des  colonies  étran- 
gères, et  il  s  agit  ici  d'une  colonie  agri- 
cole; ce  qui  revient  à  dire  que  pour  les 
colonies  qui  ne  sont  p;ts  agricoles  l'émi- 
gration est  nulle. 

N'otez  cependant  que  les  causes  dé- 
terminantes de  1  émigration  sont  les 
mêmes  pour  nous  que  pour  les  autres. 

Les  Anglais,  qui,  soit  dit  en  passant, 
ont  émigré  beaucouj)  [)lus  tard  qu'on  ne 
suppose  généralemenl,  ont  été  amenés  à 
l'expatriation  par  la  misère  et  le  mécon- 
tentemeiil,  deux  choses  qui  ne  sont  pas 
précisément  étrangères  à  notre  [)avs. 

Les  causes  étant  les  mêmes  et  les 
ellets  ne  l'étant  pas,  c'est  donc  que  l'é- 
migration n'est  pas  une  loi  inévitable. 

Alors  il  faut  chercher  autre  chose 
pour  coloniser. 

Si  les  colonies  ne  sont  pas  des  exu- 
toires  pour  les  laborieux  à  qui  la  terre 
de  la  nii-tro|)ole  est  ingrate,  peut-on  rr- 
pendaiil  en  tirer  parti  sans  le  conroui's 
de  ces  labor'icu\  ? 

La  i-i-|ion^e  ne  saiii-ail  rli-e  douteuse, 
si  on  Nciil  bien   ailinrili'c  iMpiilablement 


que  la  colonisation  crée  des  devoirs  qui 
s'appliquent  bien  plus  aux  populations 
à  coloniser  qu'aux  colons  plus  ou  moins 
problématiques  de  la  métropole.  L'ne 
colonie  n'est  pas  une  maison  dépourvue 
d'habitants,  et  il  est  étrange  de  toujours 
gémir  sur  un  abandon  qui  n'existe 
pas. 

Tel  qui  prend  possession  d'une  terre 
habitée  ne  peut  prétendre  y  jouer  le 
Robinson.  Cette  terre  lui  oll're  une 
main-d'œuvre  quelconque  à  laquelle  il 
s'engage  à  donner  sa  main-d'ceuvre  in- 
tellectuelle en  échange.  Ce  n'est  que 
pour  cela  qu'il  a  fait  acte  de  conqué- 
rant, soit  qu'il  ait  pris  par  la  force  et 
sans  conditions,  soit  qu'il  s'agisse  d'une 
association  librement  consentie  des  deux 
parts. 

Une  colonie  a  donc  une  population 
dont  on  se  constitue  le  tuteur  et  l'éduca- 
teur, et  qui  accepte  ou  repousse  l'in- 
fluence qu'on  se  donne  mission  d'exercer 
sur  elle. 

Le  tuteur  a,  par  conséquent,  un  pre- 
mier devoir,  qui  est  de  l'aire  accepter 
son  inlluence.  11  en  a  un  second,  qui  est 
de  faire  de  celle-ci  l'instrument  d'iuie 
adaptation. 

Ainsi  la  pojjulation  de  la  colonie,  en 
s'élevant  aux  idées  de  ses  tuteurs,  en 
les  partageant  ou  les  associant  aux 
siennes,  deviendra  l'auxiliaire  de  la  nn'- 
tropole. 

l'Aie  aura  donc  un  iv'ilc  à  reni|illr  en 
face  du  rôle  de  ses  dirigeants.  A  des 
devoii-s  elle  adjoimli-a  des  devoirs,  (pii 
ne  seront  plus  ceux  de  rell'acrineut  cl 
du  silence,  tle  la  sujiHion  tvranniipie  cl 
de  l'uiei-lie,  mais  ceux  du  labeur  rassé- 
rénant et  prolitablc,  encoui-agi''  par  K' 
sentiment  d'une  res|)onsabilité  ipii  i'lè\  e 
et  non  d'une  crainte  tpii  abrutit. 

Une  colonie  peut  rester  pendant  de> 
années  sans  recevoir  un  colon.  .Mais  si 
un  gouverneur  peut  établir,  apiès  c<'lle 
période  d'années,  ipi'il  a  fait  ouvrir 
lieaui'ou])  de  routes,  instilui'  beaucoup 
d'écoles,  assuré  la  séeurilé.  établi  la 
justice,  |)rotégi'  le  conunerce,  développé 
l'agriculture  et  l'industrie;  que  les  indi- 


I.A     l-ltANCli;    COI.OMSATItlCE 


gènes,  enfin,  Iravaillenl  plus  qu'avant 
la  conquête,  sont  plus  instruits,  plus 
libres,  plus  riches  et  plus  heureux,  il 
])()urra  dire  qu'il  a  bien  colonisé.  Il  aura 
l'ait  des  étrangers  d'hier  des  auxiliaires 
nouveaux  dont  la  métropole  ne  regret- 
tera pas  l'association.  11  aura  fait  acte 
économi(|ue  et  humanitaire.  Ce  sys- 
tème, qui  prépare  le  triomphe  de  l'idée 
avant  celui  des  choses,  est  à  méditer. 

En  Asie,  nous  sommes  en  présence 
d'institutions  immuables,  qui  s'alimen- 
tent de  IratlitioMs  séculaires,  où  s'épa- 
nouit le  génie  d'extrême  Orient,  au  foyer 
d'une  race  assurément  supérieure  dont 
nous  devons  nous  borner  à  diriger  les 
destinées. 

Au  Soudan,  la  possibilité  de  l'adapta- 
tion apparaît  plus  immédiate,  même 
avec  1  action  parallèle  de  l'Islam.  La  co- 
lonisation y  repose  sur  une  mise  en  va- 
leur de  l'individu  bien  plus  que  sur 
l'appropriation  des  choses. 

En  Asie,  les  choses  et  les  gens  s'iden- 
tifient. Au  Soudan,  l'absence  d'indivi- 
dualisme rend  les  choses  inertes,  et  le 
servage  même  est  stérile,  parce  que  les 
exactions  des  chefs  y  épuisent  la  pro- 
priété, parce  que  le  captif  n'y  produit 
pas  ce  qu'y  produirait  l'homme  libre. 
11  nous  faudra,  tout  comme  au  xiv'"  siècle 
de  notre  histoire,  détruire  la  tutelle  des 
chefs  pour  faire  disparaître  entièrement 
l'esclavage,  même  par  mesure  fiscale. 

Mais,  si  F  Indo-Chine  française  nous 
offre  le  spectacle  d'une  sociologie  an- 
cienne assez  souple,  assez  affinée  pour 
accepter  une  juxtaposition  dont  elle  ne 
prendra  que  ce  qu'elle  voudra;  si  le 
Soudan  nous  présente,  avec  les  ri- 
chesses de  son  sol ,  des  groupes  eth- 
niques dont  il  ne  tient  qu'à  nous  d'o- 
rienter les  instincts  ;  si  l'Indo-Chine 
nous  oppose  une  civilisation,  et  si  le 
Soudan  n'en  a  pas,  Madagascar  nous 
met  en  présence  d'un  problème  qui  res- 
semble singulièrement  à  une  mystifica- 
tion. 

La  nation  hova,  car  c'en  est  une,  n'est 
ni  civilisée,   ni  barbare.   Elle    apparaît 


comme  le  produit  incomplet  d'une  in- 
fluence interrompue  ou  mal  distribuée. 
Elle  semble  un  peuple  de  raies. 

Or,  .Madagascar  verra  deux  influences 
en  contact  :  l'ancienne,  c'est-à-dire  celle 
du  Hova,  et  la  notre. 

Laquelle  des  deux  l'emportera? 

Cette  seule  appréhension  suffit  à  jus- 
tifier une  mainmise  absolue  sur  la  grande 
île  de  l'océan  Indien. 

La  France  est  obligée  d'être  colo- 
niale, avons-nous  dit. 

La  démnnslralion  nous  en  a  été  faite 
surtout  depuis  1«'J0.  A  cette  époque,  et 
à  la  suite  de  conventions  fameuses  aux- 
quelles nous  participons  timidement, 
éclate  le  pressentiment  du  rôle  redou- 
table que  va  jouer  le  continent  africain 
dans  les  destinées  européennes.  Tel  qui 
s'efrorce  de  dégager  de  l'analyse  des 
faits  les  prévovances  futures  se  met  en 
devoir  de  noter  les  péripéties  intéres- 
santes d'une  évolution  qui  prend  chaque 
jour  une  ampleur  nouvelle,  désormais 
insuffisamment  caractérisée  par  le  mot 
«  colonial  ».  Il  s'agit,  en  somme,  d'une 
orientation  stratégique  des  grands  peu- 
ples d'Europe  vers  des  horizons  déter- 
minés, l'Asie  et  r.\frique,  où  condui- 
sent des  routes  qui  se  contrarient  et  où 
s  échelonnent  des  étapes  qui  se  nuisent. 
C'est  donc  une  source  de  malentendus, 
de  conflits  et  de  rivalités  qu'il  convient 
de  prévenir,  de  dissiper  ou  d'atténuer. 

La  France,  déjà  puissance  coloniale 
en  Asie  et  en  Afrique,  n'a  pu  se  sous- 
traire à  cette  évolution. 

Elle  avait  non  seulement  à  préserver, 
mais  à  prévoir,  ce  qui  veut  dire  que, 
malgré  tous  les  sophismes ,  elle  a  été 
dans  la  nécessité  de  prendre  plus  qu'elle 
n'avait. 

Puisse-t-elle  toujours  semer  libérale- 
ment sur  les  terres  neuves  ou  appau- 
vries, y  réveiller  des  âmes  endormies 
ou  y  éclairer  des  intelligences  en  en- 
fance. Elle  y  trouvera,  n'en  doutez  pas, 
un  rajeunissement  de  son  génie. 

L.  Sevin-Dksplaciîs. 


I.'ILK    1)K    SKIX 


km;/,    si/.l'.n  ;     i.  ili-:    dks    si: pt    s(immi;ii. 


De  1,1   l'.Miilr  <lii    li.i/,   <|ii,m(l   \r   lr]n|,>  '          |-:i     |iin-    un      |i;i>-('     ni\  ^1  ,-iirii\      Irii- 

<>l    i-hiir.    ..n     ,i|icrr,,il     .,    I  li,,ri/..ii     mic  Iniirc.    l'I     l;i    Ic-ciidc    iiirl    iiulniir  d Cllr 

Miric  (le  Imii;;   r.iiIcMii   (|iic    le-   \iiL;nc>  ca-  I  1  iiccrhii  ii    de    >uii    ain'i'i  ilf.   (■(iiiiinc    au- 

cllciil     |]ai'     iiiDiiinil^     cl     -ciiililciil     Mil)-  i     jdiiririiiii     l'iirnri-     le     Nulle     ilc     liiiiincs 

liii.|-„i.|-;   r  !■-{    l'ili'  ili'  Si-ii'i.  (Iciiil.    |irc~i|iir    iDHJiiiir^.    Iclix  cK  i|1|h'    la 

Il   ~riiililr   liii'ii    |iiiiii|aiil    (|iic    le   \irii\  '     mer. 
iiiiHule  >e    leiiiiiiie    a    ce    i-a|i    du    lia/,   a 
celle    liaiile    lalaiM.     dcclii,|iiel  ce    par    la 

lein|.ch-,  (|m  ^avance  dan-  lOcV^aii  l.ile  S,-na.  dil  l'..in|H.Mm-  Mêla, 
ciiiniiii'  111!  {■|MrMii  de  ciiira-~i'.  cl  dmil  dan-  -a  l)csrii/jliiiii  du  Maiiili'.  an 
le  ,i;raiill  iiiiiniiahle  |ieiil  lira\fr  ^a^^  i"'  -iccle  de  nulle  ère.  -ilni'c  dan- 
cr,iinle  rejernid  a--aiil  de-  \ai;iicN;  la  nier  I '>rilanni(|ne.  en  lace  le-  ri- 
mai-   celle    leire    i|iie    ion     a|iere,iil     là-  \  a-.-  d.-  (  l-i-niien-.   e-l    C(dehre  par  le- 

l)ii-.    cdie    (-1     -1     plaie.     -I     plaie!    et     le-        (.racle-  ipix    rend   n llM  n  il  e  -aide  .l>e  ; 

n.il-  -(inl    -i    haiil-:     (a.nimenl    penl-elle  le-    pieire-e-    c.m-acn-e-.    ipii     il.ini'iil 

re-i-lcr  .'  (du  i-e  (  I  ranui-  ipie  ce  mnrce.i  u  L:arili'r    une    el  ernelle   \  ii- i  n  1 1  e.   -■  ml    an 

de-  >n\   (.iildie  dan-   la   mer.  nlire  ,1e   nenf.    I.c-  (.ani.M-    I,-  appel- 

Oucs-anl   e-l   pin-    an    lar-e    dncimli  :    leni     Si'iio    l'I     pen>ciil    (pi  iii>pire<-  par 

iienl.    e-l     pin-     Idiii     (laii>    l(lcean     (pie  j    nii  i;eiiie    parlicnlier.    idie-    pen\eiil,    an 

lile    de    Seiii.  mai-    ((ne--anl    e-l    va-le.  j    m(i\  en  de  leur-    incanlal  h  .n-.  deidiaiiicr 

(»ne>-anl       a       de-      lalaix-      -olidi'?.     cl  |    le-  veiils  elle-    M..I-.  -e   iih'laiiii.rplioser 

lianles  ;    aii--i.    -i    (pndipie    eliu-c    ddUiie  '    en   lid  animal  ipi  il    leur    plail.   j;iliTii'  li'S 

rinipre--i(m    de     l.i     lin    de    la    lerre.    ce  maladie-    re|inlee-    i  ncmalile-.   -avoir   el 

n'e-l    pa-  {  Ine-siiil.  mal-   lile  de  Sein,  :     prédire  le-  cli.'-e-  ipil  M'nml.   Mai-,  polir 
VI     -    17. 


I    1 1  i:    m: 


i  I-;  I  \ 


Cdiluailir  l'I  iiMT  (le  leur  x'ifiicr,  il  I'mmI 
s'cnil)ari|iR'r  vi  k's  \  uiiir  fonsulUT  diiiis 
k'ur  ile  mi'iue.  » 

Il  parai!  (■vick-nl  (|iio  c'est  bien  do 
nie  (k-  Sein  (inll  s'ai;il  la.  le  nom  l'raii- 
çais  olanl  une  I  radncli.iji  nalnrelic  (hi 
nom  lalin;  nnl  dimlc  mm  plus  que  les 
prélrc'SM-s.  Ic>  pi-npliiMcs>c>  en  i(Ufs(i.iii. 
ne  l'ussenl  des  initiées  du  eullo  drui- 
dique, (pii  a  laisse  dans  loiile  lArmo- 
rique  lanl  de  vesli';es,  et  dans  l'île  de 
Sein  elle-même  des  traces  sul'lisantcs, 
si  inrormes  soienl-elles  aujourd'hui. 
Quant  an  radical  sm.  il  xcul  dire  rieiix 
en  celtiipie  :  ces  l'emnies  pon\aient,  en 
ell'et,  n'élre  plus  jeunes,  quoique  vierjfes, 
quand  elles  exerçaient  ce  sacerdoce,  ou 
hien  il  ])ou\ai(  v  avoir  à  côté  d'elles, 
comme  c'est  prnlialile.  un  collège  de 
vieillards. 

Quanl  a  Sti-alion  et  à  Denvs  le  Férié- 
gcte,  dans  son  poème  j;éo^raphique  en 
vers  yrecs,  ils  parlent  éf;:alement  d'une 
île,  située  à  peu  prés  dans  ces  parafes. 
où  étaient  célébrés  de  soi-disant  mys- 
tères de  Bacchus.  Strabon  la  place 
plus  bas,  vers  la  Loire,  mais  il  est  cou- 
tnniier  d  erreurs  plus  firaves  :  et,  quant 
au  délire  des  prétresses  de  ïeutalès 
qu'il  if^uore,  il  l'atli'ibue  à  Haccluis, 
tout  naturellement. 

Ou  montre  encore,  creusée  dans  de 
gros  rochers  à  pic  au-dessus  de  la  mer, 
une  sorte  de  niche  vertigineuse  que  Ton 
|)rétend  remonter  à  cette  époque  et  que 
l'on  nomme  le  Gador  (la  Chaise  i. 

A  côté  de  la  légende  druidique,  une 
autre  légende  im|)orlaule  se  rattache 
ent'ore  à  l'île  île  Sein. 


Ulr  a.  eu  ellet,  un  nom 
liivlon.  tout  diirérent  de 
son  nom  hiliu  el  dn  ikmu 
liaueais  qui  en  déii\e. 
"  l!ne/,  Sizun  ".  lùwz  veut 
ilire  (/(',  el  Siziiii  est  une 
routi-aclion  <\c  Sciz  .iiiii, 
ipii  siginlie  xcf)!  sniniiieils. 
Pourquoi  cette  appellation 
singnlièri'? 

Les    habilaids  (pie  j  in- 
terrogeai    ne    |)ureiil     me 
renseigner,     ni     |)eisoiiiic.     \  Uici     une 
explication   possible,   la    seule  (|ue  j'aie 
pu  trouver. 

Il  y  avait  jadis  une  ile  merveilleuse 
nommée  Thnié.  où  les  âmes  s'en  al- 
laient après  leur  mort.  Les  pécheurs  de 
la  côte  située  eu  l'ace  d'elle  étaient  ré- 
veillés la  nuit  |)ar  un  dénie  qui  les 
emmenait  avec  lui  jns(|n'au  rivage.  Ils 
trouvaient  là  un  bateau  (pii  semblait 
vide,  et  qui  cependant  enronçait  dans 
l'eau  comme  s'il  eût  été  lourdement 
chargé  ;  la  cause  en  était  dans  le  poids 
des  Ames  qui  rem])lissaient,  invisibles. 
l>es  pêcheurs  partaient  pour  l'île  avec  le 
(îénie.  Là,  les  âmes  étaient  comjjtécs  el 
interrogées  par  un  autre  esprit,  invi- 
sible comme  elles,  qui  les  faisait  débar- 
quer, ynand  les  pécheurs  sentaient  à 
son  poids  que*  la  barque  était  vide,  ils 
s'en  retournaient. 

Si  l'île  de  Sein  s'appelait  l'île  du  som- 
meil, n'était-ce  pas  justement  parce  que 
les  âmes  y  allaient  dormir  leur  sommeil 
éternel?  (Juanl  au  nombre  sept,  c'est 
un  des  nombres  fatidiques  :  les  sept 
jours  de  la  -  création,  le  chandelier  à 
sept  branches,  etc.  Faut-il  pour  cela 
idenlilier  absolument  l'île  de  Sein  avec 
lile  de  'l'Iinlé  à  hn[nelle.  d'ailleurs,  se 
rapportent  une  l'oulc  d'autres  contes? 
Non,  sans  doute.  Cette  légende  a  dn 
être  prêtée  à  plusieurs  îles  tlilVérentes 
dont  Thulé  fut  en  quelque  sorte  le  nom 
générique  ion  trouve,  entre  autres,  ce 
nom  donné  à  Ouessant  i  ;  mais  l'île  de 
Sein  était  probablement  une  de  celles-là. 
Il  convient  de  remarquer  à  l'appui  de 
cette  opinion   qu'nn   certain   nombre  de 


I.  1I.1-:  i)K  si; IN 


villa.i;c>  de  la  pre>(iuilc  ilii  lia/  mil.  a  i  |iai-  cniili-i'.  i|iic  pci--.  ■niic  ne  Mriiclrail 
la  Miilc  (k-  leur  nom.  ce  iiniii  de  Sizilii  :  le-  iiu|uii-ler  la.  el  il-  |»jiivaieiil  -.■  lire 
nélaH-ce  iluiie  ]ia-  de  relie  terre  (|ne  i  de>  a-enl- du  li^e  derrière  leur  rnrlere>!-e 
s'eniharc|uaieiil  les  aines?  <l  ecueils. 

Ils  ne  dureiil  pas  lanler  imn  plus  a  -e 
rendre  eouipte  (pi'ils  aiiraicnl ,  dan-  la 
lenipele  même,  une  pourxuveuse  |>lii- 
leconde  ([u'ailleurs.  Malheur  en  ell'el 
aux.  navires  élr;m,t;ers  assez  imprudents 
pour  s'aventurer  dans  ces  parafies.  e(  que 


(Juni  qu'il  en  suit,  il  semble  bien  (pie 
les  Druides  aient  eti'  ses  premiers  lialii- 
tants. 

l'uis  nu  jnnr  \iut  ou  ils  dis|iarnrenl . 
oii  leur  religion  s'i-liu-nil  el  n'nil  pins 
ni  jiretres  ni  prêtresses  ;  I  ile  de  Sein 
cpu  leur  ser\  il  peut-être  dederuierrel  ii,i;e. 
ou  les  derniers  moiirurenl  peiil-i'tre.  I  ut 
sans  dceute    alors    inhaluti-e    pendant    un 


.15     ff:iiir" 


temps    (pi  il     e-l      impos-ilile    dCxaluer.  le  veni  et  les  eourants  drosseut  sui    lile  ! 

San.-   (Iraile  au  — I   un    peelienr   -e    ri-ipia  1  Is  s' y  hiaseiil   sans  remissn iU .  Cetaienl. 

a   V  ahordcr  un   |oiir.  cl  la  tron\anl  \ide,  '    pour    celle     ai;>;l"Uii''raliou     de    bandits. 

lion\.inl      e;jaleincul      poi  — onni-n-e-     les  dince-santes  aubaines. 

eau\   (pu   renlouraienl.    \    balil     nue    ca-  Avec    (piehpies     torche-     allumées,    le 

liane  ;    un  -econd  dut  -un  re  sou  c\einple.  -on-,   -\w  la   lele  de-  \  aciies  (pie    l'on    lai- 

pui-    nu    Ir.u-leuie.    et     une    bonr-ade    -e  -ail   coiirn-    a    cr.up-    (1,-lrupie.    pouripie 

roriua    ,1111-1    peu    a    peu.    <Ju  i  iiiporl  ail    a        Id-cillali le    la    llamine    lil   .roue  au\ 

ces    -eus     habitues     a     la     mer    el      a     ses  :    navire-    ipil    pa-saicnl    ipi  CI  le-  bnllaieul 

values     (■ternelle-     ri-olement    de    celte  '    sur    d  autre-    navire-    et    .piil    v    , (valide 

ile    dans    lOcean  ,'   (Jiie    leur    faisait     sou  ,    l'ciii   lia  v  i-ablc  on  ce  u'etail    (pie  terre  à 

aridih'.    a     eii\     (pu.     sur     le     conlinenl.  se  bri-.'r.   rien   n'était    plus   l'acile   cpie    de 

d(-.dai.i;naienl    de    eiilliver     le    -o|     el     ne  c.uiipleter    la    bonne    v, doute    de    la    mer. 

vivaient  (pie  de  pois-.Mi.'   Ilselaienl  -nr-,  [    (.tii.iiit    ,iu\    ;;en-.   -il-    n'étaient    pa-    eu- 


2iin 


i.ii.i:   i)i;  SKiN 


^IdUl  Is  liiiil  lie  su  lie  L'I  s'ils  siirii;i^i';in'iil, 
i|iH'l(|iii-s  iiin|i-  (le  j;:ill'c'  :i(lroi(i'iiR'ii(  ;ii)- 
|)li(|iics  siii-  hi  Iric  les  r;iisiiic'lll  Ijic'llti'it 
rciiInT  siiiis  \\-:m  ri  les  iiicllaiolil  Inirs 
<1  ('liil  (le  jaiiKiis  ivchmicr  leur  bien. 

Tiuis  ces  ;iv;iiiliif;es  réunis  lixérenl 
peu  ;i  peu  sur  lile  une  populiition  déli- 
nilive,  redoutable  et  rcdouléc  ;  ces  JJin- 
hles  (le  In  nier,  ccinime  on  les  appela, 
ne  connaissaieni  réellement  ni  Dieu  ni 
maître.  Les  notions  du  christianisme 
(pi'ils  avaient  pu  apporter  de  la  terre 
s'étaient  rapidement  atrophiées  et  avaient 
|)iMs  un  c-araolèi'e  tout  pa'i'en  ;  c'est,  d'ail- 
leurs, ce  c|ni  était  arrivé  à  une  ffrande 
partie  de  la  Hreta^ne  cpie  les  Jésuites 
(lurent  se  remettre  à  évaugéliser  au  com- 
mencement du  .wii"  siècle. 

C'est  alors  seulement  que  nous  com- 
men(,'ons  à  trouver  des  documents  his- 
loil(pifs    |)récis    sur    lile    de    Sein.     I.e 


■J.")  août  lt>4l,  le  Père  Mauuoir.  accom- 
IJayné  du  Père  Bernard,  v  abordait.  Elle 
avait  une  mau\aise  réj)utation  ;  \aine- 
menl  saint  Guénolé  lui-même  axait,  di- 
sail-(in,    lenlé  i\\   l'oMiler  jadis   un   mo-    | 


nasiére.  .\  la  lin  du  siècle  pré-cédenl  , 
elle  |)ossé(lail  un  ciné  —  un  recteur, 
comme  on  dit  en  Hretaf,'ne  ;  —  mais  un 
joui-,  ayant  été  mandé  sur  le  cipiilinciil 
par  lévécpie  de  Coi'nouailles,  et  son  ab- 
sence se  prolonf;eanl  ti-op  lonf;lemps  au 
ffré  des  insulaires,  ils  s'embarquent,  pas- 
sent le  lia/,  et  arrivent  le  réclamer. 
L'évêque,  terrifié  en  les  voyant  vocifé- 
rer avec  desfjesles  menaçants  et  brandir 
leur.s  larf;es  couteaux  à  éventrer  les  pois- 
sons, leur  livra  en  toute  hâte  celui  qu'ils 
demandaient  et  ne  l'ut  rassuré  qu'en  les 
xdvant  partis.  .Mais  le  recteur  mort,  au- 
cun autre  ne  voulut  prendi-e  sa  place. 

.\ussi  les  deux  .lésuiles  t'in-ent-ils  ac- 
cueillis avec  enthousiasme;  il  leur  fallut 
dire  la  messe  sur-le-champ  et  o|)érer 
toides  sortes  de  miracles.  l£n  s'en  allant, 
ils  eu\i>\èrent  à  l'abbaye  de  I.andé\en- 
nec.  pf>ur  y  être  instruit,  un  vieux  pé- 
cheur nommé  François  Le  Su,  qui  ser- 
\ait  en  (pielque  sorte  de  pasteur  laïque 
il  (pii,  après  toute  sorte  de  tribulations, 
linil  ])ar  être  ordonné  prêtre  à  Quimper 
et  revint  dans  l'île  s'acquitter  de  ses 
fonctions  à  la  satisfaction  générale. 

.\  la  lin  du  xvni*^  siècle,  lile  comptait 
a  peu  près  350  habitants  qui  vivaient 
dans  de  méchantes  masures;  elle  avait 
pour  la  défendre  i  canons  et  :200  livres 
de  poudre  abritée  sous  un  ancien  dol- 
men. Pendant  les  guerres  de  la  Révo- 
lution,  les  .Anglais  y  descendirent  et 
tirent  sauter  poudre  et  dolmen  Fréniiii- 
rille  . 

A  la  Uestauration.  le  duc  d'.Viguillon, 
louché  du  dévouement  dont  ils  avaient 
l'ait  preuve  jiour  sauver  l'équipage-  de 
deux  navires  naufragés,  leur  lit  olfrir 
des  habitations  sur  le  continent;  ils  re- 
fusèrent. On  leur  lit  alors  construire  une 
jetée  pour  empêcher  leurs  maisons  d'être 
envahies  par  la  mer,  et  tous  les  trois  mois 
on  leur  distribuait  150  quintaux  de  bi.s- 
cuil,  30  de  lard  et   S  de  légumes. 


.\ujiinrd  luii  la  population  est  de  huit 
cents  habilanls;  elle  double  presque 
l'été,  par  suite  de  la  présence  des  Paim- 


I.II.K    DK    SKIX 


^f 


.       ^ 


k  ù 


polnis  qui.  nu  mois  (l';i\  ril.  ;irn\  i-iil  (hins  sLipci'hi's  ciid'i'  1rs  Irniics  (1cs(|ir'Is  du 
Iriirs  hiilriiux,  ;i\L'c  Imilr  leur  lainilir.  ii|)crciiil  l,i  iiii-r,  Ic^  aulirs  ^-m-  (|nrl(|ue 
pour  la  |ii''ciic  ilu  <-oni;ri-  ri  île  la  lan-  liaul  |irouiouloii-L',  au  vimiIIIc  pur  i\r< 
Kouslr,  Mais  ils  soni  loin  iVrin-  lualliru-  ,  \cnls.  I.c  cinicliriv  ilc  lilf  ilr  S, 'ni  uc-t 
l'L'UX  et  ils  n'oul  plus  besoin  il'aucun  rien  de  (tinl  cela.  I  in'  ^orli-  dr  eoni' 
seeoui's  é(ranf;er. 

Ils  hahileul  de  laides   el    solides   mai-        ^*J         "" 
sons  en  f;raiiil,  eiilassi'cs  les  nues  eonlir      ■Sr^ 
les  auli-es    dans   la    pailie    la    pins    haute       J 
de  l'ile.    entre   le    pori  ,•!     1,-    !;ivves    du      ^v  »  **  » 
lari;e.  (>n  \  eireule  par    un  dédale  iiie\-  il,       «.A 

Inéahlede    nndies    (•Iroil.-s    el     puaules.      V^.^^i     % 
d'une    saleté    \oli>nlaii-e.  (|iii    oui    à    peu      _^*  \^lJ'^'■■i^ 

prés  un  méire  entre    eliaipie    mui';    t'Ile^      ^'^i  w  <  iT      H  IR      I  1  i 

sou,    empestées   d-,mmoudu.es    de    , ouïe      Y.'J^^.  ^M      ^  |,      | 

sorte  et   la    ninnulre  pluie  les  eliau.t;e    en       ■M  i/fHfJ*  ^  fl^V  ?\      ^ 

eloaques,  vierfîcs  à  jaiiiai-  de  t..iit  lialai.      "*     ^'^^"^  ^ 

^'ainenlcnt  vous  \   eliereliere/  au|oni'-  .."i  ^***S!^     ^ 

d'hni    la    poésir    de    \iellle    ili'    dmidlipi.'  "^  *  «  "i»-!    ^    ^     «    fc      wu.  ji 

ou    va-uaieni     le-    piviphrles^'S    éelieve-  *   „i«,    jAb  11    ifB  (  Fi 

lées,     où,     dans     les     c-ereles    ,1e   pu-iav-  -^1    i    i    0    11 T  I  II 

levées,  les    pivlivs  N'élus  de  lilane    in\ii 
([uaieut  le  Soleil  ;  xaniinnenl  xcm-  \  eliei 
eliere/,  la  solilnde  mvsliTieu-e  el   mni'lli 
où    les   âmes   allaienl    donnii-   leiir    L;i'aiid         '    ^ 
sommeil.    I.à,    i-oiuiui'    prcsipic    pailoul,       'f*"  ,i    %. 
1  llinnine  (pli   e-l     \eiiu   a     -ail     1,1     iiainre.         ,^<^ 
i'ài  dehors  des  .inei.nis  r.ielirrsdu  Cado 
qui   sont    restes    tels    qii  an    lenip-   on    le 
druides    veiiaieni     s'\    asseoir    an-ih'ssu 
des  Ihils.  en   dehors  île    la   parlie   siid    d 
l'ile     niers-.immenl     reeon\  rrir     p.ir     les        ^^ 
emlirim-  il.'s    \a-ni'-  .-1    iidialMl.iMr.   loni 
n'e~t   ipie  -ini-liv  cl   -.ilr.   .•Iran;.,'    a   Mur 
ee|ieiidanl.  I.r  eiinrl  leic.  -iirloii  I .  d,pa-i' 

en    i-e    nniri-    d  horn-iir    loni    ci-   ipie   l'on         c'-lroilc\     (■nlonré'e     ih'     in.ii- 
peut 


;  V.     \\  v  V.     Il  K     I.    I  1. 1-, 


Il    \    a    le   iaineliér( 


iraïKlc'-.    \ 


il    le-    mur-    I V-eiM-enl  ;    par    lerre.   au 
die-         iiidirii   i\v^   llaipie-  d'e.in.   dr-  d.die-  -ont 


raii:;i''r-,  I  ré-  rapproehi'i- ,  la  plnp.irl 
i-ll'rilees  ou  liriseï-.  A  peine  e.'i  l'I  la  une 
axi'i-  -e-  eliarnirr-  ri  li'-  areadr-  qui  I  oiiilir  pi  il-  nen  \  r.  .i  pri  lie  une  eroi  \  .  1  )n 
reiilonri'iil  ;  |r  rimelinr   ilalii'ii  a\i'e  -rs        -.dilr  rl   ,lr   la   iiirriv,   i'.i-  un  arliii-lr,  na- 


moilin'iir-  a\i-e  loiil    Ir    lii\r  de   -c-    inar 
lires;    il    \    a    Ir   iimrlirrr  du    nio\rii  à^i 


Ir     elnirlir 


pi. Mlle,  p,i-  uni-  i;r,iinii 


l'ilirnl-  inaealirr-:     '    erllr    lirrlir    lollr    ipir,   parloiil     aillnir-. 


i.ilnrr      l'.ill     l'r.éili 


ir-     loiuh.'S 


i;raiids   jardins    -ili 

espaf^nol  .im'c  se-  ii 

le    eniieliére    oriinilal    aviv 

lilaiiehr-  ,-l    -r-   il-    noir-;   il   \    a    rnlin    !,•    '    aha  iidon  m'es,    pas    mrme  eellr    llrnr   \  r- 

e1111el1rrrdrv1llaj4rr11lour.ini    Ir  rl.irhrr        iiiir    Ion    ne  -ail    d' pi'v    -rmrlapih,' 

niou--u   di'  -on   c''i;li-e.   envahi   ih'   iil.nili's        du     \riil.    iiirn     il'\     liriil 


:'l   de  llriir-,   el    iileiu  iloisr. 


1:    .-e-l 
n   né'aiit 


l'',n  j'irrlaL;!!!'   même,  iiiir  dr  einii-l  lén--        id  riiiiie  enl  rr    i.\<--  unir-  dr    m.ii-on-;   el. 


■harmanl-  '  Ir-  un-  .diiilr-  par  dr-  arlirr- 


iis.     un    'jr- 


ni-l     l'ii      i;ranit 


1 .  1 1 . 1  ;   1 1 1-; 


;  I-:  I  \ 


scmhli'  ('(('l'iu'lli'iiiriil  piciiicr.  .Iniiiiiis  ji'  '   ;;i-;iii(l  jour,   mais  cc-llc  iinpi-cssion   pir- 

iiniihlicTiii  l'impression  (l'époiivaiiK- qui  1    iiiiéi-o  ne  sV-sl  pas  oiracéiscl  ce  ciineliére 

se  |)r(Kluisil  en  moi  la  première  l'ois  (|ue  est    demeuré    |)our  moi  la  chose  la  plus 

je    vis    ce    cimelière.    .l'avais   débarcpu-  sinistre  que  je  connaisse.  ICI  dire  cepeii- 

dansl'ile  à  la  lin  du  jour,  après  avoir  été  dant    qu'à   cent  mètres  de  là.  c'est   l'im- 

liallotli-  huit    hrnii--  dans  les   I le-  dn        niensili''  de  h t.  l'iiiMnensité  du  ciel  1 


Haz.  la  tète  et  le  cceur  un  peu  lourds, 
et  je  m'étais  mis,  en  attendant  un  maigre 
dîner,  à  errer  au  hasard  parmi  ces  ruelles 
infectes  avec  cette  vague  tristesse  de 
l'âme  que  l'on  éprouve  toujours  en  arri- 
vant, le  soir,  inconnu  dans  un  pavs 
inconnu.  Soudain,  je  déiiouchai  au  mi- 
lieu de  ces  tombes  où  priaient  quelques 
formes  noires  agenouillées,  qui  bientôt 
se  levèrent  et  disparurent:  je  lis  le  tour 
de  l'église  et  du  cimetière,  lentenienl, 
comme  hésitant  sans  savoir  pourquoi, 
tandis  que  la  nuit  grise  tombait  de  plus 
en  plus  et  je  m'eusauvai  vers  de  la 
lumière,   ,1e   revins  là   le   lendemain    au 


1.  île  est  donc  a  |jeu  près  stérde. 

].e  sol  arable,  n'y  étant  guère  qu<'  du 
sable,  ne  con\ieut  pas  à  toute  \ égétation; 
puis  le  vent  brise  et  emporte  ce  qui 
lente  de  s'élever  à  plus  tle  cinquante  cen- 
timètres de  haut.  Sans  compter  la  mer 
qui,  dans  les  gros  temps,  balave  la  plus 
grande  partie  de  1  île  :  là  où  elle  est  un 
peu  plus  élevée  on  cultive  quel(|ucs 
légumes,  des  pommes  de  terre  et  de 
l'orge,  et  le  terrain,  étant  fort  rare,  y 
est  fort  cher:  i,  .")  et  (i  francs  le  mètre, 
carré.  .A.ussi  est-il  morcelé  à  linliui:  il 
y  a  des  champs  de  quatre  ou  cinq  mètres 
carrés,    mais   entourés  toujours  de  murs 


I.II.K     HK    Si;  IN  2ii3 

en    iiii/n-cs    |il;itc>    i|ili   fnlil    ii'^--i-iiiliiii-  l;i  iiiiT.  i|iRli|iic>   cliiirdoiis  cl   ln'auci  iii|i  de 

(■:ini|iai;iic  dr  I  ilr  :i   iiiir  muU'   de   daiiiUT  ,  i;aK'l>.    Il    l.iid  dmic  |-el('j;iKT  au    nMiilhi'e 

aux  caM-  ci-ruM'^  ri  iinir.iuliial.lc-  ..u  I.-  drv  laMc-  .-.•Ile  hi>loirc  duuf  IVuiuir  de 

c-arolles  cl   lc>  épis  Mild   un   |icn   |in>lej;cs  i  lile  (|iii,  en  alxirdanl  a   Audierue,  se  jela 

eoulre    le    \cnl.     |lan>  la   paille    lia-M-   de  !  a    plal    veiilre   devaiil   une    vache   eu    sé- 

l'île,    le    len-ain    a     lieaiieiaip    iiioius    de  '  criaul    :     "   \"nye/    ces    cornes  I    c'esl     le 


^^ 


^•?<<i^i*»p^^-.v;s,-^,^g5i!;«ir^! 


r  V     I'  1  T  I'  \t  \  i;  V. 


vali'Ui-,    cl     .,11    le   hiile  _::,.|ieialeiuenl    aii\  dialile!    ..  1 1  i~l ,  .|  iv  que  lae.  m  la  il    lorl    -é- 

l'aniipiilais  (pn   nCii  nul    Ih'smiu  ipie  peu  -  l'ieuseiiien  I ,    <i'l    l'Ii-,    iiudi's    piiiicipaux 

daid   l.'poipii'  rai    il    II  est    pas   -iduuer^c.  piiiniaiiN    de    l^ins.     Il    \     a    des    vaches 

Il   i,\     a,    l.leii    ciilendii.   aucun    arhre;  'dans    lile    de    Sem  cl    depuis    Inrl     1,,iim- 

,,11   ma    lU.inlr.'    cep.Midanl.   aliiili-s   dans  leiup-.     Mais    de     ipi.u     M  \  en  I -elles  .'    ,|e 

de-  Cl. ni-s  In-s   ,'li'(.||e-.    nu    lienier,  deux  nai  jaiiiai-   pu   inen  rciidi-e  c.  .iiipic  c\ae- 

iiia-niliquc-.  fusains   a  ri  k  ircsceiil  s.  cl    un  Icuicnl. 

pinricr.  lecpiel.  m  a-l   nu  a--nr.'.   Il  a  prn-  \\rv    leur    Ii.hi-c    ipie    Inu    Iriliirccii 

dinl.     ,|e      luruiioire     d  Inaiiine,      aucune  iiHil  les  !■,  uides  el    ipie  I  mi   luel   -.•cher  au 

pnire.    Mai-  de-    cpie    lalele    dnil    ailiiv  s.  .leil,  ou   la  il   du  c.  nul  iii-l  llih' al  ii-r  ipi  ^■e 
dcpas-e  le  mur  i  pu   l'aln  1 1  e.  elle  c-l    rasi'c    ;    \  ce    le   j;.  .lUiK  m  :   d  r,u   u  ne  l'unice  ml  ense 

parla   lempcle.  cl    ipii    \<'U-    prend   a   la   -orée,    a   Iheiii-e 

Sur    le    l.oid    Ar    la    mer    p.Hi-.ail    des  ,ai  -  allumciil   1,'s  leiix  dans  I,-   iuais,ms. 

coipiclicols   piiiiies   cl    des  chardon-  hh'il  i.cseens    plu-    aises    loiil     \eiiir    Au    hoi- 

pàle  aux   fciiillcs  ai-eul('cs.  .1    \iidicrm>   nu   de    l!re-l.   Au    re-le,  cc-l 

l.e  helail  ne-l  pa-  pin-  alioudani  ; 
dan-  le-  uiai-on-,  ipielipu'-  cocli,,n-,  cl, 
un  pi'ii  pai  I.Mil.  de  pelilc-  \aclie-  ipil 
mil     I loni     palinaee    ilii    ei„.miiii    de 


II-     le      , Iinciil       la      Craiide       IVrr. 

uiiiiic  il-  di-ciil  ,pie  le-  dieu-  -!■  pn 
lireiil  a  peu  pies  |,,nl  ce  ipii  csl  iii'eer 
lire   à  la  \  le',  non  -eiilcmciil   leurs  \è|( 


•je,  I 


I.  II.1-:  ]•)•:  si: IN 


nu'iils  cl  les  nljjc'ls  m.'imiriiclui't'-s  diiiil 
ils  mil  In'soin.  niiiis  aussi  hi  iiniii'riUii-c; 
nu  iif  l'ail  nu'ine  pas  de  |)ain  clans  lile, 
sauf  une  sorle  de  pain  d"nrf;e  1res  f^ros- 
sier  que  Pou  cuil,  ;'i  la  (ni;nu  des  uèj^res, 
non  <l.Mis  un   Inui'.  mal-  rnh-c  deux  pla- 


r  N  K     JI  A  R  I  É  E 

qui's  de  l'dule  entourées  el  reeouverles 
de  l'eu;  <|uanl  à  celui  cpie  1  ou  apporte, 
il  devient  rapidement  comme  du  mastic 
;'i  cause  de  l'humidité  de  1  air.  qui  iiàte 
el  détruit  tout. 

Aussi,  deux  l'oi>  par  semaine,  (piand 
le  lemps  le  permet,  le  bateau-poste  se 
rend-il  à  Audiei-ne  et  rapporte-l-il,  en 
même  lemps  que  les  lettres,  une  cargaison 
de  provisions  variées,  miches  de  pain, 
viande  pour  ceux  qui  en  mangent,  épi- 
cerie, etc.  Malheureusement,  l'état  de  la 


niei'  interdit  souvent  le  voyage  au  simple 
hateau  à  voile  qui  l'ail  ce  service,  i-t  il 
faut  alors  se  rahattre  sur  le  hiscuil  et  le 
poisson  salé;  l'île  est  quelquefois  prés 
d'un  mois  sans  |)ouvoir  être  ravitaillée. 

Oest  ce  (|ui  surtout  y  reiiil  pénible 
un  m'-Joui-  imi  peu  prolongé,  pour  peu 
(pie  l'on  soil  l'ébarbalif  à  la  soiqie  au 
cfuigre  (piotidiemie  ;  il  v  a  bien  aussi  des 
crabes  et  des  homards,  mais  l'estoniac 
~e  lasse  vile  de  celle  iiourriUire  indi- 
geste, el  quant  aux  oiseaux  de  mer,  doiil 
ipielques-uiis  sont  assez  bons,  il  l'aiit 
pouvoir  les  tuer.  Le  cormoran  |)rincipa- 
lenient  y  est  l'orl  otiiiK''.  et  la  chasse  en 
est  amusante;  mi  se  <a(lie  dci-rière  un 
i-ocher  sur  le(|iiel  on  jilace  un  cfirmoraii 
empaillé  que  l'on  a  eu  soin  d'a[)])orler 
avec  soi,  el,  lorsque  l'on  voit  poindre  un 
de  ses  frères,  ou  agite  a\ec  la  main  les 
ailes  emmanchées  sur  un  bàlon  ;  l'oiseau 
se  laisse  prendre  à  ce  piège  quelque  peu 
primitif  ce[)endaiit,  il  se  rapproche,  el 
on  tire  dessus. 

Mais  tout  cela  ne  forme,  en  somme, 
(pi  une  nourriture  détestable  el  préparée 
surtout  en  dé|)il  des  règles  culinaires 
les  plus  élémentaires.  Je  me  souviens 
d  avoir  mangé  une  poule  qui  avait  bouilli 
pendant  plusieurs  heures  dans  la  mar- 
mite au  poisson,  en  compagnie  de  pru- 
neaux, et  qui  était  bien  le  mets  le  moins 
réjouissant  qui  m'ait  jamais  été  .servi. 

Ce  n'est  jias  cependant  la  bonne  vo- 
lonté qui  manque,  car  l'ilien  est  très 
hos|)italier;  il  est  lier  de  l'hc'ile  qui  est 
descendu  chez  lui.  et  ne  demande  qu'à 
le  satisfaire. 

Il  n'est  pas  moins  religieux  non  plus; 
en  dehors  de  la  piété  commune  aux  Bre- 
tons, en  dehors  de  sa  situation  isolée 
qui  lui  fail  conserver  plus  longtemps 
de  vieilles  coutumes,  il  doit  l'intensité 
particulière  de  ce  sentinienl  aux  dan- 
gers de  la  mer.  Tous  les  marins  sont  re- 
ligieux pour  cette  raison,  et  ceux-ci  le 
sont  davantage  parce  que  leur  mer  est 
aussi  plus  féroce  qu'une  autre.  On  com- 
prend que  celui  qui  s'aventure  sur  les 
Ilots  avec  quatre  planches  el  un  bout  de 
toile  ait  besoin  de  sentir  près  de  lui  une 


I.II.T-:    DK    SKIN 


|)r(i|riilMii  ^ii|ii-i-i(-urc  ;  il  n'y  a  i;ui-rr  Ici  !  v\    une    iiiiiiTMliic  :    piil^   nu    \r   ^u^yrwA    ;i 

,le    lainillc-    nii    Ir    -(.iilIVc    vciM    n'.Ml    .1.--  ]  rinir    ilr>    |hiuIivs    ,1,,    |,l,,r.iiMl.    Imil    le 

Mire  iiii    prii-.   lin    IVrrc,   un  cnrinil.  miii-  i  nmiiile  ^c  levé  iinlMnrilc  la  lalilc,  i-l   | du 

vciil  a  lriir>    \cii\,    cl    lU   mil    la    IcMTcur  I  clianlc    le     \'ciii    Hrciilnr.     L'autre    a    un 


e   celle    nier    mit    laiiiicllc    iN    \  iveiil    cl     \    cacliel 


•iinciix  .   I.e  jour  ile- 


(|U  lU  ainicnl  |ii'ni'lanl .  -  (  Icini  (|ni.  mu' 
l'eau.     (Iil     (|U  il     n'a     |:a-     |iein-,     celni-la 

ce-l   un  cnlaiil    -.    nie  ,li-ail    1 l'cux  ; 

[laniic  |ir.. rallie  cl  \  laïc;  c  .•>l  rii(,iiiine 
qui  a  |ieui-.  pai'cc  i|ii  il  >ail  le  ilani;cr 
que  l'cnlaiil  ne  c.,iinait  |ia-.  K\  c'cM 
|iiiun|Uin.  au  milieu  île  i  a]-clii|icl  ilc  ru- 
chers i:|iii  eiilMure  leur  ile.  daii^  la  Irai- 
trisc     lies    cdiiraiiN     cl     de-    Idurliillciii--, 

Pdiule  ilu  lia/,  vicnuciil  liala\cr  la  l'a- 
lai-c  a  -(iix.inlc  iiicin-  ilc  liaul.  leur- 
\  cu\  se  llvcnl  Mir  la  | ici  lie  sainlc  \  icruc 
eiicaslr.''e  dan-  une  |ii.ulre  a  l'asanl  de 
leur    lialcau.   cl     ils   -e   ra  — urciil   eu    -nu- 

f^caul      l|U  Clic     \  cille     -ur     eux:      lnls(|ll   eu 

veiiaiil  d'Audicruc  le  lialcau,  avani  de 
s'ciii;a.yer  dan-  le  lia/  de  Sem,  |.a-c  eu 
MIC  de  la  clia|.clle  de  N  ,  .1  le- 1  la  me  de 
lidU-Xnya-c,  II. ni  ri'a|iii|ia,^e -'aucm.iidlc 
CMiiimc  nii  -eid  lininme  l'I    marinolle  cii- 

seuil.lc    un    Ain/i'liis.    l'm    , -ni., nie  a- 

suri'uiicnl  cl  que  l'un  snidiailcrai  I  asmr 
eiiminc  eu\  lorsque  Imi  nuiI  auloiir  de 
sol    nioulci'    |ii-(|n  an    iiel    la    danse    des 


MorI-.  quand   la   nuit  i  -I    \eiiiic.   un 


!■■  !■:  M  :m  V.    11 V.    1,   1 1.  V. 


.Mai-    ,111  — I,     loi     liiiile    -n|ier-lllicuse,     '     laiii    nouihre    de    |ciiiics    -i 


us   se    réunis 


reliL;ioii     Inulc     inali-riellc  :     I  )icn     cl     la        -eiil  an  eiineliere;    I  uu  d  cu\  |ireiid  une 
saillie  \icr,L;e-oiil   l.uil  -iiii|ilc iil   deux         eloelicllc,    cl    il-    |. a-cul   ilaii-    loiilc-   les 


mes  en  ena  ni  dune  \  oi\  laiiieiilalili 
ii,:;e  "  (diri-llcii-  ({iii  Nciilc/.  |iric/  Dieu  |i.i 
iiqi  le-  lrc|ia  — e-,  |),'\aiil  loiile-  le-  m; 
1-  qui  oui   l'ail   a  r.''j;lise    r.iniuoi 


i''lrc's    |ilii-    |iiiissaiil-    qn  CUV.     .      I  lieu    a 

dll...  I.a  Saiiile\icr-e.i  dil...  |  .'areliaii,:;e 

-ami     Micliel    a    licllii    un    rude  I 

au   di'iiioii....   elc.     .   'l'onl   cela    ( 

ça  s'idail   |ia-i''.   il   \    a    liiiil  Jour-,  -ur   la    :    ecs-aire.   il-  -arrelciil    cl    s'a-ciioudlcnl , 

cille    eu    l'ace,  .lauiai-    il-    ne   dir.iie ,        lonjoiir-    en     -onnaiil;    alor-.    de    l'iiil. 

meii-oii-e   .1     la     \  cil  le   d.'    coin 'rcl         rieur    de     la     niai-on     clo-c.     nue    iirici 


leur    coiiri--iMii    lailc;    il-   aur.iicnl    Ir.qi        -idcvca   laquelle    il-  nq  m  nidi'ii  I  .    l'i 
jicur  que   leur  lialcau   ne  clia\  irai    I. 


rccouimei 


eeiil    plu-   loii 


Iciuaiii.     l'cud.inl     I; --e    cl     |ieiiilaiil  I  !caucoii|i  de  leur- m.  ciir- oui  .■oii-er\  i'- 

e-    \  iqirc-.   on    ne    lirn  I    |ia-  :    (|iiil  le    à    se 
priser  aprcs. 


e  uiciuc  earacicre  aiilique.  1,'anlorili 
alcrncllc  esl  ali-oluc;  c  c-l  le  père  d, 
lin  dciiN  aulres  |iicu\  ii-aues  de  '  ramillc  romain  auquel  le-  ciilani-  doi- 
l'aneicn  (ciiqi-  oui  -iir\i'cu.  L'un  cou-  '  \ciil  olieir.  si  ^raud-  -oicnl-il-.  (!cll. 
sisie    a   l'aire,   le   jeudi    t;ra-.    uu   pelil    lia-        aulorili'  -'cl  euil  e- alciiien  |    -nr  la   l'emme 


le; u    croiilc   de  |i.nn. 

en   pa|Uer.   .iiiqncl    on    do 


de-    \oilc-        (lui 


ici    pa-  d'clev  er  la   \oi\  el 
'lllellrc    111 pinioii    quand    I  IlouillU' 


;  I-:  I  N 


n  |i:ii'lc''  ;  cV'sl  lii  IVilliiK'  (|ui  (i';n  Mille  ihiiis 
la  inaisdii,  (|ui  i-ii!(i\i'  la  Icriv,  (|iii  |)iirlc 
-iir  sa  (('•II'  liiiis  les  l'aidcaiix.  lui  di-hops 
ilr  l;>  prclir,  l'ilirn  lie  sai(  rien  que  l'iMlUT 
cl  (|iir  Ixiirc:  il  (lédaif^no  loiilc  aiilrc 
ooeii|)atimi.  A  r(''])oquc  des  f;raii(li's  ma- 
rées, quand  la  |)èelie  fsl  inijjossible,  on 
mil  les  Paini|)nlais,  race  de  (ravailjeiirs 
inl'a(if,'ablcs,  se  rendre  aux  champs  avec 
leurs  fenuiies  :  jamais  riumime  de  l'île 
de  Sein  ne  les  iinilera.  Il  passera  huit  nu 
c[uin/.e  jours,  s'il  le  l'aul,  à  se  croiser  les 
bras,  à  boire  et  à  fumer  sa  pil)C. 

Ils  ne  se  tutoient  pas  entre  eux:  le 
mari  et  la  femme,  les  parents  et  leurs 
enfants,  les  frères  et  les  sceurs  se  disent 
vous;  le  tutoiement  est  un  sipie  de  co- 
lère, de  mécontenlcmcnt  contre  celui 
auquel  on  parle. 

.'  Les  tilles,  dit  ("amhrv,  ne  sont  jamais 
coupables  contre  l'honneur  »  ;  j'ignore 
exactement  s'il  en  est  encore  de  même 
aujourd'hui,  mais  je  le  supposerais  assez, 
étant  données  leur  crainte  extrême  de 
la  religion  et  de  ses  foudres,  et  une  sus- 
ceptibilité extrême  de  leur  part,  (|ue  j'ai 
])u  remarquer. 

Ils  se  marient  entre  eux;  il  est  très 
rare  que  l'époux  soit  de  m  la  Grande 
Terre  ».  Le  costume  de  la  mariée  se  com- 
pose d'un  grand  bonnet  de  dentelle 
blanche,  et,  sur  une  jupe  sombre,,  dune 
sorte  de  surplis  de  dentelle,  quelque 
chose  comme  un  costume  d'enfant  de 
chœur;  puis  un  châle,  et,  sur  la  poi- 
trine, des  tleurs  d'oranger,  —  c'est  le 
jardin  de  la  mariée.  Quant  au  marié,  il 
est  en  complet  moderne  venu  de  Brest 
ou  de  Donarnenez  el  rappellerait  sou- 
vent un  .Vdnnis  de  la  \'illette  ou  de 
Belleville.  C.iiv  tous  les  hommes  ont 
perdu  leur  ancien  coslunie.  la  large  cu- 
lotte boutrante  qu'ils  avaient  il  \-  a  cin- 
quante ans.  En  marins,  ils  sont  encoi-e 
fort  beaux  cependant.  Les  femmes  seules 
ont  conser\é,  même  dans  la  vie  cou- 
rante, un  habillement  très  spécial.  Une 
coill'e  de  drap  noir,  un  corsage,  une 
robe  et  un  tablier  de  la  même  étoH'e  et 
de  la  même  t-oulenr;  un  costume  per|)é- 
luel   de   veuves.    (!e  sont  elles  oui   don- 


nenl  aiijonrd  liiii  a  lilc.  on  lOii  \>iil  par- 
tout aller  el  venir  <-es  formes  noires,  son 
aspect  le  pins  élrang'e. 

Tels  siMil  les  habitants.  Ils  sont  loin 
d'être  malheureux,  ikuis  le  ré|)étons,  et 
ce  qui  le  prouve  est  l'accroissement  con- 
sidérable de  la  population  depuis  un 
siècle;  ils  ont  peu  de  besoin^,  et  la  pêchi; 
rajiporte  beaucoiq).  (]c  qui  les  perd, 
c'est  l'ivrognerie,  la  fâchense  ivrognerie; 
on  est  obligé  d'envoyer,  pendant  l'été, 
deux  gendarmes  à  demeure  dans  l'ile, 
])onr  empêcher  des  batailles  trop  graves, 
le  dimanche,  entre  tous  ces  gens  pris  de 
boisson.  La  pêche  n'est  pas,  d'ailleui's, 
leur  seule  ressource;  il  y  a  la  cendre  de 
goémons,  que  les  femmes  font  brûler 
partout  sur  le  rivage  où  ils  séchaient, 
roux  comme  des  la|)is  d'Orient,  el  qui 
se  vend  très  cher  pour  en  extraire  l'ifxle 
et  la  soude.  Knlin  il  y  a  toujours  les  nau- 
frages. 

Certes,  le  temps  est  loin  où  ils  allu- 
maient des  feux  à  la  corne  des  vaches, 
où  ils  massacraient  les  naufragés;  ils 
sont  aujourd'hui  admirables  de  dévoue- 
ment pour  se  porter  au  secours  des  vais- 
seaux en  pertiition  et  sauver  ceux  qui 
se  noient,  au  péril  même  de  leur  vie; 
mais,  ce  devoir  d'humanité  accompli, 
ils  sont  persuadés  que  la  cargaison  leur 
appartient. 

Cette  notion  particulière  du  droit, 
que  l'on  n'a  pu  encore  leur  extirper  du 
cerveau,  ne  leur  est  pas  spéciale;  elle 
est  commune  à  la  plupart  des  popula- 
tions de  la  côte  bretonne.  Au  commen- 
cement de  ce  siècle  même,  il  fallait  cn- 
vover  la  troupe  contre  les  marins  de  la 
baie  d'Audierne  qui  souvent,  hommes 
el  femmes  réunis,  la  repoussaient  avec 
perte  et  lobligeaient  à  regagner  ses  ca- 
sernes; ils  se  jetaient  alors  sur  les  dé- 
bris, comme  des  furieux,  se  gorgeaient 
d'eau-de-vie  et  buvaient  jusqu'à  la 
caisse  aux  médicaments,  dont  ils  mou- 
raient dans  d'atroces  convulsions  iCam- 
bry  .  Aujourd'hui  cela  se  fait  moins 
brutalement,  le  soir,  à  la  dérobée,  quand 
dorment  le  svndic  et  lesgendarmes  ;  mais 
cela  se  fait  toujours. 


I,    ll.K    DK    si;  IX  207 

Ile;-    liahiliiiils   de    iilr    i|iii    n'.niiiciil  |ilu>   iiil('rc>>:inls  (juc  iriiulrcs,  en  dépit 

pas    II'     >.>u     la     \rlllr     sr     nu-llriil      |..ul  !  (le  la  pi'lilrssc   cl    dr    la    >lrialil('    de  leur 

à  rdiip  a  hàhi-  de>  maison-,  a  \i\i-e  lai'-  |  ile  sans  le~   dan-er-  cpi  ds   enurenl  pres- 

i;enienl  :  c'esl  ipiMIs  uni  I  i-onx  i'  nn  niaL;iil.  [  que  jdurnellenirnl  sur  la  nier  redoulahle 

TonI    ee   (|ue   la   mer   leur   apporte    r~l    a  '  qui   lesenhmre:    an  — 1    -mil-ils  francs  de 

eux.    esl    pour  eux  —  compens.il  ion    îles  1  l.iul    impôt,    el    les  jele.'s    (pu    protèf;eill 

barque-  qu'elli-  leur  a  lui-.-.-,  il-  niorl-  le  poil   el    le  pa\-   -onl-rll,-  eiilreteunes 


,_Jffii':,  dôëi 


^|!|.l!f^EâiP!Bui 


lW*ifîT7fT" 


çSilii**'*"'^^ 


I,  K    ruiiT 


qnellr  leur  a   pri-.   (In   ne   p. Mit    pa-.  je  le    |    aux    frais  ,|e   I   filai.    Il-  -e   plai-iienl   -en- 

repele.   Il-  en   di-lialiilnri-.  lemrnl    qn,,!!    Ir-    i.n-i'  manquer   d'ean . 

.\ii    re-le,    loni    ee   (pu-   pi-nl    -amer   li'  ear    il    n   \     ,i    point   de    -oiiree-,   liieii    en 

-\iidie    élaiil     fonemenl     \riirln    aux    .■ii  Iciidii.    l'I    le-  i  i  leriic-   l.iri— en  I    peud.nil 
eluMVs     dan-     lilc    nicm,-     \     r-l  .    ,-oiiiine    ,     les  éles    trop    sees  :    il-    en    -oui    ajoi-    re- 

liieii   Ion   pen-r.    viiidn   .i    \il    prix;    e'c-l  duils   à    lioire    l'eau    dnnr-.irh'   clepnil- 

aiiisi    ipiil-    -e    uiriilileiil    il    -e    moiilenl  déi;onlanl.    dune    rrmaripialile    riellr— .■ 

iMi   luenaur.    \lelle/-\oii-    ,i    lalile.   el    \  os  en    Ion-    le-    uiieioli,-   iiiia- inahle-.    Sil- 

;i>-l,.||(-.    \o-    eoulciiix.    \o-    enillers    el  ri'cf ni.     Ir    d.'parlemenl    deelari'   (pir 

xais    fonrellrlle-    porlei I    Ion-    nn    nom    '    cC-l     lalfaiiv    <!.■    Ifilal.    l'fllal    ipie    i-.'la 

ipielconqne  ;    si    \  on-    \  on-  inloriiiiv.    on  rct;,U(lr    Ir    drpail  rnii'ii  I .    el    on    ne    leur 

\  oiis  ri'pondra  :   -   (ICsl    IriKuudnn   lia  riiv  oii' p,i-  une  liarrupie  dCaii.    f!l.eliose 

leaii   aii-lal-.    d'un    lialran    -lU'doi-.   d  un  lii-lr    a    dur.    leur-    -enlimcuil-    ■      re.ic- 

lialeaii    fianeai-.    qui    a    lail     nanfra-e.    ■■  Il al  rr-    -  iir  sou  I   priiUel  re  pa-  ri  r.m- 

l>r   iiiruir.   Ir    ne.l.ilirr.   ,1    il-   a|oiil,.roiil  -er-l.uil    ,1   lail    a  er  dr-iii  I  rrr-rniml   de 

a\  re    nu    -ou  pi  r  :    ■      I  lli  !    i-r    i|iH'    l'rii    .11  er    qn  il-    lioi\  .miI  :    doinr    i  niai  ni  r    eoui- 

doiiiir  dr    l.ir-rul   ,111    -\udir    pour  ,i\oif  ni ,i   la    polilupir. 

loni  la.    "  l.riii    L;rande  peur  e-l    Ai-  \oii-  uii  jour 

II-  iir  -rr.iienl   doiirponil.   rii-oiuinr.  Iriir   ilr    -iduurr.ui'e   el    ell-loiilie    p.ir    un 


I.  1I.I-;   DK  si:i\ 


ciiliulvsiMc  r.(Miilil:iliU'  ;i  celui  qui  :iur;iil 
JMdis  (li'Iniil  III  \'m-v  (IV'ux  l';iiioic'iine 
ville  (Ils,  ;in  loiid  fie  la  haie  actuelle 
(les  Tr(''pass(''s.  Je  ne  crois  pas.  |)mir  ma 
part,  à  une  calaslroplie  seniMahle:  le 
Urauil  (le  l'île  est  snliile  el  Iniil  ce  ((ue 
|)eul  l'aire  la  fureur  de  la  mer  est  d'en 
dé|)la(cr  (|iiel(pies  blocs  ('normes,  mal 
(■'(piilii)r(''s;  le  terrain  n'a,  en  outre,  rien 
de  viilcani(|ue  el  a  lini  son  travail  depuis 
loiifrteinps. 

Ils  n'en  sont  |)as  plus  en  sûreté'  ce- 
pendant, car  un  raz  de  man'e  peut  fort 
l)ien  les  noyer  tous,  sans  |)our  cela  (1('- 
Iruire  l'île,  lui  IHi."),  au  milieu  d'une 
tenip(!'te  furieuse,  les  va{;ucs  pass('renl 
|)ar-dessus  les  jetées,  envahirent  les  rues 
el  les  maisons:  ils  montèrent  sur  leurs 
toits  et.  du  haut  du  clocher  de  r('f,dise, 
lecuri'  leurdotnia  l'absolution  supr('me. 
I.e  lendemain  malin,  la  mer  rentra  dans 
son  lit,  et  ils  en  fm-ent  (|uiltes  pour  l'ef- 
froi. 

En  18.î(j,  le  nK'^me  fait  se  reproduisit 
encore,  et  l'îlien  chez  qui  je  lofjeais 
Mi'a  raconU''  bien  des  fois  comment  il 
\il  loul  à  coup,  pendant  qu'il  taillait 
des  lièfjes  pour  ses  lilets,  la  porte  s'ou- 
vrir sous  un  flot  énorme,  el,  en  un  in- 
stant, le  berceau  du  petit  se  mettre  à 
danser  sur  l'eau;  ils  en  furent  quittes 
encore  mie  fois  pour  quelques  heures 
d'amroisses. 


1,'ile  ne  renferme  aucun  monument 
bien  intéressant,  ancien  ou  moderne. 
Du  passage  des  druides,  il  ne  reste, 
outre  la  niche  des  rochers  du  Gador, 
que  deux  pierres  levées  dont  l'une  a  la 
tète  ébréchée,  et  un  dolmen  brisé,  sur 
les  ruines  duquel  se  dresse  une  croix  de 
pierre;  une  relij;ion  a  écrasé  l'autre. 
Dans  la  partie  basse  de  l'île,  se  trouvent 
la  chapelle  dite  de  Saint-Corentin  el  les 
ruines  d'une  maisonnette;  un  homme, 
raconte  la  lég:ende,  se  serait  retiré  là.  du 
continent,  à  la  suite  de  chagrins  d'amour. 


Il  y  a  encoi-e  un  moulin  à  vent  aban- 
doinié.  el,  loin  des  miiisons,  dans  un 
petit  champ,  on  rencontre  quehjues 
tombes;  c'est  le  cimetière  des  cholé- 
riques el  des  naufi-affés  (pie  l'un  su|)pose 
n'être  pas  chrétiens. 

Ajoutons  (pie  c'est  dans  l'île  de  Sein 
que  (Ihateaubriand  a  fait  vixreci  nifuirir 
\'ell(-da. 

Quatre  phares  ('clairent  ces  parafées 
danf,'ereux.  I/un,  à  rcxtrémilé  du  cap 
du  Ha/.;  un  second  dans  l'île  même,  à  la 
pointe  .Nord.  I,es  deux  aulies  sont  en 
pleine  mer  ;  ce  sont  le  Téveniiec,  sem- 
blable à  une  citadelle  féodale,  el  le  phare 
célèbre  de  l'.Vr-mcn,  sur  un  rocher  que 
recouvre  la  mer.  à  dix  kilcmiètres  au 
laif^e. 

Orliihre  IxOr.. 

Depuis  que  ces  li.ijnes  ont  été  écrites, 
un  chapitre  terrible  est  venu  s  ajouter  à 
l'histoire  de  l'île  de  Sein  et  l'hiver 
ISUO-lKitT  aura  été  pour  ses  malheureux 
habitants  un  de:^  jjIus  féconds  en  dé- 
sastres. Comme  aux  plus  sinistres  années, 
la  mer  passa  par-dessus  l'île;  le  phare 
s'éteij^nil  cl  arbora  le  drapeau  noir. 
\'ainement,  à  plusieurs  reprises,  le  ba- 
teau des  Ponts  et  Chaussées  sortit  de 
Hresl  en  dépit  de  la  mer  démontée  et 
tenta  d'aller  vers  eux  ;  il  était  impossible 
d'approcher  de  l'île,  que  l'on  n'enlre- 
vovail  qu'à  travers  l'écume  des  lames 
exaspérées  par  ce  boni  de  terre  qui. 
mali;ré  tout,  leur  résistait.  Mais  il  y  eut 
bien  des  maisons  détruites,  et  ce  ne 
furent  plus  celte  fois  des  heures,  mais 
des  jours  d'anijoisse.  Et  plus  d'une  fois, 
le  soir,  en  lisant  les  nouvelles  delà-bas, 
j'ai  cru  revoir  les  .gens  que  je  connais- 
sais enfermés  dans  leur  maison,  les 
ruelles  étroites  où  bouillonnait  la  mer. 
et  le  lu.gubre  cimetière  entre  les  tombes 
du(|uel  rugissaient  les  va.gues. 

P  .\  i-  L  (i  R  r y  E  B . 

(Texte  et  photographies.! 


VIEUX    NOMS    KT    VIEILLES    RUES 


iJes  noms  de  propriétaires  ou  des  en- 
seignes de  cabaretiers  ne  sont  pas  les 
seules  circonstances  secondaires  qui  pré- 
sidèrent jadis  à  la  désignation  des  rues 
de  Paris.  Quelques-unes  dépendent  d'an- 
ciennes coutumes  ou  de  souvenirs  histo- 
riques; d'autres  proviennent  de  la  défi- 
guration apportée  dans  les  mots  p;ir 
l'usage  et  le  temps  ou  par  des  rencontres 
d'assonances. 


RI\K       liliiiITK 

l  ne  très  ancienne  et  très  sombre  pe- 
tite rue  qui  longe  l'église  Saint-lùista- 
che  se  nomme  rue  du  Jour  :  ce  n'est 
pas  par  antiphrase  :  jour  n'est  ici  qu'un 
tronçon,  c'est  séjour  qu'il  Tant  lire.  Là, 
en  effet,  Charles  V  avait  fait  construire 
un  manège,  des  écuries  et  d'autres  bâti- 
ments dont  l'ensemble  reçut  à  l'origine 
le  nom  de  Séjour  du  Hoi.  —  Une  cha- 
lielle,  consacrée  à  Sninle  Mûrit'  l'iirjijp- 
liennc,  avait  l'ait  appeler  l' /ùfi/pliennc 
une  rue  dont  la  confusion  des  sons  a 
[)roduil  Jusmeiine.  —  En  l()i8,  non  loin 
du  Scnlicr  (|ui  coiuluisail  aux  remparts, 


une   autre 

confusion,    e>t   devenue   des 

Jeûneurs. 

La  rue  (/(/  llouloi  est  aussi  un 

souvenir   t 

lu    jeu   de   boules,    si    cher    à 

m 

m 

une  voie  où  furent  installés  des  jeux  de 
boules  recul,  à  cause  de  cela,  le  ni>ui 
(lex  Jeu.i   neufs;  c'est   cette  rue  qui,  par 


nos  ancêtres:  elle  s'est  appelée  f/e.v /Jou- 
liers,  (lu  liiiuluir.  et  eiiliu  du  lloulm.  — 
La  rue  des  /'niuruires.  où  logeaient  les 
prêtres  de  Saint-Hustache,  s'appelait 
des  l'roroires,  vieux  mol  signifiant  pré- 
Ires:  c'était,  au  xV  siècle,  une  des  plus 
belles  rues  de  Paris,  ttmt  comme  les 
rues  Beauhour<i ,  /{euureçp'trJ  et  /ie;iu- 
repuire. —  Le  nom  exact  delà  rue  hon- 
Utiiie-au-Uoi  était  des  l'onlulues  du  /loi, 
il  iMii^c  (les  luvaii\  (le  foii(aiiie  (pToii 
V  clablil  sous  Louis  W'I  poLir  amener 
ie>  eaux  de  lielleville.  —  .\vant  L'iOO, 
l'impasse  Courhulou  s'appelait  C.harde- 
jKire.  du  nom  d'un  propriétaire;  ce  nom 
ayant  sans  doute  fourni  matière  à  phii- 
sanlerie,  il  fut  remplacé,  au  xiV  siècle, 
par  Col  de  li/tron  (hucon  signifiant  en 
vieux  langage  eluiir  de  porc],e\.  c'est  en 
jiassanl  par  les  lurmes  de  eiip  de  h.ieon. 
eoup  de  lj,ie<i,i.  qu  il  tleviul,  au  \\i'  siè- 
cle, Courhiilon. 

D'autres  fois,  c'esl  un  nom  cpii  se  sub- 
stitue à  un  antre.  La  fameuse  rue  des 
liôlisseurs,  au  moyen  âge,  rue  ou  I  ou 
encuit  les  oies  n'eus  ulii  eoi/uunlur 
;inseres<.    s'appelait    ualurelKuneut    rue 


vii:ux  NOMS  i;t  vikillks  nui;; 


iiiix  Oues,  c'est-à-dire  ;iux  Oies;  le  mol 
oi/t'A' s'étani  perdu,  le  mot  ours  l'a  rem- 
[)lacé.  —  La  rue  iilciie,  avant  de  rece- 
voir ce  nom,  s'appelait  rue  A'Enfer,  à 
cause  sans  doute  du  tapa^'e  inl'eriuil  que 
faisaient  les  soldats  en  rentrant  à  la  ca- 
serne de  la  Nouvelle-France,  après  avoir 
passé  la  soirée  aux  Forcherons  ;  elle  prit 
le  nom  de  Bleue  en  18(J2,  lorsqu'une 
manufacture  de  boules  de  bleu  vint  en 
tinter  les  ruisseaux.  Ce  n'est  pas  parop- 
[losilion  il  cotte  rue  d'I"]nfer  (|ue  la 
iiwlle  S;tiiil-f.;tz;ire.  qui  la  prolonf,'eail, 


HUE     U  l.     r  A  l!  A  1)  1  î 


fut  appelée  rue  de  Paradis  :  c'est  parce 
(|u  elle  fut  ouverte,  au  commencement 
du  \\  a''  siècle,  sur  des  marais  apparte- 
nant à  des  religieuses,  en  un  lieu  dit  les 
Paradis,  et  anciennement  les  Prés  des 
Filles-Dieu.  —  l,)uanl  à  la  rue  Blanche, 
son  nom  complet  était  rue  de  la  Croix 
hianche:  il  venait  d'une  enseigne. — 
Sur  l'emplaceziient  de  la  rue  de  la  Tour- 
des-Dames.'û  \  avait,  au  xv«  siècle,  un 
Moulin  .lu.v  JJaiues,  qui  fit  place  à  une 
7'oi;r  appartenant,  comme  le  moulin,  à 
l'abbaye  de  Montmartre,  et  qui  ne  fut 
détruite  qu'en  182:2;  avant  de  s'appeler 
La  Rochefoucauld,  du  nom,  comme  on 
l'a  vu,  d'une  des  abbesses  de  Montmar- 
tre, le  chemin  conduisant  à  cette  tour 
s'appelait  ruelle  de  la  Tour  des  Dames. 
—  C'est  aux  nombreux  actes  de  charité, 
au  dévouement  du  docteur  Goetz,  mort 
en  1813,  que  l'on  rendit  hommage  en 
donnant  à  la  rue  qu'il  habitait,  au  n"  9, 
le  nom  de  rue  de  la  Bienfaisance;  elle 
s'était  appelée  auparavant  rue  de   l'Uh- 


servance.  parce  que  des  oliserranlms  y 
avaient  demeuré  à  la  lin  du  \\ m"  siècle. 

La  place  qui  occupe,  depuis  trois  siè- 
cles, une  partie  du  terrain  sur  lequel 
s'élevait  l'ancien  palais  des  'J'ournelles, 
et  qui  s'appelait  à  bon  droit  Place  Boi/ate. 
revut  le  nom  de  Place  des  Vosijes,  le 
l"  vendémiaire  an  \'III,  parce  qu'il 
avait  été  décidé  <(  que  le  nom  du  dépar- 
tement (|ui  aurait  ])ayé  au  20  germinal 
la  |)lus  forte  partie  de  ses  contributions 
serait  donné  à  la  principale  place  de 
Paris  ».  On  n'avait  pas  attendu  jusque- 
là,  du  reste,  pourelfacer  le  mot  royale: 
dès  1792,  celle  place  avait  été  nommée 
|)lace  rfe*  Fédérés,  l'ne  petite  rue  voi- 
sine de  celte  place  fut  appelée  d'abord 
J'etile  rue  Boijale;  mais  lorsqu'elle  fut 
prolongée,  en  Kwtl.on  conseilla  aux  pié- 
tons de  se  tenir  en  garde  contre  sa  pente 
escarpée  et  glissante,  en  imitant  avec 
|)rudence  le  J'as  de  la  Mule.  —  La  rue 
(les  h'corcheurs  aurait  gardé  ce  nom, 
qui  lui  convenait  très  bien,  si,  en  exci- 
tant des  troubles  sous  le  règne  de 
Charles  Vl,  les  garçons  bouchers  qui 
l'occupaient  ne  l'avaientfait  appeler  des 
.Mauvais  garçons.  —  Enfin,  une  impasse 
de  la  rue  Saint-.\ntoinc,  qui  porte  au- 
jourd'hui le  nom  connu  de  Guéménée, 
s'appelait  autrefois  impasse  du  Ha!  Ha! 
exclamation  de  celui  qui,  entré  par  mé- 
garde  dans  un  chemin  sans  issue,  se 
voit  forcé,  en  arrivant  au  bout,  de  re- 
brousser chemin. 

C'est  souvent  à  des  circonstances  par- 
ticulières ou  locales  que  les  rues  em- 
pruntaient leurs  dénominations.  —  La 
vieille  rue  Au  Maire  avait  du  son  nom 
à  ce  que  le  maire,  le  bailli  de  Saint- 
Martin-das-Champs,  y  demeurait  et  y 
donnait  ses  audiences.  —  Les  échelles 
patibulaires  étaient  des  espèces  de  pi- 
loris où  l'on  exposait  ceux  que  l'on  vou- 
lait noter  d'infamie;  on  y  voyait  cinq 
trous  pour  faire  passer  la  tête,  les  bras 
et  les  jambes  du  condamné.  C'est  de 
l'une  de  ces  échelles,  qu'une  rue  de 
Paris  a  retenu  le  nom.  —  Avant  d'être 
le  centre  des  droguistes,  la  rue  des 
Lombards  a  été  le  lieu  où  se  sont  éta- 


VIEUX    NOMS    ET    \1  Eli,  LES    HUES 


blis,  dès  le  règne  de  Philippe-Auguste, 
des  banquiers,  sortes  de  prêteurs  sur 
gages,  particulièrement  originaires  de  la 
Lombardie:  les  bureaux  de  prêts  qu'ils 
avaient  organisés  se  sont  longtemps  ap- 
pelés des  Lombards  ou  des  Milans.  Ils 
ont  été  remplacés  au  xvni'-  siècle  par  le 
mont-de-piété.  Le  nom  de  l'olie  cl  ail 
donné  autrefois  aux  maisons  de  jjlai- 
sance  :  c'est  de  celles  d'un  riche  épicier 
nommé  RegnauU  et  d'un  propriétaire 
nommé  Marcnid  (dont  plusieurs  altéra- 
tions ont  fait  Mériciiuri)  que  sont  ve- 
nues les  rues  Folie-lteijnuull  et  Folic- 
Méricourl .  —  Lorsque  le  Hnurq.  qui 
dépendait  de  r<-(/;A('  de  Sainl-.Marlin.  fiil 
compris  dans  Paris,  le  principal  chemin 
de  ce  bourg  prit,  en  l'JIO,  le  nom  de 
Hourq-rAhbé.  —  C'est  pai'ceque  l'église 
Saint-Laurent  fut  surnonimci',  sous  la 
République,  temple  de  l'Hijincn  cl  de 
lu  Fidélité,  qu'une  rue  voisine  de  celte 
église  s'appelle  encore  ruef/e  la  Fidélité. 
—  Le  couvent  des  religieuses  hosj)ita- 
lièresdela  Hoquette  s'était  établi  sur  des 
terrains  où  abondait  cette  plante,  et  c'est 
sur  l'emplacement  de  cet  ancien  couvent 
que  fut  ouverte,  au  commencement  de 
notre  siècle,  la  rue  qui  porte  ce  nom. 

Au  moyen  âge,  il  existait  une  rue 
Taille-pairf.  dans  laquelle  donnait  une 
impasse  qui  fut  prolongée  du  coté  du 
cloître  Saint-Merri  sous  le  nom  de 
lirise-miche.  Ces  deux  dénominations, 
quisuljsisleiit  liMijniirs,  faisaient  allusinn 
à  la  distnhiilinii  des  pair]>  ou  miches 
de  chapitres  qu'on  faisait  aux  chanoines 
de    la    collégial(>    de  Sainl-iMerri.  La 

rue  du  l'(inl-aii.r-(',luiiij-  conduisait  aux 
Marais  du  'i'('ni])lr  le  quartier  en  a  gardé 
l(Miom,,  oii  l'on  cullivail,  pnm-  l'appi-o- 
visionnement  de  Paris,  (lr>  c/iiin.r  cl 
autres  légumes,  cdinnir  en  l'aisail  foi 
l'ancienne  rue  de  VOseilIc:  elle  aboutis- 
sait à  un  prlil  //u/i/  jclc'  sin-  les  fossés  de 
la  ville,  couverts  (lc|>iiis  des  siècles  par 
la  rue  Saint-Louis,  au|(Uird'lini  rue  <\f 
l'urenne. 

Les  lUins-Fnfanls.  de, ni  la  rue  dr  ce 
nom  réveille  le  sciincnii',  (•laiciil  de 
pauvres  enl'anl>   qui    |]ai-C(iuiaienl    celle 


rue  pour  se  rendre  au  collège  adjoint  à 
l'église  Saint-Honoré,  et  appelé  originai- 
rement Hospital  des  pauvres  escolicrs: 
ils  étaient  si  pauvres,  en  effet,  qu'ils 
mendiaient  leur  pain  en  allant  à  l'école: 

I,cs  bons  enl'anl  s  oi'rcz  crier 
l>u  pain,  lie  \  euil  pas  oublier. 

liappelons,  à  propos  des  écoliers  d'au- 
trefois, aussi  misérables  que  les  nôtres 
sont  heureux,  que  la  rue  du  Fouarrc 
était  la  rue  du  Feurre,  c'est-à-dire  de  la 
paille  sur  laquelle  s'étendaient  les  éco- 
liers pendant  les  leçons.  Les  écoles 
n'ayant  au  moyen  âge  ni  tables  ni  bancs, 
c'est  sur  une  litière,  comme  dans  une 
('•lable,  (pic  les  élèves  s'asseyaient  devant 
la  chaise  du  niailre.  "  Xe  pourrissez  pas, 
dit  N'iclor  Hugo,  ciimme  un  àne  illellré 
sur  le  fcurrc  de  l'école.   " 

Les  moines  dont  l'ordre  s  était  établi 
à  Marseille  sous  le  nom  de  Serfs  de  la 
\'ier(/e  Marie  furent  attirés  à  Paris  par 
saint  Louis,  qui  leur  donna  une  maison 
siliu'e  |)rès  la  vieille  ])orte  du  Temple. 
Comme  ils  s'habillaienl  de  blanc,  en  rai- 
son de  leur  culte  à  Marie,  ds  furent  dé- 
signés par  le  peuple  sous  le  nom  de 
Illancs-Manicau.r.  —  Les  relij;ieu\  ho>- 
pitaliers  de  Notre-Dame  étaient  appelés 
/telif/ieu.c  des  liillelles.  parce  qu'ils 
portaieni  sur  leurs  habits  de  jielils  sca- 
pulaires  semldables  de  forme  aux  Inl- 
leltes  du  blason.  La  rue  rpii  pi  nie  ce 
nom  s  c'sl  appel('-e  aussi  I )ieu- hiiuliz.  en 
s(iu\enir  d'un  sacrdège  cunnnis  par  un 
juif  niinniic''  .Lin.illian,  ipii  fui  condamné 
à  èli-e  bn'di'  \  if  l'-".)l*)  pour  axon-  plongé 
une  hostie  consacrée  dans  une  chauihère 
d'eau  bouillante.  —  Les  religieuses  lios- 
]iilalières  qu'on  nonmiait  llaudriellcs 
axaieni  eu  poin'  fondaleur  IClienne  llau- 
ilri.  N'oici,  au  inoin>,  ce  que  rapporle 
la  (radition  ilu  moyen  âge  :  un  bon 
bourgeois  ainsi  iioninié  ('-lail  alli'-  l'ii 
pèlerinage  à  Composlelli' ;  :-a  feinine,  ne 
le  \ovanl  pas  re\enir  el  le  croyanl 
morl,  réunit  dans  sa  maison  un  l'crlain 
nondire  de  pauvres  xiMives  avec  les- 
(|nelles  elle  m'ciiI  sous  le  l'eginu'  mo- 
uasli(pie.    ilaudri,   à    son    relour,    Irou- 


VIKUX    NMJMS    I:T    V  1  K  I  1,1,  i;s   ul'i:s 


vanl  sa  maison  convertie  en  hôpital, 
approuva  ce  pieux  établissement  et  con- 
sacra sa  l'orluno  h  le  développer.  — 
l.'Arcude,  que  rappelle  la  rue  tic  ce 
nom,  était  une  sorte  de  passa(,'e  voûté 
appartenant  aux  religieuses  de  la  Ville- 
l'ICvèqiie.  lieu  ainsi  nommé  d'un  séjour 
que  les  évoques  de  Paris  possédaient  à 
la  (in  du  xii°  siècle.  —  A  celte  même 
époque,  une  maison  dite  de  la  Pie  fut 
vendue  à  l'abbesse  d"  Yùres,  dont  le  cou- 
vent était  baigne  parla  petite  rivière  de 
ce  nom,  et  les  religieuses,  qui  curent 
ainsi  une  succursale  à  Paris,  donnèrent 
le  nom  de  Xonnatnn-d'Yères  à  la  rue 
où  elles  s'établirent. 

Deux  ponts  qui  servaient  de  passage 
pour  aller  dans  la  campagne  s'appe- 
laient le  (iranJ  Pont  et  le  Petit  Pont. 
Louis  \  II  ayant  ordonné,  en  llil,  que 
tous  les  changeurs  seraient  établis  sur 
le  Grand  Pont,  ce  pont  lui  a|)[)elé  suc- 
cessivement Pont  aux  Chiinçfeiir.i,  Pont 
(le  la  Marchandise,  et  enlin  Pont  un 
Change.  —  Quant  au  Pont  au  Douhie, 
il  doit  son  nom  à  ce  l'ait  que  «  les  gens 
de  pied  qui  le  traverseront,  disaient  les 
lettres  patentes  qui  en  ordonnèrent  la 
construction,  en  1631,  devront  donner 
un  double  lournoi.'i  ». 

Quelques-uns  des  anciens  noms  se 
rattachent  à  des  souvenirs  historiques. 
—  Charles,  comte  d'.Anjou,  frère  de 
saint  Louis,  ayant  été  couronné  roi  de 
Sicile  en  1266,  la  rue  du  quartier  Saint- 
Antoine  où  était  situé  son  palais  fut 
appelée  rue  ilti  lioi-de-Sicile.  —  La  rue 
de  la  Heine-Blanche  rappelle  le  château 
où  demeura  «  au  village  de  Saint- 
Marcel  »  Madame  Blanche,  cette  prin- 
cesse surnommée  Belle-Sagesse,  qui, 
par  son  mariage  avec  Philippe  VI  de 
\  alois,  fut  reine  de  France  pendant  un 
an,  et  survécut  près  d'un  demi-siècle, 
en  se  consacrant  aux  bonnes  œuvres,  à 
son  royal  époux.  —  Ouvertes  au 
xvi"  siècle,  sur  l'emplacement  de  l'hôtel 
royal  de  Saint-Paul .  les  rues  de  la 
Cerisaie,  des  Lions  et  Beautreillis  doi- 
vent leurs  noms,  la  première,  à  l'allée 
des  Cerisiers;  la   deuxième,  aux    bàti- 


nicnts  et  cours  où  étaient  renfermés  les 
grands  et  petits  lions  du  roi;  et  la  troi- 
sième aux  belles  treilles  qui  avaient 
déjà  servi  à  désigner  un  hôtel  construit 
au  même  endroit  en  Ljl'J. 

La  |)lace  du  Trône,  qui  fut  appelée 
en  I7'J3  place  </u  Trone-Benrersé,  vient 
du  trône  que  la  ville  de  Paris  fit  élever 
en  1()60  sur  le  vaste  emplacement  qui 
terminait  la  rue  du  faubourg  Saint- 
Antoine,  pour  que  I„ouis  ,\I\'  et  la 
reine  Marie-Thérèse  d'Autriche,  que  le 
roi  venait  d'épouser,  reçussent  à  leur 
entrée  dans  Paris  l'hommage  et  le  ser- 
ment de  fidélité  de  leurs  sujets.  Il  ne 
reste  plus  dans  Paris  d'autre  souvenir 
de  cette  reine,  si  tristement  elTacée,  à 
qui  les  Parisiens  avaient  fait  ce  brillant 
I    iitrurij.  i|u'iiiu'  rue  île   l'aiicieMUL-   bulle 


des  Moulins,  qui  reçut  en  son  honneur, 
dix  ans  après  sa  mort,  le  nom  de  Thc- 
rèse.  —  L'hôtel  du  duc  dWntin,  fils  du 
marquis  de  Montespan,  a  donné  son 
nom  à  l'un  des  plus  beaux  quartiers  de 
Paris,  ainsi  qu'à  la  fameuse  chaussée, 
disparue,  mais  non  pas  oubliée,  que  le 
duc  avait  fait  jeter  sur  un  marais,  entre 
son  hôtel  et  les  Percherons.  —  C'est  aussi 
sous  le  règne  de  Louis  XIV  que  Philippe 
de  Vendôme,  grand  prieur  de  France, 
donna  son  nom,  en  1696,  à  une  rue  dont 
l'emplacement  était  pris  sur  des  terrains 
appartenant  au  prieuré  du  Temple. 

Au  x\  lu'^  siècle,  la  rue  du  Dauphin 
s'appela  Saint-Vincent  jusqu'en  1744. 
Le  dauphin  Louis,  père  des  trois  der- 
niers  rois  de    la   branche   ainée,   avant 


VIEUX    NOMS    ET    \'IE1LLES    HUES 


pris  l'habitude  de  suivre  celle  rue  lors- 
qu'il allait  entendre  la  messe  à  Sainl- 
Roch,  le  peuple  profita  un  jour  du  mo- 
ment où  le  prince  était  en  prières  pour 
remplacer  l'ancienne  inscription  par 
celle  (lu  Dauphin.  —  Le  maréchal  de 
Richelieu,  appelé  par  ses  soldats  le  pe- 
tit père  la  Murauile,  et  dont  la   rue  du 


i'  0  K  '[■  -  51  A  II  ' 


Port-Mahon  signale  une  des  victoires, 
se  fit  construire,  à  l'extrémité  du  jardin 
de  son  hôtel,  un  pavillon  sur  le  boule- 
vard des  Italiens,  avec  le  produit  des 
contributions  qu'il  avait  fait  lever  sur 
le  pays  du  Hanovre  dans  la  guerre 
de  1756-1757.  Ce  pavillon,  surnommé  de 
Hanovre  par  la  malice  populaire,  donna 
plus  tard  son  nom  à  une  rue  voisine. 
—  Les  avenues  de  Marif/ni/  et  Gabriel, 
aux  Champs-Elysées,  ont  eu  pour  par- 
rains :  la  première,  le  frère  do  M""'  de 
Pompadour,  pour  (pii  Louis  XV'  avait 
fait  ériger  on  martpiisat  la  terre  de  Ma- 
riffni/,  et  cpio  sa  tniilo- puissante  sceur 
avait  mis  à  la  trio  do  la  direction  géné- 
rale des  bâtiments  et  jardins  du  roi;  la 
seconde,  le  célèbre  architecte  Jac(|ues- 
Ango  Gabriel,  qui  travailla  à  l'ac-hève- 
meiit  du  Louvre  cl  oonsliiiisil  ri'loolo 
militaire. 

I,(irs((iu'  lo  (lue  d'iMighien  natpiil  à 
(Jliaiitilly,  on  177-',  on  avait  résolu  de 
donner  son  nom  à  une  rue  alors  pro- 
jetée; mais  cette  rue  no  fut  omorlo 
([uoii  17')2,  époque  où  on  la  nomma 
Mahli/.  C'est  seulement  en  IHl  i,  di.\ 
ans  ai)rès  la  mort  du  malluHiroux  |)riiico, 
<|u'ello  reprit  lo  ikjiii  ipii  lui  avait 
VI.  —  J8. 


été  destiné.  —  La  Chapelle  ejpia- 
toire  fut  construite  par  les  soins  de 
J-ouis  XVIII  et  de  Charles  X  sur  l'em- 
placement de  l'ancien  cimetière  de  la 
Madeleine,  là  où  avaient  été  inhumés 
Louis  XVI  et  Mario-Antoinette.  Les 
noms  des  cinq  défenseurs  du  roi  et  de 
la  reine  se  retrouvent  dans  les  environs 
do  ce  monument  funèbre  :  Malesherhes, 
Trimchet,  Chauveau-Laqarde,  de  Sèze 
et  Tronson  du  Coudrai/. 

Après  le  traité  de  Campo-Formio, 
Bonaparte,  général  en  chef  de  l'armée 
dllalie,  vint  habiter  un  hôtel  qu'il  pos- 
sédait dans  une  rue  ap[)elée  (Chante- 
reine  (mot  que  l'autorité  républicaine 
considérait  comme  un  signe  de  royauté), 
t  )r,  pour  elfacer  ce  souvenir,  non  moins 
i|ue  pour  consacrer  le  triomphe  de  nos 
armes,  l'administration  centrale  du  dé- 
partement décida,  le  8  nivôse  an  \'I, 
([ue  la  rue  Chantereine  prendrait  le 
nom  de  rue  de  la  Victoire.  Subissant 
les  flucluations  ■  de  la  politi((ue,  cette 
rue  redevint  Chantereine  en  181G,  et 
reprit  finalement  le  nom  de  la  Victoire 
en  1833.  —  Lo  Directoire  décida,  lo 
12  brumaire  an  VIII,  que  l'ancien  cul- 
de-sac  Tailbout  serait  appelé  du  Ilelder 
"  en  mémoire  de  l'expulsion  des  .An- 
glais du  territoire  balave  ».  Ilelder  est 
le  nom  d'un  fort  de  Hollande  qui  dé- 
fend l'entrée  du  Texol ,  et  l'expulsion 
dont  il  s'agit  est  celle  dos  15,000  Anglo- 
IJusses  ([ue  le  général  Brune  força  de 
se  rembarquer  le  "29  août  1799.  —  Quant 
à  la  rue  ouvorlo  on  ISO(î,  dans  l'axe  do 
la  place  \'oiidônio,  là  du  allait  s'élever 
la  colonne  consacrée  à  la  gloire  de  l'ar- 
mée française,  clic  dut  nécessairemcnl 
s'appeler  Napoléon;  mais  en  ISIi  on 
était  rassasié  de  gloire  militaire,  et  par 
une  opposition  iialurollo  on  subslllua 
/.■(  l'ai.r  à  Napoléon.  Il  i'allul  ipiOn 
rendit  le  nom  de  llonaparle  i,  l,i  i-ue 
percée  sous  le  Consulat  (ou  rauginen- 
tant  des  rues  des  Petits-. [iit/iislins  et 
du  Pot-de-Fer\  pour  ipi'il  restai  sur  les 
murs  de  Paris  un  aulro  s(Ui\-onir  du 
plus  grand  nom  i\o  notre  siècle  ipie  la 
modi'sto  cité  Xapolècn. 


VIIOUX    NOMS    ET    V  1  K  I  LL  KS    HUKS 


niVE    OAUCIIE 


Sur  lii  riv<'  f^ainlic  de  l:i  Seine,  un 
singulier  exemple  de  dcforniation  est 
fourni  par  l'ancienne  église  Siiinl-André- 
des-Arls,  disparue  depuis  un  siècle. 
Elle  fut  construite  sur  le  clos  de  Laas, 
territoire  planté  do  vignes  appartenant 
à  l'abbaye  de  Sainl-dcrmain-des-Frés, 
là  où  se  trouvait  depuis  longtemps  un 
oratoire  sous  l'invocation  de  saint  An- 
déol,  martyr  au  ni"  siècle.  Par  suite  de 
cette  double  circonstance,  l'église  fut 
appelée  Suint- Andèol-de-Laas ;  or,  elle 
est  devenue  successivement  Sainl-An- 
deu-des-Arcs ,  Saint- André-des-Arcs . 
et  enfin  Sainl-André-des-Arts,  pour  ne 
laisser  d'autre  souvenir  de  ce  lointain 
passé  que  la  rue  Saint-André-des-Arts. 
Le  bourg  de  Grenelle,  qui  a  donné 
son  nom  à  la  rue,  était  désigné  autre- 
fois parle  mot  Garanella,  ce  qui  montre 
que  des  garennes,  celles  sans  doute  de 
l'abbaye  de  Sainte-Geneviève,  lui  ont 
servi  d'emplacement.  La  rue  de  Va- 
renne,  qui  s'est  dite  de  la  Varenne,  est 
aussi  une  altération  de  la  garenne. 

On  chercherait  vainement  de  quels 
saints  Pères  il  a  pu  être  question  à 
propos  de  la  rue  ainsi  nommée;  le  vrai 
nom  de  cette  rue  était  Saint-Pierre  :  il 
y  avait,  en  effet,  sur  le  territoire  du 
petit  Pré-aux-Clercs  une  chapelle  con- 
sacrée à  saint  Pierre,  tout  comme  il  y 
eut  non  loin  de  là,  dans  le  couvent  des 
Petits- Augustins,  un  autel  de  Jacob 
édifié  par  les  soins  de  la  reine  Margue- 
rite. Pendant  son  exil,  l'épouse  divorcée 
de  Henri  1\'  avait  fait  vœu,  si  elle  ren- 
trait à  Paris,  de  donner  à  Dieu  la  dîme 
de  ses  biens,  et  d'élever  un  autel  au 
patriarche  qui  l'avait  inspirée.  Tout  au 
commencement  de  la  rue  qui  doit  son 
nom  à  cet  autel,  se  trouve  une  petite 
rue  appelée  de  V Echaudé;  ce  nom  lui 
vient  de  ce  que  l'ancienne  édilité  pari- 
sienne appelait  échaiidé,  par  comparai- 
son à  une  sorte  de  pâtisserie,  un  pâté, 
un  îlot  de  maisons  coupé  en  triangle  par 
trois  rues. 


Pour  la  rue  Mou/felard,  le  choix  est 
laissé  entre  deux  liypothèses  très  diffé- 
rentes, dont  l'une  tient  à  la  corruption 
des  mots,  et  l'autre  à  la  corruption  des 
choses.  Ou  ce  mot  est  une  contraction 
déformée  de  Mont  Célard,  champ  de 
sépulture,  appelé  autrefois  Muns  Ce- 
tardus;  ou  il  vient  de  mouffette,  à  cause 
des  exhalaisons  que  dégageaient,  dans 
le  quartier,  la  Bièvre,  les  tanneurs  cl 
les  dépots  de  gadoue.  L'nc  rue  donnant 
dans  la  rue  Mouffutard  s'appelait,  au 
xvn''  siècle,  du  temjjs  où  elle  n'était 
qu'une  impasse,  rue  Sans-Chef;  ce  nom 
est  devenu  successivement  Sencée,  Sen- 
tier et  enfin  Censier.  C'est  dans  cette 
impasse  que  se  trouvait  l'hôpital  fondé, 
en  1621,  par  M.  Antoine  Séguier,  pour 
cent  pauvres  orphelines;  Louis  XIV. 
par  lettres  patentes  du  22  avril  1656, 
avait  ordonné  que  les  compagnons  d'arts 
et  métiers  qui,  après  avoir  fait  leur 
apprentissage,  épouseraient  des  filles  de 
cette  maison,  seraient  reçus  maîtres 
sans  faire  de  chefs-d'œuvre  et  sans  payer 
aucun  droit  de  réception. 

La  place  de  l'Estrapade  et  la  rue  du 
Four  rappellent  des  coutumes  depuis 
longtemps  disparues.  L'estrapade,  que 
beaucoup  de  soldats  et  d'hérétiques  ont 
subie  sur  cette  place,  est  un  triste  sou- 
venir du  supplice  consistant  à  élever  à 
uœ  certaine  hauteur,  au  moyen  d'une 
corde,  le  patient  attaché  par  les  pieds 
et  par  les  mains,  et  à  le  laisser  tomber 
violemment  à  deux  ou  trois  pieds  de 
terre.  C'est  dans  la  rue  du  Four  que  se 
trouvait  le  four  banal  de  l'abbaye  de 
Saint-Germain-des-Prés.  II  y  avait  ainsi, 
dans  le  vieux  Paris,  comme  dans  beau- 
coup de  villes  de  France,  des  fours  où 
les  habitants  étaient  tenus  de  faire  cuire 
leur  pain,  moyennant  redevance.  Phi- 
lippe-Auguste exempta  les  Parisiens  de 
cet  impôt.  Quant  aux  rues  d'Ecosse,  des 
Irlandais  et  des  Am/lais,  elles  ont  dû 
leurs  noms  aux  écoliers  étrangers  attirés 
dans  le  quartier  des  études  par  la  célé- 
brité de  l'Université  et  par  les  collèges 
spéciaux  des  jeunes  gens  de  la  Grande- 
Bretagne. 


VIKL'X    NOMS    ET    VIICILLKS    RUES 


Comme  souvenirs  historiques,  il  l'aul 
rappeler  d  abord  Clovis  et  la  reine  C7o- 
lilde  dont  les  noms,  tout  anciens  qu'ils 
sont,  ne  figurent  que  depuis  le  com- 
mencement de  notre  siècle  sur  l'empla- 
cement de  la  basilique  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  qu'ils  avaient  fon- 
dée :  les  fouilles  opérées,  en  1817,  pour 
le  percement  des  rues  qui  portent  leurs 
noms,  ont  fait  découvrir  leurs  tombeaux. 

C'est  à  Simon  de  Jluci,  premier  pré- 
sident au  Parlement,  que  l'abbé  de 
Saint-Germain  vendit,  en  1352,  cette 
porte  de  Paris  que  le  traître  Perrinet 
Leclerc  livra  aux  Bourj^uignons  dan^ 
la  nuit  du  29  mai  1418.  Tout  près  de  la 
rue,  dont  le  nom  rappelle  l'ancienne 
porte,  se  trouve  la  rue  qui  a  pour 
parrain  le  cardinal  François  de  Tovr- 
non,  abbé  de  Saint-Germain  et  l'un  des 
conseillers  de  François  I'"'';  cette  rue, 
très  belle  encore ,  était  auparavant 
le  pré  crotté  et  s'appelait  ruelle  du 
Champ-de-Foire.  C'est  sur  l'emplace- 
ment de  cette  foire  de  Saint-Germain- 
des-Prés  que  furent  tracées,  en  1817, 
les  voies  qui  reçurent  les  noms  de  cinq 
bénédictins  de  Saint-Maur  :  François 
élément,  auteur  de  VArl  de  vérifier  les 
dates;  Jean  Mahillnn,  auteur  de  la 
Diplomatique;  Charles  Toustain,  auteur 
de  la  Nnuvelle  I)ipliinhili(/ue;  Michel 
Félihieii     i-l      <r>n     conlinuateur     Guy- 


élait  abbé  de  Saint- Germaiu-des-Prés 
au  moment  (16UUi  où  fut  ouverte  la  rue 
qui  porte  son  nom.  C'est  de  lui  déjà  que 
datait  la  rue  Cardinale.  Plus   tard,  une 


l:l    E     1)  K     I. 'ABDATK 


Ale.xis    Lohineau,  chargés  de    l'hisloire 
<le  la  ville  de  Paris. 

I-c cardinal  Fursleniherçi ,  (|ui  restaura 
le  palais  abbatial  do  la  vue  de  l'Abljai/e, 


rue  voisine  fut  dédiée  par  le  cardinal 
de  Bissy  (1715,  au  roi  de  France  dhil- 
debert,  fondateur  de  ladite  abbaye,  oii 
il  fut  enterré  en  558. 

La  rue  Monsieur-le-Prince,  autrefois 
des  Fossés-Monsieur-le-Prince,  doit  son 
nom,  comme  sa  voisine  la  rue  de  Coudé, 
à  l'hôtel  du  prince  de  Condé,  sur  l'em- 
placement duquel  fut  ouverte  une  place 
où  Monsieur,  frère  de  Louis  X\'L  lit 
élever  à  grands  frais,  en  1782,  un 
théâtre  destiné  à  la  Comédie  française. 
Par  un  arrêté  du  2.'{  messidor  an  IV 
(13  juillet  1795  ,  ce  théâtre,  qui  s'était 
successivement  appelé  Théâtre  de  la 
Nation,  du  Peuple,  de  l'Fyalilé,  et  qui 
s'appelait  alors  Théâtre  du  Lu.rcni- 
htinrçi,  fut  affermé  à  une  compagnie 
'■  pour  y  établir  un  théâtre  national  l'I 
former  une  écolo  dramatique  utile  à  la 
l'égénération  de  l'art  ».  Kl  comme,  sous 
le  Directoire,  la  mode  était  à  l'imitation 
antique,  ce  nouvel  établissement  dra- 
matique reçut  le  nom  d'Odéon  ;de  odé, 
chant),  sans  doute  à  cause  des  concoris 
(|u'on  devait  y  exécuter,  et  surtout  à 
cause  de  »  l'école  de  chant  et  de  décla- 
mation »  qu'on  se  |)riiposail  de  créer. 
Depuis  la  Hestauration,  ce  Ihéâiro  est 
devenu,  non  sans  quelques  tra\crscs 
encore,  le  second  Théâlre-I''rançais  ; 
mais,  bien  qu  on  n'y  clianle  plus,  li-  nom 
iVf)dé<in  lui  est  resté. 


VIKUX    NOMS    I:T    VIKII.I.KS    IIL'KS 


La  rue  Paliiline  date  de  l'époque  où 
la  princesse  Anne-Chnrintte.  pnlatinedc 


y 

i:    r  \  1.  \  Ti  N  K 


Bavière,  veuve  de  Ilenri-Jules  de  Hour- 
bon-Condé,  vint  hahilcr  l'holel  du  J'elil- 
liourhon.  et  lit  construire  une  maison 
dans  une  rue  dont  le  nom  de  cimetière 
Sainl-Sulpice  fut  remplacé  alors  par 
celui  de  Palatine.  Non  loin  de  là,  les 
rues  Princesse  et  Guisarde  ont  été  tra- 
cées sur  le  territoire  de  l'hôtel  Roussil- 
lon,  oii  la  fille  du  duc  de  Guise  réunis- 
sait les  {)arlisans  de  la  Ligue,  dits  les 
Guisards.  Le  nom  de  Guisarde  fit  place, 
pendant  la  Révolution,  à  celui  de  Snns- 
Culolles,  tout  comme  le  vieux  carrefour 
de  la  Croix-Rouge  se  transforma  en 
Bonnet  rouge.  Au  W^  siècle,  ce  carre- 
four  s'aiipelait    de     lu    Mal.ulrerir 


RUE    DE    PROVENCE 


ritables,  pour  recevoir  les  pauvres  lé- 
preux. C'est  d'une  grande  croix  peinte- 
on  rouge,  s'élcvant  au  milieu  de  la  place, 
(pie  le   carrefour  tient  son  dernier  nom. 

Les  rues  Monsieur  et  Madame,  ou- 
M>rtes,  l'une  en  177'J,  l'autre  en  1790, 
-iir  des  terrains  appartenant  au  comte 
(le  Provence  idepuis  Louis  ,\\  III  ,  dé- 
-ij,'nent  le  comte  de  Provence  lui-même, 
.Munsieur,  en  l'honneur  de  qui  avait  été 
nommée  déjà  la  rue  de  Provence,  sur  la 
rive  droite  {177L' ,  et  son  épouse  Louise 
(le  Savoie,  princesse  de  Sardaigne,  Ma- 
dame. 

Enfin,  la  rue  de  Lille,  ouverte  au 
wn''   siècle,   sur  une     partie    du    L'^raiid 


1 


raison  de  plusieurs  granges  bâties,  dans 
ce  quartier  de  fondations  pieuses  et  cha- 


Pré-aux-Clercs,  avait  eu  pour  parrain 
Henri  de  Bourbon,  abbé  de  Saint-Ger- 
main-des-Prés.  C'est  en  1792  qu'elle  fut 
appelée  rue  de  Lille,  en  mémoire  de  la 
vigoureuse  résistance  que  les  Lillois 
opposèrent  à  l'armée  autrichienne. 

Telle  est  la  petite  excursion  qui  de- 
vait suivre  la  première,  afin  de  dissiper 
les  étonnements  et  les  doutes  que  peu- 
vent encore  éveiller  dans  l'esprit  quel- 
ques-uns des  vieux  écriteaux  de  la 
grande  cité.  Le  sujet  n'est  pas  épuisé, 
mais  l'essentiel  est  dit  :  lorsque  les  rues. 
sont  trop  sombres  ou  d'origine  mal- 
séantes, de  même  que  quand  les  idées 
sont  obscures,  il  faut  craindre  de  s'éga- 
rer. 

Ch.vrles    Rozan. 


LA 

SÉCURITÉ  SUR  LES  CHEMINS  DE  FER 


U  E     LA      STABILITE     DES     V  (T  I  E  S 


La  sécurité  publique,  dans  l'exploita- 
tion des  voies  ferrées,  préoccupe  vive- 
ment l'opinion,  lorsqu'un  accident,  dû, 
le  plus  souvent,  à  une  cause  fortuite  où 
la  malveillance  n"a  rien  à  reprendre,  se 
produit  sur  un  réseau  français  ou  étran- 
j,^er.  Sous  l'impression  du  moment,  on 
s'affole,  les  lé;;endes  naissent,  et  de  là  à 
croire  insuflisamment  protégées  les  exis- 
tences humaines  qui  glissent,  à  belle 
vapeur,  sur  les  rubans  d'acier,  il  n'y  a 
qu'un  pas  —  et  ce  pas  est  vite  franchi, 
dès  qu'un  jugement  impartial  ne  délimite 
plus,  ainsi  qu'il  convient,  toutes  choses. 

La  sécurité  des  voies  ferrées  est-elle 
illusoire?  —  Je  ne  le  pense  pas. 

Cette  sécurité  a  dû  progresser,  au 
contraire.  On  ne  lance  pas  impunément 
des  convois  en  des  trottes  de  cent  kilo- 
mètres à  l'heure,  sans  entourer  ces 
courses  vertigineuses  de  toutes  les  pré- 
cautions possibles  et  désirables.  Sou- 
cieux des  responsabilités  encourues,  les 
services  centraux  des  grandes  Compa- 
gnies ont  été  amenés,  sous  la  pression 
de  plus  on  plus  manifeste  et  indéniable 
désormais  du  contrôle  supérieur  des 
chemins  de  fer,  à  étudier,  à  proposer,  à 
expérimenter  les  moyens  propres  à 
accroître  la  sécurité.  Et  sur  ce  terrain 
brûlant,  d'une  actualité  inépuisable,  la 
science  a  mis  —  avec  une  sage  lenteur, 
peut-être  —  sa  généreuse  empreinte. 

Evidemment,  le  siècle  prochain  nous 
apportera  des  inventions  qui  aideront  à 
asseoir  cette  sécurité  si  comiilexe  et  si 
s|)écial(^  que  d'aucuns,  mal  informés, 
jugent,  tout  de  go,  hasardeuse  et  pro- 
blématique. I>es  temps  viendront  où 
l'intangible  fantaisie  d'tni  Hobida  revê- 
tant une  réalité  froide  et  saisissable,  le 
directeur  d'une  Compagnie   de  chemins 


de  fer  pourra,  de  son  cabinet,  armé  de 
lils  et  sillonné  de  courants  électriques, 
régler,  seul,  et  sans  intermédiaires,  la 
marche  fantastique  des  milliers  de  trains 
qui,  à  son  signal,  emprunteront  ses  voies, 
de  tous  côtés,  sur  cent  branches  dilTé- 
rentes,  se  croiseront  sans  accrocs,  sans 
la  moindre  ératlure,  à  des  vitesses  amé- 
ricaines invraisemblables,  sans  le  plus 
léger  choc,  sans  la  plus  insigniliante 
chiquenaude.  Nullerencontre  de  convois, 
nulle  prise  en  écharpe,  plus  de  ces 
étreintes  terribles  en  lesquelles,  parfois, 
les  locomotives  succombent.  Ce  sera  le 
raihvay  idéal  ! 


Dans  l'exploitation  des  chemins  de 
fer,  la  voie  joue  un  rôle  de  premier  plan. 
Son  état,  son  entretien  sont  essentielle- 
ment liés  à  la  sécurité.  L'examen  de  ses 
organes  s'impose. 

L'écartemenl  des  voies,  c'est-à-dire  la 
distance  qui  sépare  les  deux  files  de 
rails,  est,  en  général,  de  1"',45.  Cepen- 
dant, pour  des  causes  diverses,  l'Espagne, 
la  Russie,  l'Irlande  ont  des  voies  affran- 
chies do  cette  règle,  avec  dos  écartements 
respectifs  de  1"',73(),  1"',.521  et  1"',68. 

Des  différents  systèmes,  les  plus  ré- 
pandus, les  doux  principaux,  sont  ceux 
do  la  voie  à  coussinets  avec  rails  à  double 
champignon  et  de  la  voie  Vignole  ilont 
le  patin  permet  le  crampoinioment  direct 
sur  la  traverse.  Ces  deux  systèmes,  —  les 
seuls  en  usage  dans  nos  grands  raihvays 
français,  —  ont  chacun  leurs  partisans. 
L'Allemagne  emploie  presque  ovclusive- 
mont  le  rail  \'ignole.L'.\ngloterro accorde 
ses  préférences  au  rail  à  double  champi- 
gnon. Ces  deux  pays  sont  on  opposition 
(■(iniplèlo. 


I.A     SKCIJH  ITI';    Sl'll     LKS    CIIKMINS    UK    Klill 


Hiiil  à  i)ulin?   \\ui\  à  doulilc  cl);impi- 
giioii?  ]a\  (|ueslioii  ii'csl  pus  traiiclioe  et, 


(1  U  K  s  T 

Rail  ordinaire  à  patin  (Vignole). 

à  l'occasion,  les  grammairiens  de  Vx 
disculcnl  encore.  Certains —  et  non  des 
moindres  —  trouvent  que  la  voie  à 
coussinets  a  plus  de  robustesse,  qu'elle 
résiste  mieux  aux  elForts  transversaux 
et  qu'étant  plus  lourde  elle  est,  partant, 
plus  stable,  moins  susceptible  de  dislo- 


l'absence  des  coussinets  qui  se  casseiH 
et  des  coins  au  serrage  souvent  défec- 
tueux. 

Le  rail  Vignoie  fut  lancé,  en  France, 
par  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  du 
Nord  et,  depuis,  son  emploi  s'est  géné- 
ralise sur  ce  réseau,  ainsi  que  sur  ceux 
du  Paris-Lyon-Méditerranée,  de  l'Kstet 
de   l'Ouest.    Celui-ci,     toutefois,    a    ses 


Rail  fort  à  patin  (Vignoie). 

cation.  Mais  ceux  qui  en  tiennent  pour 
le  rail  à  patin  ne  manquent  pas  d'énu- 
mérer,  avec  quelque  bon  sens,  les  incon- 
testables qualités  de  la  voie  Vignoie  : 
simplicité  de  pose,  meilleur  roulement, 
résistance  plus  grande  à  poids  égal,  aug- 
mentation   de  la    sécurité,  eu  égard   à 


Rail  ordinaire  à  double  champignon  symétrique. 


lignes  secondaires  encore  armées  du 
système  de  voie  à  coussinets.  L'Orléans 
élimine  le  rail  à  patin.  L'heure  n'est  pas 
très  éloignée  où  cette  Compagnie  n'em- 
ploiera plus  que  le  tjpe  à  double  cham- 
pignon. C'est  aussi  le  modèle  du  réseau 
de  l'Etat;  et  le  Midi,  après  échec  complet 


MIDI 

Rail  ordinaire  à  double  champignon  symétrique. 

avec  le  rail  Barlow,  l'a  également  adopté, 
aujourd'hui,  à  l'exclusion  de  tout  autre. 


LA    SECUHITK    SUR    LliS    CHEMINS     DE     EER 


Sans  remonter  aux   chemins   de   bois 
de  l'antiquité,  si  on  compare,  entre  eux, 


R;ùl  Barlow. 


depuis  l'origine  des  chemins  do  fer,  les 
rails  mis  en  service,  on  est  frappé  des 
transformations  qu'ils  ont  subies.  La 
première  voie  posée  en  France,  —  de 
Saint-Etienne  à  Andrézieux,    —  le    fut 


01:  LÉAN3 

Ilail  oiilinaire  à  double   champignon   (nouveau 
type)  dissymétrique. 

avec  des  rails  en  fonte  de  un  mètre  de 
longueur.  Les  rails  en  fer  de  5"',r)0  et 
de  6  mètres  marquèrent  une  amélioration 
sensible.  Puis,  les  progrès  de  la  métal- 
lurgie aidant,  les  procédés  de  fabrication 
se   perfectionnèrent    et    le   fer    (lisj)arul 


^J^^ 


-■^^^ 


Rail  k  patin  avec  selle  A  redan; 
sur  traverse  en  bois 


apaud 


devant     l'incontestable     su[)éri(]rili'     de 
l'acier  dont    la   solidil(-,    l'usuic  lente  et 


régulière  devaient  séduire.  Les  rails 
de  8,  11  et  12  mètres  apparurent.  L'essor 
s'arrêta.  Il  ne  faut,  en  effet,  citer  que 
pour  mémoire  le  rail  de  18'", 30  du  N'orth 
Western.  L'acier  a  donc  définitivement 
conquis  le  railway  avec  ses  travées 
de  11  et  12  mètres.  Les  barres  de  5"', 50 
et  de  (■)   mètres  en  fer,   encore   utilisées 


Inclinaison  du  rail  à  double  champignon 
dans  le  coussinet. 

sur  les  voies  principales,  sont  infaillible- 
ment destinées,  —  vieux  débris  des  pre- 
mières heures  d'exploitation,  —  à  meu- 
bler, tôt  ou  tard,  les  voies  secondaires 
des  stations  et  des  gares.  C'est  le  déclin. 
Saluons-les  ;   leur  règne   s'achève.    Les 


Inclinaison  du  rail  à  patin  sur  la  traverse. 

"   chemins  de   fer   »    sont    en   passe   de 
devenir  des  «  chemins  d  acier  ". 

Alors  que  les  railways  en  étaient  au 
début  de  leur  carrière,  on  posa  ties  voies 
sans  traverses,  en  (i.xant  simplement  les 
files  de  rails  sur  des  dés  en  pierre  ou  des 
plateaux  en  funte.  Mais,  le  |>riiicipc  de 
la  traverse  admis  et  la  ccrlilude  acquise 
que  de  son  eniplui  di'pcndait  l'homogé- 
néité   des    voies    et    leui-    stabdit<'    non 


LA    SÉCUltITÉ    Sril    l.i;S    CIIKMINS    DE    IKII 


Usure  et  déformation  du  cbampignou  supérieur 


c'quivoque,  les  partisans  de  Tossalure 
métallique  loniplète  lutlèrenl,  peu  à 
peu,  contre  l'envahissement  du  bois. 
Les  mélallurf^isles  —  on  le  conçoit  — 
ne  furent  pas  les  derniers  à  le  combattre 
et  à  proclamer  la  supériorité  du  fer. 
Quand  on  plaide  pro  Jomo,  on  est  élo- 
quent sans  peine.  A  coups  de  chifTres  i 
et  de  statistiques,  on  en  vint  à  avancer 
que  les  forêts  du   globe  ne    suffiraient 


Coupes  et  profils  de  traverses  métallique 


bientôt  plus,  en  une  aube  relativement 
prochaine,  à  alimenter  les  voies  ferrées 
des  bois  nécessaires  à  leur  établissement 
et  à  leur  entretien.  Sur  cette  hypothèse, 
la  question  s'ayrémenta  d'éléments  nou- 
veaux. Les  amis  des  arbres  se  remuèrent. 
Il  faut  autre  chose  que  des  baliveaux 
pour  débiter  des  traverses.  La  météoro- 
log^ie  s'en  mêla.  On  devine  bien  pour- 
quoi. La  bataille  dure  toujours. 


(Jue  lu  traverse  métallique  soit  la 
<'  traverse  de  l'avenir  ■■,  ainsi  que  cer- 
tains l'assurent,  je  me  {garderai  de  mctli-e 
en  doute  cette  assertion  basée  sur  des 
|)robabilités  et  des  calculs,  qu'on  a  tout 
lieu  de  croire  sérieux.  Néanmoins,  il  est 
permis  de  constater  qu'elle  s'accommode 
difficilement  de  certains  ballasts  et  qu'à 
solidité  éfjale  la  voie  sur  traverses  en 
bois  a  plus  d'élasticité.  Si  les  traverses 
métalli<|ues  se  prnpa^'cnt  à  l'étranger, 
en  Allemagne  et  en  Hollande,  par 
exemple,  elles  n'ont,  en  France,  qu'un 
succès  des  ])lus  relatifs,  puisque,  malgré 
des  expériences  qui  se  continuent,  le 
bois,  en  fait  de  traverses,  domine  dans 
nos  railways. 


Quels  que  soient  le  poids  de  la  \oie, 
la  densité  et  la  cohésion  du  ballast  qui 
la  recouvre,  elle  a  des  tendances  à  se 
déplacer  horizontalement,  sous  le  choc 
des  mentonnets 
des  roues  et  les 
mouvements  de 
galop  et  de  la- 
cet exagérés  des 
locomotives. 
Elle  réclame  de 
véritables  soins. 
Elle  est  la  base 
fondamentale 
du  système 
d'exploitation 
des  lignes  et  sa 
stabilité  est  trop 
directement  liée 
à  la  sécurité  pu- 
blique .  je  le 
répète,  pour 
qu'on  la  traite  avec  indifférence.  Elle 
n'est  point  quantité  négligeable. 

Que  le  ballast  soit  en  sable,  en  gravier 
ou  en  pierre  cassée,  la  qualité  est  de 
rigueur.  Au  mauvais  ballast,  —  tous  les 
praticiens  sont  d'accord  là-dessus,  —  on 
doit,  la  plupart  du  temps,  même  sur 
l'assiette  de  plate-formes  saines  et  per- 
méables, l'instabilité  des  voies,  d'où  ré- 
sultent tant  de  secousses  et  de  cahots 


LA     SECURITE    SUH     LES    CHEMINS    DE    FEU 


pour  les  voyiij^eurs,  en  dépit  des  sus- 
pensions de  wagons  les  ])lus  perfec- 
tionnées e(  des  attelages  les  plus  impec- 
cables. Alors,  pour  peu  que  les  Iranchéi^s 
ou  remblais  soient  argileux,  malgré  des 
travaux  d'assainissement  coûteux,  on  a 
de  grandes  difficultés  à  vaincre,  et  ce 
n'est  qu'à  force  de  surveillance  et  d'efforts 
que  l'on  ])arvient  à  assurer  la  sécurité. 
Dans  les  deux  systèmes  de  voie,  —  à 
patin  ou  à  double  champignon,  —  les 
rails  sont  éclissés,  c'est-à-dire  réunis 
entre  eux,  à  chaque  extrémité,  par  deux 
bandes  de  fer  ou  d'acier  qui  les  empri- 
sonnent et  les  maintiennent  à  l'aide  de 
boulons.  Un  joint  qui  varie  suivant  la 
température  esl  laissé  pour  la  dilatation. 
On  emploie,  habituellemeni,  douze  ou 
quatorze  d'averses  par  longueur  de  rail 
de  11   meires. 


des  machines,  rendent  toutes  les  opéra- 
tions illusoires  et  sont  capables  de  sus- 


Traverse  en  bois. 

citer  des  causes  de  déraillement.  Les 
lacets  de  quelques  trains  suffisent  à  dis- 
loquer tout  le  système. 

Dans  la  voie  à  coussinets,  les  coins 
qui  maintiennent  les  rails  sont  «  chassés  » 
dans  le  sens  des  pentes,  sur  les  lignes  à 
voie  unique,  et  dans  le  sens  de  la 
marche  des  trains ,  sur  les  lignes  à 
double  voie.  De  même  que  la  traverse, 
le  coin  en  bois  a  subi  maints  assauts  et. 


Du  sabotage  des  traverses  dépend,  en 
partie,  le  plus  ou  moins  de  perfection 
des  voies.  La  pose  des  coussinets,  à 
l'aide  de  tirel'onds  ou  de  chevillelles,  le 
cramponnemenl  des  patins  exigent  une 
précision  mathémati(|uc.  Mises  en  |)lace, 
les  traverses  l'éclanient  un  bon  bouri'age, 
car,   si    un    ball.i^l    irr('|ii-ochablç,    si    un 


comme  elle,  il  a  ses  détracteurs.  Mais 
il  faut  avouer  que  les  partisans  du  coin 
métallique  ont,  là,  plus  beau  jeu  qu'avec 
la  traverse.  Il  ne  s'agit  plus,  en  elfet,  de 
craintes  réelles  ou  chiméric|ues  concer- 
nant la  disparition  des  forêts  ou  la  méta- 
morphose, au  grand  dam  de  l'humanité, 
des  niaiiircstalions    atmosphériques.    La 


^_^ 


Z. 


■c^^^=^^-^^ 


File  de  rails  posés  sur  dés  en  pierre. 


sabotage  excellent  a^snrcul  la  slaliililé 
des  voies,  on  |i<'iil  ;iHiniicr  <pi  inie  Ira- 
verse  bien  assise  s'op|)Osi'  elficaceinent 
à  l'oseillalion,  au  passage  des  trains.  Un 
bourrage  iiriparfail  ou  négligé  (h'truil  la 
régularilé  de  la  voie,  inlioduit  des  in- 
dexions longiludinalcs  dangereuses  qui 
IriidcMl   .'i  r.'iniplillc  al  ion  du  mcuncMienl 


chose  nous  est  plus  tangible  et  d'un 
aspect  autrement  sérieux.  Li>  coin  en  bois 
a  des  inconvénients  :  son  serrage  n'a 
d'efficacité  qu'autant  (ju'il  esl  l'objel 
d'une  conliiiuoUe  surveillanci- :  placé 
dans  la  mâchoire  du  coussinet,  par  in\ 
temps  humide,  sous  l'action  de  la  séche- 
resse,   il    ne    prend    pins    une    part     très 


LA    SÉCURITÉ    suit     I.KS    CIIKMINS    1)K    l'KU 


.'ic'live  il  la  solidité  de  la  voie  ;  sans  le 
ballast  qui  le  soutient,  il  tomberait 
même.  Son  rôle  a  des  variations  préju- 
diciables à  la  sécurité.  Le  coin  métal- 
lique,  au   contraire,  une  fois  introduit 


entre  le  rail  et  le  coussinet,  forme  ressort 
et  ne  bouge  plus.  On  l'emploie  avanta- 
geusement sur  les  longues  travées  en 
fer  où  le  coin  en  bois  est  d'une  utilisa- 
lion  difficile.  En  voie  courante,  il  presse 
si  énergiqucmcnt  le  rail  dans  le  coussinet 
qu'il  s'oppose  absolument  aux  glisse- 
ments longitudinaux  impossibles  à  éviter 
totalement  avec  le  coin  en  bois. 

Les  Compagnies  de  chemins  de  fer 
dont  les  voies  sont  du  système  à  coussi- 
nets en  viendront,  dans  un  temps  rap- 
proché, sans  doute,  à  l'adoption  du  coin 
en  acier  et  à  son  emploi  exclusif.  C'est 
une  simple  question  de  dépense.  Devant 


Coin  métallique. 

une  chance  de  plus  donnée  à  la  sécurité, 
toute  hésitation  ne  doit-elle  pas  dispa- 
raître? 


L'entretien  des  voies,  leur  revision 
périodique,  tout  en  ayant  le  même  point 
de  départ,  n'est  pas  réglementé  de  la 
même  façon  sur  tous  les  réseaux.  Telle 
Compagnie,  qui  procède  par  de  grands 
renouvellements  généraux  de  ballast,  de 
rails  et  de  traverses,  a  des  frais  d'entre- 
tien plus  légers,  tandis  qu'un  autre  rail- 
way,  où  ces  renouvellements  sont  moins 
fréquents,  voit  son  entretien  absorber 
un    gros    morceau   du    budget    annuel. 


Laquelle  des  deux  solutions  est  la  meil- 
leure? Hien  malin  serait  celui  qui  se 
prononcerait. 

Là  où  le  ballast  est  argileux  et  les 
attaches  relâchées,  par  suite,  aussi,  de 
vices  de  pose,  d'inégale  usure  de  maté- 
riaux, de  mouvements  dans  les  sous- 
sols,  le  profil  des  voies  se  déforme,  les 
traverses  se  déplacent.  Sous  le  frotte- 
ment des  roues  dans  la  lile  intérieure 
des  courbes,  sous  les  chocs  que  subis- 
sent, aux  joints,  les  abouts,  les  rails 
glissent  longitudinalement.  Sous  la  pres- 
sion des  trains,  les  surfaces  en  contact 


Types  de  coinçages  en  bois  (Coupes). 

s'abîment,  les  tirefonds,  les  crampons, 
les  chevillettes,  toutes  pièces  de  petit 
matériel  nécessaires  à  l'invariable  rigi- 
dité des  voies,  se  disloquent.  Comme 
conséquence  du  matage  des  extrémités, 
les  rails  prennent  du  jeu  à  l'assemblage. 
Le  bois  des  traverses  vieillit,  s'écrase, 
sous  les  coussinets  et  le  patin  des  rails. 
De  ces  constatations  vient  la  nécessité 
d'entretenir  sérieusement  les  voies  et  de 


Types  de  coinçages  en  bois  (Conpes). 

remplacer,    à  temps,   les  matériaux  qui 
en  constituent  la  stabilité. 

Le  système   d'entretien   s'est    modifié 


LA    SECURITK    SUR     LES    CHEMINS     DE    FER 


sur  presque  tous  les  réseaux  de  clieniins 
de  fer,  notamment  sur  celui  de  l'Orléans 
où  se  rencontrent  deux  périodes  absolu- 
ment distinctes  qui  sollicitent  une  com- 
paraison ])eut-être  plus  intéressante  que 
partout  ailleurs.  Ainsi,  dans  cette  Com- 
pagnie, avant   l'année  1890,  l'entretien 


la  voie  —  sans  être  âgée  —  devenait  vite 
vieille  et  sa  sécurité  susceptible  de  s'af- 
faisser, ipsn  fado,  au-dessous  des  limites 
de  tolérance  permises.  A  cela,  les  parti- 
sans de  l'entretien  en  voltige,  —  routi- 
niers entêtés  que  toute  innovation  elTraye 
et  qui  répugnent  à  la  marche  d'une  idée, 


N  u  U  V  E  AU     TYPE 


en  recherche  ou  en  voltige,  par  les 
équipes  échelonnées  sui-  les  lignes,  était 
fort  en  honneur.  Il  consistait  à  suivre 
les  déformations  des  voies,  à  «  voltiger  », 
en  (|uel(|ue  sorte,  à  la  recherche  des 
défectuosités  suiicrlicielles,  en  dehors,  le 
[)lus  souvent,  d'oi)érati(ins  im|)()rtantes, 
réellement  sérieuses.  Avec  celle  mé- 
thode, qui  avait  le  grave  inconvénient 
de  masquer  la  situation  et  de  ne  per- 
mettre qu'un  contrôle  difficile,  puis(pic 
les  ('•quipes  élaienl  toujours  en   <  l'air   i. 


---  répondent  que  c'est  précisément  à 
l'exlrême  mobilité  des  équipes,  à  la  fré- 
quence de  leurs  déplacements,  que  l'on 
doit  la  stabilité  des  voies,  en  n'imi)orle 
quel  point  des  lignes  dont  on  tâle  ainsi 
le  pouls,  continuellement,  sans  arrêl,  el 
(|U0  pour  tenir  nue  voie  en  ('lat  de  sécu- 
rité complète,  il  faut,  eu  dehors  des 
renouvellements  généraux  ,  voltiger 
dessus,  à  l'incessante  recotuiaissance 
des  parties  défectueuses.  Ce  sysième  a 
été  abandoinii'. 


i.A  SKCiHiTi:;  suit    m;s  chemins  de  fi;h 


Maiiilcnanl  la  staliililc  dus  voies  est 
•assurée  ])ar  la  méthode  dite  de  l'eiitre- 
licn  courant  et  de  la  révision  heclomé- 
Irique.  Si,  comme  précédemment,  cette 
seconde  manière  laisse  les  chefs  d'équipe 
libres  de  se  porter,  à  volonté,  sur  les 
points  dangereux  de  leur  canton,  toutes 
les  fois  que  la  sécurité  l'exige,  elle  les 
oblige  aussi,  dés  qu'ils  s'attaquent  à  un 
endroit  quelconque  d'une  voie,  non  seu- 
Icmenl  à  remédier  à  son  mauvais  état 
appuient,  mais  encore  à  reviser  entière- 
ment cette  \()ie  sur  la  longueur  mini- 
mum d'un  demi-hectomètre.  Au  point 
de  vue  de  la  sécurité   et    du    rendement 


des  trains,  au  poids  des  machines,  à  la 
nature  des  plates-formes,  ainsi  qu'au 
système  de  la  voie. 


La  classification  des  vitesses-limites 
des  trains  exige  qu'on  observe  :  les  dé- 
clivités exceptionnelles,  les  rayons,  le 
type,  l'âge  et  la  légèreté  des  voies,  la 
qualité  du  ballast,  l'usure  des  rails  et 
des  traverses.  Ainsi,  une  ligne  qui,  par 
son  tracé  et  son  trafic,  est  susceptible  de 
prendre  place  dans  une  catégorie  de  vi- 
tesses-limites élevées  peut,  cependant, 
n'être  admise,  provisoirement,  que  dans 


VIE    1)   r  >•  £  c  L  1  s  s  A  G  E 


du  travail  des  équipes,  les  voies  ainsi 
suivies  sont  maintenues  dans  un  état  de 
solidité  incomparable,  qui  répond  aux 
besoins  de  la  circulation  sur  les  chemins 
de  fer. 

La  revision  hectométrique  et  l'entre- 
tien courant  comportent  tous  les  travaux 
nécessaires  à  la  mise  au  point  de  la  voie  : 
dégarnissage,  assainissements,  vérifica- 
tion des  dévers  et  des  courbes,  élimina- 
tion du  matériel  usé,  ressabotage,  con- 
solidation des  attaches,  bourrage  des 
traverses,  serrage  des  coins,  raccorde- 
ment des  déclivités  et  de  la  dénivella- 
tion, etc.  Les  parties  de  voies  ainsi 
entretenues  peuvent,  à  moins  de  cas 
spéciaux,  attendre,  en  leur  correcte 
recomposition,  que  l'équipe  y  soit  ra- 
menée par  un  roulement  normal,  subor- 
donné au  degré  de  tolérance  qu'il  con- 
vient de  ne  pas  dépasser  sans  risques 
pour  la  sécurité,   au  trafic,    à   la   vitesse 


une  classe  inférieure,  si  la  voie  est  fati- 
guée, le  ballast  défectueux,  l'entretien 
négligé.  On  ne  doit  pas  perdre  de  vue, 
en  effet,  que,  pour  supporter  de  grandes 
vitesses,  il  y  a  des  voies  qui  demandent 
un  entretien  soigné,  une  revision  sé- 
rieuse. Indépendamment  de  son  impor- 
tance, une  ligne  est  donc  inscrite  dans 
une  classe  de  vitesses,  en  raison  de  son 
tracé  et  de  son  état. 

Dans  ces  conditions,  le  service  de  la 
voie,  responsable  de  la  sécurité  quant  à 
l'ossature  des  lignes  et  à  leur  stabilité 
plus  ou  moins  rigoureuse,  appelé  aussi 
à  juger  des  points  dangereux,  ne  pou- 
vait se  désintéresser  de  la  marche  des 
convois  en  cours  de  route.  En  certains 
endroits,  sous  des  vitesses  exagérées, 
des  déformations  sont  à  redouter  et,  au 
passage  de  grandes  travées  métalliques, 
sur  de  longues  et  fortes  déclivités,  aux 
embranchements,  sur   les  pointes  d'ai- 


LA    SECURITE    SUR     LES    CHEMINS    DE    FER 


guilles,  la  sécurité  s'amoindrit  quand  la 
vitesse  dépasse  les  limites  normales  im- 
posées. Sur  les  meilleures  lignes,  il  esl 
des  points  particuliers  qui  doivent  être 
franchis  avec  prudence. 

Naguère,  on  n'avait  pour  contrôler  la 
vitesse  des  trains  que  le  pendule  rudi- 
mentaire  tenu  à  la  main,  ou  tout  autre 
procédé  analogue  aussi  primitif.  Aujour- 
d'hui, toutes  les  Compagnies  possèdent 
des  enregistreurs  de  vitesse  de  différents 
systèmes.  Auxiliaires  précieux  du  ser- 
vice de  la  voie,  ces  appareils  permettent 
de  tenir  la  main  à  ce  (|ue  les  vitesses- 
limites   autoris('es   soient   rarement    dé- 


s'élever,  toutefois,  au-dessus  d'une  limite 
maximum  qui  n'est  point  rigoureusement 
la  même  pour  toutes  les  Compagnies. 
D'ailleurs,  sur  ce  sujet,  l'accord  esl  loin 
d'être  parlait.  Un  ingénieur,  —  autri- 
chien, je  crois,  —  n'a-t-il  pas  démontré 
que  le  dévers  n'était  rien  moins  que 
nécessaire  à  la  sécurité?  Mais  les  spé- 
cialistes sont  plutôt  rares  qui  ont  admis 
cette  théorie  et,  en  France,  le  principe 
est  d'établir  les  voies  en  courbe  avec  un 
surhaussement  de  la  lile  de  rails  du 
grand  rayon.  Cependant,  sur  la  longueur 
des  appareils  de  changements  et  de  croi- 
sements, sur  les  tra\ersées-jonrlions,  on 


Ballast.ige  des  voies  au-dessus  dn   niveau  des  traverses   (Profil  en  travers). 


|)assées  par  les  machinistes  sur  les  pdints 
où  la  sécurité  des  voies  exige  des  pré- 
cautions. 

Les  Compagnies  de  chemins  de  fer 
veillent,  d'ailleurs,  scrupuleusement,  à 
ce  (pie  les  enregistreurs  de  \itesse  du 
service  de  la  voie  soient  en  permanence 
sur  les  lignes  qui  réclament  un  contrôle 
de  tous  les  instants.  L'installation  do  ces 
appareils  a  été,  en  effet,  approuvée  ré- 
gulièrement, pardécisions  ministérielles, 
et  leur  non-fonctionnement  serait  très 
sévèrement  apprécié  par  les  pouvoirs 
[)ublics,  si  le  moindre  accident  survenait 
aux  endroits  spéciaux  qu'ils  ont  |iour 
mission  de  protéger. 


I.'écartemoiil  niinn.il  et  la  ch^nivella- 
lioii  (les  files  de  rails,  le  dévers  ou  surélé- 
\atiiiii  dii  grand  rayon  des  parties 
courbes,  le  raccordement  des  dévers, 
celui  des  courbes  avec  les  alignements 
droits,  ont  leur  valeui-  dans  la  stabilité 
des  voies. 

Le  dévers,  on  le  sali,  croil  ,'i  mesure 
que  le  raymi  de  Cdiirburi'  dimiiuie,  sans 


néglige  le  dé\ers,  et  il  semble  même, 
qu  il  y  ail  tendance,  aujourd'hui,  à  se 
rallier  aux  idées  de  l'ingénieur  autri- 
chien, sinon  pour  l'élimination  complète 
de  tout  dévers,  du  moins  pour  sa  sup- 
pression facultative  dans  les  courbes  de 
rayon  élevé. 

S'il  est  admis,  maintenant,  que  les 
trains  peuvent  passer  «  en  vitesse  »  dans 
les  courbes  supérieures  à  mille  mètres 
établies  sans  dévers,  il  est  non  moins 
accepté  (jue,  dans  les  couilics  de  plus 
faibles  ravons,  un  d(''V('rs  esl  nécessaire 
pour  combattre  l'action  de  la  force  cen- 
trifuge des  convois. 

La  vitesse  des  trains  suivit  les  progrès 
(le  la  machinerie,  et,  tout  d'abord,  les 
ingénieurs  crurent  ipi'ils  de\ai('nl  forcer 
le  dévers  des  (■iiurlH'>  dniis  iiiu'  jirojior- 
lion  correspondante.  L'exiiérieiue  dé- 
montra vite,  sur  les  lignes  à  très  petits 
rayons  surtout,  ([u'il  fallait  se  borner  à 
un  surhaussemenl  limité;  car,  si,  à  la 
descente  des  trains,  la  \'oie  se  trouvait 
bien  du  dévers  calculé  suivant  la  vitesse 
maximum  tolérée,  à  la  montée,  cette 
mcmie   voie,    parcourue  par  des  convois 


i.A   SKCuitiTi!:  suit   i.Ks  (;iii:mins  di;    i'ku 


|)lus  calmes,  se  d6form;iil  ;  les  Irains  ne 
cliassant  ])lus  autant  sur  le  ((ranci  rayon. 
ratif,'uaient  <lavantaf,'o  l'autre  file  de  rails, 
les  (Inversaient,  disloquaient  les  attaches, 
allaient  ius(|u"à  tordre  ou  arracher  les 
crampons  du  type  Vignole  et  compro- 
mettaient alors,  sérieusement,  la  circu- 
lation. On  revint  à  des  dévers  plus 
faibles.  Depuis,  sur  les  lignes  sinueuses 
qui  reçoivent  des  express,  on  a  renforcé 
certaines  courbes,  — difficiles  à  maintenir 
en  bonnes  conditions  de  stabilité,  —  en 
ajoutant  une  traverse  supplémentaire 
j>ar  longueur  de  5'", 50  et  en  employant 
de  gros  coussinets. 

L'altération  de  l'écartement  et  de  l'in- 
clinaison des  rails  ne  se  manifeste  point 


moyen  j)ratique  qui  permit  de  vér'ifier, 
rapidement,  l'espacement  des  rails  el  li- 
dévers,  sur  toute  la  longueur  d'une  ligne 
ou  d'une  section  de  ligne.  Ce  moyen, 
un  .Mlemand  l'a  trouvé,  sous  la  forme 
d'un  a])pareil  qui  enregistre,  graiihiquc- 
nienl,  sur  une  bande  de  papier  mobile, 
d'une  manière  automatique  et  continue, 
dans  toute  l'étendue  du  parcours  sur 
lequel  on  le  fait  rouler,  l'écartement  et 
la  dénivellation  d'une  voie.  I.,es  dia- 
grammes sont  envoyés  aux  ingénieurs 
qui,  par  leur  simple  examen,  peuvent 
diriger  le  travail  des  équipes  d'entretien 
sur  les  points  dangereux  où  la  sécurité 
parait  insuffisante.  Certes,  cet  appareil 
ne  peut  su[)|)léer  complètement  la   sur- 


Voie  eu  courbe,  les  traverses  noyées  dans  le  ballast  (Coupe  transversale). 


de  la  même  façon  :  dans  les  courbes,  la 
voie  s'élargit,  dans  les  alignements  droits 
elle  se  rétrécit,  au  contraire,  sous  l'in- 
fluence des  pressions  qui  tendent  à  dé- 
verser les  rails,  à  l'extérieur  de  la  voie 
dans  le  premier  cas  et  à  l'intérieur  dans 
le  second.  Mais,  quelle  que  soit  la  cause 
des  perturbations  jetées  dans  lécarte- 
ment,  il  est  de  toute  nécessité  de  ramener 
les  files  de  rails  conjugués  à  leur  largeur 
normale,  dès  qu'elles  accusent  un  dépla- 
cement hors  des  limites  de  tolérance,  et 
qui  ne  \  a  pas  sans  danger  pour  la  sécu- 
rité. .\  cet  effet,  on  se  sert  d'un  gabarit 
d'écartement  que  complètent,  dans  les 
courbes,  une  règle  à  dévers  et  un  niveau 
de  poche.  Seulement,  ces  vérifications, 
tant  multipliées  soient-elles,  ne  peuvent 
forcément  porter  que  sur  des  points 
isolés.  On  ne  possède  jamais  la  certitude 
absolue  qu'en  n'importe  quel  endroit 
l'écartement  de  la  voie  est  normal  et  le 
dévers  régulièrement  donné  aux  courbes. 
Il  était   intéressant  de  rechercher   un 


veillance  de  l'homme.  Mais  il  la  com- 
plète. Bien  d'autres  causes  que  celles 
qu'il  relève  influent  sur  la  stabilité  des 
voies.  On  aurait  tort  d'attendre  qu'il 
indique  les  traverses  à  remplacer,  le 
serrage  des  éclisses  et  des  tirefonds,  le 
mauvais  sabotage,  les  rails  cassés  dont 
il  signale,  néanmoins,  l'usure,  les  atta- 
ches disloquées  et  jusqu'à  l'état  du... 
ballast.  Ce   serait  trop  beau,  en  vérité. 


Quand  survint,  en  Ecosse,  la  cata- 
strophe du  pont  de  la  Tay,  on  s'émut  de 
la  stabilité  des  voies  sur  les  grands  ou- 
vrages en  fer.  Le  pont  de  la  Tay  avait 
été  emporté,  en  partie,  par  un  ouragan 
et  un  train  s'était  englouti  dans  la  ri- 
vière. L'accident,  plus  récent,  de  Mœn- 
chenstein,  sur  la  ligne  de  Sonceboz  à 
Bâle,  en  Suisse,  remit  la  question  sur  le 
tapis  et  lui  donna  un  regain  de  triste 
actualité.  Sous  la  charge  d'un  convoi 
bondé  de  voyageurs,  un  jour  de  fête,  un 


LA    SÉCURITÉ    SUR    LES    CHEMINS     DE    FER 


pont  métallique  s'était  écroulé.  On 
s'alarma  encore  —  sérieusement,  cette 
fois  —  et,  dans  les  mois  qui  suivirent,  le 
ministre  des  travaux  publics,  guidé  par 
le  contrôle  des  chemins  de  fer  français, 
prit  nettement  position  vis-à-vis  des 
Compagnies  et  jirescrivit  une  série  de 
nouvelles  mesures  destinées  à  prévenir, 
sur  nos  raihvays,  l'apparition  de  sem- 
hjables  catastrophes.  L'accident  de  la 
Tay  était  dû  à  une  tempête  et  on  pou- 
vait alors,  à  la  rigueur,  arguer  d'un  cas 
exceptionnel.  Mais,  en  Suisse,  le  fait 
s'entachait  de  causes  autrement  graves  : 
le  pont  de  Mœnchenstein  était  en  mauvais 
état,  assure-t-on,  et  sa  stabilité  compro- 


trafic.  Certains  ouvrages  furent  ren- 
forcés, d'autres  entièrement  refaits;  et 
l'on  peut  citer,  notamment,  des  ponts 
de  la  ligne  de  Paris  à  Rouen  qui,  malgré 
un  bon  état  relatif,  ont  été  reconstruits, 
sans  hésitation,  par  la  Compagnie  de 
l'Ouest. 

La  surveillance  et  l'entretien  des  tra- 
vées métalliques  et  des  voies  qu'elles 
supportent  sont  des  plus  rigoureux.  Les 
agents  supérieurs  font  de  fréquentes 
tournées  sur  les  grands  ouvrages,  en 
dehors  des  chefs  d'équipes  et  des  gardes 
qui  doivent  s'assurer  du  serrage  perma- 
nent des  boulons,  des  coins  et  des  tire- 
fonds  et  vérifier  les  attaches  de  l'ossature 


Voie  eu  alignement  druit,  les  traverses  noyées  dans  le  ballast  (Coupe  transversale). 


mise,  malgré  des  réfections  successives 
qui  n'avaient  pu  réussir  qu'à  dissimuler 
le  danger. 

Pour  répondre  aux  exigences  de  la 
situation  et  se  conformer  aux  instruc- 
tions ministérielles,  les  Compagnies  des 
chemins  de  fer  français  se  préoccupèrent 
de  réunir  et  de  revoir  tous  les  documents 
relatifs  aux  travées  métalliques  —  petites 
ou  grandes  —  de  leurs  réseaux.  On  refit 
l'historique  de  tous  les  ouvrages  en  fer 
placés  au-dessus  et  au-dessous  des  \  oies, 
l^ourla  nature  et  la  provenaneedu  métal, 
les  procédés  de  montage,  le  mode  de 
construction  des  appuis,  les  résultats 
(les  épreuves,  les  réparations  ou  les  mo- 
difications apportées  par  l'entretien.  On 
établit  à  nouveau,  avec  le  plus  grand 
soin,  tous  les  calculs  de  résistance,  à 
seule  fin  d'ajjprécier  si  les  efforts  sup- 
portés par  le  métal,  sous  l'influence  des 
surcharges  ])révues  jiar  les  plus  récents 
règlements,  n'atteignaient,  nulle  part, 
une  limite  dangereuse,  en  raison  du 
poids  toujours  croissant  des  machines 
et  (le  l'augnientalion  des  vitesses  et  du 


métallique,  pour  éviter  que  les  efforts 
transmis  par  les  trains  aux  travées  ne 
soient  pas  aggravés  par  des  chocs  impu- 
tables à  l'état  des  voies. 


En  résumé,  de  l'examen  que  nous 
venons  de  faire,  il  ressort  que,  depuis 
quelques  années,  la  sécurité  sur  les  che- 
mins de  fer  s'est  considérablement  amé- 
liorée. l"]n  particulier,  la  solidité  des 
voies  françaises  est  admirable.  .Aussi 
bien,  il  n'est  pas  jus(]u'à  la  libre  Amé- 
rique qui  ne  se  range  et  no  veuille,  dé- 
sormais, détruire  la  légende  qui  la  montre 
comme  détenant  le  record  du  sans-gène 
dans  l'établissement  et  l'entretien  des 
railways.  Après  l'Angleterre,  elle  dorme, 
également,  plus  de  santé  à  ses  voies  cl 
les  originaux  cpii,  mainlenani,  traver- 
seraient encore  r.Vtlanlique  pour  s'offrir 
un  bon  petit  dérailleinenl  en  seraient, 
vraisemblablement,  pimi-  leurs  fiais  de 
voyage. 

Loiis     lIlhlKV. 


LE    MOUVEMENT    LITTÉHAIRE 


La  lonliilive  de  M.  Paul  Adam,  dans  son 
l'oman  la  Bataille  d'Uhtle  (paru  chez  Ollen- 
DOHFFi,  ne  nian(|ue  ni  d"iiilôri'l,  ni  do  nou- 
vi-autô,  ni  <li'  laliMil,  ni  de  t|ucl<jues  défauts 
(|uo  nous  dirons. 

Qu'ost-ce  (|uc  c'est  que  celte  bataille 
d'ihde?  A  vrai  dire,  très  peu  importe: 
c'est  la  bataille  en  soi,  et  le  lécit  peut  s'en 
localiser  dons  le  tem|is  et  l'espace,  au  ■frc 
de  chacun.  C'est  une  campagne  que  mena 
le  pénéral  Haxi,  en  juin  I8;iy,  au  cours  de 
celle  fjueire  d'Italie,  mieux  connue  par  les 
autres  batailles  de  Paleslro,  de  Magenta, 
de  Malegnano  et  de  Solferino.  Mais  ce  dont 
il  faut  convenir  tout  de  suite,  c'est  de  l'at- 
trait de  ce  conte  militaire,  du  minutieux 
réalisme  qui  lui  donne  un  air  particulier 
de  compétence  et  d'expérience,  comme 
aussi  de  la  part  sérieuse  faite  à  la  philo- 
sophie de  la  guerre. 

Mais  il  convient  de  démêler  et  de  dis- 
cerner les  éléments  très  complexes  que  le 
livie  contient  et  qui  le  caractérisent  :  car 
c'est  toujours  une  rare  fortune  de  rencon- 
trer un  livie  (lui  ait  du  caractère. 

Tout  d'abord,  c'est  un  roman  <(  de  condi- 
tion »,  comme  on  eût  dit  autrefois,  un 
roman  professionnel,  comme  nous  disons. 
Heauniarchais  est  l'un  des  premiers  qui 
aient  songé  à  orienter  la  littérature  dans  ce 
sens,  c'est-à-dire  à  penser  qu'il  pouvait  se 
dégager  un  intérêt  assez  puissant  et  assez 
général,  fût-ce  d'un  métier  particulier.  Il  a 
déduit  et  exposé  toute  cette  théorie  sur  la 
capacité  littéraire  des  professions,  et  il  en 
a  lente  l'application  dans  son  drame  les 
Deux  amis,  où  l'intérêt  sort  tout  entier  de 
la  situation  critique  dans  laquelle  peut  par- 
fois se  trouver,  de  par  son  métier,  un  rece- 
veur des  finances.  Il  a  échafaudé  toute  son 
action  sur  celte  qualité  spéciale  de  fonc- 
tionnaire dans  l'administration  des  finances. 
Ce  receveur  sauve  un  ami  de  la  faillite  en 
lui  prêtant,  pour  vingt-quatre  heures,  une 
somme  qu'il  prend  dans  la  caisse  officielle. 
Mais  l'inspecteur  des  finances  arrive  à  l'ini- 
proviste.  Le  fonctionnaire  ne  peut  expliquer 
l'absence  des  fonds,  car  cette  révélation  rui- 
nerait le  crédit  de  son  ami.  11  se  perd  par 
dévouement.  Voilà  un  drame  dont  le  pathé- 
tique sort  des  grillages  mêmes  de  la  caisse. 
C'est  ce  que  Beaumarchais  appelle  le  drame 
de  condition. 

Je  rattacherais  volontiers  à  cette  théorie 
le  roman  de  Paul  Adam,  qui  est  le  roman 
de  la  condition  militaire.  'Tout  linlérêt  est 
concentré  sur  la  tête  d'un  général  qui  veut 
gagner  une  bataille  et  sur  les  moyens  dont 
il  use  et  dont  il  dispose.  C'est  le  roman 
militaire  technique. 


Toute  la  campagne,  avec  ses  évolutions 
cl  ses  lactiques,  y  est  suivie  minu'tieusc- 
menl,  heure  par  lieuie  ;  et  si  (l'aucuns 
pourroid  trouver  que  ce  général  nous  sa- 
lure un  peu  de  sa  stratégie  et  parfois 
tombe  dans  les  redites  et  les  longueurs, 
il  faudra  [)onrtant  s'accorder  sur  le  rare 
mérite  d'un  livre  qui  partout  nous  pren<l 
aux  entrailles  et  doit  sa  grandeur  à  sa  sirfi- 
|)licité  même. 

Il  y  a  des  précédents.  D'autres  se  sont 
déjà  complu  h  narrer  des  batailles  dans 
le  détail,  et  les  exemples  n'étaient  pas 
décourageants,  puisipi'ils  ont  olfert  à  notre 
admiration  la  Chartruue  de  Parme,  de  Sten- 
dahl,  la  fameuse  bataille  de  Waterloo,  par 
Victor  Hugo,  <lans  ses  Misérables,  sans 
compter  tant  de  Mémoires  militaires  qui 
ont  fait  en  ces  derniers  temps  la  vogue  du 
nom  de  leurs  auteui-s,  à  commencer  par 
ceux  de  Marbol,  dont  le  général  Haxi  n'est 
pas  un  parent  fort  éloigné. 

Car  lui  aussi,  il  raconte  ses  mémoires  : 
seulement  la  teneur  y  est  plus  régulière 
que  dans  le  réel  et  plus  artistique,  et  l'ima- 
gination aide  la  nature.  Et  surtout,  la  phi- 
losophie aide  de  son  commentaire  perpé- 
tuel la  brutale  franchise  des  faits. 

Mais  d'abord,  ces   faits,   voici  quels  ils 
sont.  Le  général  Haxi,  après  la  bataille  de 
Malegnano,  fut  investi  du  commandement 
en  chef.    Il  va    de    l'avant,  vers    le    cours 
supérieur  de  l'Adda,  rencontre  les  Autri- 
chiens, les  culbute,  établit  des  batteries, 
des    ponts    de    bateaux,  des  ambulances, 
fait    charger,   virer,   voiler,   emporte    des 
villages,  apaise  des  séditions,  fait  fusiller 
un  mutin,  combine  d'habiles  mouvements, 
I    se    porte    aux    premiers    rangs ,  gagne   la 
I    bataille  d'Uhde   et   parvient  au    faite   des 
I    honneurs,   pour  en  être  précipité    par  de 
menus  faits  que  nous  verrons. 

C'est  donc  un  tableau  exact,  fouillé, 
minutieux,  consciencieux  de  la  guerre  :  et 
celle-ci  n'est  pas  flattée.  Cet  hymne  de 
bataille  est  un  des  plus  funestes  procès  de 
la  gloire  militaire.  La  guerre  a  subi  rare- 
ment un  plus  rude  assaut,  sous  la  forme 
déguisée  et  par  conséquent  dangereuse 
du  panégyrique.  Quand  l'abbé  de  Saint- 
Pierre  piôposait  son  Traité  de  la  paix  uni- 
verselle, il  n'a  pas  écrit  une  page  qui  fit 
plus  de  tort  à  l'état  militaire  que  chacune 
de  celles-ci. 

On  a  souvent  décrit  des  batailles.  Je  ne 
sais  si  on  l'avait  jamais  fait  de  cette  façon. 
Les  peintres  militaires  se  sont  pour  l'ordi- 
naire appliqués  à  laisser  dans  l'ombre  le 
côté  horrible  de  la  boucherie  qu'est  une 
bataille,  pour  en  faire  voltiger  le  panache 


I.K   M(>U\I:MKXT    LITTKUAIIiE 


<!(_■  l'uuu'C'  cl  de  gloire,  |)()ui-  l)ruiulu-  le 
clrnpeau  troué  de  balles,  faire  éclater  la 
l'anl'are  des  clairons  au-dessus  des  esca- 
drons reluisant  au  soleil  et  |i(>rliser  la 
sanglante  mêlée.  Dans  les  rc'cils  mili- 
taires, dans  les  chants  de  guerii\  iliuis  les 
hymnes  du  soldat,  dans  les  couplets 
patriotiques,  ce  sont  toujours  les  mêmes 
ofTets  et  les  mêmes  eiîorts,  l'idéalisation 
enthousiaste  dune  chose  sainte,  avec  les 
mêmes  mots,  gloire,  victoire,  clairon, 
escadron.  Il  y  a  un  arsenal  de  fleui-s  el  de 
rubans  pour  les  récits  de  guerre  M:ns  est 
proprement  mis.  Le  voile  resie  lir(''  sui- 
tes horreurs,  ([u'on  évite  de  décrire  el  de 
dévoiler,  comme  par  un  consentement 
tacite,  pour  ne  pas  décourager  les  recrues. 
Il  y  avait,  sur  les  blessures  que  font  les 
ol>us,  une  sorte  de  (■iiii'..piiation  du  si- 
lence. On  aurait  dit  que  les  véléraiis  for- 
maient une  espèce  de  franc-nuii,'onnerie 
muette  pour  éviter  d'attirer  jamais  l'atten- 
tion des  bleus  du  côté  de  l'ambulance  :  el 
cela,  c'était  encore  respivler  liili'e  <]<■ 
Pairie,  le  drapeau,  el  bi  ilnre  iici cssilc'  de 
lancer  aux  gueules  de  canon  des  chairs 
jeunes  pour  la  protection  des  frontières. 
Prenez  le  contrc-[)ied  de  celle  méthode 


•t    vous 
.1     le 


sure,  pas  une 
pas  dire  qn  il 
engageant.  <  •  C 
ce  n'est  pas  jol 
c'est  adniirabli 
vif,  et  iiu''ine  --n 
dans   sa  rénu^i, 


livi 

.l.s  b..r 
.np,  pâ- 
li, el    r^ 


ir.-iil,  el 


be.i.ix   ras.    Il 
M-lanle     .■..Ile, 

■Il  a  i;biii.-  Il 
Ihhi.    .Il'     III 

JiKHi.inic,    .le 

MHIS     en     .I,'. 

ecli.illlillc.ns  r 

de    M>n>    IN 

.aile    d,.s    ope 

.'liions    <loMl 

ni    l'oib'nr    du 
béanles,   des 

s.ini;,  III  bi 
■nliailb's    p. 

pourlaiil     qn,- 

je      vous      , 

Non. 
1    <pii' 


di'pni    I, 


qnrlq, 


,1    l-aul     I 


ipl, 


J.lgel' 
arlisU 


Kn   rIV.'l,    p.n'.iil     1,'^    rliiillrll,'-.    ,,ii    >r     phii 
:;iiai,'lll    .'Il    il.ili.'ii   .1.',   l:,,iII.ii'.U    -.m:;  l.inU,  pin 

■Mii'i.T.  .I..III     un,'    bail.'    .n.iil     Un, In    I.'.    n.i 
l'iii.'-,    I.'iilait    la     i'.'spii'.'ili.,i,     ,,,,,'    l.i     li.au'lu' 

VI.  -   ID. 


Mais  le  san^  léloud'ail aussi  là.  De  ses  iluif^ls. 
il  arrachait  des  lambeaux  de  son  palais  déniuli. 
des  esquilles  d'os,  crachait  cl  vomissait  cela, 
les  veines  tendues  sous  les  rides  du  front 
chauve.  Sa  poitrine,  dans  l'unifornie  verl,  se 
f;.inllait,  se  creusait.  Il  portait  ses  mains  à 
son  cou.  Il  battait  l'air  des  bras...  Il  me  re- 
îîarda  de  ses  yeu.v  ])leureurs.  Je  fis  un  sahil 
militaire,  et  passai.  Il  me  parut  à  m.ii-ménii' 
que  du  san^  en^'. irj^i'ait  ma  bouche,  el  je  era- 
eliai  .riiislincl. 

C'est  le  genre  lempé-i'e.  Il  s  a  pire. 
\'ous  c(Hn])renez  ii  prés.'iil  la  noie.  C'est 
ce  cpii  donne  au  livre  et  air  .l.'M'spéianl  ; 
il  inspire  le  dégoùl  di'  la  ;_;iieii'i'  jiar  la 
répuNioii  de  la  .Imib-iii'  iiliysii|ue,  el 
celle-. 'i  n'i'sl  pii".  .lunp.'iisee  par  renthou- 
siasm.',  I.i  loii.'  u.iii'r.'iisr,  l'édaii  patrio- 
lique. 

Le  l;.-ii.'1','iI  b'axi  e-,!  im  sa-e,  ipii  ne 
s'emballe  pas.  A  un  seul  inonieiil,  on  le 
sent  s'agilei-  sur  sa  s<dle,  el  c'est  par 
l'ennui  de  voir  (oui  le  monde  aj4ii'  dans 
la  mêlée  bin.lis  .jn'il  demeure  à  ne  rien 
biire  ; 

ba  plupai'l  des.,lli.'i,-i'seli,-ris>eiit  le  nieiu'lie 
direct.  Passé  les  premières  éin.ilions  du  d.-bul, 
on  suit  le  coml)aL  avec  une  ardeur  très  pa- 
reille à  celle  qui  anime  t.-  chasseur  exlerniinant 
de  remise  en    reiiiis.'    un.'    .'.aii|iaf;ine  ilr    per- 

dreau.\.  Les  eapilaiii.'s  ni.ini.nl   l.ur- li les 

.'.iinuie  une  meiil.-  .1.'  .  hniis  .Inss,-.  I|>  Irs 
.'M'il.'iil.  I.'s  m,''ii,.,i|,  |,'s  ,,|,,'ns,'nl.  I.'s  laneenl 
av.','  I.ml.'s  I,',  ni-, 'S, 'h,,!, ,■',.„  ,r,,„  s|„„.l.  Plus 
lai'.l.  I..i's,|,,  ,,„  iill.'iiil  I.'S  ^,',,,1,'-  s,i|H--rieurs, 
1,'s  pi',',..','iipiili.,iis  .l,_-vi,'iiii,'iil  li,,p  n.im- 
lii'eus.-s,  .livei'ses.  Le  |..ueur  ,1  èeliecs  remplace 
I.'  ehasseiir  ilans  la  |>ei's.,iiiie  du  eoLaiel.  .\l.a's. 
lalnieité    du    niassacr,'    i...iis    éiii.-iil     ,'l    nous 

.ivr,'  la  'li,'M',',l,'s  .,,l,|a|-,  ■ri'i-l.'in.'iil.  p,n'  .1,- 

\..ii'.   is    ..i'.l,,iiii.,ii-.    ,1,'s    a-anis    av,'.-    I.'s 

.pi.'Is.  .i.'iin.'s,  .,11   liiii'lail    un  ,|.,w'ii\    liall.ili 

La    page    esl     joli,-,     l'.lh-s  s I  M-aii.-.  ,ii  p 

.-oiuiii.-     .-.-ll.-da',     ,-l     I.Mil.-s      les     1-,-serves 

biil.-s.  e.-   liM'.'  ,'sl   .Inii    li.,i ,'    ,1,.    laleul. 

Ou  h-  s.-iil  a  .-,-1-1. lin. 'S  .l.'s.'iiplions  ,pii 
NOUS  b.ipp.'iil  .',,111111..  un,'  MSI, ,11  .liri-ele. 
.'I  aussi  a  .  I.'s  a  p.i  vus  plu  I,  ,s,  ,p|ii,  pi,-s  dum- 
haiih-  poil.-,-  ,'l   .liiii.'  m:;, '1,1, 'lis,'  Nisée.  Le 

t I    .!.-    ,--ll.-    pliilos.q.bi.-    .1,-    la    guerre, 

.-■.-si  la  iii.'lan.'ob,'  .h'sabiis.',.,  j.a  guerre 
esl  bonne  .-I  a  ra^.iii  .1,-  lii.-i-,  parc-e  ipie 
l.i  \1.'  11.-  \aiil  p.,  .  ,pi  OH  1.1  \i\e.  l-;sl-ou 
j.-iiii.'.'  .'II.-  amuse,  .'.uiiiiH-  un.'  parlii'  .1,' 
p..l..;   pass.'  .piaraiib'  ans,    ,pi  iiiipoi  I ,-    uiu- 

ball.-.'  1  ,-  p.-ssiniisiii,-  nie    i.ipp.-ll.-    b-    i 

SI  piol,,n.l  ,bi,ii  i,,iii,iii.-i.-i  ,bi  SI.-,'!,'  ,1,'iiiier 
bi.'ii   in|usl.'iii,'nl   oiiMi,',   llub'.'sin    : 

-   In     .'iilaiil     .1.'    di'iiN     jours'. -si    déjà 

•'^-'•'  '"-"^  I '■  "i""iii  : 

l'.iiil     .X.laiii     ai-i-i-pl,-     1.1     l;ii.-i'i'.-    et  s'en 


iiaii.l  I  .'lais  j.-iiii.<  la    b.itaill.' 
sp..i'i;à_e..iii,    s,-„-    p.^nll.-.u. 


ablail 


M-:    MOIVKMKNT    1. 1  I  T  Kll  A  I  H  K 


le  jru  (le  pitln.  la  clmsso  ù  t'MUrrt',  <ni  la  coiirM; 
(l'obslacles  pnur  (îonlieiiicn.  Après  (|iiai'aiile 
ans,  la  vio  ne  eoiiscrve  pas  la  valeur  qu'iiii 
lui  allril)uc  de  seize  i  vinijt-ciiiq.  Les  aiDours 
lU'viies.  les  (l'aliismis  des  amis,  les  cDnciir- 
rences  pr^lessionnelles,  lu  ^l'^'i'i-'  des  canailles 
l't  la  Mialeclijince  évidente  des  linnntlcs  Rcns, 
le  Irioniphe  du  vice  et  IVibscurilé  de  la  vertu, 
vcius  i>iil,  par  riiahituelle  répétition  de  leur 
apparence,  lassé    de    croire    à     la     beauté    de 


Los  vi'lcriMis  sont  nicillcnis  soldais  ipic 
les  autres,  parce  i|u'ils  n'allondent  plus 
rien  lie  la  vio,  et  ne  ressoniblonl  pas  à  ces 
ailoloseonis  assoilTés  (le  bonliour.  Aussi  le 
^énor.Tl  Raxi  voudraif-il  qu'on  ne  fit  la 
•;iiorro  qu'avec  des  hommes  mûrs  et  désa- 
busés. 

lui  somme,  on  allond  au  bout  de  sa 
Ihéorie  la  (lélinilion  linalequi  ne  vient  pas 
et  (|u'il  a  omise  peul-èlre  par  timidilé  : 
la  guerre  est  un  suicide  collectif. 

tt  s'il  accepte  encore  le  Iléau,  c'est  qu'il 
lui  (rouve  une  consolation  :  d'aucuns  la 
liouveronl  maifrre.  La  f^uorre  est  bonne 
parce  (lu'olle  étend  sur  l'herbe  des  cada- 
vres qui  enfanteront  la  vie  et  (|ui  feront 
i;rouillor  des  milliers  de  bêles  soudaine- 
nienl  ciéés  dans  les  entrailles  en  pourriture. 

.\u  biiid  du  chemin,  le  cadavre  d'un  lani- 
bour,  eiil'oui  [iresque  dans  les  herbes  hautes 
de  la  prairie,  parmi  les  renoncules  mouillées, 
me  donna  peu  de  tristesse.  Cependant  un  vis- 
cère noirâtre,  le  foie  sans  doute,  débordait 
|)ar  la  déchirure  de  la  tunique  entre  les  nœuds 
ilirs  intestins  rougis;  et  la  tète,  je  ne  la  pus 
découvrir.  Les  fleurs  des  champs  s'étaient  re- 
jointes au-dessus,  en  bouquet  blanc,  bleu, 
'd'or... 

Des  hirondelles  crièrent,  coupant  la  splen- 
dciu-  du  jour  par  leur  vol  en  biseau. 

l'auvre  garçon!  pensai-je...  Douce  fumée, 
là-bas,  dans  la  France,  sur  la  chaumière.  La 
lileuse  tourne  son  rouet  devant  l'image  du 
Juif-Errant...  La  petite  soeur  traîne  au  bout 
d'une  ticcllc  la  boite  où  se  prélasse  la  poupée... 
Le  vent  caresse  la  chevelure  des  moissons. 
Les  bœufs  boivent...  Et  ta  mère  blanchie 
pense  à  ton  retour...  Tu  ne  reverras  rien. 
Mais  à  quoi  bon  revoir?...  Tu  aurais  croulé 
sous  les  grosses  ivresses  du  dimanche,  en 
chantant  d'ignobles  refrains...  et  puis,  toute 
la  vie.  tu  aurais  sué  de  peine  et  de  misère, 
pour  faire  resplendir  le  sol  d'une  patrie  qui  ne 
te  distribue  en  échange  que  le  travail, 
l'amende,  la  prison,  l'enrôlement,  la  faim  et 
la  mort...  Pourquoi  dire  qu'il  eût  mieux  valu 
que  tu  vives?...  Seulement,  tu  ne  prévoyais 
pas.  Tu  espérais...  Et,  d'espérances  en  espé- 
rances, tu  aurais  gagné  l'âge  des  maladies 
féroces...  Va,  va,  dors  ici,  tambour,  auprès  de 
ta  caisse  crevée. 

De  toi  une  vie  forte  germera.  Des  millions 
de  bètes  vont  sourdre,  se  répandre,  créer  des 
c\islences  travailleuses,  amoureuses,  lut- 
teuses, comme  llunnaine  destinée...  Pourquoi 
dire  que  tu  es  mort!...  Est-il  une  vie?...  est-il 
uni;  mort?...  Sur  ton   visage   verdi,  les   fleurs 


claires    se    sont    assend>lé 
douceur  du  large  vent!... 


Je  vous  ai  fait  lire  cette  |)a(;(!  parce 
qu'elle  donne  deux  notes  bien  caractéris- 
liques  de  l'o-uvrc  :  pessimisme  el  sensibi- 
lité. 

La  soDsibililé  est  l'inspiratrice  mère  (h; 
cette  sombre  piiilosopbie,  qui  plaint  dou- 
loureusemenl  les  victimes  de  la  (jnerre  et 
leur  elierche  des  raisons  do  lu'  rien 
i-,.;^rolter.  (rest  celle  sensibilité  tendre  el 
compalissanle  qui  revêt  le  mas(|ue  et 
l'impassibilité  sto'icienne,  comme  le  visage 
se  contl-acle  et  se  durcit  de  pour  de 
pleurer.  Le  général  Raxi  déplore  tant  de 
morts,  et  quand  il  doit  faiie  fusiller  un 
mutin,  il  ne  dort  pas  durant  toute  la  nuit 
qui  précède  le  matin  do  l'exéoulion.  Ses 
yeux  se  mouillent  quand  il  traverse  les 
bivouacs  où  les  gas  lui  font  l'effet  de 
songer  tristement  au  petit  cimetière  de 
leur  village  "  contre  le  mur  de  l'église 
fauve  >i. 

Car  ce  militaire  est  un  analyste  à  froid. 
S'il  regarde  la  mêlée,  il  en  démêle  les 
éléments  constitutifs,  non  sans  une  cer- 
taine finesse.  On  a  rarement  fait  une  plus 
belle  élude  des  étals  d'âme  sous  le  feu 
ennemi.  Voyez  ceux-ci,  lancés  aux  [las  de 
charge  : 

Les  pompons  des  shakos  pariu-enl.  pas- 
sèrent, avec  les  tètes  des  hommes,  si  fripées 
et  \'ieillies  par  l'émotion,  que  tous  me  paru- 
rent des  sexagénaires  fous,  se  ruant  contre  la 
terreur  d'une  vision  qui  séchait  à  distance  de 
leurs  yeux  hagards. 

La  touche  est  forte  et  pittoresque.  Voici 
encore  ce  ([u'on  peut  appeler  une  vision 
do  peur  physique,  une  de  ces  pages  qui 
rappellent  Marbot. 

<•  A  qui  le  tour?  cria  un  sergent...  Qui  va 
chercher  la  brouette  de  l'escouade?...  De  quoi  ! 
de  quoi  !  on  boude  au  dessert  ?  En  voilà,  des 
eunuques  !...  alors.  Pleurez  pas  !...  j'y  vais...  u 
Il  sauta  sur  la  route,  regarda  fièrement  les 
vignes.  Des  coups  de  feu  filèrent  entre  les 
échalas...  L'eau  bleuâtre,  vaste  et  rapide,  le 
séparait  de  la  mort.  C'était  un  svelte  garçon, 
aux  jambes  droites.  La  veste  déboutonnée 
sur  sa  cravate  bleue,  le  képi  à  l'oreille,  il  mit 
ses  mains  dans  les  poches,  et,  pour  éblouir 
l'admiration  des  hommes,  tenta  de  siffler. 
Mais  il  ne  sortit  de  ses  lèvres  qu'un  faible 
cri...  Alors,  il  haussa  les  épaules,  comme  s'il 
se  blâmait  lui-même,  et  marcha  posément 
vers  la  brouette  abandonnée  sur  la  chaussée 
blanche...  Telle  une  lyre  immense,  l'air,  au 
passage  des  balles,  vibra.  La  fusillade  pétil- 
lait dans  les  vignes.  L'homme  marchait  tou- 
jours posément.  Il  se  forçait  à  compter  ses 
pas,  à  contenir  sa  hâte.  Je  tirai  ma  jumelle, 
et  je  vis,  dans  les  verres,  sa  face  de  mort,  la 
peau  collée  au  crâne,  suante,  les  yeux  vitreux 
qui  ne  pouvaient  plus  rien  percevoir.  Dans 
les  poches  du   pantalon    les  mains  du  sergent 


].\:  M(m\'i:m  KXT  i.ittkk  a  in  i-: 


se     crispaiciil.     Kilos     <Tni)m,niiau'iil      I  c'I.illV 
Ainsi  se  roiclil-il  ciinhr    la    ))Oiir.  ànie  maf,'iii. 


V    <-v[[f    i-a|iiilc    iiiliif,'!!!'    (l'oidic    |i 
11  l'dil  voit    oiicoro    iiiri-'ililli  \ciil    l'air 


liquc.     et     continua     <lo     maivluT    k-nlL-nu-nl .        ^.„„^^scv   par  son    amani    la    iMinillr  .1.-    s,, 
pour  valoir  au  conra^'c  a  ses  honinu's.  |       '  '      ■ 'i    .  .       ,     i 


I 

Il  décrit  aussi  avec-  siirrlc  rl  joslosso  la 
mêlée  {yéiiéralc,  l'clan  i-.iiniiiuii  ([iii  oniporU' 
et  soulève  une  ariiii'o  an  pas  de  cliai'j;e 
]iar  une  sorte  de  rcoiinict  ion  s'alvanii|iie, 
un  fluide  qui  se  douane  de  idiacun  et  si' 
mêle  aux  volontés  des  eaniarailrs.  pour  se 
eoiulenser  au-dessus  de  la  massi',  ipi  il  en- 
veloppe bientôt  d  une  atmosphère  spéciale 
oii  s'ainal^onient  les  peurs,  les  terreurs, 
les  fureurs,  les  ambitions,  les  beslialilés 
et  les  ra^es  en  une  énerjj-ie  collective.  Kl 
nialfi'n''  lui,  il  esl  saisi  par  cette  poésie 
frrandiose  de  la  cliarue  de  cavalerie;  cl  le 
^'énéral  redit  après  l'aulre  : 

—  Ali!  les  braves  (;ens! 

Dans  tout  cela,  il  v  a  un  vif  souci  du 
nalurel  cl  delà  \r\i\v.  Ces!  un  iciioincaii 
du  réalisme  appliipicaii  ludilarisiiie.  Ajou- 
tez une  science  un  peu  proli\e  de  la  slra- 
tét;ie  cl  de  la  lacli.pie,  el  des  explications 
teclmiipies  doni  \l  es!  peiil-elie.  à  la  lon- 
f;ue,  l'ail  abus,  el  .pii  dojineni  à  eerlaines 
paj,'es  un  va-ue  aspeel  de  ,  aider  d'élèNC 
de  Saiul-Cvr.  l.a  préoccupai  ion  dn  n'ad  es! 
p(nl.'-e  ;'!  un  ponil  Ici,  (pie  des  ealles,  .li's 
plans,  des  rcdexes  s(,nl  adosses  au  li'\le 
pour  l'ollilier  la  \eiaeile  ,1e  ,es  pseudo- 
mémoires.  On  n..us  v  donne  même  le  p.n- 
Irail   de  l'Iieroïne. 

Car  d  V  a  une  lii'roïne.  (;.•  Ihei 
tuel  de  la  douleur.  <le  l.i  s,  adVi-.m.-.-  el  d 
mal  esl  léyèremenl  \arie  par  une  e.anl,' 
cl  pAle  iniriuuc  <pn  seslonipe  .a  l'hon/on  : 
le  -énéral  .a  une  l'en, me.  une  jeune  l'emnn- 
snllisanli'  el  \audcaise  el  mlid.-le,  ipii  re- 
pond au  n.Mu  .llalilh.  Idie  .i  jns.pi  a  pré- 
sent iloiile  osleilsd.l.'nieul  d,'  la  \ran'  N,a~ 
leur    de     s,,u     nia.i,     el     eelni-.a    -a-ne    la 

bal.ailh'   (Il   II. le.  nn    peu    | -    Im    prouver 

ce  (pi  d  s.ail  laire.  Seideinenl.  I  M  ,e.  ,ii(  I  u  i  I  e 
de  sa  leniine  deliave  la  presse  el  le  minis- 
tre de  la  -lierre  .in.  ne  le  i;cm'-ral  trop 
bruyanl  eu  dis-,a. c  .m  tond  de  l'AI-éric. 
Tout  cida  esl  rapi.leineiil  iiidi.pié  paripiid- 
(pies  Icdires  (pu  snlliseni  .'(  rompre  la 
nu.noloiiie  des  (.pei.ilions  s|  ial(''ni(pics 
an.vipielles  elles  .|.,nneiil  nn  Ineii'  l'iililc 
mobile. 

Ces!  aussi  une  leçon  ipie  le  ^.aieial  lire 
de  ses  a\eiil(llcs,  (■.■||e  pelilesse  des 
causes  dans  les  ^i,,i,,|s  ell',.|s,  (l(,nl  il  lail 
la  loi  .le  loirauisinede  laniKc.  i:ai  landis 
.pie  liaxi  se  bal  poilisa  lemme,  alili  de  lui 
apporter  -  .a'Ile  -loire  .allendiic  p,ir  la 
na'ivelé  de  s.,ii  a.lolesceii.-.'  -,  le  niainais 
vouloir  on  l'indolenc,'  .l.'s  ..lli.  leis  d  elal- 
major,  jaloux  de  Haxi,  ris. pi.  ni  le  s.dul  du 
corps  (l'armée  dans  une  .ni  l.iis.a.le  .pic  li' 
service  des  re.a  .nnaissan.a's  u  a  p.iinl  vue, 
cl   lefréuéral  supp.nle  lonles  l.'s  iii.iis.-i  ies. 


j.Hll,-  un    aulr.'    elein.ml    .1. 

1 -lemps    il    a    clé   (!.■    mode   de    pieler 

une  àme  h  la  nalure  el  de  rass(,.  ier  à  nos 
senlimeiils.  Cela  depuis  .l.-.l.  lîcnsseau. 
(|ui  a  (''II''  le  poulil'i'  de  ce  p.inl  lieisnie  sen- 
liiueiilal.  i:ar  c'esl  de  lui  .pie  .latent  ces 
l'.n  iiiules,anj..ui(l  liui  \  ledlies,  ,pu  Linl  luire 
le  s(,l,.|l  .luii..  belle  m.ilinee  davril  au- 
dessus  des  joveuses  li,uicailles  el  (lev.'r- 
senl  les  lalaracles  du  eicd,  par  un.'  bcide 
nnil  (le  iiox.'iiibre,  an-dessns  dn  ciiin.'  et 
du   inalhcnr. 

li.ixi  ne  counail  pas  cadlc  coin  (ndance, 
celle  svinpalliiede  llioinmeel  des  ,1, oses; 
il  n'en  a  e.mslale  ,pie  les  desaccor.ls.  .l,.nl 
runir..rnnle  seiail.  il  l'aiil  le  .lire,  aussi 
invraisemblable  el  ,inssi  ,  on  v  enl  lonnelle 
(pie  S(ni  (  (.nlr.ilic.  l.a  \eiile,  .'esl  .pi,l 
pleul  ,in  lias,ir.l  .!.■  nos  j(,i,-s  cl  de  nos  Iris- 
lesses.  Mais  l'alll  Adam  s.lil  Ir.ill.n  I,' 
paysaii..  : 

liicii  .1.-  ccll.'  lialnrc  esln.ilc  ii  .-v  (iipiail  la 
pivs,  ii.c  .le  la  ni..rl.  I.cs  l'.aiv  .1  .irlillcrir  l.ni- 
iiaiinl  pour  qncl(|iic  l'.'-lc.  s;, ns  d, aile,  p.mr  un 
|.ai  .1,-  ;;aniiiis  brnvanis.  anus  .Ic-   pi'-lar.b.  Le 

■I..11-    .1.-    I,-.    1 .-.    .-1     parnn    K-     l....s.    1,-s    liii- 

sar.ls  s,.„,|,lai,a,l    .■ ir.    vcli.-ni>   al, al. 's,   .'i  un 

rell.l.-/,-V(.ns  de  ,  li.isse.   .-.■   b.us   malin.,. 

l.a  ].lnie  ,essa.  I.or  du  M.l.al  e.nl.i  enire 
les  nues  .au.ilées.  el  le  ci.-l.  peur  s,,„niv.  s.' 
I"''l'''-  i  .|,-Tnas,|,,a  .!.■  s,.s  hrnnu-s.  c.inini.'  1,-  ,aiiu's  de 
I  All.e   l.leiiali-e. 


Il 


dir.' 


.1  (le  la  l'orme 
r\  du  sl\le,  (pii  soni  sci^iies  cl  éllldiés, 
ln,p  peul-elr,.:  I..  iial  ,11 .1  m.iii.pie  parfois, 
el     .picl.pi.-s     |.,|is    l,(,ii|ieiirs     (lexprcssion 

- 1.-'    ''■'■'(■.."   (le.pi.d,p,..sp,e.a..sil..s,    (  .1, 

a     MI     par    les    exliails   cil,  s   ,pi..    la     laiiijue 

esl     rcriii.',    banclie,    de  1 ..loi.    I  ,e    lli.d 

esl  i.,ii|..urs  .11. a. lie,  .-I  s.aneni  Ir.ané. 
I..1  soll  .le  la  licMC  rap,'  ■  la  -ori;.',  et 
les  balles  decllirenl  ■■  la  sole  de  I  an  .  Ce 
n'esl  p.. lui  lli  parler  .le  la.  ..11  b.in.de.  Mais 
celle  rcelierclie  même  mène  parfois  .a  la  pré'- 
ciosilé,  an  ililel  lanl  isiiie,  ;'i  I  acrobalie  de 
plume  ipii  l'ail  .'■.lire  à  seiieslre  pour 
,.  ,'1  -aindli-    .  ,    ..u     l.'s    cloclies  biani.ml 

lliMiin.'  .le  M.-I.ni.'  ■.  on  bien  la  bisilladc 
fail  '  sou  liiiiil  d.'  monslrneuse  b'ilnre  , 
(In  seul  le  havail  (  lin  veslieal  iou  il  Iraxcis 
1,.  \,Habiilaii,-  pour  rendre  des  idé-cs  .-n 
s..i-meni.'     mu.  nie.ises.     Tell.-     melapliore. 


iparelarn: 


is  el   Icnncn 


leiiMC.  esl  lroppr..|..Ui.ec.  p.ir  le 
d.-laiil  clier  .aux  prcen-nscs  di-  la  .■li.mibrc 
bimie  ; 

l>..nre,-Me;;.an.l.-  l'.iiiii.iu  a  ni.-x.  (i\  ..n.-xp.isr 
Cil  plal  seul. I.lniil  v  .a  s  m,' ^,,,,1,1.'  peu  de  cli,  .se. 
I.e  ra;;,,nl   .l'nn  s,,nn,.|,,. 
Il  esl   de  s,.l  alli.|ne  .iss^usenne  pari, .ut. 


I.K    NlllIVKMKNT    l.l'l  T  KU  A  1  II  i: 


Molit'io  l>li'iiii:iil  p.ir  là  l't-xccs  qui  coii- 
sislc  il  ('|iiiis(M-  la  iiK-laplinrc  :  il  faut  cm 
sorlir.  M.  Paul  Adam  s'v  complail  trop 
lonplcnips.  Mais  nous  ne  voulons  pas  insis- 
ter sur  ces  icmaïques  do  détail,  qui  nen- 
lanicnl  pas  la  valeur  de  l'ouvrajje  et  (pii 
<'onslaleronl  seidenienl  cpie  ce  livre  mé- 
rite d'èlre  lu  avec  soin  :  c'est  le  meilleur 
liomniay-e  qu'on  puisse  rendre;»  un  auteur. 

Au  total,  il  se  distinguo  par  des  qualités 
(le  style,  de  pensées;  l'observateur  s'y 
double  d'un  peintre  et  d'un  philosophe,  et 
nous  ne  savons  pas  s'il  no  faudrait  pas 
prononcer  le  mol  de  chol'-d '(ouvre,  à  la 
oondilion  que  l'ouvrajjfo  aurait  ce  qui  lui 
manque,  la  foi,  l'élan,  l'enthousiasme, 
l'amour  de  la  patrie  pour  olle-mt-mo,  le 
cidie  du  drapeau  défondu  autrement  que 
par  routine,  par  consijjne,  par  nécessité, 
par  désenchantement  ou  par  vanité  conju- 
ffalo. 


I  11  roman  d'André  l'Iiouriot  est  toujours 
une  heureuse  fortune,  et  ce  n'est  pas 
celui-ci  qui  nous  démentira,  car  Boisfieury 
(chez  Lemebue)  est  un  ajfréahle  récit  fait 
lie  descriptions  telles  que  Thourict  sait  les 
faire,  de  bonne  humeur,  de  situations  pa- 
thétiques, do  passion  et  d'infortunes.  Tous 
les  éléments  d'intérêt  sont  réunis.  C'est  le 
cas  d'un  joiiiio  homme,  Jac(|ucs  Chantai, 
qui  habite  Juvigny  et  (jui  est  malheureux 
dans  ses  amours.  Jeune  encore,  il  devient 
épris  d'une  charmante  jeune  tille,  Clau- 
dette Le  Mesnil,  dont  ses  parents  ne  veu- 
lent point  parce  qu'elle  est  sans  fortune. 
Sou  père,  pour  I  éloigner,  l'envoie  faire  son 
di-oit  à  Paris,  où  il  passe  deux  ans.  A  son 
retour,  il  s'amourache  cette  fois  d'une 
Vi-uve  de  vingt-huit  ans  qui  a  la  réputation 
d'être  très  austère,  mais  qui  ne  l'est  pas, 
et  qui  s'appelle  Sylvie  des  Rônis.  Pour 
l'éloigner  encore,  son  père  lui  fait  obtenir 
une  charge  en  Touraine.  Jacques  charge 
un  ami  de  recevoir  ses  lettres  pour  les 
remettre  à  Sylvie.  Vous  devinez  ce  qui 
arrive  toujours  dans  ce  cas-là,  comme  dans 
la  MéVite  de  Corneille,  et  comme  dans  Ba- 
jazet,  où  Alalide  est  l'infidèle  messagère 
de  Roxane.  Ici  encore,  l'ami  prend  la  place 
de  l'absent  et  devient  à  son  tour  l'amant 
de  Sylvie.  Jacques  le  sait,  se  désole,  se 
console,  et  part  pour  Paris  en  se  répétant 
le  vers  de  Goethe  :  «  Et  maintenant,  en 
avant  de  nouveau  sur  le  chemin  de  la  vie.  » 

En  avant,  après  la  double  expérience 
de  l'amour  irrégulier  et  de  l'amourotle 
printanière,  celle  que  Goethe  a  si  joliment 
définie  :  «  Ces  amours  de  la  première 
jeunesse,  auxquelles  on  se  livre  sans  au- 
cune pensée  d'avenir,  sont  pareilles  aux 
bombes  (|ui  s'élèvent  en  courbes  brillantes 


vers  les  étoiles,  semblent  s('journor  im 
instant  uii  milieu  d'elles,  reparaissent  pour 
décrire  la  même  courbe  en  sens  inverse 
et  |)0iu-  porter  la  désolation  là  où  elles 
retombent.  » 

\'oici  un  bien  joli  malin  de  févriei',  c'est 
obseivé  et  noté  sur  nalur(-  : 

Lo  soleil  iiioiitanl  au  zénith  et  déjà  plus 
cliaud  dissulvuil  peu  à  peu  les  pcndvUjques 
(le  givre.  Klles  |ileuvuienl  en  (nies  noulte- 
telles  sur  la  terre  dégelée.  Une  lumière 
blonde  baignait  les  fougères  recroquevillées 
el  les  ronciers  de  la  cloirièrc,  ou  çà  et  là 
l'elléljorc  noir  dressait  de  pâles  inflorescences 
vcrdàlrcs.  Des  mésanges  se  mirent  à  gazouiller 
dans  les  sapins  qui  anriluicnt  le  rendez-vous 
de  chasse;  on  les  voyait  sautiller,  la  tùLc  en 
bas,  au  long  des  branches  résineuses,  éplu- 
chant les  aiguilles  une  à  une  el  jetant  une 
menue  el  brève  modulation.  Sous  lu  caresse 
du  soleil  de  février,  le  bois  se  nujnlrail  dans 
toute  sa  beaut'^*  lù\'ernale.  Les  arbres  dé- 
pouillés révélaient  mieux  l'élégance  solide  ou 
légère  de  leur  armature,  les  nuances  tendres 
et  variées  de  leur  écorce  humide.  Le  gris 
argenté  des  hêtres,  le  vert  cendré  des  frênes, 
le  satin  blanc  des  bouleaux,  le  i-ouge  aurore 
des  sommités  du  tilleul  formaient  une  gamme 
de  couleurs  d'une  délicatesse  infinie.  Les 
yeux  en  étaient  doucement  caressés,  les  sens 
se  délectaient  sous  1  action  de  ce  premier 
elTort  de  la  nature  pour  se  débarrasser  de  son 
enveloppe  glacée.  De  tièdes  vapeurs  s'exha- 
laient du  sol  amolli.  Cela  sentait  la  sève  dé- 
sengourdic  cl  remontante,  le  parfum  moite 
de  la  terre  mouillée  par  les  larmes  du  prin- 
temps nouveuu-né  ;  lentement,  par-dessus  les 
bois  ensoleillés,  les  cloches  villageoises  re- 
commencèrent à  tinter  |)Our  l'angélus  de 
midi. 

Entrons  aussi  au  salut  du  mois  de  Mario, 
dans  l'église  assombrie  par  le  soir;  c'est 
un  tableau  d'une  touche  habile,  discrète, 
et  d'un  heureux  effet  dans  son  réalisme  de 

bon  aloi  ; 

Parfois,  le  soir,  faisant  faux  bond  à  ses 
amis  de  Boistleuiy,  il  se  glissait  sous  les 
orgues  de  Saint-Antoine.  Là,  blotti  dans 
l'ombre,  il  dominait  la  nef  où  les  fidèles  en- 
combraient les  bancs  de  chêne.  De  rares 
lampes  éclairaient  à  peine  les  voûtes  obscures 
des  bas  cotés;  quelques  cierges  scintillaient 
dans  le  clia-ur  décoré  de  plantes  vertes,  où 
des  prêtres  occupaient  les  stalles  de  pour- 
tour... etc. 

Lisez  cette  page.  Joignez  à  cola  le  ta- 
bleau animé  d'une  joyeuse  bande  d'amis 
organisés  en  société  dans  un  petit  domaine 
phalanstérien  el  fleuri,  de  ravissants  pay- 
sages, des  scènes  animées,  des  analyses 
ingénieuses  d'àmes  et  de  mobiles,  des 
caractères  nettement  tracés,  el  vous  saurez 
pourquoi  Boisfieury  est  un  nouveau  petit 
chef-d'epuvre  dont  Thoiiriet  vient  d'enrichir 
sa  déjà  riche  galerie. 


LK   MOUVEMENT    I,  ITT  Kit  A  1  UE 


M.  Allivcl  liMmliMUil.  le  Miiaislrv  <U> 
riiisliLiclioii  [jul)liinii>,  si'sl  |irc|i:irt'  à  hi 
|ioliti(|iic  par  riiistoirc,  i|ui  iii  csl  la  iiu'il- 
li'iirc  école.  De  ces  prcmirn"-  |iiodiloclioiis 
est  né  un  livie  que  nous  avons  tous  lu 
jadis  et  dont  voici,  à  longue  distance,  une 
réimpression  illustrée  :  c'est  l'Anneau  de 
César,  ])ublié  en  deux  volumes  chez  IIetzel. 

(rest  le  roman  historique,  non  pas  à  la 
façon  de  Dumas  |)ère.  mais  le  roman  at- 
trayant et  didaelii|iie. 

11  y  a  deux  façons  de  compi-eiichc  le  ro- 
man historique.  Les  vuis  se  servent  de 
l'histoire  pour  l'altérer  et  la  plier  à  leurs 
inventions.  Ils  ne  respectent  i(ue  les  grandes 
lignes.  Mais  qui  saurait  son  histoire  de 
France  uniquement  d'après  les  romans  de 
Dumas  aurait  une  science  bien  fantaisiste. 

Les  autres  subordonnent  le  roman  à 
Ihistoire,  et,  de  même  que  le  conte  fait 
passer  la  morale  aprè.s  lui,  de  même  il 
anime  l'histoire  et  en  grave  mieux  le  sou- 
venir, (/est  ce  genre  auquel  appartien- 
nent les  romans  didactiques,  ([ui  sont  plus 
ou  moins  di(laili(picN  cl  pins  ou  moins  ro- 
manesques. 

Pres(|ue  toutes  les  époipies  oui  inspiié 
des  éi>isodes  de  ce  genre,  de  ces  livres  cpii 
instruisent  en  anuisant,  .séria  hidfi.  (Jui  a  lu 
le  Voi/ai/e  du  jeune  Anachaish,  p.ir-  l'ablK- 
HarIhc'Icmy,  a  beaucoup  appris  sut-  la 
(irèce  aulique.  On  connaît  bien  les  mciurs 
romaines  ([uand  on  a  lu  les  quaire  gros 
volumes  de  De/.obry,  Rome  au  siècle  d'Au- 
i/UKle,  dont  i|U(dques  é]]isodcs  oïd  du  dra- 
maliquc.  Pour  IK-vpIr  aiirirnu.',  si  l'on 
liouM'  hop  de  faulaisic  daus  /,'  Homaii  dr 
la  Mou,,,.  ,\v  Thcplnlc  (.aulici,  ..u  a  loil 
da\oir  ronq.l.  leincul  oublie  uu  roui.iu  di- 
.lacliqlle  qui  eul  beaucoup  (!,•  sucées  au 
siècle  deriiicr,  le  S,l/ws.  de  labbe  Terras- 
son,  tableau  viv;nd  de  la  \  i<'ille  civilisation 
égypiiemn.'.  (iiuuuuMif  aussi  oul)lier  mi  des 
chefs-d'iiti\  re  du  genre,  le  'J'i'léiuai/uc  / 
VcTS  le  temps  de  l''énclon,  on  lit  aussi  un 
ouviage  de  l,i  uu'me  famille  qui  eut  mi 
succès  prodigieux  et  ipu  s'appidait  les 
Voi/at/rx  de  Ci/rus.  ('.riir  époipu'-là  est 
d'a'ill'eurs  la  plus  liche  en  travaux  de  cette 
H.ilure  l'I    eu    pseudo-rueuioiies,    l'Ins    près 

dl'      nous.       ,1      eoUVUMll       de      UU'Ul U-,       le 

dranu'  vèridiipic'  cl  einiaixanl  de  \ilel,  l,i 
JJf/ue,  et  aussi  la  Jeanu,  d'Ai;-.  de  .losiqih 
Ka'hre,  toute  calquée  sui  l.i  \eril.-.  On  \od 
<]tw  ce  genr(>  didaeli.pie  i^sl    li.'s  souple   l'I 


peut  se   prête]'  .'i    mille    formes   iliserses  et 
aimables. 

L'Anneau  de  Céxar  en  est  mu'  preuve  nou- 
V(dle.  Le  fond,  le  décor  magistral  devant 
leipn^l  évcdue  l'intrigue,  c'est  la  con((uètc 
lies  Gaules  par  César  et  la  description 
aussi  piltoresipie  que  savante  de  l'aspect 
du  pays  à  cette  date,  ("est  Lutèce  la 
boueuse,  nichée  sur  le  bord  de  la  Séquano 
toute  bordée  par  les  bateaux  des  uatdes, 
ari'osée  par  la  Bièvre  ,  domiu(''e  par  les 
hauteurs  qui  s'appelaient  alors  la  Hoclie- 
(irise  on  la  llaule-Biniie,  et  cpii  sont  au- 
jourd'hid  Bicètie  et  Ménibnimtant.  Des 
bois  épais  et  profonds  entouiaieni  la  petite 
cité.  Les  Commentaires  de  (lis.u  ie\i\eul 
de  façon  ]>récise  et  pittoicsipie  à  li.ivers 
ces  pages  érudiles  .  palheli.pies  id  édi- 
fiantes. 


La  fable 


,1    alh 


■\<r   de  fa 


émouvante  les  è]pis(i.les  hisloriqnes.  Le 
héros  esl  le  jeune  daulois  N'eueslos.  Il 
aime  Andiiori;;a.  ainu'e  aussi  par  h'  liaitre 
Kérétorix.  Il  esl  lad  pnsoinder  par  les 
Bomains  ;  c'est  lui.  i  est  X'eueslos.  (pii, 
daus    une    baladle.    saisit    un    ,lief  romain 

par   le    bras,    mais    lei un    s'cM-liappa,    et 

le   (iaulois   conserva    <  ,•   ipi  d    pul    aiiaeher 


.dti 


iiih 


•I   la  b; 


;ue. 


II 


reconnut    1'. eau    de   (iesar.    II  avait  tenu 

un  inslaiit  la  \ic'  du  lernlde  imperator.  La 
scène  de  la  eoinpai  ni  ion  du  pris(mnier 
devani  Cès.ii-,  ipiil  aN.iil  failli  tuer,  ne 
mampie  pas  de  Lirandeiii-.  Le  g(''néral  \ain- 
(|nenr  pardonne  génércusemeiil  el  eiixoie 
le  brave  Venestos"  se  battre  en  lIKiie.  La 
scène  de  la  nnirt  de  Kèielonx,  lue  par 
sou  \alel  au  moinenl  ..ii  il  \.i  |iei(lie  Aiu- 
Inoii^.-i,  e(uislale  cpi'il  iiv  .-,  p.is  loin  de 
riilstoiieii  au  roiiiaucaer.  'l.'liishnre  ii'.'st- 
elle  p.is  le  plus  \  luiv ,  le  plus  saisissant 
des  roiniins? 

La  lin  s'.dève.  el  l.i  e,nieliisi,ui  a  une 
hanle  pliil.isoplii.'  ,'paiidue  a  lia\ers  les 
proplielies  d  \inl.ioli;;a  el  les  deiiiieres 
pa^'es  des  nnanoires  de  \\uiesl,,s.  Le  poi- 
gnard de  Brulus  a  veii-e  la  (  ,aule  de  (  :èsar  ; 
mais  ipii  sait  si  la  (iaiile  ne  doil  pas  savoir 
gré  aux  Bomains  d'aMiir  ilendn  sur  idie 
à  <•(•  nnnnenl-là  son  |irolecliual  cl  sa  eixi- 
lisation?  Ce  s(uil  les  Bomains  qui  nous  .uit 
faits  <'e  ipie  nous  soiniues  :  <pii  sait  (piels 
sauvagi's  nous  serions,  si  nous  n'avions 
béuélieié  pai'  eux  de  tous  les  sieeh^s  auté- 
lienrs  des  eiv  illsalious  liidK'niqiie  el  orien- 
tale? 

L  i'.  o     (  '.  1-  Ail  F.  r  I  !■ . 


CAUSERIK    SCIK.NTIFIQUK 


PiMitlaiil  If  sii'g-o  (lo  Paris  Ip  ni:in(|uc  tic 
moyciis  (le  (•omimiiiicalions  jivoc  \e  rcslo 
do  la  Kraïu'i-  l'iit  uiic  dos  plus  criiollos 
oprouvos  i|ir('iiroiit  à  suliii'  los  assiopfôs,  ol 
au  poiiil  do  vuo  ào  la  dofonso,  les  olioscs 
oussoni  sans  doulo  aulronioiil  lournô  si  le 
comniandonieul  avait  pu  conospomlro 
sùrOTnenl  avec  los  lioupos  l'rain'aises 
siluoos  au  delà  do  la  lif;no  d'invoslisse- 
monl.  Si  à  oe  moinout  lui  invontour  do 
f;énio  avail  sui'fji  avec  nu  moyen  d'uc- 
tionnop  los  appareils  lolé^rapliiques  sans 
se  servir  de  lils  eonduoteurs,  il  eût  oto 
considôi'é  conimo  un  messie.  La  chose  fut 
tenlôo  par  M.  Bourliouze,  préparateur  de 
physiiiuo  il  la  Sorbonne;  il  parvint  à 
transmet Iro  dos  signaux  éleclrii|ues  en 
reliant  ii  ohacpie  station  los  fds  des  appa- 
reils à  la  terre  d'une  part  et  à  la  Seine 
d'autre  part.  Mais  los  résultats  étaient 
incertains  ol  ne  se  produisaient,  du  reste, 
([u'ii  une  distance  trop  faillie  pour  pouvoir 
rendre  les  .services  ([ue  los  circonslances 
exigeaient.  Depuis,  à  ditTéronles  reprises, 
dos  essais  du  même  genre  ont  eu  lieu, 
notamment  en  .Vngleterre,  avec  des  résul- 
tats plus  appréciables,  mais,  en  somme, 
sans  ipi'ils  tussent  considérés  comme  bien 
pratiques.  Nous-môme,  on  1890,  nous 
avons  l'ait  nue  expérience  que  nous  allons 
relater  ici  parce  qu'elle  est  facile  h  ré- 
péter et  qui,  à  ce  |)<)int  de  vuo,  pourra  inté- 
resser nos  lecteurs.  On  en  trouve  tous  los 
éléments  dans  los  appareils  très  répandus 
aujourd'hui  comme  jouets  scientifiques, 
vendus  mémo  dans  les  bazars  :  une  pile 
au  liichromalo  de  ])otasse,  une  bobine 
d'induction  et  mi  téléphone. 

Lorsqu'on  a  mis  la  bobine  en  fonction- 
nement, le  petit  marteau,  ou  tremblour, 
produit  un  ronflomonl  caractéristique;  or, 
on  attachant  l'une  des  extrémités  du  fd 
induit  do  la  bobine  au  robinet  d'un  bec  do 
gaz,  l'autre  à  un  robinet  d'eau  {ce  qui  est 
facile  en  se  plaçant,  par  exemple,  dans  une 
cuisine),  ou  peut  entendre  le  ronflement 
du  tremblour  très  distinctement  dans 
toutes  les  maisons  d'un  quartier,  plus  ou 
moins  loin,  suivant  la  force  de  la  bobine. 
Il  suffit  pour  cela  d'attacher  les  extrémités 
du  fil  d'un  téléphone  aux  robinets  de  gaz 
et  d'eau  de  la  maison  où  l'on  veut  faire 
celte  constatation.  Les  signaux  de  l'alpha- 
bet Morse  peuvent  être  ainsi  transmis  en 
faisant  produire  au  Irembleur  les  inter- 
ruptions nécessaires.  En  supprimant  celui- 
ci  et  en  le  remplaçant  par  un  microi)li(uie, 
nous  avons  pu  transmettre  un  air  de  piano 
h  toutes  los  maisons  d'un  (piartioi-.   Nous 


devons  dire  copoudani  (|ue  dans  certain^ 
immeidiies  parisiens,  ceux  de  construction 
n'-eenle  notamment,  1  expérience  ne  réussit 
pus;  cela  tient,  croyons-nous,  ii  ce  (|uo 
l'installation  des  conduites  fie  gaz  n'est 
plus  faite  dans  les  mêmes  coiidilion-> 
qu'autrefois. 

Mais  ce  n'est  pas  là,  à  vrai  dire,  do  la 
lélégra|iliie  sans  fil;  ce  nom  ne  peut  s'ap- 
pliquer qu'à  un  système  dans  lequel, 
comme  dans  le  télégraphe  optiipie,  aucun 
conducteur,  quel  ((u'il  soit,  n'est  néces- 
snii'O.  Un  joime  inventeur  do  vingt-doux 
ans,  M.  Marconi,  élève  du  savaid  profes- 
seur italien  Righi,  vient  d'imaginer  des 
appareils  ipii  permettent  d'obtenir  ce  ré- 
sultat. Bien  (|ue  d'origine  italienne,  c'est 
en  Angleterre,  sous  la  direction  du  cé- 
lèbre électricien  M.  Preece,  qui  s'est 
beaucoup  occupé  de  colle  question,  que 
ses  essais  ont  été  faits;  on  est  parvenu  à 
Iransmeltre  des  messages  à  l.'i  kilomètres 
de  distance.  C'est  en  s'appuyani  sur  los 
théories  nouvelles  des  vibrations  île  l'éther 
([ue  M.  Marconi  a  pu  réaliser  colto  inven- 
tion. On  sait  on  effet,  aujourd'hui,  d'unes 
façon  certaine,  que  la  lumièi-e,  la  chaleur, 
l'électricité  cl.  en  général,  toutes  les 
formes  de  l'énergie,  ne  sont  autre  chose 
(pie  des  vibrations  de  cette  substance 
impondérable  ((ui  existe  dans  l'univers 
entier  et  qu'on  a  nommée  l'éther  (ne  pas 
confondre  avec  l'éther  sulfurique  du  phar- 
macien). Pour  produire  la  lumière,  la 
chaleur,  l'électricité...  il  faut  faire  vibrer 
l'éther,  de  même  que  pour  produire  des 
ronds  dans  l'eau  il  faul  faire  vibrer  celle 
eau  en  y  jetant  une  pierre.  Si  la  pierre  est 
assez  grosse  et  tombe  d'assez  haut,  les 
ronds  ou  ondes  s'étendront  très  loin  et  il 
suffira,  pour  constater  leur  présence  à 
une  assez  grande  dislance,  d'avoir  des 
appareils  suffisamment  délicats  pour  les 
enregistrer.  Quand  nous  faisons  de  la 
lumière  rouge,  c'est  que  nous  avons  donné 
à  l'éther  des  vibrations  dont  la  fréquence 
est  de  iOO  billions  par  seconde;  si  la  lu- 
mière devient  violette, c'est  que  les  vibia- 
tions  ont  alleinl  800  billions;  notre  a>il 
perçoit  ces  vibrations,  mais  il  est  impuis- 
sant à  en  percevoir  d'autres,  celles  qui 
donnent  naissance  aux  rayons  Rœntgen, 
par  exemple,  dont  nous  constatons  cepen- 
dant la  présence  d'une  autre  façon. 

Depuis  quelques  années  déjà,  M.  Herlz 
a  indiqué  le  moyen  de  produire  des  ondes 
éleclri([ues  d'une  forme  loule  particulière 
au  moyen  d'un  appareil  nommé  radiateur, 
qui   n"o>l  autre,  en   somme,  qu'une  sorte 


(  •-  A  V  S  E  li  I  E    SCIE  X  T  I  F  I Q  V  E 


<h-  Ijobiiio  d'induclioii  d.iiis  laquelle  les 
décharges  s'opèrent  d'une  façon  spéciale. 
Crest  cet  appareil  cpii,  avec  quelques  mo- 
tlitications,  sert  de  Iraiisiiiellein-  à  M.  Mar- 
coni  (li^-.    !'■    I.e   lil   in.luil  de  la   l.ohine  H 


Fig.  1.  —  Appareil  transmetteur  de  M.  Marconi 
pour  la  télégraphie  sans  fil  conducteur. 

C,  manipulateur  Morse  et  piles;  B,  Ijobiue  d'induc- 
tion ;  A  et  B.  sphères  en  cuivre  encastrées  dans  une 
caisse  T  pleine  d'iuiile.  tonnant  W  radiateur  qui 
produit  les  ondes  électrique-. 


est  relié  il  deux  sphères  pleine--  en  ciii- 
vi-e  A  et  B  de  0™,1D  de  dianielre,  d^ul  l.i 
moitié  li'empe  dans  vnie  caisse  T  pleine 
<l'huile  el  dent  les  .lulres  moitiés  exposées 
à  lair  lilire  se  termineiit  par  des  s]ili.'qes 
plus  petiles.  Celle  disp.isiti.m  a  p..ur  Iml 
d'étendr.'  .lans  une  lar-e  mesure  la  dis- 
tance il  laipielle  h^s  oude-  eleelinpies  s,, 
prcqia-enl. 

Il  l'allail  maintenani  I  louM'r  I  insirumeul 

capable  de  leci'Noir  ces  les  et  de  mani- 

l'.'ster  leur  présem-c-.  i;in\enlem-  a  ulilis,' 
une  parlicnlai-ilé,  coniLue  ili'jii,  îles  siilis- 
laiiees  eondiicl  lices  linenienl  duisées. 
Lorsque  il.iiis  un  eireiiil  éleetrique  on 
inlerpose  des  limailles  nn-lalliipies  très 
lines.  celles-ci  ollVeiil  une  1res  grande 
résislanee  an  p.issane  du  eonr.iiil;  mai-, 
si  elles  se  lioineiil  en  piV-seiir,'  d  0,1, 1rs 
éleclriques,  elles  | .leiiiieu I  1  m in.M 1 1.1  lemenl 
une  colH'sion  ipu  le--  leml  1 1  i-s  eonduc- 
hiees,  el  il  lanl  en-mie  rompre  eelle  cohé- 
sion en  les  .i-ilani  pour  leur  laiie  perdiv 
leur lu.'ldulili'. 

l.e  icca'pleiir   se   compose  doue  île   deux 


Fig.  2.  —  Appareil  récepteur  de  M.  Mareniii, 

M  et  N,  plariues  i|ili  recueillent  les  on.les  éleetrique-; 
Jv,  I''.  cylindres  eu  argent  eiifermis  dans  iiii  tube  de 
verre  It  oii  le  vide  est  (ait,  et  séparés  l'un  de  l'mitre 
par  un  aiuas  do  Une  limaille  uiétalliquc.  Le  eouranl 
de  lu  jjile  locale  n'actionne  la  sonnerie  S  que  quainl 
la  linialUe  c^t  sous  rinlllleju-j  îles   onile<  electri(llles. 

petits  cylindres    eu    arj;eiit  V.    et    !■'  (M;;-.   :; 
vnrermés  dans  iiii    lulie   de  \erie  lioii  l'on 


a  fait  le  \iile,  et  laissant  entre  eux  un  es- 
pace liiire  d'environ  un  demi-niillimèire, 
qu'on  comble  avec  de  la  limaille  de  nickel 
et  d'arf^ent  finement  divisée.  On  interpose 
ce  tube  dans  un  circuit  composé  d'uiu- 
pile  et  d'une  sonnerie.  D'après  ce  que  nous 
venons  de  dire,  le  courant  de  ce  circuit 
local  ne  peut  actionner  la  sonnerie  S  que 
quand  l'appareil  se  trouvera  .sous  rintUience 
des  ondes  envoyées  par  l'autre  station, 
ondes  qui  seront  recueillies  par  les  grandes 
plaques  métalliques  M  et  \  disposées  de 
eliaipie  col.',  l.e  inarleau  de  la  sonnerie 
\ieiil  Ir.ipper  sur  le  lube  de  manièi'e  à  ce 
([ue  la  cohésion  soit  rompue  dès  que  l'.-ip- 
pareil  n'est  plus  sous  l'inlluenee  des  ondes 
qui  le  rendent  conducteur.  On  comprend 
qu'on  puisse,  au  moyen  du  mani])ulaleur  C, 
produire  les  onde.s  du  transmetteur  i)en- 
dant  un  temps  plus  ou  moins  long  el  ac- 
tionner ainsi  la  sonnerie  du  réce])teur  de 
façon  à  produire  des  tintements  ])lus  ou 
moins  longs  qui  sei-ont  assimilés  aux  poinis 
el  aux  Iraitsdel'alphal.el  Morse.  Du  |,eiil, 
du  resie,  en  inlercalani  dans  le  eircnil  ce 
qneii  télégraphie  on  .ippellc  nii  relai,  aijir 
snr    iiii    appareil    ordinaire    imprim.inl    les 


Ces    expcnelices     soi 
eenles  pour  qnoii  ,,ii,s 

les    applleallons    praliq, 

messes    p,  m,  i'"''/'.,!  cmr 

"l'I'-^ II.  on  se  propos 

cominuniqnei'  les  navin 


1     eneor,-     | 
-e  se   ptonin 

op    rè- 

esqnellesi 

en\enl 

le  pro- 

Comme      p, 

emiei-i' 

■   d'ess.ncl'   ( 

l<-  l'aire 

■seiilre.'ux 

•1  avec 

Les  lianucrs  ,1e  loxvde  de  .-arbon,'  ne 
soûl    |,lns    a    si-iialcr,    son    aelion    motlelle 

nesl    ,|iie    lio|,    c ne.  si, il,, ni     ,1,'pnis    I., 

vo-n,'  l,,n|,,n,'s  plus  -rande  ,les  lov.-rs  .'i 
eoinbiisli,,,,  l.mie  lise/  p.,cles  mol,il,.s  . 
Cesl  un  p,.ls,,i,  ,lii  sallu  r\  il  esl  m,,,-|,.| 
inellie  ,piaii,l  il  11  existe  ,|ans  I  .,ir  ,p,a  I., 
dose  ,1,'  I  p.>,,r  1.000.  Si  ,-ell,'  pnip.,ili,,ii  csl 
di-     II)    pour    100,   il    snllil    ,1e    ,piel,pies  s,-- 

e i,-s  p,iiir,pi,-   \r  s.ingi'll  .lll  ,l,.j;i  .abs,,,!»- 

1    I mil  cl    eu    un.'  miniile   I S  .à    JO  pour 

Mltl  :  la   m., il   .■sl   al,,rs  certaine  il  bref  délai. 

Mais  ,-,.,pi  il  \  :,  ,!..  liés -rave  aussi,  e'esl 
■pie  s,,n  a,l„.,,  a  lies  faible  dose  est  pcr- 
sislaiil,',  i,,,.,,,,-  , pi. ,11,1  l.i  ,-;,„sc  a  ,-,'ss,- 
,reMs|,.|.;  ,1  sallaeli,.  .m  ulolnile  ,ln  s,,,,;^, 
s  \  llx,-  cl  i-M-i,r  son  achoii  iv,  lii.l  1  ice  sur 
I  liemo-lohin.-.   Ii'iilmmml    mais    snr.nmml  : 

'""'  l"'i-""i l'O  a   s,'j,,iiin,'  pemlanl   ,p,el 

ipies    lienrcs  ,lalls    une    pie,-e    ,pi;    ,  ,,■„! 

nu  p.-ii  ,l,.  ,•,•  1,'iiibl,-  -a/  ,l,'M,-iil  m.ila.l,' 
plusieurs  i.airs  api.'s  sans  ,p,,,ii  sac-Ile 
pourquoi,  (iombnni  ,l,'  pmsonni's  i,e  ,loi- 
venl-elles  pas  l,air  aiieinie  an  séjour  per- 
maiienl  dalelims  ,,,,  ,l,-  bnie.mx  on  les 
im.vcns    ,!,■      cl,,,uiraL;e.     .1  V',lair,>-e.     s,. ni 


c.  A  r  s  i: Il  I !■:  s c  i  k n ï  i  i' i  g  i ■  !•; 


(mis  [dus  ou  moins  l'iivoriihles  h  la  piixliir- 
lioii  (le  l'oxydo  il<"  carbone  ol  on  la  vcn- 
lilalion  osl  insnrfisanli- ! 

Mien  (les  invenlenrs  ont  clioiclu"  5  faire 
un  appareil  (pii  d('x('le  la  présence  de  ce  ffaz 
dans  l'almosplièro  d'une  pii'cc  habitée, 
niais  c'est  fort  difficile,  car  il  est  inodore, 
incolore,  a  presque  la  même  densité  i|uc 
l'air  et  on  ne  sait  par  où  le  saisir.  On  en 
est  arrivé  "h  conseiller  de  mettre  dans  la 
pièce  à  surveiller  de  petits  animaux,  tels 
(pie  des  souris  ou  des  oiseaux  :  quand  ils 
(leviennent  malades,  on  est  prévenu.  C'est 
un  peu  primitif  comme  procédé,  mais  cela 
n'est  pas  à  dédaigner  îi  défaut  d'autre  chose  : 
le  tout  est  de  s'apercevoir  à  temps  (pie  le 
serin  ou  la  souris  deviennent  malades. 
D'autres  moyens  plus  scienlifi(pies  ont  été 
proposés,  et  le  dernier,  tout  récent,  cpii  est 
dû  A  M.  A.  Merniet,  nous  parait  tout  à  fait 
digne  de  fixer  l'attention.  Il  permet  de  faire 
facilement  l'analyse  de  l'air  au  point  de 
vue  de  sa  contenance  en  oxyde  de  car- 
bone. On  sait  qu'une  solution  faible  de 
permanganate  de  potassium,  qui  a  une 
teinte  rose,  est  décolorée  par  ce  gaz  lors- 
(pi'elle  a  été  acidulée  par  l'acide  azotique. 
M.  Mermet  a  rendu  la  réaction  encore  plus 
nette  en  ajoutant  un  peu  d'a/.otate  d'ar- 
gent. La